Chapitre 16
Au matin de son quatrième jour au manoir Eliar, après avoir fait sa toilette, Scyllia revêtit non sans une certaine satisfaction ses habits d'émissaire. Il n'y avait pas à dire, elle préférait de loin ce genre de vêtement que ceux qu'elle avait portés depuis qu'elle était ici. Les robes que lui avait prêtées Rebecca étaient certes somptueuses et elle ne pouvait nier qu'elles lui allaient à ravir, mais cela ne compensait pas leur inconfort.
Souffrir un peu pour une soirée était quelque chose. S'en était une autre de porter ce genre de vêtement à longueur de journée, qui plus est pour ne pas sortir du manoir. La prétendante avait tout de même pris sur elle pour faire plaisir à sa tante, mais s'était jurée de lui ramener des robes de Tremiss pour qu'elle voie qu'il n'y avait pas besoin d'être mal à l'aise pour être belle.
Après s'être habillée, Scyllia sortit de sa chambre et rejoignit la salle à manger où se trouvait Rebecca et Louise. L'adolescente s'installa à la table et se servit dans la panière de fruit devant elle. Cependant, avant de croquer dans la pomme qu'elle avait en main, elle la reposa et la fixa. Avec la rencontre qui approchait, une boule s'était formée dans son ventre et elle sentait qu'elle n'arriverait même pas à avaler ne serait-ce qu'une bouchée.
— Tout va bien se passer, lui assura Rebecca qui avait compris que quelque chose n'allait pas.
— Je l'espère... Demander l'armée d'un royaume, ça n'est pas rien.
— Si tu fais comme lors de nos entraînements, tu as tes chances de rallier Atora à ta cause, lui assura Louise.
Des chances. C'est bien ça qui lui faisait peur. Si encore elle était certaine de réussir en donnant le meilleur d'elle-même, elle irait mieux, mais là, elle n'en était même pas certaine. Même si elle était fière et heureuse que sa reine lui ait confié une mission aussi importante, elle commençait aussi à se dire que les chances de réussite auraient été bien plus importantes si elle avait choisi quelqu'un de plus expérimenté.
— Non, tu crois ? questionna Shed sur un ton sarcastique.
— Grand-père n'est pas là ? demanda plutôt Scyllia pour étouffer son envie d'étrangler Shed.
— Non, il est parti tôt ce matin, répondit Louise.
— Comme hier et avant-hier, se désola la prétendante. J'ai l'impression qu'il m'évite.
— C'est faux, tu sais très bien qu'il t'adore ! Mais même s'il n'est plus officiellement grand inquisiteur, il reste le chef de la famille Eliar et il a beaucoup de responsabilités qui font qu'il doit souvent rendre visite à certaines personnes, expliqua la mère de Maximilien.
— Si ça se trouve, il est allé plaider ta cause auprès des maisons nobles, s'avança son autre tante.
— Vous croyez ?
— Il ne nous a rien dit, mais ça serait bien son genre.
Même s'il n'y avait rien d'officiel dans cette nouvelle, cela permit à Scyllia de retrouver un peu espoir et fit fondre un peu la boule qu'elle avait au ventre. Grâce à cela, elle arriva à manger quelques fruits pour ne pas se présenter devant le roi avec le ventre vide, puis accompagna Louise jusqu'à la porte d'entrée du manoir où l'attendait une voiture.
Sur le pas de la porte, Rebecca souhaita bon courage et bonne chance à sa nièce, puis la regarda monter dans la calèche avec son autre tante. Elle aurait aimé les accompagner, mais préférait tout de même éviter les bains de foule dans son état. De plus, d'après la description qu'elle avait faite de la salle d'audience, les places assises étaient rares et ceux qui les prenaient n'étaient pas du genre à la céder pour une femme enceinte.
De ce fait, Scyllia comprenait parfaitement et préférait elle-même que sa tante se repose plutôt qu'elle l'accompagne. Pendant le trajet, la prétendante se fit mentalement une dernière simulation de l'entretien qu'elle allait avoir avec le roi et profita de la présence de Louise pour lui poser des questions sur les derniers points sombres qui subsistaient et sur les doutes qu'elle avait.
