7. Cold case

Evy :

Je suis allongée sur mon lit, épuisée rien qu'à l'idée de me lever, d'aller à la faculté et de me confronter à tout ce chaos. Je n'ai pas dormi de la nuit, l'esprit trop encombré par les évènements de la veille. Plusieurs sentiments se sont succédé, mélangés. La peine, la colère, la frustration... voilà ce qu'il a été capable de provoquer chez moi.

La peine de l'avoir vu embrasser Jenny. Ma colère, elle, est dirigée contre moi-même. Pourquoi me suis-je laissée berner ? Tu l'as embrassé, me murmure ma conscience. Alors, raison de plus pour être en colère contre moi. Vais-je être capable de faire comme si de rien était ?

Je suis frustrée, parce qu'à cause de tout ça, j'ai pleuré en le sculptant. Je me fais l'effet d'une gamine et, si je le pouvais, je me bafferais, mais je suis bien trop craintive pour m'infliger le moindre mal. Je grogne d'agacement en attrapant mon coussin et en le jetant à travers la pièce.

Allez, on arrête de s'apitoyer et on répare ses erreurs, à commencer par le galeriste à qui j'ai fait faux bond, hier soir. Après avoir vu Eliot Millers – oui, il n'est plus que ça désormais – et Jenny s'embrasser, je n'étais pas en état pour un entretien. Je m'en veux terriblement de surréagir ainsi, ce n'est pas comme si je le connaissais ni comme s'il représentait quoi que ce soit pour moi. Pourtant, depuis ce premier jour, depuis que nos regards sont entrés en collision - il n'y a pas d'autre mot -, j'ai l'impression de ne pas savoir gérer ce qu'il m'arrive. Je ne suis pas du genre à me laisser troubler ainsi, mais quand il est proche de moi, ma peau frémit, mon cœur palpite et un flot de sensations m'envahit. C'est grisant, mais aussi effrayant.

Je compose le numéro de la galerie et attends patiemment que le galeriste décroche. Je m'apprête à raccrocher lorsqu'une voix rocailleuse se fait entendre.

— Statesboro Galery, bonjour.

Mon cœur tambourine et je prie pour ne pas perdre mon sang froid.

— Bonjour Monsieur Lewis, je suis Evy Benedict, nous devions avoir un entretien...

— Oui..., me coupe-t-il froidement.

Je sens que ça ne va pas être facile. Je cherche quoi lui répondre, mais il me devance.

— Qu'est-ce que vous voulez ? Si c'est pour un nouvel entretien, sachez, mademoiselle, que je n'ai pas pour principe d'accorder de seconde chance.

Le silence suit sa déclaration et je me dis, qu'après tout, je n'ai rien à perdre.

— Écoutez, je suis sincèrement désolée, ce n'est vraiment pas dans mes habitudes... J'ai eu un contre temps, mais je vous assure que ça ne se reproduira plus. Je veux vraiment ce stage et je vous promets que si vous me laissez passer cet entretien, vous ne le regretterez pas. 

J'ai un peu surjoué la carte de la confiance en soi, mais aux grands maux les grands remèdes. À nouveau, le silence se fait à l'autre bout de la ligne. Il dure si longtemps que je dois éloigner mon téléphone pour vérifier qu'il soit toujours en ligne.

— S'il vous plaît, monsieur Lewis... Je vous..., supplié-je.

— C'est d'accord, me coupe-t-il. J'apprécie vos excuses et j'accepte de vous accorder une autre chance. Votre lettre de motivation était parfaite et je dois dire que j'aime la façon dont vous y parlez d'art.

— Merci, lui dis-je tout en trépignant au milieu de ma chambre.

J'empêche un cri de joie de sortir de ma bouche, je ne voudrais pas qu'il me prenne pour une folle. Je suis excitée comme une puce et suis soulagée que cette seconde chance me soit accordée.

— Sachez que ce n'est vraiment pas dans mes habitudes. Je vous attends demain, à neuf heures.

— Je serai là ! m'exclamé-je vivement.

Un rire se fait entendre avant qu'il ne raccroche. Je serre mon téléphone dans mes mains et pousse enfin un cri de joie qui n'attendait qu'à sortir.

