Chapitre 14
Deux mois étaient passés pour Scyllia à l'académie d'Eronne. Deux mois pendant lesquels la prétendante s'attelait à être le cauchemar de son enseignante préférée sans jamais enfreindre le règlement et risquer une quelconque correction. L'adolescente n'aurait jamais imaginé qu'elle prendrait du plaisir à être à la fois la mademoiselle je sais tout et, en même temps, la petite peste de service qui n'hésitait pas à contredire ses professeurs et à leur tenir tête pour qu'ils admettent, au final et à contrecœur, qu'elle avait raison.
En peu de temps, sa réputation de cauchemar des professeurs, de défenseuse de l'égalité d'enseignement et surtout de prodige dans la plupart des matières avait fait le tour de l'académie. Cela était arrivé à un tel point que certaines filles de classes supérieures n'hésitaient pas à lui demander des conseils en magie blanche ou bleue.
Shed, lui, était étonné des changements qui s'étaient opérés chez son hôte. Il se demandait parfois où était passé la gentille enfant attentive en classe, installée au premier rang, qui essayait toujours de régler les conflits plutôt que d'en créer et de les envenimer. Peut-être avait-il fini par avoir un impact néfaste sur elle.
À vrai dire, elle-même ne savait pas pourquoi elle était devenue ainsi et espérait que cette nouvelle personnalité qu'elle s'était forgée allait disparaître lorsqu'elle retournerait chez elle. S'imaginer répondre à Elisabeth ou bien aux autres enseignants de sa véritable école comme elle le faisait ici lui donnait la chair de poule. Non. Jamais elle ne pourrait faire ça. Sauf peut-être face à Enzo, mais son cas était différent et ses remarques seraient toujours entendues ou, au pire, prises avec humour.
L'adolescente s'était tellement investie dans ce rôle qu'elle en avait presque oublié ce pourquoi elle était là et qu'elle pourrait, dès que sa mission serait remplie, retourner chez elle auprès de ses amis. Shed était bien évidemment là pour lui rappeler, mais Scyllia voyait les choses autrement. Elle savait où trouver le fragment d'orbe, et ce dernier n'allait pas se volatiliser du jour au lendemain, alors que rester ici et essayer de changer les mentalités permettrait à beaucoup de personnes d'être plus épanouies. De ce fait, plus elle resterait, plus elle pourrait les aider.
La dernière semaine de cours avant la première pause pédagogique venait de commencer et, comme à son habitude, Scyllia entrait dans sa salle de classe accompagnée de Margaux. À peine avaient-elles pris place que leur enseignante arriva à son tour et s'installa à son bureau.
— Bonjour à toutes. Aujourd'hui, certaines d'entre vous vont être heureuse, je vais vous apprendre votre premier sort.
Il était temps. Depuis qu'elle avait rejoint cette académie, la prétendante n'avait eu que des cours de théories magiques, non pas utiles comme ceux d'Elisabeth, mais superflu et presque incompréhensible pour celles qui n'y connaissaient rien en magie. L'adolescente ne comptait plus le nombre de fois où ses camarades s'étaient retrouvées dans sa chambre, le soir venue, pour qu'elle leur réexplique tout avec des termes adaptés, triant ce qui était utile et ce qui ne l'était pas.
— Nous allons commencer ce cours pratique par la projection d'un bouclier sur quelqu'un d'autre. Je vais vous noter la formule au tableau et vous essayerez, pendant ces deux heures, d'en créer un sur votre voisine.
Pas d'explication supplémentaire ? Pas de démonstration ? Décidément, tout ici était réuni pour faire en sorte que personne n'arrive à lancer quoi que se soit. De plus, pourquoi commençaient-ils par la projection de barrière ? C'était insensé !
— Madame ? appela la prétendante.
— Oui Scyllia ? souffla l'enseignante. Tu as un problème avec le fait que nous commencions les cours pratique ? Peut-être trouves-tu que c'est encore trop tôt ?