Finalement, après presque une heure de trajet, la circulation dense n'aidant pas, la voiture s'arrêta devant le palais pour laisser descendre Scyllia et Louise. Par rapport à celui de la capitale de Tremiss celui-ci paraissait plus vieux. Ses pierres grises étaient à nue et n'étaient pas taillées avec autant de finesse. Certains pouvaient dire que le palais du roi de Tremiss était plus beau, mais lui devait être bien plus chargé d'histoires.
Il ressemblait bien plus à un château qu'à un palais avec sa muraille qui entourait une cour et, en son centre, le bâtiment en lui-même. D'ailleurs, elles ne purent même pas passer la herse ouverte sans se faire arrêter par les gardes postés devant l'entrée. Après une rapide explication de leur présence ici, l'un des gardes leur fit signe de le suivre et quitta son poste pour accompagner les visiteurs vers ce que Rebecca avait appelé pendant les répétitions l'anti-chambre.
Pour des entrevues aussi importantes que celle-ci, l'émissaire entrait au dernier moment et plaidait sa cause directement, si bien que s'il restait encore au roi des affaires à voir, c'est ici que devait patienter l'envoyé de l'autre royaume.
Même si cela n'était pas flagrant, l'audience avait en quelque sorte déjà commencé. D'après Louise, dès que l'émissaire entrait dans l'anti-chambre, le roi était mis au courant. Si l'émissaire venait trop tôt, cela révélait une certaine impatience de sa part, ce qui n'était pas bon. Cependant, arriver trop tard n'était pas bon non plus car cela pouvait signifier que l'affaire n'était pas si importante que cela.
À vrai dire, Scyllia ne comprenait presque rien à ces déductions qu'elle trouvait absurde, mais elle s'en remettait à ses tantes qui avaient une bien plus grande expérience qu'elle dans ce domaine. Lorsqu'elles furent seules dans la pièce qui ne comportait qu'un canapé et une table basse installés devant un tableau d'une personne qui devait être le roi, Louise assura à Scyllia qu'elles étaient arrivées à l'heure, puis s'installa sur le canapé pour patienter.
Plutôt que de s'asseoir, la prétendante préféra d'abord observer plus attentivement le tableau. S'il était récent, cela voulait dire que le roi d'Atora avait à peu près le même âge que Lucas, quoi que peut-être un peu plus vieux. Sur cette peinture, il ne semblait pas vraiment du genre à plaisanter et avait un air plutôt sévère. L'avoir installé ici devait servir à intimider les émissaires qui se présentaient pour une requête.
Alors que le temps passait sans que personne ne vienne les chercher, Scyllia commença à perdre patience tandis que la boule dans son ventre se reformait peu à peu. Une chose était sûre, plus jamais elle n'accepterait une mission d'émissaire. Elle préférait de loin se trouver sur un champ de bataille qu'ici.
— Arrête de faire les cents pas et viens t'asseoir, lui conseilla Louise. N'oublie pas que si quelqu'un entre et te voit faire ça, le roi sera averti de ta nervosité et ça n'ira pas dans ton sens.
Suivant les conseils de sa tante, la prétendante s'installa à côté d'elle. Malgré tout, elle n'arrivait pas à se détendre et ne cessait de se torturer les mains en jetant toutes les trente secondes un regard en direction de la porte d'où devait venir le héraut qui l'annoncerait auprès du roi.
— Ferme les yeux.
— Pardon ?
— Ferme les yeux et respire. Oublie que tu te trouves ici et visualise un endroit où tu te sens bien et en sécurité, en compagnie des personnes qui te sont chères. À ce stade-là s'imaginer de nouveau comment va se passer ton audience ne serait pas constructif. Le plus important est de se calmer.
Cherchant une échappatoire à l'anxiété qui ne cessait de croître en elle, Scyllia se plia à l'exercice et s'imagina dans la salle commune, au rez-de-chaussée du dortoir de son académie. Elle se voyait assise à la table avec, à ses côtés, tous ses amis. Il n'y avait pas de guerre, pas de mission importante, pas de fragment d'orbe à aller chercher. Tous rigolaient des pitreries de Zoé sans se préoccuper de ce qui se passait à l'extérieur. En peu de temps, cette représentation calma Scyllia et fit disparaître la boule qu'elle avait dans le ventre.