Après avoir rempli mon sac de mes affaires de cours, je récupère mon carton à dessin et quitte ma chambre étudiante, un grand sourire aux lèvres.

Maintenant, il ne me reste qu'une chose à faire : refermer le dossier « Millers ». Si tant est qu'il y en ait un.

*

Je suis sur le campus, à côté de l'arbre où Jenny et moi nous retrouvons habituellement. J'attends, cinq puis dix minutes. En général, lorsqu'elle est en retard, elle m'envoie un message, mais après vérification de mon téléphone, je constate qu'il n'y a rien, pas une seule notification. Voyant que la pelouse se vide des étudiants, je décide de partir en cours. Je m'engouffre dans le bâtiment et traverse le couloir. Un rire aigu me parvient aux oreilles, je le reconnais immédiatement, c'est celui de ma meilleure amie. Mon regard se lève dans sa direction et je la repère au milieu des étudiants. Une fille comme Jenny ne passe pas inaperçue, jamais. Je la hèle et il me semble percevoir de l'agacement dans son attitude lorsqu'elle me voit. Je suis blessée parce que je ne comprends pas ce qu'elle me reproche.

En arrivant à son niveau, je tente de chasser les images qui s'impriment sous mes paupières. Elle embrassant Eliot Millers. Ou peut-être était-ce l'inverse ?

— Coucou, la salué-je.

— Tu veux le stage ? assène-t-elle sans préambule.

— Pardon ?

Le reste de nos amis, que je n'avais même pas remarqué, s'éloigne pour nous laisser de l'espace. Je lui ai pourtant dit qu'il ne m'intéressait pas...

— Non, bien sûr que non. J'ai un entretien demain à la galerie de la ville, lui assuré-je.

Ses bras croisés, elle ne me croit visiblement pas. Je ne comprends pas son attitude, nous sommes amies depuis suffisamment de temps pour qu'elle sache que je suis toujours honnête, non ? Alors c'est pour ça qu'elle m'a volontairement oubliée ce matin ?

— Jen...

— Tu me le promets ?

Mes yeux s'arrondissent de stupeur, je ne pensais pas que ce stage lui tenait tant à cœur, elle m'a toujours dit que les galeries d'art étaient barbantes.

Alors reviennent à nouveau les images de la veille. Peut-être n'est-ce pas spécialement le stage qui l'intéresse. Sans que je ne puisse le contrôler, la jalousie s'empare de moi, mais je la fais taire et lui adresse un sourire qui se veut sincère.

— Je te le promets.

Son regard s'adoucit et elle me serre dans ses bras avant de retourner dans sa salle de classe. J'ignore le malaise qui m'envahit à l'idée qu'elle soit prise en stage et qu'elle soit proche de Millers... Après tout, ça ne me regarde pas. J'ignore aussi la douleur qu'elle m'a infligée en me mettant à l'écart pour une simple histoire de stage.

Le couloir se vide et je réalise que, si je ne presse pas le pas, je serai en retard. Je monte à l'étage et entre dans notre atelier artistique. Mes camarades sont déjà en place et je salue silencieusement le professeur qui semble agacé par mon retard. Discrètement, je pose mes affaires à mon établi et attache mes cheveux en chignon flou tout en me dirigeant vers l'arrière-salle où je récupère mon œuvre. Si c'en est une... Hier soir, j'ai travaillé dessus jusque tard, mais je n'ai pas vraiment vu le résultat.

Je retourne à ma place et c'est là que je le vois, mais que fait-il encore dans mon groupe ? Il n'est pas censé changer de groupe chaque jour ? Il me fixe du regard, mais je préfère l'ignorer et agis comme s'il n'était pas là. En tout cas, c'est ce que j'essaye de lui faire croire, parce qu'inconsciemment, mes mains se sont mises à trembler, mon cœur à pulser et ma peau à crépiter. J'ôte le tissu humide et mes yeux s'agrandissent de stupeur. Je suis capable de ça ?

La sculpture est très ressemblante, trop même, et je sais que si mon professeur s'approche de mon établi, il reconnaîtra tout de suite le sculpteur. Je n'ai rien omis, pas même la cicatrice proche de sa tempe. Je l'effleure du bout des doigts et relève le regard, pour comparer mon œuvre d'art à son modèle.

