Chapitre 8
Suite à la demande en mariage, Scyllia et Alex étaient restés au manoir jusque tard dans la nuit. L'émotion passée, ils avaient évidemment convenu que la cérémonie attendrait la fin de leurs études. Finalement, la raison les avait tout de même poussés à retourner à l'académie vu que le lendemain sonnait pour eux la reprise des cours et de leurs recherches.
Malheureusement pour Scyllia, trouver le sommeil s'était révélé plus compliqué que prévu. Si Shed avait eu la décence de se faire discret tout au long de la soirée, il ne s'était pas privé, une fois de retour dans la chambre, pour faire un résumé complet et détaillé de tout ce qu'il en avait pensé.
En somme, pour lui, cette demande en mariage était tout simplement catastrophique. Les discussions avant étaient d'un ennui total et sans intérêts. Le cadre, certes beau, ne servait à rien vu qu'ils ne voyaient pas à deux mètres en étant éclairés à la bougie. Commencer une demande en mariage en mettant en avant ses défauts et le fait que les autres étaient meilleurs que lui devait être la pire des idées et la réaction de Scyllia devant la bague était, pour le démon, d'une niaiserie sans nom.
Au final, la seule chose qu'il n'avait pas critiquée de cette soirée était la nourriture qu'il avait trouvée correct. Pour Scyllia, malgré ses nombreuses suppliques, le calvaire avait duré jusqu'au milieu de la nuit où Shed avait enfin terminé de faire sa langue de vipère. Quelque peu énervée par tout ça, la prétendante n'eut qu'à poser les yeux sur la bague à son doigt pour s'apaiser et trouver le sommeil.
Le lendemain, c'est un réveil difficile qui attendit Scyllia. À cause de Shed, elle n'avait que très peu dormi et peinait donc à sortir de son lit. Cependant, un coup d'œil par sa fenêtre finit de la réveiller immédiatement.
— Avec tes conneries je ne me suis pas levée ! pesta-t-elle contre Shed.
— Si vous n'étiez pas resté aussi longtemps à observer les étoiles, blottis l'un contre l'autre, peut-être que mon résumé n'aurait pas été aussi long ! se défendit le démon. Rien que de repenser à ça me donne envie de vomir.
— Je fais ce que je veux !
— À peine réveillée et tu cries déjà. Je plains sincèrement Alex.
— La ferme !
— Et en plus on ne peut même pas discuter avec toi quand tu es dans cet état-là.
Se retenant de frapper dans ses meubles à défaut de pouvoir taper le démon, Scyllia s'empressa de s'habiller et de quitter sa chambre en courant. À cette heure-ci, elle devait normalement donner un cours à ses élèves. Cours qui avait débuté depuis déjà quarante-cinq minutes.
Tout en se rendant jusqu'à la salle de classe, la prétendante espérait qu'il reste aux moins quelques élèves présents pour qu'elle puisse s'expliquer et s'excuser auprès d'eux. Il ne lui restait de toute façon même pas un quart d'heure de cours, elle n'aurait rien le temps de leur apprendre.
— Alors pourquoi tu cours ?
— Et toi, pourquoi tu continues de me parler ? grinça-t-elle entre ses dents.
— Je pense au bien-être de tes élèves. Si la vision de ta tête au réveil ne dérange pas Alex, tes élèves, eux, pourraient être choqués.
C'est vrai qu'elle n'avait même pas pris le temps d'au moins arranger un peu sa coupe de cheveux. Il n'y avait aucun miroir près d'elle ou sur le chemin de sa course, mais elle était certaine de ne pas être vraiment présentable.
Arrivée dans le bâtiment des salles de classe et approchant de celle où elle devait normalement donner cours, Scyllia s'étonna de voir la porte ouverte. De là où elle se trouvait, elle entendait ses élèves parler, mais ça n'était pas le genre de chahut qu'ils pouvaient faire quand ils étaient seuls, plutôt des questions posées à quelqu'un d'autre. Ces questions portaient d'ailleurs sur le cours qu'elle devait donner. Un autre mage avait décidé de les prendre en voyant qu'elle n'arrivait pas ?
En entendant la voix d'un homme répondre à l'une des questions de ses élèves, le cœur de Scyllia se serra et ses yeux s'écarquillèrent tandis qu'elle courrait jusqu'à sa salle de classe. Dès qu'elle y entra, la prétendante invoqua l'une de ses lames et la lança droit sur cette personne qui, sans même la regarder, saisit la dague au vol.
— Merci Scyllia, dit Ouros. J'avais justement besoin de quelque chose de coupant.