— Au contraire, je me disais qu'il était temps. Cependant, je me demandais pourquoi vous voulez nous apprendre ce sort avant celui du bouclier personnel qui, lui, ne demande aucune incantation et permettrait à la plupart de se familiariser avec ce genre de sort et de mieux comprendre leur fonctionnement ?
— Vous allez apprendre la projection de bouclier en premier car j'en ai décidé ainsi. Est-ce que cette réponse te convient ?
— Non, mais je m'en contenterai.
L'enseignante eut un énième tic nerveux du coin de la lèvre et se retourna pour noter au tableau la formule du sort. En la déchiffrant dans sa tête, Scyllia visualisa le sort et comprit comment il fonctionnait. Contrairement à celui qu'elle avait appris d'elle-même chez elle et qu'elle avait perfectionné après avoir assisté au cours qui en parlait, celui-ci n'était vraiment pas optimisé. Pour être maintenu par une personne normale, la formule devait être répétée encore et encore, les bras tendus vers la cible. De plus, il drainait constamment l'énergie de son lanceur plutôt que de lui retirer une bonne fois pour toute pour perdurer. Le principal inconvénient de ce sort imparfait était qu'il était impossible de se concentrer ou faire quoi que se soit d'autre lorsqu'on le maintenait. À cause de cela, le mage qui le lançait se retrouvait exposé et à la merci des attaques ennemies.
Impatientes d'enfin débuter les cours pratiques, les élèves commencèrent à réciter la formule en fixant leur voisine. Les résultats n'étaient pas glorieux, et pour cause, si une grande majorité des gens pensaient que les formules n'étaient que des mots inventés qui ne voulait rien dire, les mages, eux, savaient que chacun avait une signification qui, couplé à la visualisation du sort et à l'énergie du lanceur, créait un sort. Ainsi, seuls quelques sorts faciles comme celui de boule de feu le plus basique ne requérait pas une connaissance des termes employés.
Manque de chance pour elles, les cours théoriques qu'elles avaient eu jusque-là n'avait pas abordé cet aspect linguistique de la magie. En trente minutes d'exercice, seule une élève avait réussi à projeter une barrière. Margaux, avec les conseils de Scyllia, était parvenue à matérialiser le bouclier autour de l'adolescente pendant quelques secondes avant de relâcher son attention et le faire voler en éclats.
La professeure, au lieu d'admettre que le problème venait sans doute de sa manière d'enseigner, se contentait de souffler et lever les yeux au ciel à chaque tentative ratée. Toute conscience professionnelle envolée, elle quitta même la salle au bout d'une quarantaine de minutes en disant qu'elle reviendrait à la fin pour voir comment elles avaient avancé et laissa ses élèves livrées à elles-mêmes.
— On y arrivera jamais, se découragea l'une d'entre elle. Scyllia, s'il te plaît, explique-nous comment faire !
— Je ne suis pas sûre que...
— S'il te plaît, implora une autre. Tu es la seule à savoir le faire.
— En plus, ça n'est pas la première fois que tu nous réexpliques en détail un cours. On sait que tu en es capable.
— Bon, très bien. Tout d'abord...
La prétendante se rendit au tableau, prit une craie et raya d'un geste vif la formule inscrite.
— Oubliez ce sort. Ce genre de chose n'est ni fait, ni à faire et vous mènera à une mort certaine si vous l'utilisez dans une mauvaise situation.
Scyllia lista tous les inconvénients de ce sort et les situations fâcheuses dans lesquelles elles pouvaient se retrouver si elles s'en servaient. Elle exposa tout de même ses quelques points forts, mais ne s'attarda pas dessus bien longtemps vu qu'ils ne contrebalançaient pas avec les défauts. L'adolescente aurait aimé leur faire travailler le bouclier personnel avant la projection, mais connaissant madame Odale, il était possible qu'elle revienne à la fin de l'heure et annonce une évaluation surprise sur leur progrès.
