Chapitre 2

 Après avoir rendu visite à Strophi, Scyllia était retournée à ses corvées et était même restée jusque tard le soir pour finir son travail. Après tout, vu que sa punition était sur le point de finir, elle n'aurait pas l'occasion d'y retourner pour terminer ce qu'elle avait commencé. Ainsi, elle ne vit pas les heures passer et sauta même le repas du soir.

Exténuée par cette journée bien que n'ayant rien fait de très physique, la prétendante retourna aux dortoirs alors que le soleil était déjà couché et entra dans sa chambre. Elle fut surprise de trouver sur son bureau un plateau avec une assiette dessus et une coupelle contenant une part de gâteau. Avec un léger sourire, elle s'approcha et ramassa le petit mot qui avait été déposé avec.

Celui-ci ne contenait que « bon appétit », mais elle savait pertinemment au vu de l'écriture qu'il venait d'Alex. Le jeune noble avait même pensé à lui prendre un repas froid pour que le goût ne soit pas altéré si elle découvrait son attention un peu trop tard, ce qui était le cas au vu de l'heure.

Comme c'est mignon, rit Shed.

Fatiguée mais tout de même affamée, Scyllia se posa à son bureau et mangea sans en laisser une seule miette, puis enfila sa robe de nuit pour partir se coucher. Même si elle n'avait théoriquement pas de cours le lendemain, elle se souvenait qu'Enzo devait venir la chercher pour l'emmener assister à une réunion ennuyeuse chez le roi.

C'est fou ça. Les humains se compliquent tellement la vie. Avec moi en tant que roi, je peux te dire que ce genre de réunion n'existerait pas.

— J'ai peur de ce que tu vas dire, mais vas-y, développe, l'invita-t-elle en posant sa tête sur l'oreiller.

C'est pourtant simple. Une personne vient se plaindre, je brûle sa maison avec lui à l'intérieur. Quelqu'un vient au nom d'une ville, je la rase. Il y a un conflit entre deux partis, je les tue. Avec une telle politique, plus personne n'osera se plaindre.

— Comme je m'y attendais, ta réponse est horrible. De toute façon, si tu fais ça, le peuple ne tardera pas à déserter le royaume et tu te retrouveras seul. Enfin, heureusement pour tout le monde, tu n'es pas roi et tu n'es pas près de le devenir.

Cette rapide discussion close, Scyllia ferma les yeux et tenta de trouver le sommeil pour être en forme le lendemain. Celui-ci survint rapidement et lui offrit assez de repos pour qu'elle se réveille sans se forcer alors que le jour n'était pas encore levé. À cette heure matinale, seuls Camille, Ronan et Sin étaient debout. Pour les deux premiers, cela faisait partie de leur mode de vie de se lever tôt pour s'entraîner aux premières lueurs du jour, mais pour le demi-dragon, c'était à se demander s'il lui arrivait vraiment de dormir.

Après avoir déjeuné et pris un bain, la prétendante s'habilla non pas de sa robe d'apprentie mage, mais plutôt de l'une de celle qu'Elisabeth lui avait offerte. La réunion à laquelle elle devait assister étant officielle, elle se devait d'arriver présentable. Ainsi, elle passa le reste du temps qui lui restait à se coiffer et se maquiller, ce qui, elle le déplorait, n'était pas son fort.

Comme s'il avait attendu qu'elle soit prête, ce n'est que lorsqu'elle fut satisfaite de son maquillage qu'Enzo frappa à sa porte. Lui non plus ne portait pas ses habits de mage, mais plutôt un pantalon noir et une chemise blanche sous une veste courte bleue marine. Pour l'occasion, il avait même noué ses cheveux en une queue de cheval grâce à un ruban assorti à la veste.

— À vous voir, on ne dirait pas que vous vous rendez à une réunion, mais à un bal, plaisanta la prétendante.

— Je te retourne le compliment, mais lorsque je vais à des festivités, je fais en sorte que tout le monde me voit, pas que je passe inaperçu.

C'est vrai. Pour la plupart des réunions auxquelles elle avait assisté, les personnes étaient plus ou moins habillées de la même manière que lui. Elle trouvait juste cela étrange de le voir ainsi. D'habitude, c'était Elisabeth qui l'emmenait et elle n'y avait jamais croisé le directeur.

— Enfin bref, tu es prête ?