Utilisant l'arme qu'elle avait dirigée contre lui, le dieu de la mort entailla l'objet en forme d'œuf qu'il tenait dans sa main et qui servait aux élèves à s'entraîner aux sorts de magie blanche. Il récita ensuite une courte incantation tout en passant sa paume au-dessus de la coupure qui se referma instantanément.
— Voilà, comme je viens de vous le montrer, avec ce sort, il est aisé de soigner les plaies peu profondes et...
— Qu'est-ce que tu fais là ? le coupa froidement Scyllia en lui jetant un regard noir.
— Que d'agressivité dans ta voix, répondit-il en se baladant entre les tables. Moi qui pensais te faire plaisir et te rendre service en leur faisant cours à ta place pour que tu puisses te reposer...
Ne supportant pas qu'il se moque ainsi d'elle, Scyllia invoqua une nouvelle dague et la lança en direction du dieu qui, comme la première, l'arrêta en plein vol.
— Il va vraiment falloir que tu perdes cette habitude de lancer des couteaux à tout-va. Tu pourrais blesser quelqu'un !
— C'est le but recherché. Mais tu as raison sur un point. Je pourrais blesser quelqu'un qui n'est pas toi. Donc, les enfants, sortez.
— Non, restez assis à votre place, contredit calmement Ouros.
Si certains élèves s'étaient levés lorsque Scyllia l'avait demandé, ils se rassirent tout de suite sous l'ordre du dieu de la mort. Qu'il joue avec elle ainsi, elle pouvait le concevoir et était même en quelque sorte habituée, mais qu'il implique ainsi ses élèves, elle ne pouvait pas le supporter.
— Pourquoi tu fais ça ? questionna-t-elle, les poings serrés tandis qu'elle voyait une certaine inquiétude se dessiner sur le visage de ses élèves.
— Parce que le cours n'est pas fini, donc qu'ils n'ont pas à quitter leur place, se moqua le dieu. Et aussi pour éviter d'avoir à rattraper une dague à chaque fois que je dis quelque chose. Tu n'étais pas si violente avant, qu'est-ce qui a changé ?
— Peut-être le fait que tu m'immobilisais comme tu le fais avec eux, répondit-elle sèchement.
— C'est vrai, admit-il. J'aurais peut-être dû continuer à faire ainsi. Mais assez tourné autour du pot. Si je suis là, c'est pour plusieurs choses. La première étant une certaine menace que tu as utilisée contre moi pour que je t'aide. Tu t'en souviens ?
— Devant ton palais, juste avant la bataille ?
— Exactement. Tu as usé d'un chantage et d'une promesse pour arriver à tes fins. Promesse que tu n'as pas tenue le jour même.
Utiliser le fait que les autres dieux ne sachent rien de l'origine des fragments avait bien été la menace qu'elle avait mise en avant pour qu'il l'emmène à l'endroit où l'invasion du plan des dieux s'était déroulé, mais était-elle allée jusqu'à promettre de ne rien dire par la suite ? Elle n'était sûre de rien, malgré tout, savoir qu'il s'était fait réprimander par les autres dieux avait quelque chose de très satisfaisant.
— Tu t'es fait taper sur les doigts ? rit-elle.
— Comme s'ils avaient le pouvoir de faire quoi que ce soit contre moi, railla le dieu de la mort. Mais tout de même, c'est pour le principe. Tu ne devais rien dire et tu as tout révélé à Sina.
— J'étais en colère ! Par ta faute, Enzo est mort !
— Ça n'est pas moi qui, par arrogance, est allé défier trois des plus grands mages d'un pays.
La mâchoire serrée aussi fort que ses poings, Scyllia lança un regard noir au dieu de la mort. Pourtant, elle ne pouvait nier qu'il avait raison. Si elle ne les avait pas autorisés à la téléporter auprès d'eux, peut-être qu'ils auraient pu repousser la fédération et éviter la mort d'Enzo.
— Ne l'écoute pas. Si nous avions fait ça, il y aurait eu bien plus de morts et la guerre ne se serait pas terminée aussi vite. Si nous avions attendu, tu t'en serais voulu !
— Avoir un démon comme voix de la raison, comme c'est amusant, se moqua Ouros.
— Tu retiens mes élèves, tu me parles d'une promesse que je n'ai pas pu tenir sous le coup de la colère mais tu te fiches des conséquences que cela t'a apporté. À part te foutre de moi et traumatiser mes élèves, qu'est-ce que tu veux ?
— Combien de fragments as-tu en ta possession ?
Enfin la discussion allait avancer, pensa la prétendante. Dans la majeure partie de ses apparitions, le dieu de la mort était venu pour parler de la quête qu'il lui avait confié. Peut-être même allait-il l'aider en lui donnant un nouvel indice vu que la personne qui s'était chargée de les localiser n'était plus.
