42. Destruction
Allongée sur le lit, le bras d'Eliot posé sur mon ventre, je tente de me donner du courage, mais à la façon dont mon cœur palpite, je sais que je m'apprête à ouvrir une porte qui ne m'apportera peut-être que du malheur. Je voudrais ignorer cette idée qui m'a été mise en tête, je voudrais pouvoir me contenter de ce qu'on a, pourtant, chaque minute me rapprochant du lever du jour me rappelle que je ne dois pas faire marche arrière. Je caresse doucement son bras, puis lentement le soulève. En retenant ma respiration, je m'extirpe du lit et récupère mes vêtements ainsi que sa veste.
Je le regarde une dernière fois, puis me détourne, me sentant coupable. J'ai le sentiment de le trahir, mais malgré tout, j'ai besoin de savoir. Mes doigts récupèrent les clés qui se trouvent dans sa veste. Mes vêtements enfilés, je me dirige à pas de loup vers la porte. Ma démarche est celle d'un condamné.
Je doute lorsque je pénètre dans l'ascenseur, j'ai peur lorsque je traverse le hall de l'immeuble. Mais une fois dans la rue, à chaque pas qui me rapproche de la galerie, je gagne en détermination. Mon cœur a beau bondir, mon ventre se retourner, ma tête sait ce qu'elle a à faire. Ma course s'accélère si bien que quand j'arrive enfin, j'ai perdu le souffle. La transpiration coule le long de ma nuque malgré la fraîcheur de cette fin de nuit. J'insère la clé, puis ouvre la porte. Mon regard se dirige vers le ciel, où le soleil commence à montrer ses premières lueurs. Je n'ai pas de temps à perdre si je veux être là avant son réveil.
Je désactive l'alarme et, sans regarder nos sculptures, je me rends jusqu'à l'atelier. Je déglutis, la gorge serrée par l'appréhension. Et s'il n'y avait rien à découvrir ? Rien qui n'ait de l'importance ? Mérite-t-il que je doute ? J'hésite lorsque j'arrive devant la porte de la remise, mais insère tout de même la clé.
Ma main vient se poser sur l'interrupteur et mon cœur me hurle de partir, pourtant, déterminée, je presse le bouton. Je ne comprends pas encore ce qui se trouve sous mes yeux, mais ce n'est certainement pas une remise.
Je m'approche de la première sculpture, les jambes tremblantes. Mes yeux dérivent sur la plaque fixée au-dessous « Jessica – Stagiaire n°1 », je passe à la seconde « Noémie – Stagiaire n°2 ». Mon cœur se brise à chaque nom, à chaque numéro, à chaque buste qui défile sous mes yeux. Je n'en peux plus et je crois bien que je vais m'écrouler. Pourtant, j'ai besoin de savoir s'il m'a traitée comme toutes ces filles. Si je ne me trouve pas dans cette pièce, je pourrais alors croire que j'étais spéciale à ses yeux. J'arrête de compter et me rends directement à la dernière rangée. En bout de file se trouve un buste de femme en apparence semblable à tous les autres, mais en m'approchant, je reconnais ce détail qui semblait tant lui plaire, celui qu'il ne se lassait pas de me faire remarquer : ma fossette. Les larmes trempent mes joues lorsque j'arrive enfin devant elle. Les yeux embués, je les essuie du dos de la main. Même si je me suis reconnue, même s'il ne peut y avoir aucun doute, je me sens obligée de vérifier, comme si je voulais me convaincre que je me faisais des idées, que tout était faux. C'est à ce moment-là que la sentence tombe : « Evy – Stagiaire n°37 ».
Mon sang se glace, mon ventre se retourne et rageuse, je la repousse en hurlant. Comment ai-je pu être aussi bête ? La colère, la douleur, la trahison, toutes ces émotions se mélangent et provoquent un véritable cataclysme. Je lui en veux d'avoir joué avec moi, de s'être servi de mes sentiments, de mon cœur. Le buste s'échoue au sol et se fissure. Je déteste qu'il m'ait représentée si heureuse, si amoureuse. Furieuse, trahie, je retourne dans l'atelier et me saisis d'un maillet. Je ne touche pas aux autres bustes lorsque je retourne dans la remise, mais je refuse de faire partie de sa collection, d'être une parmi tant d'autres. Je m'acharne à détruire son œuvre, elle n'est pas belle. Non. Elle est odieuse, cruelle. Je ne savais pas que l'amour et la haine pouvaient se succéder aussi rapidement, qu'on pouvait avoir mal au point d'oublier l'amour qu'on portait à l'autre. Pourtant, c'est le cas ici, maintenant. Pendant que le maillet s'abat sur les restes de la sculpture, j'écrase mes souvenirs de lui. Un à un, je détruis tout ce qu'il y avait de bon entre nous. Ses sourires. Ses rires. Ses promesses. Il n'y a plus rien, plus rien d'autre que les mensonges, les secrets et celui-ci est pire que tous les autres.