Considérant cette éventualité, Scyllia dut aller à l'essentiel et fit un rapide cours sur la signification de la nouvelle formule qu'elle avait inscrite au tableau. Elle fit ensuite une démonstration, sans pour autant incanter le sort, et demanda à chacune d'essayer.
Grâce à l'essence des sorts qu'elle apercevait sur le dos de leur main, la prétendante pouvait facilement voir ce qui n'allait pas dans le sort et prévenir sa lanceuse pour y remédier. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, le cours qu'elle avait donné avait porté ses fruits pour la majorité de ses camarades qui pouvaient à présent s'entraîner seule. Pour celles qui avaient encore du mal, Scyllia les regroupa et leur promulgua autant de conseils qu'il était nécessaire pour qu'elles réussissent.
L'adolescente était fière de sa classe. Elles avaient réussi, pour la plupart, à maîtriser un sort qui n'était normalement pas encore à leur portée. C'était bel et bien la preuve qu'elles avaient du potentiel qu'elles gâchaient en restant dans cette horrible académie. L'heure de fin approchait et il ne lui restait qu'une élève à accompagner. Elle y était presque, cela se voyait sur l'essence de son sort qui se stabilisait de plus en plus, il ne restait plus qu'à la guider encore un peu et un bouclier apparaîtrait.
— Qu'est-ce que tu fais ? tonna l'enseignante en s'approchant de Scyllia.
Même si elle l'avait sentie revenir, l'adolescente avait fait en sorte de l'ignorer le plus longtemps possible et s'était concentrée sur sa dernière camarade en difficulté.
— Votre travail. Et sans me vanter, cette académie aurait beaucoup à y gagner en vous renvoyant pour que je prenne votre place.
— Insolente ! hurla-t-elle en accompagnant son cri d'une gifle.
Scyllia, sûre d'elle, ne chercha même pas à éviter la claque. Avant que la main de l'enseignante n'atteigne sa joue, une barrière se matérialisa autour d'elle et la protégea du coup.
— J'ai réussi ! s'exclama sa camarade.
— Vous voyez ! En quarante minutes, avec votre méthode, personne n'a réussi. Dès que vous êtes partie, J'en ai passé vingt à leur expliquer rapidement ce que vous auriez dû nous apprendre ses deux derniers mois. Résultat, avec quelques conseils en plus lors de l'exécution, elles ont toute été capables de projeter une barrière et elles peuvent désormais le faire sans mon aide.
— Je croyais que le directeur avait été clair sur le fait que tu devais rester à ta place.
— Je n'aurais pas à la quitter si vous faisiez votre travail ! Peut-être voulez-vous m'envoyer chez lui une nouvelle fois ? Je serais heureuse de lui raconter que vous nous avez abandonnées en plein cours pour vous balader dans les couloirs.
— Sache, jeune impertinente, que je ne me baladais pas dans les couloirs, commença-t-elle en se dirigeant vers la porte de la salle. Rangez toutes vos affaires et suivez-moi !
Personne ne bougea. Les filles regardaient Scyllia et attendaient qu'elle réagisse la première. Elle avait gagné. Désormais, si elle attendait quoi que se soit de cette classe, elle devrait avoir l'accord de la prétendante.
— Suivez-moi ! hurla-t-elle.
Amusée par la perte de contrôle de l'enseignante, l'adolescente hocha légèrement la tête pour dire aux autres de la suivre. Une fois toutes les affaires rangées, madame Odale emmena la classe dans une salle un étage au-dessus. Contrairement à la pièce qui accueillait la classe de garçon et de fille pour les cours de bienséance ou toute autre salle de cours, celle-ci avait été vidée de tous ses meubles. La seule chose remarquable était la rune géante qui se trouvait en son centre.
