23 : Sauvé
"Thylane, tu m'écoutes quand je te parle ? s'agaçait Lili.
- Évidemment ! protestai-je.
- Parce que tu regardes dans le vide depuis tout à l'heure avec un sourire niais. On dirait que t'es amoureuse, pesta la blonde, dégoûtée."
Je secouai la tête pour m'éclaircir les idées. Amoureuse, moi ? Et puis quoi encore ? Non, je me remémorais simplement ce qu'il s'était passé la matin même...
Sam s'écarta de moi, l'air chamboulé. Il ne paraissait lui-même pas réaliser ce qu'il venait de faire.
"Merde, Thy, j'suis désolé. Je voulais pas faire ça."
Il était tellement gêné que ç'en était attendrissant. Tout rouge, il ajouta :
"Oublie ce que je viens de faire ! Il ne s'est rien passé, ok ? Pas de bisous !"
Maintenant que le choc était passé et que mes idées s'étaient remises en place, je décidai de jouer un peu avec lui. En temps normal, c'était moi l'idiotie rougissante taquinée par Sam ; il était temps d'échanger les rôles. Avec un petit sourire séducteur et malicieux, je m'avançai près de lui et lui déposai un baiser sur la joue. Je chuchotai ensuite à son oreille :
"De quel baiser tu parles, bébé ?"
J'eus un sourire amusé en me rappelant la tête surprise qu'il avait tirée suite à ma déclaration. J'étais ensuite descendue à l'infirmerie, morte de rire, avec un Sam tout tendu.
"Tu recommences ! s'exaspéra Lili. Si je te fais chier, dis-le !
- Pardon. M'excusai-je, sincèrement cette fois. Je t'écoute.
- Donc, j'ai parlé ce matin à Amir. Et tu sais ce qu'il m'a dit ? Apparemment, Sam lui aurait parlé de moi !
- Qu'est-ce-que... hein ? m'écriai-je en retrouvant brutalement les pieds sur terre. Comment ça, parler de toi ?
- J'sais pas, mais je suis sûre qu'il va se passer un truc entre nous... je l'aime, il m'aime ! C'est sûr. Il ne m'a jamais oubliée.
- Comment peux-tu être sûre qu'il t'aime ? demandai-je en ignorant le bleu qui se formait sur mon cœur.
- Lui et moi, on a vécu un truc de folie, l'année dernière,... m'explique Lili. Je suis celle qui l'a sauvé.
- Sauvé ? répétai-je, dubitative. De quoi tu parles ?
- Le pauvre était tellement mal quand il est arrivé au lycée, murmurait Lili avec des yeux rêveurs. Je l'ai changé. Il est celui que tu adores grâce à moi."
J'avais horriblement envie de vomir, et je ne savais même pas pourquoi. Un vide béant se creusait en moi. Mon cœur se serrait douloureusement. Qu'est-ce-qu'il se passe ?
"Ça va, Thy ? s'enquit Lili."
Ne m'appelle pas comme ça. Grinçai-je intérieurement. Il n'y avait que lui qui m'appelait comme ça.
"Je vais aller boire."
Je me dirigeai aux toilettes. Pourquoi Lili m'avait-elle dit ça ? J'avais cru comprendre qu'elle était jalouse de celles qui s'approchaient de Sam... était-ce une sorte d'avertissement, pour me faire comprendre que je n'avais aucune chance avec lui ? Comme si j'en avais envie !
Dire que j'étais sur un petit nuage depuis ce matin... je refusai d'admettre que c'était parce que Sam m'avait "embrassée". Non, c'était juste parce que j'avais échappé au contrôle de maths. Point.
"Qu'est-ce-qu'il t'arrive, petite fleur ?"
Farah se tenait derrière moi. Ma propre tristesse se reflétait sur son visage brisé. Sans rien dire, je la serrai fort dans les bras.
Toujours en silence, nous nous dirigeâmes dehors et nous mîmes à faire le tour du lycée. Farah broyait du noir. Et, même si j'avais décidé d'éviter d'ouvrir le dossier Léo pendant un certain temps, je me rendis compte qu'elle avait besoin de se livrer. Doucement, je lui demandai en tentant de mettre mon propre chagrin de côté :
"Qu'est-ce-qu'il s'est exactement passé après que nous nous soyons parlées, à la soirée ?"
Il y eut un long silence. Pendant un moment, je crus qu'elle ne m'avait pas entendu. Puis sa réponse :
"Je ne sais pas... j'ai continué à boire, je crois. Puis, on est allés dans une chambre pour être tranquille. On a commencés à s'embrasser... mais je ne voulais pas aller plus loin, murmura t-elle, les larmes aux yeux. Je lui ai dit d'arrêter, mais il ne voulait pas, il prenait ça pour un "oui" refoulé. Tu vois, comme dans ces stupides films où le non de la fille veut dire oui... Quand j'ai compris qu'il ne s'arrêterait pas, que ce soit à cause de sa personne ou de l'alcool ingurgité, je l'ai giflé et je suis partie en pleurant dehors. À l'arbre où tu m'as trouvée... Il est venu me voir on me disant que je n'étais qu'une traînée et qu'il ne m'avait jamais aimée. Qu'il voulait juste me mettre "un coup de reins".