Les sanglots m'empêchent de respirer et je suis obligée de lâcher mon arme, je laisse éclater la boule qui m'obstrue la gorge dans un hurlement de douleur. Je ne suis pas juste blessée, je suis détruite.
Je me relève grâce au peu de force qu'il me reste. J'ai l'impression d'être sur pilotage automatique quand je sors de la pièce. Je sèche mes dernières larmes lorsque je referme la porte. Ma main ouverte laisse s'échapper du sang, mais ce n'est rien comparé à la douleur intérieure que je ressens.
Je ne sais pas comment je suis arrivée jusqu'à l'appartement, mais j'y suis et je refuse de ressentir quoi que ce soit. Peu importe s'il est là, s'il me voit récupérer mes affaires, je ne lui accorderai plus aucune importante. Je traverse le séjour et ouvre la porte de la chambre, déjà éclairée par les lueurs de l'aube.
Le lit est vide, Eliot n'est pas là. Ni ailleurs dans l'appartement et je ne sais pas si je dois me sentir soulagée ou déçue. Je m'empresse de faire mon sac et, en moins de cinq minutes, je suis prête à partir. Je ne me retourne pas pour lire la note qu'il a laissée sur le comptoir de la cuisine, je ne me retourne pas non plus pour regarder une dernière fois cet endroit où jour après jour, je suis tombée amoureuse de lui. Rien n'était vrai.
Je referme la porte derrière moi et, en baissant le regard, je me rends compte que j'ai toujours ses clés. Je m'apprête à les déposer au sol lorsque les portes de la cabine s'ouvrent sur Eliot. Je me redresse et me tiens droite et fière tandis qu'il s'approche de moi, l'air heureux.
— Tu es partie te promener ? me demande-t-il le sourire aux lèvres.
Il est beau, mais traître, menteur, manipulateur. Il me tend fièrement un magazine et je m'en saisis machinalement. Ses sourcils se froncent lorsqu'il remarque ma froideur.
— Evy ?
Son regard se dirige sur le sac accroché à mon épaule. Puis ses yeux s'ancrent aux miens, inquiets.
— Où tu vas ?
Je ne détourne pas les yeux et surélève ma main pour lui remettre ses clés. Son regard effectue des allers-retours d'elles à moi alors qu'il les récupère. C'est alors que la culpabilité se dessine sur ses traits. Il a compris. Je suis au moins rassurée par le fait qu'il puisse éprouver du remords, il est au moins humain.
Je le contourne, mais il me rattrape par le coude. Je le retire d'un coup sec et poursuis mon chemin jusqu'à l'ascenseur. Je n'écoute pas ses suppliques, ses excuses lorsque je pénètre dans la cabine.
— Je t'aime ! me hurle-t-il alors que les portes se referment.
Le problème, c'est que je ne le crois plus et ces mots qui me semblaient si beaux me lacèrent désormais le cœur. Mon regard se baisse sur le magazine que je tiens en main. Son visage est en couverture « Morgan Johnson est Eliot Millers. Le Prince de l'Argile amoureux de Lamuse. Qui est-elle ? ». Ma main retombe mollement et le livret s'échoue au sol lorsque je quitte la cabine.
Je traverse le hall de l'immeuble et attends patiemment qu'un taxi passe devant l'immeuble. Au bout de deux minutes, je hèle un taxi et m'y installe. La porte est retenue par Eliot.
— Evy, ne pars pas. Tu ne peux pas oublier ce qu'on a vécu, s'il te plaît, me supplie-t-il.
— Et qu'est-ce qu'on a vécu ? lâché-je alors. Tu ne m'as rien apporté. Rien. Si ce n'est de la destruction et du malheur.
À ses mots, Eliot se recule enfin. J'ignore la douleur que je lis dans son regard, elle me semble feinte.
— L'aéroport, s'il vous plaît, demandé-je au taxi lorsque je referme la porte.
Je ferme les yeux tandis que le véhicule s'éloigne de lui.
Il avait raison.
Je n'aurais jamais dû le suivre.
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