— Absolument. Mais dans mes souvenirs, ce genre de rassemblement commence tôt. Vous êtes sûrs que nous arriverons à temps ?

Sans bouger un muscle, excepté pour sourire, Enzo amorça une téléportation et emmena avec lui Scyllia. En un rien de temps, sa chambre disparut dans un éclair lumineux et laissa sa place à un grand salon qui, d'après les décorations, devait se trouver au palais du roi.

— Tada ! s'exclama le directeur.

— Vous devriez perdre cette habitude de vous téléporter à tout va comme ça. Cela pourrait vous créer des ennuis. Surtout qu'elles sont interdites en ville.

— Oui, mais le roi m'adore bien trop pour que je risque quoi que ce soit à cause de ce genre de chose.

— Peut-être, mais...

Scyllia souleva légèrement les plis de sa robe et tendit l'un de ses pieds pour le faire dépasser.

— J'allais vous dire qu'il ne me restait plus qu'à mettre mes chaussures pour vous suivre...

— Ho ! Bon, et bien tant pis. Comme tu l'as dit, la téléportation est un délie, mieux vaut ne pas en abuser. En plus, j'avais déjà prévu que nous arrivions en retard de quinze minutes. Si nous faisons un détour, ça va encore plus nous retarder et je vais vraiment me faire engueuler. Tu n'auras qu'à faire en sorte de marcher sur les tapis pour ne pas avoir froid !

À ces mots, Enzo se retourna et sortit du salon sans même jeter un coup d'œil derrière lui pour s'assurer qu'elle le suivait. Pendant un instant, Scyllia ne bougea pas et réfléchit à quelque chose. Ses chaussures étaient bien en évidence à côté d'elle lorsqu'il était entré dans sa chambre. Il était donc impossible qu'il ne les ait pas remarquées, ce qui voulait dire qu'il l'avait fait exprès.

Mais s'il avait envie de l'embêter ainsi, il était plutôt mal tombé. La prétendante ferma les yeux et se concentra pour faire apparaître les bottes de son armure démoniaque. Si la revêtir intégralement était simple et instantané, n'en faire venir qu'une partie prenait un peu plus de temps.

Mais malgré les secondes qui s'égrainaient, elle continuait de sentir les poils du tapis lui chatouiller la plante des pieds. Elle avait pourtant réalisé cet exercice plusieurs fois et ça ne lui avait jamais pris autant de temps. La seule explication était...

— Shed ?

Oui ?

— Tu ne serais pas en train de tenter de me bloquer l'accès à mon armure par hasard ?

Mais ma chère, contrairement à mes sorts que tu peux utiliser quand bon te semble, les armes et les armures sont sous mon contrôle. Tu ne peux pas les invoquer par toi-même, juste décider si tu veux ou non les revêtir.

— Et donc, tu as décidé de m'emmerder, c'est bien ça ?

Oui.

— Tu ne te rends même pas compte à quel point je te déteste, souffla-t-elle avant d'enfin sortir du salon.

Ho ça, étant dans ta tête, j'en ai une vague idée, répondit-il d'une voix qui faisait penser qu'il arborait un large sourire.

Dans le couloir attenant à la pièce qu'elle avait quittée, l'adolescente se rendit compte qu'elle ne savait même pas où elle devait aller et tourna la tête de gauche à droite en quête d'un indice sur le chemin à prendre. Encore une fois, comme s'il répondait à son appel, Enzo apparut à l'intersection avec un autre couloir.

— Bon, tu te dépêches ? Tu as un caillou dans ta chaussure ou quoi ?

— Très drôle, souffla-t-elle en lui jetant un regard noir avant de le rejoindre.

Si elle avait encore des doutes sur le fait que l'envoyer ici pieds nus était prémédité, ceux-ci se dissipèrent lorsqu'elle se rendit compte que l'itinéraire que prenait Enzo était à la fois interminable et rempli de carrelage froid ou de pierres lisses. Elle ne voyait pas en quoi faire cela avait quelque chose de drôle. Elle-même n'aurait pas trouvé ça amusant si c'était arrivé à quelqu'un d'autre.