— Émissaire ? fit soudain une voix qui la fit revenir à la réalité. Le roi est prêt à vous entendre.
À la porte qu'elle n'avait cessé de guetter, un homme arborant un tabard aux couleurs d'Atora se tenait debout et la regardait.
— À partir de là, je ne peux plus t'accompagner, mais je serais avec les nobles de la cour. Bonne chance, lui souhaita Louise.
— Merci. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi.
Après s'être inclinée devant sa tante, Scyllia se retourna et suivit l'homme qui était venu la chercher. Après seulement quelques secondes, le temps pour eux de traverser trente mètres de couloir, le héraut s'arrêta devant une grande porte à double battant et l'ouvrit en grand, puis se plaça sur le côté.
— L'émissaire de Tremiss ! annonça-t-il.
À l'évocation de ce titre, toute l'assemblée se tut et regarda en direction de la porte. De là où elle était, Scyllia pouvait voir que la salle d'audience était constituée d'une allée centrale qui menait directement devant le trône où siégeait le roi et, de chaque côté, d'une foule presque compacte de personnes richement habillée et qui devait être la cour du roi.
Malgré son envie de détailler plus amplement ces lieux, Scyllia se remémora l'un des conseils de Rebecca et garda la tête et le regard bien droit tout en avançant vers le trône. Elle se rapprocha jusqu'à dépasser légèrement le premier rang des membres de la cour, puis s'agenouilla devant le roi, la tête baissée.
— Lève-toi et parle ! ordonna le roi après quelques secondes de silence.
Scyllia s'exécuta immédiatement et put enfin véritablement voir le roi en face. Comme elle le craignait, il avait exactement la même tête que sur son portrait. Elle espérait à présent que son apparence ne reflète pas son caractère.
— Mon nom est Scyllia, pupille du roi Sarkine envoyée en tant qu'émissaire du royaume de Tremiss pour vous demander de l'aide contre la fédération d'Istram et rétablir la vérité.
— Rétablir la vérité. Qu'entends-tu par là ?
— D'après les informations que j'ai pu récolter en venant ici, on vous a raconté que le royaume de Tremiss a engagé les hostilités en premier en détruisant l'aéronef de la fédération qui avait à son bord leur ancien roi et ses plus proches conseillers.
— Et ça n'est pas le cas ?
— Leur but était tout autre. Cet aéronef transportait une arme destructrice qu'ils voulaient utiliser sur la capitale pour la raser. Nous l'avons appris assez tôt pour élever une barrière protectrice au-dessus de la ville, mais nous n'avons pas détruit leur aéronef.
— Alors qui ?
— Ce sont les dieux, clama haut et fort la prétendante.
En entendant cela, les chuchotements commencèrent à s'élever dans la salle. Le roi laissa sa cour discuter un peu, puis leva la main. Par ce geste, il fit taire toute l'assemblée en un instant.
— Les dieux ? répéta-t-il, presque amusé.
— Ils ont jugé que cette arme était bien trop puissante et que l'utiliser sur une ville remplie d'innocents allait à l'encontre de leurs valeurs. Ouros est donc intervenu et a détruit l'arme en même temps que l'aéronef.
— Tu dis donc que nous avons de fausses informations et que vous n'avez pas commencé cette guerre. Mais toi, d'où tiens-tu que ce sont les dieux qui sont intervenus en votre faveur ?
— D'Ouros lui-même, répondit-elle le plus sérieusement du monde. C'est lui qui est venu m'en parler vu que je suis proche du roi et prétendante à l'incarnation de la vie.
De nouveau, ces propos provoquèrent des chuchotements chez les nobles de la cour, mais cette fois-ci, le roi ne les laissa pas parler et les arrêta d'un geste de la main.