— Placez-vous dessus, indiqua l'enseignante.
Peu rassurées, les élèves n'osaient pas franchir le périmètre du cercle et attendaient une quelconque explication.
— Je croyais que les téléportations étaient interdites dans ce royaume, commenta Scyllia qui avait reconnu la plupart des symboles.
— C'est une exception. Allez dans le cercle.
La prétendante, nullement impressionnée par ce genre de tracé, se plaça au milieu et fit un signe aux autres pour qu'elles la rejoignent. Madame Odale n'avait clairement pas les connaissances pour tracer une rune aussi complexe, il y avait donc peu de chance que ce soit un piège. Et si c'était le cas, cela aurait au moins le mérite de donner à la prétendante l'occasion de faire un peu d'exercice.
Une fois que tout le monde fut rassemblé, les lignes s'illuminèrent et la téléportation s'amorça.
— Lorsque vous serez arrivé, prenez un bâton chacune et attendez.
La lumière s'intensifia jusqu'à toute les aveugler et, lorsque Scyllia rouvrit les yeux, elle vit qu'elle se trouvait dans une autre pièce sombre, fermée par une grande porte à double battant en bois massif et dans laquelle se trouvait plusieurs râteliers. Sur ces derniers, des bâtons basiques avec un simple cristal transparent au bout avaient été installés là pour que les élèves s'en équipent.
— J'ai le pressentiment qu'on va bien s'amuser finalement.
Scyllia partageait cette impression. Avant de se saisir d'un bâton, elle examina la porte. Il y avait du bruit derrière, mais toutes ses voix étaient intelligible. Elle aurait pu demander à Shed d'augmenter son ouïe, mais vu qu'elle était imitée par le reste de la classe, cela aurait paru suspect qu'elle entende aussi bien ce qui se passait à l'extérieur. Résignée à devoir attendre, elle reporta son attention sur l'un des râtelier et prit le premier bâton venu.
Alors que la classe attendait dans la pièce sombre depuis plusieurs minutes et que certaines filles commençaient à s'inquiéter, la porte s'ouvrit enfin. La lumière indiquait qu'au-delà se trouvait une zone à ciel ouvert. La prétendante en tête, la classe découvrit où elle était. Un grand terrain de sable fin était entouré de palissades de plus de trois mètres de haut. Au-dessus, des tribunes avaient été installées et étaient bondées d'élèves allant de la deuxième à la dernière année d'étude. Sur celles pile en face de la porte, tous les enseignants de l'académie étaient assis et discutaient entre eux. Pour finir, de gros rochers avaient été disposés un peu partout.
— Scyllia ? fit une voix à sa droite.
La prétendante tourna la tête et vit Maximilien. Lui et sa classe sortaient d'une salle qui se trouvait juste à côté et étaient armés d'épées.
— Bataille générale ! Combat à mort ! Faites que j'ai raison, s'il vous plaît ! Je veux de sang !
— Bienvenue, chères premières années, dans la fosse, clama le directeur. Vous vous demandez peut-être pourquoi vous êtes ici. Vous êtes ici pour prouver votre valeur en situation réelle et appliquer tout ce que vous avez appris jusqu'à maintenant !
— J'avais raison ! Oui ! On va tout défoncer ! jubila Shed.
— Donnez le meilleur de vous-mêmes. Que l'épreuve commence !
Alors que Scyllia faisait attention à tout ce qui l'entourait pour éviter de se faire attaquer dans le dos, les pierres sur le terrain commencèrent à bouger et à se rassembler au milieu. En peu de temps, elles prirent une forme grotesque d'humanoïde géant qui se tourna vers eux.
— Ho merde, souffla Shed, déçu. C'est nul, la pierre ça saigne pas.
Si la déception se lisait dans sa voix, l'inquiétude, elle, se voyait sur le visage du capitaine. Le démon, qui avait deviné ce qu'elle voulait, affina son ouïe pour entendre ce que les enseignants se disaient.