Farah s'assit brutalement en se recroquevillant sur elle-même.
"Ça fait mal, tellement mal...
- Tout va bien... Quelle piètre amie je fais... incapable de trouver les mots qu'il faut. Farah, écoute-moi. Léo n'est qu'un connard imbu de lui-même qui ne s'est pas rendu compte de la chance qu'il avait d'avoir une copine comme toi. C'est un crétin fini qui n'arrivera rien à la vie, et c'est bien fait pour lui. Regarde-moi, Farah. Tu vaux cent fois mieux que lui ! Alors oui, ça fait mal. Mais ça guérira. Un jour, tu passeras au-dessus. Un jour, ce pauvre mec ne sera plus qu'une anecdote que tu raconteras en te demandant comment a t-il pu être aussi con. Un jour, tu l'auras oublié et...
- Mais je l'aime ! pleura Farah. Tu ne comprends pas... cela fait plus d'un an que je le connais. C'est seulement à partir de cette année que nos rapports ont commencé à devenir plus ambiguës... et j'ai tout gâché, comme d'habitude !
- Tu n'as rien gâché, assénai-je. C'est lui qui a tout foiré. Franchement,..."
Je me rendis compte que Farah fixait un point derrière moi et je m'arrêtai. Je passai la tête derrière mes épaules et retins un haut-le-cœur en comprenant quel genre de scène observait Farah. Léo parlait à une magnifique métisse avec d'épais cheveux bouclés et un sourire à tomber par terre. Très tactiles, ils se charriaient, et cela crevait les yeux que Léo la draguait ouvertement.
Je repris Farah par les épaules en disant :
"Ne le regarde pas. Ne lui donne pas plus d'importance qu'il ne le mérite.
- Je pourrai peut-être le récupérer... murmurait Farah qui ne m'écoutait déjà plus.
- Non ! m'écriai-je. Ce n'est qu'un connard ! Ne retombe pas dans ses bras, il ne le mérite pas !"
Farah m'ignora et je la vis, horrifiée, se lever et se diriger vers le duo.
"Farah !"
Je grommelai face aux royaux vents qu'elle me foutait et la suivis. Depuis la scène du self, Léo semblait mijoter un sale coup contre nous. Cette future altercation ne me disait rien qui vaille.
Farah tapota l'épaule de Léo, qui lui tournait le dos, sous le regard médusé de sa compagne. Léo se retourna avec un immense sourire qui s'évanouit en nous découvrant. Avant que je n'aie le temps de piper mot, Farah l'embrassa à pleine bouche avant de le relâcher brutalement. Qu'est-ce-que... Léo garda la bouche ouverte, l'air d'en demander encore, les yeux écarquillés par la surprise. Farah lui adressa un petit sourire narquois avant de le gifler en criant :
"Ça, c'est pour n'être qu'un sale connard !"
Les gens autour de nous rirent. Aussitôt, Farah fit demi-tour tandis que, choquée, je restai plantée face au couple. Léo paraissait éberlué et la terminale agacée. Le blond, humilié, murmura "Quelle pute". Je me retins de réagir, mais alors que j'allais suivre Farah, Léo me balaya littéralement et je me ramassai par terre comme une merde. Furieuse, je me relevai aussitôt, une haine brûlante en moi. Il avait osé faire ça.
Ça recommençait.
Je ne voyais plus Léo. Je ne savais plus à qui je m'adressais. Je voyais des traits esquissés dans l'ombre et j'entendais des rires. Prise d'une nouvelle force, je me jetai sur lui en lui infligeant un coup de poing.
"Espèce d'ordure ! Tu n'avais pas le droit !"
Aveuglée par la haine, je m'apprêtai à continuer mes coups mais on me tira brutalement en arrière.
J'entendais plusieurs voix. Il y avait Farah, et même Zoé, qui avait dû s'approcher.
"Arrête ça, Thylane !"
Et puis il y avait sa voix. La seule qui avait un réel effet sur moi. La seule qui pouvait me calmer.
"Thylane."
Lentement, on me séparait de Léo en me tirant doucement en arrière. J'étais une vraie boule de nerfs, et, complètement acharnée, je m'écriai :
"Il n'avait pas le droit !
- Sale folle ! grommela Léo qui se relevait péniblement, mais je n'y prêtai pas attention.
- Thy. Calme-toi. Tout va bien, bébé."
Ces mots eurent le don de m'apaiser brutalement et je me jetai au cou de Sam en ignorant ce qu'il se passait autour. Parce que plus rien n'avait d'importance.
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