Étonnamment, il n'est plus à sa place. Mon dos est parcouru d'une vague de frissons et je comprends que c'est sa présence derrière moi qui provoque cette réaction. Sans même le voir, il m'électrise, mais je lui en veux de me faire éprouver ça, surtout après ce qu'il s'est passé hier. Mes doigts plongent dans l'eau et je les place sur l'argile, à plusieurs reprises. Je retiens mon souffle et après avoir dégluti, laisse mes doigts passer sur son front, ses pommettes, pour en lisser le grain. Un courant électrique me transperce la colonne vertébrale. Je devine qu'il s'est approché un peu plus.

Ma respiration s'accélère et ma gorge s'assèche. Je voudrais que ce soit lui, et non pas cette sculpture, qui se trouve face à moi. Sa chaleur dans mon dos m'envahit, j'humidifie mes lèvres, et je comprends que ce que je ressens, c'est un désir profond, presque animal. Quelque chose d'incontrôlable. Par sa simple présence, sans même qu'il me touche, il arrive à me donner envie de plus. Mais c'en est assez. Quoi qu'il fasse, peu importe le jeu auquel il s'adonne, je préfère qu'il le fasse seul. Mes doigts s'enfoncent dans la matière et, un à un, ses traits disparaissent. J'efface ses yeux, ses sourcils. Avec la colère contenue depuis hier, j'écrase son nez.

Une tout autre énergie se dégage dans mon dos, je peux sentir sa colère et un léger sourire satisfait s'imprime sur mon visage. Ce que je fais lui est douloureux et je me réjouis de ne pas être la seule à pouvoir souffrir... On peut être deux.

Un courant d'air soulève les mèches échappées de mon chignon et mes yeux se ferment. La porte claque et, au lieu de me délecter de sa fuite, son absence me fait plonger dans un gouffre de solitude. Je ne comprends pas ce qu'il me fait ressentir. Je ne le connais pas, pourtant quand il quitte l'atelier, j'ai peur qu'il ne revienne jamais.

Mes paupières se soulèvent et je m'en veux d'avoir détruit ce que j'avais réussi à créer de mes doigts.Je suis allongée sur mon lit, épuisée rien qu'à l'idée de me lever, d'aller à la faculté et de me confronter à tout ce chaos. Je n'ai pas dormi de la nuit, l'esprit trop encombré par les évènements de la veille. Plusieurs sentiments se sont succédé, mélangés. La peine, la colère, la frustration... voilà ce qu'il a été capable de provoquer chez moi.

La peine de l'avoir vu embrasser Jenny. Ma colère, elle, est dirigée contre moi-même. Pourquoi me suis-je laissée berner ? Tu l'as embrassé, me murmure ma conscience. Alors, raison de plus pour être en colère contre moi. Vais-je être capable de faire comme si de rien était ?

Je suis frustrée, parce qu'à cause de tout ça, j'ai pleuré en le sculptant. Je me fais l'effet d'une gamine et, si je le pouvais, je me bafferais, mais je suis bien trop craintive pour m'infliger le moindre mal. Je grogne d'agacement en attrapant mon coussin et en le jetant à travers la pièce.

Allez, on arrête de s'apitoyer et on répare ses erreurs, à commencer par le galeriste à qui j'ai fait faux bond, hier soir. Après avoir vu Eliot Millers – oui, il n'est plus que ça désormais – et Jenny s'embrasser, je n'étais pas en état pour un entretien. Je m'en veux terriblement de surréagir ainsi, ce n'est pas comme si je le connaissais ni comme s'il représentait quoi que ce soit pour moi. Pourtant, depuis ce premier jour, depuis que nos regards sont entrés en collision - il n'y a pas d'autre mot -, j'ai l'impression de ne pas savoir gérer ce qu'il m'arrive. Je ne suis pas du genre à me laisser troubler ainsi, mais quand il est proche de moi, ma peau frémit, mon cœur palpite et un flot de sensations m'envahit. C'est grisant, mais aussi effrayant.

Je compose le numéro de la galerie et attends patiemment que le galeriste décroche. Je m'apprête à raccrocher lorsqu'une voix rocailleuse se fait entendre.

— Statesboro Galery, bonjour.