Cela faisait un quart d'heure qu'ils tournaient dans le palais lorsque le directeur ouvrit enfin une porte en lui indiquant qu'ils étaient arrivés. Pour avoir arpenté ces couloirs de nombreuses fois, la prétendante ne put s'empêcher de souffler lorsqu'elle se rendit compte qu'ils étaient exactement au même endroit que le salon où ils étaient arrivés, mais un étage au-dessus. Si elle avait pris les escaliers qui se trouvaient juste à côté, elle y serait arrivée en même pas une minute et n'aurait pas les pieds gelés. La prétendante se fit alors la promesse que plus jamais elle ne se rendrait au palais avec Enzo et demanderait toujours à Elisabeth de l'accompagner.

Lorsque Scyllia entra dans la salle, tous les regards étaient tournés vers elle et Enzo, l'embarrassant d'autant plus. Il y avait bien évidemment le roi et dame Elisabeth, mais aussi l'archevêque ainsi qu'un autre homme en armure, rien de comparable avec les réunions auxquelles elle avait déjà assisté. De plus, une autre personne semblait être autant à sa place ici qu'elle. Alphonse était assis à côté de l'inconnu. Même s'il avait été un haut gradé de l'armée à une époque, il avait pris sa retraite il y a bien longtemps et était aujourd'hui maître d'armes, alors que faisait-il ici ?

— Une demi-heure de retard ! s'emporta soudain Elisabeth.

— Ça n'est pas de ma faute, se défendit Enzo. Scyllia a mis un temps fou à se préparer !

— Ne lui mets pas sur le dos tes propres erreurs ! rétorqua-t-elle. Elle a toujours été prête à temps lorsque c'était moi qui l'emmenais, alors j'en déduis que c'est de ta faute !

— Mais je t'assure qu'elle était encore en train de se préparer alors qu'il était presque neuf heures !

— Scyllia, à quelle heure t'a-t-il demandé d'être prête ?

— Neuf heures, répondit-elle en souriant intérieurement en voyant que seul le directeur se faisait réprimander.

— Nous avions pourtant convenu huit heures quarante-cinq !

— Bon, ça n'est pas grave, intervint Lucas. Ne retardons pas plus que ça la réunion. Asseyez-vous.

Quelque peu peinée qu'Enzo s'en tire ainsi, Scyllia suivit le directeur et s'assit à côté de lui. Cependant, juste avant que le premier sujet ne soit abordé, la prétendante lui écrasa discrètement le pied avec son talon en y mettant un peu de la force du démon. Faisant mine de rien, elle se tourna vers lui et le vit contenir une grimace de douleur.

— Un problème directeur ? demanda-t-elle innocemment.

— N...Non, aucun problème.

— Bien, si je vous ai fait venir ici, et surtout toi Scyllia, c'est pour te poser une simple question.

D'abord la présence d'Alphonse et ensuite le fait qu'il voulait qu'elle intervienne là où elle n'avait été qu'observatrice. Cette réunion ressemblait de plus en plus à un guet-apens.

— Je vous écoute, dit-elle tout de même.

— T'es-tu rendue récemment à Port-Kora ?

Pendant un instant, la prétendante essaya de resituer la ville, puis, lorsqu'elle se souvint de laquelle il parlait, toutes les pièces du puzzle s'assemblèrent et la présence de ses quatre tuteurs devint limpide.

— Mince ! Je suis vraiment désolée, mais je viens de me souvenir qu'un élève m'avait demandé de l'aider, mentit-elle en se levant. Il doit m'attendre devant ma chambre en ce moment, il faut que j'y aille.

À ces mots, Scyllia se rendit vers la porte, mais fut bloquée par deux gardes qui croisèrent leurs lames dès qu'elle s'approcha. En vitesse, elle chercha une autre porte, une autre échappatoire, mais à part briser une fenêtre, elle ne voyait pas vraiment comment sortir.

— Scyllia, fit le roi en laissant traîner sa voix.

— Bon, d'accord, j'y suis allée, avoua-t-elle en se rasseyant. Vous voulez que je parle de ce qui s'est passé dans le quartier pauvre, c'est ça ?

— Alors c'était bien toi, constata Lucas, non pas sur un ton accusateur, mais plus songeur. Et tu peux nous expliquer en détail ce qui t'a pris pour tuer quarante-huit personnes ? Le rapport que j'ai reçu indique que qualifier la scène de crime de boucherie serait un euphémisme.

Tiens, ces imbéciles de la garde connaissent un mot aussi compliqué ? Je n'aurai pas pensé ça d'eux.

— Tais-toi Shed ! s'exclama-t-elle sans même chercher à cacher qu'elle conversait avec lui. Tout ça, c'est de ta faute !