— Combattre un golem de cette taille ? Ça n'est pas un peu trop tôt et dangereux ? s'inquiéta Alphonse.
— C'est vrai qu'il y a eu quelques blessés l'année dernière, mais seulement un l'était gravement, répondit un autre en haussant les épaules. Au final, ils s'en sont tous remis.
— Et ils ont réussi à le vaincre ?
— Vaincre un golem en première année ? Vous rigolez j'espère ! Il leur faudrait attendre au moins quatre ans pour ne serait-ce qu'espérer l'avoir en s'y mettant à autant. Aucune classe n'a jamais réussi à en venir à bout. L'exercice ici est de les mettre face à la réalité. Qu'ils acceptent qu'ils ne peuvent rien contre lui. Et cela nous permet aussi de voir si certains d'entre eux sortent du lot.
Trop concentrée sur leur discussion, Scyllia ne remarqua que trop tard que le partenaire de Margaux fonçait sur la créature, épée à la main.
— Finissons en ! hurla-t-il en chargeant.
Le garçon n'eut même pas le temps de donner un coup que le golem le balaya avec son bras et l'envoya s'écraser contre la palissade.
— Lui par exemple ne sortira du lot que par sa stupidité, commenta l'enseignant.
La prétendante se retourna vers ses camarades et vit que tout le monde, fille comme garçon, était terrorisé. Il fallait qu'elle réagisse avant qu'ils ne finissent tous comme lui. Elle para tout d'abord au plus urgent et releva le colocataire de son amie en le soignant totalement.
— Ressaisissez-vous ! Ensemble, nous pouvons venir à bout de cette chose ! Ceux qui sont à l'aise avec la magie, bombardez-le de sort en vous éparpillant dans la fosse. Restez hors de portée de ses bras. Ceux qui arrivent mieux à manier les armes et sont agiles, détournez son attention et esquivez ses coups.
— Tu veux qu'on se fasse tuer ? s'exclama l'un des garçons.
— Non. Même s'il arrive à vous atteindre, il ne vous arrivera rien. Les filles, faites comme les lanceurs de sort et éparpillez-vous. Projetez des boucliers sur ceux qui se battent au corps-à-corps.
— Scyllia, je ne sais pas si... commença celle qui avait eu le plus de mal lors du cours.
— Ne t'en fais pas, je suis là. Tout se passera bien.
Si les filles commençaient à bouger. Les garçons, eux, refusaient de lui obéir.
— Scyllia. Rappelle-toi ce que j'ai dit sur les garçons lors de notre arrivée ici. Ils veulent être le centre de l'attention. Pique-les à leur orgueil et ils chargeront tous.
— Vous voulez qu'on se souvienne de vous comme la classe qui s'est pissé dessus devant le golem ? Ou comme celle qui a réussi à le vaincre ?
— Quel langage fleuri. Tu aurais fait une commandante parfaite dans l'armée.
— Mais peut-être voudriez-vous laisser cette gloire à notre classe ? Ainsi, c'est vous qui aurez des cours de ménages pendant que nous apprendrons la magie offensive.
Comme Shed l'avait prévu, son discours eut un très bon effet sur eux. Le trois-quarts se dispersa autour du golem et le reste, dont Maximilien, avança vers la chose. Scyllia, quant à elle, resta immobile et identifia chacune des énergies présente sur le terrain. Une fois que tout le monde fut en place, elle matérialisa un bouclier sur chaque élève.
— Eh bien, cette promotion a du cran, constata un enseignant. Je n'ai pas entendu ce que cette fille a dit, mais ce devait être inspirant.