Mon cœur tambourine et je prie pour ne pas perdre mon sang froid.

— Bonjour Monsieur Lewis, je suis Evy Benedict, nous devions avoir un entretien...

— Oui..., me coupe-t-il froidement.

Je sens que ça ne va pas être facile. Je cherche quoi lui répondre, mais il me devance.

— Qu'est-ce que vous voulez ? Si c'est pour un nouvel entretien, sachez, mademoiselle, que je n'ai pas pour principe d'accorder de seconde chance.

Le silence suit sa déclaration et je me dis, qu'après tout, je n'ai rien à perdre.

— Écoutez, je suis sincèrement désolée, ce n'est vraiment pas dans mes habitudes... J'ai eu un contre temps, mais je vous assure que ça ne se reproduira plus. Je veux vraiment ce stage et je vous promets que si vous me laissez passer cet entretien, vous ne le regretterez pas. 

J'ai un peu surjoué la carte de la confiance en soi, mais aux grands maux les grands remèdes. À nouveau, le silence se fait à l'autre bout de la ligne. Il dure si longtemps que je dois éloigner mon téléphone pour vérifier qu'il soit toujours en ligne.

— S'il vous plaît, monsieur Lewis... Je vous..., supplié-je.

— C'est d'accord, me coupe-t-il. J'apprécie vos excuses et j'accepte de vous accorder une autre chance. Votre lettre de motivation était parfaite et je dois dire que j'aime la façon dont vous y parlez d'art.

— Merci, lui dis-je tout en trépignant au milieu de ma chambre.

J'empêche un cri de joie de sortir de ma bouche, je ne voudrais pas qu'il me prenne pour une folle. Je suis excitée comme une puce et suis soulagée que cette seconde chance me soit accordée.

— Sachez que ce n'est vraiment pas dans mes habitudes. Je vous attends demain, à neuf heures.

— Je serai là ! m'exclamé-je vivement.

Un rire se fait entendre avant qu'il ne raccroche. Je serre mon téléphone dans mes mains et pousse enfin un cri de joie qui n'attendait qu'à sortir.

Après avoir rempli mon sac de mes affaires de cours, je récupère mon carton à dessin et quitte ma chambre étudiante, un grand sourire aux lèvres.

Maintenant, il ne me reste qu'une chose à faire : refermer le dossier « Millers ». Si tant est qu'il y en ait un.

*

Je suis sur le campus, à côté de l'arbre où Jenny et moi nous retrouvons habituellement. J'attends, cinq puis dix minutes. En général, lorsqu'elle est en retard, elle m'envoie un message, mais après vérification de mon téléphone, je constate qu'il n'y a rien, pas une seule notification. Voyant que la pelouse se vide des étudiants, je décide de partir en cours. Je m'engouffre dans le bâtiment et traverse le couloir. Un rire aigu me parvient aux oreilles, je le reconnais immédiatement, c'est celui de ma meilleure amie. Mon regard se lève dans sa direction et je la repère au milieu des étudiants. Une fille comme Jenny ne passe pas inaperçue, jamais. Je la hèle et il me semble percevoir de l'agacement dans son attitude lorsqu'elle me voit. Je suis blessée parce que je ne comprends pas ce qu'elle me reproche.

En arrivant à son niveau, je tente de chasser les images qui s'impriment sous mes paupières. Elle embrassant Eliot Millers. Ou peut-être était-ce l'inverse ?

— Coucou, la salué-je.

— Tu veux le stage ? assène-t-elle sans préambule.

— Pardon ?

Le reste de nos amis, que je n'avais même pas remarqué, s'éloigne pour nous laisser de l'espace. Je lui ai pourtant dit qu'il ne m'intéressait pas...

— Non, bien sûr que non. J'ai un entretien demain à la galerie de la ville, lui assuré-je.

Ses bras croisés, elle ne me croit visiblement pas. Je ne comprends pas son attitude, nous sommes amies depuis suffisamment de temps pour qu'elle sache que je suis toujours honnête, non ? Alors c'est pour ça qu'elle m'a volontairement oubliée ce matin ?

— Jen...

— Tu me le promets ?

Mes yeux s'arrondissent de stupeur, je ne pensais pas que ce stage lui tenait tant à cœur, elle m'a toujours dit que les galeries d'art étaient barbantes.