— Si vous n'êtes pas convaincu par ce que je viens de dire, j'aimerais attirer votre attention sur le fait que l'aéronef ait été détruit au-dessus de la ville. Jamais le roi Sarkine n'aurait risqué la vie de son peuple ainsi. De plus, la fédération a attaqué Tremiss dès le lendemain avec une puissante armée. Personne ne peut réunir autant d'hommes en si peu de temps, signe qu'ils avaient prémédité leur attaque.
— Même s'il est difficile de croire que tu es effectivement prétendante à l'incarnation de la vie et qu'Ouros t'es apparu en personne, admettons que tout ceci est vrai. Pourquoi venir demander l'appui du royaume d'Atora alors que les dieux sont de votre côté ?
— Ils ne le sont pas, contredit-elle. Même si les prétendants à l'incarnation de la bravoure et de la guerre sont du côté de Tremiss, Ouros m'a bien fait comprendre que si nous utilisions une arme similaire à la leur, ils la détruiraient de la même manière. Ils resteront impartiaux dans cette guerre.
— Donc les dieux ne veulent pas que ce genre d'arme soit utilisé sur des innocents. Mais qu'en est-il de l'armée ? Après tout, si j'envoie mes soldats, qu'est-ce qui me prouve qu'ils ne se feront pas balayer par cette arme ? Mon royaume se retrouverait alors sans défense.
— L'arme en question est une bombe d'arcane concentré. D'après les archimages du conseil de Tremiss, il est extrêmement difficile d'en créer une. La fédération a usé de puissants artefacts pour la créer et cela leur a coûté beaucoup de temps et d'énergie. D'après les rapports des espions, ils n'en avaient qu'une.
— De puissants artefacts dis-tu, répéta le roi en se penchant plus en avant, soudain intéressé par la conversation.
— Oui. Ce sont des cristaux qui offrent un pouvoir proportionnel aux ambitions de ceux qui les manipulent, mais en contrepartie, ils les corrompent et forcent les utilisateurs à commettre des actes impardonnables. Croyez-moi, la place de ces cristaux n'est pas entre les mains de qui que ce soit, mais à l'abri des regards, dans un coffre auquel personne ne peut accéder.
— Bien. Dans ce cas, jouons cartes sur table. Qu'est-ce qu'Atora a à gagner en s'alliant au royaume de Tremiss ?
— Tout d'abord, répondit la prétendante avec assurance. Le royaume d'Atora et le royaume de Tremiss sont alliés depuis longtemps, cela ne fera que renforcer l'entente entre les deux royaumes. Ensuite, cela vous permettra d'attaquer un problème à la racine avant qu'il ne vous atteigne. Comme je l'ai dit, les artefacts qu'ils utilisent leur donnent une puissance proportionnelle à leurs ambitions. S'ils ont réussi à créer une arme telle qu'une bombe d'arcane concentré avec, cela veut dire que les cristaux leur ont offert un très grand pouvoir, donc qu'ils ont des ambitions démesurées. Sachant cela, il n'est pas compliqué d'affirmer qu'ils ne s'arrêteront pas au royaume de Tremiss et que vous serez sa prochaine cible.
Encore une fois, la cour s'agita. Cependant, les nobles ne chuchotaient plus, mais parlaient réellement entre eux et provoquaient un réel brouhaha. Caressant sa barbe, le roi les laissa parler et réfléchit lui-même à ce que Scyllia venait de lui dire. Elle avait tout donné et pensait ne s'être trompé à aucun moment. Finalement, elle allait peut-être réussir sa mission et ramener avec elle une armée. Alors que le roi réclamait le silence, celui-ci regarda l'adolescente droit dans les yeux, puis s'enfonça de nouveau dans son trône.
— Dernière question, émissaire, avant que je ne prenne ma décision. On m'a rapporté que vous étiez arrivé en compagnie d'un membre de la famille Eliar. Quelle relation entretenez-vous avec eux ?
Une question piège ? En tout cas, ses tantes ne l'avaient pas prévenue pour celle-ci. Pour plus de sûreté, l'adolescente joua la carte de la franchise.
— L'ancien grand inquisiteur, Arthur Eliar, est mon grand-père, répondit-elle.