Le golem, plutôt passif jusque-là, commença à remuer alors que les premiers sorts lui tombaient dessus et que les plus courageux arrivaient à portée de ses poings. Lorsqu'il frappa Maximilien en tête de groupe, son poing s'écrasa contre le bouclier qui n'eut même pas une égratignure. Étonné, si une créature comme celle-ci pouvait l'être, il frappa de nouveau, de plus en plus fort et de plus en plus vite ceux qui formaient la ligne de front. Rien n'y faisait, les boucliers ne voulaient pas céder. Cependant, les sorts et les coups d'épées semblaient tout aussi inefficace contre lui.
— Ils seront tous mort de vieillesse avant que ce machin ne tombe en morceau, commenta le démon.
— Et bien très chère, je dois dire que vos filles sont particulièrement douées, commenta l'un des enseignants. Jamais je n'aurais pensé qu'elles puissent créer des barrières aussi solides dès la première année.
— Évidemment ! Mes méthodes ont fait leur preuves, répondit madame Odale, enorgueillie par le compliment. Il y en a cependant une qui continue à me défier et, même là, alors que tout le monde donne le meilleur de soit-même, elle continue de regarder sans rien faire.
— Détrompez-vous, contredit un autre professeur qui, d'après ses habits, enseignait la magie. Tous ces boucliers proviennent d'elle et elle seule. Je ne sens presque pas l'énergie des autres dedans, c'est prodigieux ! Mais, consommer une telle quantité d'énergie ne lui permettra pas de continuer encore bien longtemps. Reste à savoir jusqu'à quand elle va pouvoir les maintenir.
— Tu peux tenir encore longtemps ?
— Le golem sera mort de vieillesse avant de les percer, répondit-elle en reprenant son expression.
— Donc nous avons quelque chose d'intuable qui se bat contre des ennemis intouchables. C'est ce qui s'appelle une impasse.
— Je suis curieux de voir ce qu'elle est capable de faire d'autres, reprit le mage en se penchant en avant.
— Voulez-vous voir ? questionna Alphonse.
— Je ne demande que ça.
— Dans ce cas... Scyllia ! Ne reste pas en arrière ! Montre ce que tu sais faire !
— Ha, c'est pas trop tôt ! Il en a mis du temps à nous donner son accord !
— Reculez tous et stoppez les sorts ! ordonna-t-elle.
Si certains comme Maximilien obéirent immédiatement, la majorité, en revanche, continuait à faire pleuvoir leurs sorts inefficaces contre le monstre et restaient à son contact. S'ils continuaient ainsi, elle n'aurait jamais l'occasion de le terrasser. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire. Scyllia administra à tout le monde, excepté à Maximilien, une puissante dose de magie sédative pour les endormir. Elle n'avait ni le temps, ni la concentration nécessaire pour agir au cas par cas. En à peine quelques secondes, tous furent endormis sur le terrain. Ils restaient cependant toujours protégés par les boucliers, même ceux qui se trouvaient sous le golem. Au moins, il n'y aurait pas de blessé cette année.
— Qu'est-ce que tu as fait ? s'étonna le fils du directeur. Et surtout, qu'est-ce que tu comptes faire ?
— Tu verras, se contenta-t-elle de répondre. Je t'emprunte ça.
En un rapide mouvement de poignet, Scyllia désarma son partenaire et prit l'épée en main tout en jetant son bâton qui ne lui servait à rien, puis, d'un pas assuré, s'approcha du monstre de pierre.
— Ne me dites pas qu'elle va essayer de l'affronter toute seule ! s'exclama le mage.
— Qui sait... Quand ma nièce a une idée en tête, rien ne peut l'en dissuader. Si elle avait décidé de vaincre le golem à main nue, elle l'aurait réduit en poussière de cette manière.
— Ça a l'air drôle. On fait ça ?
Le temps n'était pas à la plaisanterie. Elle était presque arrivée au contact de son adversaire et elle ne savait toujours pas comment s'y prendre.
— Les golems ont deux points faibles. L'un au milieu du torse, l'autre au niveau de la tête. Vise le second, il est plus facile à atteindre.