— Cinq, mais tu le sais déjà.
— Et combien en reste-t-il à retrouver ?
— Si ce que tu m'as dit est vrai, il ne m'en reste qu'un s...
Avant qu'elle n'ait eu le temps de finir sa phrase, Ouros sortit un objet de sa poche. Il n'y avait aucun doute là dessus, il s'agissait du dernier fragment qu'elle recherchait. Même si l'ensemble des fragments n'avaient pas l'air de pouvoir s'emboîter pour créer l'orbe de souvenir, il devait y avoir une astuce pour qu'elle se reforme. Mais avant de réfléchir à ça, il fallait déjà réunir les six fragments et le dernier se trouvait entre les mains de celui qu'elle considérait comme son pire ennemi.
— Tu le veux ? proposa-t-il avec un large sourire tout en lui tendant le cristal.
Amorçant un pas dans sa direction, Scyllia se ravisa et resta à sa place tout en lui jetant un regard suspicieux. Tout ceci était bien trop simple. Elle avait bataillé pour obtenir les précédents et y avait presque laissé la vie à chaque fois, alors qu'on lui propose ainsi le tout dernier fragment ne lui inspirait aucune confiance.
— Qu'est-ce que tu cherches à faire ?
— tu ne le veux pas ?
— Si, mais tu caches autre chose, j'en suis sûre.
— Je vois. Tu trouves que c'est trop facile, qu'il y a un piège. Tu veux une épreuve pour le gagner, très bien, je vais t'en donner une. Réussi là et le fragment est à toi.
— Je n'aime pas ça, grogna Shed.
Et elle non plus. Elle était certaine que cette épreuve dont il parlait était prévue de toute façon. Restait à savoir ce qu'il avait bien pu inventer.
Avec un large sourire, Ouros lança sur Scyllia l'un des couteaux qu'elle lui avait jeté peu de temps avant. Vu la trajectoire en cloche que la lame effectua, ce geste n'avait pas pour vocation de la blesser, mais de lui rendre la dague. Par ce geste, elle savait déjà qu'elle aurait à combattre pour avoir le dernier fragment. Restait à savoir qui.
— Tu veux le dernier fragment ? Rien de plus simple. Tues ces enfants et il est à toi, annonça-t-il en montrant la classe avec un bras.
Si les élèves de Scyllia avaient compris qu'il valait mieux se taire pendant leur échange, certains, à l'annonce de l'épreuve, se mirent à protester plus ou moins énergiquement selon les caractères. Les plus sensibles regardaient leur enseignante qui avait un couteau à la main et commençaient déjà à pleurer, immobiles sur leur chaise.
Scyllia, pour sa part, regardait le dieu avec un air incrédule. Comment pouvait-il penser une seule seconde qu'elle accepterait de tuer ses élèves rien que pour un fragment d'orbe.
— Scyllia, je sais que mon avis ne compte pas dans ce genre de situation, mais je vais quand même te le donner. Ne fais pas ça.
S'il était évident pour elle qu'elle n'allait pas relever le défi, entendre Shed dire qu'il ne voulait pas non plus qu'elle le fasse était étonnant. Elle était certaine qu'il avait changé depuis qu'il était coincé en elle, mais de là à refuser un fragment d'orbe contre une poignée de personnes.
— Ça n'est pas par rapport à ces gamins. Je te l'ai dit des centaines de fois, il n'y a que peu de personnes qui comptent pour moi et tu en fais partie. Je sais pertinemment que tu ne leur feras rien, mais je ne veux pas que tu te sentes mal vis-à-vis de moi d'avoir laissé s'échapper un fragment. Enfin, je ne veux pas qu'Ouros ait la moindre satisfaction d'avoir eu l'impression de gagner.
— Pauvre Shed. Tu crois que mon but est de la torturer ? Que je suis sadique à ce point-là ? Tu es tellement loin de la vérité. Alors, que décide-tu ? Les tuer ou laisser le cristal ?
Brandissant sa dague devant elle, Scyllia provoqua quelques cris chez ses élèves qui croyaient leur dernière heure arrivée. Cependant, la lame n'était pas pointée sur eux, mais sur l'intrus dans cette classe.
— Je ne leur ferai rien. Et toi non plus ! Ces enfants sont sous ma responsabilité et je ferai tout pour les protéger, même si pour ça, je dois affronter un dieu.
— Bien envoyé !
— Je vois. Dans la petite histoire que tu t'es construite, je fais office de méchant. Soit, faisons ainsi !