Alors reviennent à nouveau les images de la veille. Peut-être n'est-ce pas spécialement le stage qui l'intéresse. Sans que je ne puisse le contrôler, la jalousie s'empare de moi, mais je la fais taire et lui adresse un sourire qui se veut sincère.

— Je te le promets.

Son regard s'adoucit et elle me serre dans ses bras avant de retourner dans sa salle de classe. J'ignore le malaise qui m'envahit à l'idée qu'elle soit prise en stage et qu'elle soit proche de Millers... Après tout, ça ne me regarde pas. J'ignore aussi la douleur qu'elle m'a infligée en me mettant à l'écart pour une simple histoire de stage.

Le couloir se vide et je réalise que, si je ne presse pas le pas, je serai en retard. Je monte à l'étage et entre dans notre atelier artistique. Mes camarades sont déjà en place et je salue silencieusement le professeur qui semble agacé par mon retard. Discrètement, je pose mes affaires à mon établi et attache mes cheveux en chignon flou tout en me dirigeant vers l'arrière-salle où je récupère mon œuvre. Si c'en est une... Hier soir, j'ai travaillé dessus jusque tard, mais je n'ai pas vraiment vu le résultat.

Je retourne à ma place et c'est là que je le vois, mais que fait-il encore dans mon groupe ? Il n'est pas censé changer de groupe chaque jour ? Il me fixe du regard, mais je préfère l'ignorer et agis comme s'il n'était pas là. En tout cas, c'est ce que j'essaye de lui faire croire, parce qu'inconsciemment, mes mains se sont mises à trembler, mon cœur à pulser et ma peau à crépiter. J'ôte le tissu humide et mes yeux s'agrandissent de stupeur. Je suis capable de ça ?

La sculpture est très ressemblante, trop même, et je sais que si mon professeur s'approche de mon établi, il reconnaîtra tout de suite le sculpteur. Je n'ai rien omis, pas même la cicatrice proche de sa tempe. Je l'effleure du bout des doigts et relève le regard, pour comparer mon œuvre d'art à son modèle.

Étonnamment, il n'est plus à sa place. Mon dos est parcouru d'une vague de frissons et je comprends que c'est sa présence derrière moi qui provoque cette réaction. Sans même le voir, il m'électrise, mais je lui en veux de me faire éprouver ça, surtout après ce qu'il s'est passé hier. Mes doigts plongent dans l'eau et je les place sur l'argile, à plusieurs reprises. Je retiens mon souffle et après avoir dégluti, laisse mes doigts passer sur son front, ses pommettes, pour en lisser le grain. Un courant électrique me transperce la colonne vertébrale. Je devine qu'il s'est approché un peu plus.

Ma respiration s'accélère et ma gorge s'assèche. Je voudrais que ce soit lui, et non pas cette sculpture, qui se trouve face à moi. Sa chaleur dans mon dos m'envahit, j'humidifie mes lèvres, et je comprends que ce que je ressens, c'est un désir profond, presque animal. Quelque chose d'incontrôlable. Par sa simple présence, sans même qu'il me touche, il arrive à me donner envie de plus. Mais c'en est assez. Quoi qu'il fasse, peu importe le jeu auquel il s'adonne, je préfère qu'il le fasse seul. Mes doigts s'enfoncent dans la matière et, un à un, ses traits disparaissent. J'efface ses yeux, ses sourcils. Avec la colère contenue depuis hier, j'écrase son nez.

Une tout autre énergie se dégage dans mon dos, je peux sentir sa colère et un léger sourire satisfait s'imprime sur mon visage. Ce que je fais lui est douloureux et je me réjouis de ne pas être la seule à pouvoir souffrir... On peut être deux.

Un courant d'air soulève les mèches échappées de mon chignon et mes yeux se ferment. La porte claque et, au lieu de me délecter de sa fuite, son absence me fait plonger dans un gouffre de solitude. Je ne comprends pas ce qu'il me fait ressentir. Je ne le connais pas, pourtant quand il quitte l'atelier, j'ai peur qu'il ne revienne jamais.

Mes paupières se soulèvent et je m'en veux d'avoir détruit ce que j'avais réussi à créer de mes doigts.

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