Alors que le golem s'apprêtait à la frapper, Scyllia esquiva aisément et monta sur son bras. Avec une agilité hors du commun, elle escalada le monstre et prit appui sur ses épaules. De là, elle visa la tête et donna un puissant coup en y mêlant sa force avec celle de Shed. Pensant en finir ainsi, la prétendante eut un moment de stupéfaction lorsque la lame se brisa contre la roche.
La chose s'agitait de plus en plus pour essayer de la faire descendre, mais elle tenait bon. Cependant, que pouvait-elle faire, hissée là-haut avec une arme brisée ? Il lui fallait quelque chose de plus adapté contre ce genre d'ennemi. Une idée lui vint soudain à l'esprit. Scyllia se retourna et, en un prodigieux bond, parcourut la distance qui la séparait de la tribune des enseignants. Stupéfaits par ce qu'elle venait de faire, aucun d'entre eux n'osa dire quoi que ce soit.
— Il va vraiment falloir que vous vous fournissiez chez un forgeron un peu plus compétent, ces épées sont d'une fragilité déconcertante ! Mon oncle. Vous n'auriez pas un de vos fameux marteaux de guerre avec vous par hasard ?
— Non, juste une épée comme celle que tu avais.
— Mince... Dans ce cas, je me contenterai de celle-là.
D'un geste vif, l'adolescente tira l'épée du directeur de son fourreau et la brandit fièrement. Cependant...
— Repose cette arme ! tonna-t-il, fou de rage.
— C'est nul, elle ne brille pas...
— N'oublie pas que tu es la seule qui ne puisse pas utiliser les fragments comme artefact de pouvoir.
— Tant pis, continua-t-elle en plantant la lame dans le sol en bois. Je crois que je n'ai plus le choix.
Main tendue vers la chose, Scyllia envoya un trait de feu qui, contrairement aux sorts que le golem avait reçus jusque-là, explosa à l'impact. Le choc fut tel qu'il se disloqua et explosa à son tour, provoquant une pluie de pierres sur le terrain.
Avant que quiconque ne dise quoi que se soit, la prétendante revint au milieu de la fosse, réveilla tout le monde et se hissa sur les restes de la chose, puis, avec un regard de défi vers la tribune des enseignants, prit la parole.
— Alors ? Quelqu'un d'autre a un défi à me proposer ? Je m'appelle Scyllia et, comme vous le voyez, je suis une fille. Osez me dire, cher directeur, que je ne suis pas faite pour être sur un champ de bataille ! Ils disent que je n'ai pas ce qu'il faut pour suivre les cours qui m'intéressent, que nous n'avons pas ce qu'il faut pour suivre ces cours. Pour eux, nous ne sommes bonne qu'à nous occuper des tâches ménagères. Je suis la seule, jusqu'à aujourd'hui, à avoir réussie à le vaincre, mais en aurait-il été ainsi si vous nous preniez un peu plus en considération au lieu de nous donner la pire enseignante et les pires cours au monde ? Combien de haut potentiel avez-vous laissé passer à cause de vos pensées d'un autre temps ? Combien de carrières de haut mage avez-vous brisés parce qu'on vous a caché les textes sacrés qui parlent de l'égalité de tous ? Je m'appelle Scyllia et, à partir d'aujourd'hui, ma classe assistera aux mêmes cours que les garçons !
Alors qu'elle finissait son discours, tous les élèves, fille comme garçon, qui avaient regardé le combat, se levèrent et l'ovationnèrent dans un tonnerre d'applaudissements. Scyllia soutenait le regard du grand inquisiteur en quête d'une quelconque réponse et vit qu'elle avait eu gain de cause lorsqu'il baissa les yeux. Tous, même le mage qui s'était intéressé à elle, se mirent alors à scander un nom qui allait sans doute perdurer dans cette académie bien après qu'elle serait repartie chez elle. Scyllia, championne de la fosse.
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