— Comment ça de la faute de Shed ? questionna Elisabeth.

— C'est lui qui avait le contrôle de mon corps à ce moment-là et je ne savais pas ce qu'il comptait faire. Lorsque je me suis retrouvée au milieu de toutes ces personnes et que j'ai vu ce qu'ils faisaient à des gens innocents, je n'ai pas pu me résigner à reprendre le contrôle et simplement m'enfuir. Ils réduisaient en esclavage des personnes ! Les tuaient pour s'amuser ou les enchaînaient pour les violer !

— Moins vite, demanda l'archevêque en voyant qu'elle s'emportait et abattait toutes ses cartes dès le premier tour. Reprenons depuis le début. Tu as consciemment laissé le démon prendre le contrôle ?

— Oui, mais il ne devait pas enfreindre la loi et faire de mal aux innocents, répondit-elle en se calmant quelque peu.

— Mais qu'est-ce qui t'as pris de faire une chose pareille ? demanda à son tour Alphonse.

— J'ai perdu un pari contre lui, avoua-t-elle, honteuse.

— Un pari ? Avec un démon ? commença à s'indigner le religieux.

Oui bah ça va, on s'occupe comme on peut ! J'aimerais bien l'y voir lui, enfermé dans un corps sans possibilité de faire quoi que ce soit !

— Simple curiosité, intervint Enzo, visiblement plus amusé par la situation qu'inquiet. Quel était l'objet de ce pari ?

— Le combat du colisée entre Alphonse et mon oncle. Si c'était mon oncle qui gagnait, je laissais mon corps à Shed pendant une journée.

— Eh bien vu la pagaille que tu as mise, j'espère au moins que le jeu en valait la chandelle si tu avais gagné, dit le roi sur le ton du reproche.

En repensant aux termes du pari et ce qu'elle aurait eu si elle était sortie victorieuse, Scyllia rougit et resta muette. Comment avait-elle été aussi stupide pour accepter qu'il prenne son corps contre la possibilité d'avancer dans sa relation avec Alex ? Que penserait-il d'elle s'il apprenait ça ? Les poings serrés sur ses genoux, l'adolescente commença malgré elle à pleurer.

— Tu sais au moins la peine encourue pour un tel crime ? continua le roi en haussant le ton.

Plus les adultes parlaient et plus Scyllia se sentait mal. Elle n'entendait presque plus ce qui se disait et fixait ses mains et le tissu de sa robe qui prenait une teinte plus foncée à chaque fois qu'une larme tombait dessus.

Laisse-moi faire, proposa Shed.

Non ! Il lui avait déjà causé assez d'ennui comme ça, elle n'avait pas envie qu'il lui en crée d'autres.

Je t'ai mise dans cette situation, laisse-moi t'en sortir.

Dans un état de faiblesse psychologique, la prétendante tenta d'invoquer la sphère qui permettait au démon de communiquer, mais elle n'arrivait à rien. Elle n'était même pas sûre, à cet instant, d'être capable de lancer le moindre petit sort, même blanc.

Laisses-moi le contrôle de ton corps, insista Shed. C'est le seul moyen. Tu n'arriveras pas à leur tenir tête, moi si. Laisse-moi expliquer mes actes, après tout, tu n'as été qu'un témoin. C'est moi le vrai fautif.

Elle ne pensait pas que laisser sortir le démon allait l'aider en quoi que ce soit, mais d'un autre côté, quel autre choix avait-elle ? Tous ceux ici ne seraient satisfaits qu'en entendant toute l'histoire et elle était tout simplement tétanisée à l'idée de leur raconter. Par manque de solution, Scyllia accepta sa proposition et laissa son esprit se retirer pour que Shed prenne sa place.

— Alors ? s'impatienta Lucas.

— Vous voulez savoir ce que je mérite pour avoir fait ça ? demanda-t-il en fixant le roi droit dans les yeux, toute trace de larmes ayant disparu. Je mérite une médaille !

— Quoi ? s'étrangla Alphonse.

— Shed... souffla Enzo en ayant deviné que Scyllia n'était plus aux commandes.

— Parfaitement ! Vous voulez parler à la personne qui a tué ces raclures ? Vous l'avez devant vous, alors allez-y !

— Pourquoi as-tu fait ça ? questionna Elisabeth, une fois le choc de se retrouver face au démon passé.