— Une Eliar de Tremiss, réfléchit le roi. Dis-moi. Comment s'appelle ton père ?
— Hé ! Il avait dit dernière question et ça en fait deux ! se plaignit Shed.
— Liam. Liam Eliar.
À l'évocation de ce nom, le roi fut soudain prit d'un rire nerveux. Toute la cour s'était remise à chuchoter et Scyllia ne comprenait pas vraiment ce qui se passait.
— Sarkine doit se foutre de moi, souffla le roi tout en continuant à rire doucement.
— Je vous assure que...
— Il m'envoie le rejeton de ce traître qui s'est enfuie après qu'un mariage ait été arrangé entre lui et ma sœur.
— Et merde... lâcha Shed.
Si Scyllia n'était pas en position de jurer, elle n'en pensait pas moins. Pourquoi personne ne lui avait jamais dit avec qui son père était lié par ce mariage arrangé ? Cela risquait de compliquer les choses. Pour rattraper le coup, la prétendante posa un genou à terre et baissa la tête.
— Je vous assure que le roi Sarkine ne savait rien de ce mariage. Aujourd'hui, je ne suis pas ici pour représenter la famille Eliar, mais le royaume de Tremiss et...
— Alors comme ça, les Tremisséens savent plier le genou, rétorqua le roi sur un ton dédaigneux. Ceux qui se pensent au centre du monde au point d'avoir nommé leur ville principale Lacapital, ceux qui se croient être les élus des dieux savent faire preuve d'humilité lorsqu'ils se trouvent en mauvaise posture.
— Nous ne pensons pas que... tenta de se défendre Scyllia.
— Je suivrai ce conflit avec intérêt, répondit-il. Et j'enverrai peut-être mes hommes sauver votre royaume. Mais pour cela, après l'affront qu'il vient de me faire, il faudra au moins que le roi Sarkine se présente en personne devant moi. En attendant, mon armée ne bougera pas !
— Mais...
— Maintenant part ! ordonna le roi. Quitte mon royaume avant que je ne décide de t'envoyer en cellule purger la peine qu'aurait dû recevoir ton père pour sa lâcheté.
— Un régicide, ça te tente ? proposa Shed.
À cet instant, ça n'était vraiment pas l'envie qui lui manquait de planter sa dague dans la gorge de cet homme. À cause d'un prétexte égoïste, il venait de condamner tout un royaume. Après s'être relevé, Scyllia se retourna sans une once de révérence et non sans jeter un dernier regard noir au roi, puis quitta la pièce.
Dans les couloirs du palais, la prétendante avait envie de tout casser sur son passage, voire même de laisser Shed au contrôle de son corps et de fermer les yeux une heure ou deux sur ce qu'il allait faire. Comment avait-il osé refuser après tout ça ! Et surtout pour un prétexte aussi absurde !
Devant la herse, Scyllia retrouva Louise qui semblait tout aussi déçue par ce dénouement. La voiture ne tarda pas à arriver et toute deux montèrent dedans et gardèrent le silence pendant presque tout le trajet du retour.
— Tu sais, dit Louise alors que la calèche était proche du manoir de sa famille. Moi, je suis contente que mon têtard de frère soit partie.
Face à ce qu'elle venait de dire, Scyllia posa un regard incrédule dans lequel on pouvait aussi lire son désespoir.
— C'est vrai. S'il n'avait pas fait ça et s'était marié avec la sœur du roi, je ne pense pas que j'aurai eu une nièce comme toi.
— Ho, comme c'est mignon. Il faudra qu'elle nous donne l'adresse de son manoir à l'extérieur d'Eronne... Pour qu'on l'épargne quand on rasera ce putain de pays !
Un instant, la colère de Shed arracha un sourire à Scyllia. Le trajet l'avait fait réfléchir et ses émotions étaient assez redescendues pour qu'elle n'impute pas à un royaume la décision de son souverain. Cela n'allait certes pas arranger les choses, mais Atora n'était certainement pas le seul allié de Tremiss.
— Merci, répondit-elle à Louise. C'est gentil.
— Et sincère, ajouta-t-elle.
