40. Jalousie

Mes parents sont repartis deux jours plus tard, ravis de leur séjour à mes côtés. La semaine se déroule paisiblement et même amoureusement. Nous avons mis les choses à plat concernant sa jalousie envers Alexander.

Alors que je suis en train de rêvasser à mon bureau, les portes de la galerie s'ouvrent sur une sublime blonde au teint hâlé. Elle retire ses lunettes et m'adresse un grand sourire en s'approchant de moi.

— Bonjour, Morgan est là ? me demande-t-elle joyeusement.

J'essaye de la détailler avec discrétion, mais c'est difficile tant elle est belle, digne d'une couverture pour Vogue. Ses grands yeux bleus n'expriment que de la gentillesse et beaucoup de tendresse au moment où elle prononce son prénom.

— Bien sûr, qui dois-je annoncer ?

— Dites-lui juste que sa meilleure amie est rentrée à la maison ! s'exclame-t-elle ravie.

Sa meilleure amie ? Celle avec qui il a eu une histoire ? Je masque mon trouble du mieux que je peux et lui annonce que je vais le prévenir.

Je traverse à pas rapides la pièce pour me rendre à l'atelier. Mon cœur cogne dans ma poitrine et je sais que je ressens de la jalousie à l'égard de cette fille, mais je la fais taire. Après tout, Eliot m'a dit que tout était terminé entre eux. Je toque à la porte et il m'invite à entrer.

Je me racle la gorge et tente d'avoir l'air la plus détendue possible.

— Ta meilleure amie est là, l'informé-je.

Sa tête pivote sitôt ma phrase terminée.

— Janis ?

— Je ne sais pas, une grande blonde aux yeux bleus.

— Janis ! répète-t-il le sourire aux lèvres.

Il quitte ce qu'il était en train de faire et me dépasse pour gagner la salle d'exposition. Je le suis et leur embrassade me retourne le ventre. Se souvenant de mon existence, il se retourne vers moi et m'invite à avancer, ce que je fais sans me faire prier. Mon cœur bondit à l'idée de ce qui va suivre.

— Janis, je te présente ma stagiaire, Evy.

Une pensée sournoise se met à tourner dans ma tête, j'aurais voulu qu'il me présente comme sa copine, surtout à elle. Je me sens pathétique de penser ça, alors que c'est ce qui était convenu et qu'auprès des autres, cela ne me dérange pas.

— Enchantée, Evy. Ton stage se passe bien ?

— Oui, très, dis-je, sincèrement.

— Il prendra fin dans un peu plus d'une semaine, ajoute Eliot.

D'accord, si ça ce n'est pas de la douche froide, je ne sais pas ce que c'est. Je maintiens mon sourire de façade et m'excuse avant de retourner dans mon bureau. De là, je les entends rire, papoter et je ne peux m'empêcher de grimacer. La jalousie ne me va pas du tout.

Plus d'une heure après, elle s'en va et ma colère est à son paroxysme. Eliot toque contre la porte du bureau entrouverte.

— Je ne serai pas disponible ce soir, m'annonce-t-il sa veste déjà en main.

Ma mâchoire se contracte, mais je lui souris tout de même. Ses sourcils se froncent et je devine que mon jeu n'était pas si bon que je l'espérais.

— Quoi ? s'agace-t-il.

— Rien, dis-je sur le même ton.

— Ne mens pas.

Je soupire exagérément en lui faisant signe de laisser tomber.

— Evy..., grogne-t-il.

Très bien, s'il veut avoir une dispute puérile, il va être servi.

— Tu as l'air pressé de me voir partir on dirait, lâché-je pour débuter.

— Pardon ?

­­— Il prendra fin dans un peu plus d'une semaine, l'imité-je, mauvaise.

Le fait qu'il se soit empressé de mentionner ma date de péremption m'a profondément blessée. Je sens les larmes s'agglutiner au coin de mes paupières, mais je les ravale.

­— Ce n'est pas... c'était pour brouiller les pistes, se défend-il en se passant une main dans sa barbe mal rasée.

— C'est ta meilleure amie... tu aurais pu le lui dire, juste à elle.

Je sais que je mens. C'est plutôt parce qu'elle est son ex que j'aurais voulu qu'elle le sache, mais de toute façon, j'en ai marre de devoir le cacher. Ce secret devient une torture, je m'en suis voulu d'avoir menti à mes parents, je voulais leur dire et je suis heureuse que mon père ait deviné par lui-même. Mais Eliot, lui, semble effrayé à l'idée que tout soit dévoilé.

— Tu sais très bien pourquoi je fais ça. Morgan...

— Arrête, le coupé-je. Cette histoire de Morgan, d'Eliot, c'est en train de me rendre dingue, dis-je en me relevant de ma chaise. Je vais rester dans l'ombre combien de temps ? Qu'on se cache de ton père, je peux le comprendre, qu'on ne s'affiche pas publiquement, ça aussi. Mais...

— Mais quoi ? me coupe-t-il à son tour. Tu savais dans quoi tu t'engageais, tu savais que nous deux ça ne serait jamais..., s'énerve-t-il.

— Non, m'exclamé-je encore plus fort que lui. Pas jamais, je pensais qu'avec du temps, que lorsque tu verrais à quel point nous deux c'était sérieux, tu prendrais des risques pour moi. Juste une fois !

Mon pouls s'est accéléré et je comprends alors que tout ce temps, je me mentais à moi-même. Dans notre bulle, ce secret était vivable, mais de retour dans le monde réel, le constat est tout autre. Ce secret est un poids.

— Ce n'est pas le cas, lâche-t-il.

Cette fois, mon cœur s'est arrêté. Je ravale la boule qui m'obstrue la gorge. Je fais taire la peine pour laisser parler la colère.

— Et quoi ? Je vais rester la femme d'à côté ? Celle de l'ombre qui t'observera de loin fonder ta famille dans cet univers qui toi-même t'étouffe ? Je vais rester la pute du sculpteur ? Et tous les deux-trois ans on organisera une petite expo pour montrer aux gens à quel point on s'aime ? demandé-je sarcastique.

— On s'était mis d'accord, rage-t-il.

Je ne peux réprimer un rire amer. D'accord ? Naïvement, j'avais pensé que les choses changeraient, qu'elles évolueraient pour le mieux. Si une relation clandestine est euphorisante au début, elle devient ensuite étouffante.

— Je refuse de vivre ça ! lâché-je, incapable de retenir les larmes plus longtemps.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? Partir après m'avoir dit à quel point je te rendais vivante ?

— Ne te sers pas de ça. Parce que là, au moment T, ce n'est pas le cas. Là, tu me tues.

— Evy...

Je récupère mon sac et le bouscule pour quitter la galerie. Les portes s'ouvrent et j'inspire l'odeur nauséabonde de la ville, les pots d'échappement, les stands de nourriture. Je déteste ça, la ville, les gens. Ils m'oppressent, me donnent l'impression d'étouffer. J'avance d'un pas, mais cesse mon avancée lorsque je me retrouve face à la dénommée Janis.

Je sèche mes larmes et la salue.

— Vous n'êtes pas que sa stagiaire, n'est-ce pas ?

À la façon dont sa voix se casse, je comprends qu'elle l'aime, elle aussi. Des bruits de pas se font entendre dans mon dos et je la salue avant qu'Eliot ne m'ait rejoint.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top