— Premièrement, parce que c'était drôle, deuxièmement, parce que ça a permis à plus de soixante vies innocentes d'être sauvée d'un sort pire que de se retrouver à la cité des damnés et troisièmement pour faire d'eux un exemple.

Si l'archevêque avait été offusqué dès le premier point, les autres arrivèrent à y faire abstraction pour se concentrer sur les deux autres.

— Un exemple ? répéta l'homme en armure.

— Parfaitement ! Un exemple autant pour ceux qui pratiquent ce genre de chose que pour les gardes de cette ville pourrie ! Dans le fameux rapport que vous avez reçu, est-il fait mention quelque part que la garde savait ce qui se passait dans cet établissement mais qu'ils n'avaient pas assez de couilles pour intervenir ? Non, ils sont restés bien cachés derrière leur version de la gamine sanguinaire qui a fait un carnage.

— Et si vous aviez tué un innocent là-bas ? insista le religieux, visiblement dégoûté à l'idée de parler avec un démon.

— Si vous voulez, je peux vous amener la preuve qu'ils étaient tous coupables et corrompus jusqu'au plus profond de leur âme.

— Si on pouvait prouver quoi que ce soit avec autant de mort, cela se saurait, contredit l'archevêque.

— Puisque vous insistez... Meracus ! Ici ! Tout de suite !

Répondant à son appel, le démon bleu apparut dans un coin de la salle, créant un léger vent de panique chez les gardes. Seuls les tuteurs de Scyllia ne furent pas effrayés par la présence de ce monstre dans la pièce. Les gardes et l'homme en armure, eux, avaient dégainé leurs armes et les pointaient à la fois vers la prétendante et vers le démon.

— Maîtresse, salua-t-il en s'agenouillant, ignorant en même temps les hommes qui hésitaient à attaquer une créature aussi massive.

— Va chercher Ouros !

— Je ne suis pas sûr que...

— Tout de suite !

— Pas la peine de crier, je suis là, fit une voix posée et calme.

Le dieu de la mort, sortit d'un coin sombre de la pièce comme s'il s'était toujours trouvé là et sourit à l'assemblée. L'archevêque le regardait avec de grands yeux et ne pouvait s'empêcher d'avoir la bouche grande ouverte à cause de la surprise. Scyllia, elle, n'en revenait pas. Jamais elle n'aurait pensé que Shed irait aussi loin pour qu'ils soient tous deux innocentés. Ouros s'approcha de la table, prit délicatement la main d'Elisabeth et la baisa.

— Chère duchesse, salua-t-il d'un ton mielleux. Jamais je ne pourrais assez vous remercier de vous occuper aussi bien de ma Scyllia.

— Heu... Ce n'est rien, balbutia-t-elle.

— Tu peux y aller, Meracus.

— À vos ordres, maître.

Après s'être incliné aussi bas qu'il le pouvait devant le dieu, le démon se dissipa en une brume noire qui disparut en quelques secondes. Ouros se mit alors à tourner autour de la table, embrassant du regard chaque personne qui y siégeait.

— Tu m'as donc appelé pour que je certifie qu'aucun innocent n'a été tué en ta présence, c'est bien ça ? Malheureusement, il y en a eu un.

— Ne dit pas n'importe quoi ! s'emporta Shed. J'ai bien fait attention de ne tuer que les...

— Silence ! ordonna le dieu.

— Ce petit ton imperieux marche peut-être sur les mortels, mais pas sur moi, s'emporta le démon. Je n'ai tué aucun innocent !

— Mais je n'ai jamais dit que c'était toi qui l'avais tué. Au moment où tu es entré dans leur repère, un de mes anges est intervenu pour amener l'âme d'un innocent sur le plan des dieux, mais tu n'as pas été son bourreau. D'ailleurs, je t'annonce qu'à cause de toi, l'ange qui s'occupait de cet endroit se retrouve sans travail.

— Que voulez-vous dire ? questionna Enzo.

— Eh bien, qu'ils massacraient tellement d'innocents chaque jour que j'ai dû attitrer l'un de mes serviteurs rien qu'à ce lieu. Je ne vous dis pas le nombre d'allers-retours qu'il faisait chaque jour et les courbatures qu'il avait aux ailes à la fin de la journée, plaisanta-t-il.

— Comment est-ce possible ? s'étonna l'homme en armure.