Avec ces derniers mots, Scyllia redouta le pire et se mit en garde, prête à bondir sur lui et utiliser tous ses pouvoirs pour protéger ses élèves. D'un claquement de doigt du dieu, l'un des élèves de Scyllia s'enflamma et disparut dans un feu violet qui fit crier les autres, paniqués.
— Batiste ! s'horrifia Scyllia.
Hurlant à plein poumons, la prétendante se précipita sur le dieu qui la désarma aussi aisément que si elle avait été une novice, puis la saisit par la gorge pour la soulever de terre.
— Toujours de belles paroles, mais les actes ne suivent pas.
Comme elle avait l'habitude de le faire dans ce genre de situation, la prétendante saisit le bras qui l'étranglait et invoqua le feu de Shed pour le démembrer. Elle ne pouvait cependant pas y mettre la puissance qu'elle voulait de peur de blesser un élève.
— Décevant, souffla le dieu de la mort.
D'un simple mouvement du bras, Ouros envoya voler Scyllia à travers la salle de classe. Elle heurta violemment le tableau et tomba à terre, presque sonnée par le choc. Tandis qu'elle peinait à se relever, son adversaire regardait les autres élèves avec une expression sadique sur le visage.
— Ne les touches pas ! hurla-t-elle de nouveau en s'élançant sur lui.
Cette fois-ci, plutôt que d'attaquer seule, la prétendante invoqua sa brume et y insuffla Shed à l'intérieur pour qu'il lui prête main forte.
— J'aime mieux ça, sourit Ouros.
Tout deux étaient près de lui. Le dieu était entouré de quatre lames qui fondaient à une vitesse surhumaine sur ses points vitaux. Pourtant, alors que la dague la plus proche s'apprêtait à goûter la chair du dieu, ce dernier disparut. Sous la surprise, Scyllia dut changer de point d'appui pour ne pas se faire elle-même empaler par les lames de Shed qui s'était placé derrière Ouros. Perdant son équilibre, elle tomba à terre et effectua une roulade pour se réceptionner.
Le dieu était toujours là, sur le pas de la porte de la salle de classe, un sourire satisfait sur les lèvres.
— Ton cher élève est à présent un invité d'honneur de mon palais. Il y sera bien traité et t'attendra, tout comme moi. Je pense que je peux parler en nos deux noms en disant que nous avons hâte que tu nous rendes visite. Et n'oublie pas d'amener avec toi les autres fragments.
À ces mots, Ouros sortit de la salle de classe. Malgré tout, Scyllia n'en avait pas fini avec lui et se précipita à sa poursuite. Mais lorsqu'elle arriva sur le pas de la porte, le couloir était vide, il n'y avait plus aucune trace du dieu de la mort. Une cloche se mit alors à retentir dans le bâtiment et les élèves des autres classes commencèrent à sortir.
La prétendante retourna dans sa classe et remarqua que ses propres élèves avaient été libérés du sort d'Ouros. Prudemment, ils se levaient de leurs chaises et se regardaient les uns les autres ou bien observaient leur enseignante qui faisait les cent pas derrière son bureau.
Ouros avait enlevé l'un de ses élèves, comment avait-elle pu laisser une telle chose se produire ? À quel jeu jouait-il à la fin ?! Son plan n'avait jamais été de lui faire tuer ses élèves. Depuis le début, il voulait l'attirer sur le plan démoniaque, dans son palais. Et il avait trouvé la façon idéale de le faire. Prendre en otage quelqu'un pour qui elle se sentait responsable.
— Madame Scyllia ? Appela faiblement l'une de ses élèves.
Entendre cette voix agit comme un électrochoc pour elle. Une intense colère monta soudainement. Une colère contre Ouros, mais une autre, tout aussi puissante, contre elle-même qui n'avait pas su les protéger.
Les phalanges blanchis à force de serrer sa dague dans sa main et les muscles tendus, sa respiration se fit de plus en plus rapide.
— Bordel de merde ! hurla-t-elle.
Donnant un grand coup dans le bureau, la prétendante y enfonça sa lame jusqu'à la garde et recula jusqu'à ce que son dos heurte le tableau. Sa respiration se calma peu à peu et ses yeux se relevèrent sur sa classe qui paraissait effrayée de voir ce qu'elle venait de faire.
— Allez prévenir la directrice, ordonna-t-elle.
— Et vous ? Qu'allez-vous faire ?
— Je vais retrouver et ramener Batiste, dit-elle avec un regard déterminé.
— Enfin je te retrouve. C'est parti ! Allons sur le plan démoniaque, libérons ton élève, récupérons le dernier fragment et, surtout, bottons le cul de ce dieu à la con !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top