La voiture passa la grille du domaine Eliar et s'arrêta devant l'entrée pour laisser descendre les deux passagères. Les épaules basses, Scyllia entra dans le manoir et tomba directement sur son grand-père qui se tenait au milieu du hall d'entrée.
— Alors ? Comment ça s'est passé ?
— Mal, répondit la prétendante en baissant la tête.
— Tout semblait bien se passer jusqu'à ce que le roi devine qui était le père de Scyllia, expliqua Louise. Il n'a pas apprécié que l'émissaire soit la fille de celui qui avait fui son mariage avec sa sœur.
— Je vois... Suis-moi Scyllia, j'ai quelque chose à te montrer, dit-il d'une voix grave.
Sans aucune explication, Arthur tourna le dos à sa petite fille et commença à gravir les escaliers. Sans plus de convictions, la prétendante le suivi au premier étage et à travers les couloirs jusqu'à arriver à une porte-fenêtre qui menait sur un balcon à l'arrière du manoir. Le grand-père l'ouvrit et, d'un signe de la main, invita sa petite fille à sortir.
La prétendante pensait qu'il l'emmenait dans un endroit calme et qu'elle aimait bien pour la consoler. Après tout, lors de ses précédentes visites, elle était restée de longues heures sur ce balcon à admirer le jardin en contrebas. Cependant, ce qu'elle vit en s'approchant de la balustrade la fit presque sursauter de surprise.
Sur la grande terrasse, alignés par dix au garde-à-vous, plus de deux-cents hommes en armure dorée lui faisaient face.
— Mais qu'est-ce que...
— Rebecca m'a dit que tu te demandais ce que je faisais ces deux derniers jours. Eh bien voilà. Je croyais en toi, mais je ne pouvais me résigner à te voir partir seule si l'audience ne se passait pas comme il le fallait. J'ai moi-même formé ces paladins au cours de ma longue carrière d'inquisiteur. Chacun d'eux vaut au minimum vingt soldats de l'armée. Leur fidélité me revient bien avant qu'elle ne revienne au roi et j'aime à penser qu'ils auraient été de mon côté si j'avais envisagé de faire un coup d'État.
— Tu n'as pas peur que le roi le prenne mal ?
— Si cet abruti ne voit pas quelle menace représente la fédération d'Istram, alors il peut bien aller se faire voir. Et s'il a quelque chose à me reprocher, il n'aura qu'à envoyer ses gardes ou venir personnellement. Je me ferai un plaisir de les recevoir à coups de canne pour leur apprendre à respecter les anciens.
— Merci ! s'exclama Scyllia en se jetant dans les bras de son grand-père pour l'enlacer.
— Contrairement au roi, la famille Eliar ne laisse jamais tomber ses alliés, fit alors une voix familière derrière elle.
Lorsque Scyllia se retourna, son sourire s'élargit d'autant plus en reconnaissant son oncle. Lui aussi était équipé pour la guerre et semblait vouloir partir avec elle.
— Tu viens aussi ?
— Je n'ai pas vraiment le choix, j'étais cerné entre mon fils et mon père qui insistaient. Et puis, j'ai une dette envers une certaine petite Trémisséenne et je dois me faire pardonner auprès d'une autre encore plus petite, alors il était difficile pour moi de refuser.
— Avec toi à nos côtés, on ne peut pas perdre.
Après avoir serré Scyllia dans ses bras, Archibald s'avança et fit face à la petite armée.
— Paladins ! Aujourd'hui, ça n'est pas en tant que soldat d'Atora que vous êtes réunis, mais en tant que chevaliers des dieux ! Aujourd'hui, notre roi a refusé d'apporter son aide à nos alliés, mais nous n'allons pas rester sans rien faire. Non ! Nous, nous ne pouvons rester dans l'inaction alors que la prétendante à l'incarnation de la vie vient en personne demander de l'aide. Aujourd'hui, nous faisons le serment de ne revenir chez nous que lorsque ces esclavagistes qui bafouent les paroles des dieux seront morts ! Aujourd'hui, nous partons en guerre !
— Par le feu, fer et la lumière ! Crièrent-ils tous en chœur en levant leurs armes au ciel.
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