— Malgré son appartenance à Trémiss, Port-Kora est une plaque tournante de l'esclavagisme. Ils achetaient des personnes pour s'amuser ou bien allaient les chercher dans les rues. Leur réseau était bien étendu et ceux qui tentaient de les quitter se retrouvaient à la place des esclaves.

— Et, si je puis me permettre, depuis combien de temps votre ange faisait-il ces allers-retours ? questionna Lucas.

— Eh bien, disons que lorsque ça a commencé, vous étiez encore assez jeune pour que la couronne que vous portez sur votre tête vous aille à merveille comme ceinture.

— Je vois. Donc en tuant ces gens, Shed a sauvé de nombreuses vies.

— Les mortels finissent tous par mourir un jour, mais disons que l'heure fatidique de nombre d'entre eux a été repoussée de plusieurs années. Sur ce, avant de vous quitter, j'ajouterai une dernière chose. En tant que dieu de la mort, je suis conscient que ma parole peut ne pas valoir grand-chose, après tout, certains trouve que je suis fourbe et calculateur.

— Si tu arrêtais de te comporter comme un trou du cul avec tout le monde, peut-être que leurs impressions sur toi seraient différentes, railla le démon.

— Mon petit Shedounet, Sache qu'être dans le corps de ma promise ne te donne pas tous les droits. Tu devrais donc la fermer avant que je ne m'énerve, te sorte de ce corps d'humaine et te pète les os un à un avant de te sceller de nouveau dans une mouche à merde. Et puis, cela ne se fait pas d'insulter les gens que tu appelles pour te venir en aide. Enfin bref, Tout ça pour dire que si vous ne me croyez pas, sachez que Sina aurait renié sa prétendante depuis longtemps si elle avait laissé ce démon mineur tuer un innocent. Sur ce, je vous souhaite une bonne journée.

Sans même chercher à se téléporter, Ouros s'en alla par la porte en souriant aux gardes qui, sous leur casque, avaient un teint livide, prêts à s'évanouir. Ayant assisté à toute la scène, Scyllia hésitait entre dire que ce qu'avait fait Shed était un coup de génie ou bien la pire idée qu'il n'ait jamais eu. En tout cas, elle ne pouvait pas lui retirer que la présence du dieu de la mort avait eu son petit effet sur tout le monde.

— Je pense qu'avec ce témoignage, nous pouvons écarter les sanctions lourdes, conclut Lucas. Shed, peux-tu laisser ta place à Scyllia s'il te plaît.

— Comme vous voudrez. Mais n'oubliez pas que si vous avez besoin de nettoyer un trou à rat, je suis là, dit-il en souriant avant de laisser sa place.

La prétendante reprit le contrôle de son corps et regarda un à un les personnes assises, attendant le verdict. Il était difficile pour elle d'ajouter quoi que ce soit après ce qu'il venait de se passer et laissa donc ses tuteurs décider de la punition qu'elle aurait pour avoir libéré un démon.

— Des idées ? demanda le roi.

D'abord tourné vers l'archevêque, Lucas passa à la personne suivante en voyant qu'il ne se remettait toujours pas de sa rencontre avec le dieu de la mort.

— J'en ai bien une, proposa l'homme en armure. Ce démon s'est pris pour le dieu de la justice, alors pourquoi ne pas lui montrer plus en profondeur ce que c'est d'embrasser de tels idéaux. Je propose qu'elle soit intégrée pendant une année à la garde de la ville.

— Vous autres ? D'autres propositions ?

— Je trouve que c'est une bonne idée, l'appuya la duchesse, mais je ne peux pas vous la laisser pendant aussi longtemps. Elle fait partie d'une classe spéciale et ne pourra jamais rattraper un retard aussi grand.

— Eh bien elle reprendra dans une autre classe et aura un an de décalage avec ses amis.

— Impossible, intervint le directeur. Nous ne formons pas ce genre de classe tous les ans. En ce moment, il n'y en a qu'une dans toute l'académie. Je pense que trois mois seraient suffisants. Après tout, ça n'est pas elle qui a commis ce massacre.

— Très bien, va pour trois mois.

Même si la prétendante trouvait que c'était encore beaucoup, elle n'avait pas son mot à dire et se contenta de hocher la tête pour signifier qu'elle acceptait cette punition.

— Ne t'en fais pas, lui sourit Enzo. Tu verras, ça sera facile. Tu n'auras qu'à... Te glisser dans les bottes d'un garde.

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