34. Le gala
D'un œil amusé, Eliot m'observe. Je suis nerveuse et, à chaque mètre parcouru par le véhicule, mon anxiété s'accroît.
— J'étais obligée de venir ? demandé-je pour la énième fois.
— Où est passée la joueuse que j'ai croisée quand nous avons quitté l'appartement ?
— Piétinée par ses talons de douze.
— Qu'avez-vous fait de ma copine ? se moque-t-il en attrapant ma mâchoire pour faire pivoter mon visage.
Il n'y a aucune douceur dans ce geste. Il m'écrase littéralement les joues me donnant probablement une tête de poisson. Malgré ça, je ne peux m'empêcher de sourire à l'entente de cette dénomination.
Il me relâche brusquement le visage lorsqu'un portier vient à notre rencontre.
— Où est passé le joueur que j'ai croisé tout à l'heure ? me moqué-je.
— Evy, me gronde-t-il. Ce n'est pas amusant. Ce n'est pas un jeu.
Le ton sec de sa voix me fait ravaler mon sourire. Il fait signe au portier de venir m'ouvrir, puis à l'aide de la main que ce dernier me propose, je m'extirpe du véhicule. Je ne faisais qu'une pointe d'humour, mais la façon dont il m'a remballée me vexe. Je suis peut-être immature de réagir ainsi, mais je ne l'attends pas. Encore moins quand, après avoir remis les clés au voiturier, il m'appelle par mon nom de famille.
J'ai accepté la situation, mais rien ne m'oblige à la subir. Si moi aussi je peux la jouer indifférente, pourquoi devrais-je m'en priver ?
— Bonsoir, me salue une hôtesse à l'entrée.
— Bonsoir, je suis avec El..., Morgan Johnson, me corrigé-je. Evy Benedict.
L'hôtesse regarde sur la liste alors qu'Eliot me rejoint. Elle me signifie d'un geste de la main que je peux entrer et je n'attends pas pour le faire.
— Morgan Johnson, l'entends-je énoncer sans perdre de temps.
Il se retrouve rapidement à mes côtés et me retient par le coude.
— Qu'est-ce que tu fais ? me demande-t-il les dents serrées, à voix basse.
— Et toi ? osé-je en fixant tour à tour sa main puis son visage.
Il me relâche aussitôt, non sans cesser de me fusiller du regard.
— Ne fais pas l'enfant, s'agace-t-il.
— Alors ne me traite pas comme tel, réponds-je sur le même ton.
Je le quitte des yeux pour observer la pièce que je n'avais même pas pris le temps de regarder. La salle est immense, de nombreuses tables rondes sont disposées de façon à laisser un espace vide. Probablement la piste de danse. De chaque côté, des buffets proposent champagne et mets fins.
Les invités sont tous vêtus des plus belles tenues que je n'ai jamais vues. Les femmes sont élégamment coiffées et leurs robes sont dignes des plus beaux défilés. Je me regarde discrètement et je ressens de la fierté à ne pas dénoter. Je semble faire partie de cette masse de gens et on ne me remarque pas.
Je m'y dirige, le pas assuré, alors qu'en réalité je voudrais juste me cacher dans un trou de souris. Je le ferais si je pouvais, mais je refuse de faire honte à Eliot. L'organza de ma robe vole dans un bruissement léger tandis que j'arrive devant le buffet. Je me saisis d'une coupe de champagne et observe attentivement les différentes mises en bouche proposées. Par crainte de ne pas aimer ce qui est proposé, je ne prends pas de risque et me contente de ma boisson.
Je me retourne et me retrouve nez à torse avec Eliot. Il se décale légèrement pour donner l'impression que nous n'échangeons que de simples paroles cordiales.
— Je suis désolé, murmure-t-il. Cette soirée, elle m'angoisse. Je...
Ma tête pivote et je l'observe, alarmée par le ton de sa voix. Son regard s'est radouci et je secoue la tête pour lui signifier que ce n'est rien. Il soupire de soulagement et détourne le visage. Il fait bien, parce que je crois que j'étais à deux doigts de le prendre dans mes bras pour le rassurer.
L'heure suivante, il me présente aux personnes que nous croisons. Je parle peu, le laissant mener les conversations et me contente de deux ou trois mots lorsqu'on s'adresse à moi. Au bout d'une heure déjà, mes pieds souffrent le martyre à force d'être debout, statique. Je salue donc le promoteur immobilier à qui nous parlons pour aller me dégourdir les jambes.
Un aller-retour aux toilettes plus tard, je retourne dans l'immense salle. Au vu des personnes présentes sur la piste de danse, je devine que l'heure du repas n'est pas près d'arrivée. Je balaie la pièce du regard sans trouver Eliot.
— Vous ici, me dit une voix qu'il me semble reconnaître.
Lorsque je me retourne, je suis surprise de voir Alexander, le journaliste que j'avais rencontré lors du vernissage il y a tout juste une semaine.
— Vous ici, l'imité-je.
Contrairement à la dernière fois, il est aussi classe que tous les hommes présents et ses cheveux blonds sont soigneusement peignés.
— Votre stage se passe toujours aussi bien ? me demande-t-il, amusé.
— Plutôt, oui, éludé-je.
S'il savait tout ce qui m'est arrivé, il s'empresserait de pondre un bel article.
— Comment est-ce de travailler avec le fils Johnson ? me demande-t-il en pointant d'un coup de menton l'autre côté de la pièce.
Je suis son regard et tombe sur Eliot qui me fixe intensément. Je lui fais les gros yeux et il détourne la tête, enfin conscient qu'il manquait de discrétion.
— Divertissant et épuisant, feins-je l'exaspération.
Alexander se met à rire, puis me propose son bras que je saisis volontiers. Alors que nous nous dirigeons vers la piste de danse, je tente de le retenir en arrière, mais il poursuit son avancée.
— Alexander, l'appelé-je discrètement.
— Une robe comme celle-ci est faite pour danser, Evy, me sourit-il complice.
Une nouvelle musique démarre et j'observe le chanteur commencer son morceau.
— C'est Trey Songz ? demandé-je, ébahie.
— Bienvenue à Manhattan, Evy, s'amuse-t-il alors que nous arrivons sur la piste.
Sa main se niche dans mon dos et il attrape l'autre alors qu'il commence à me faire danser. Ses yeux bleus ne me quittent pas, alors je détourne les miens, gênée. Les accords de guitare nous donnent le rythme, j'aime beaucoup « Simply amazing » et ne peux m'empêcher de chanter à voix basse sous l'œil amusé de mon partenaire.
Je parcours la salle du regard jusqu'à ce qu'il tombe sur Eliot au bras d'une blonde qui se dirige à son tour vers la piste. Ses yeux me laissent deviner que sa seule manœuvre est de me faire enrager, alors que mon but n'était que d'accorder une danse à un gentil garçon et de m'amuser. Je détourne les yeux, lassée d'entendre la blonde rire toutes les deux secondes.
Notre danse se poursuit et Alexander me fait tourner une fois, puis deux, mais très vite, je n'ai plus à cœur de danser. Mes pas cessent et à nouveau j'observe Eliot.
— Je suis désolée, je suis restée beaucoup trop longtemps debout, mens-je auprès d'Alexander qui suit la direction de mon regard.
— Je vois.
Lorsque ma tête pivote, je ne décèle que de la compassion dans son regard et je m'en veux de m'être montrée si transparente. Je le salue et l'abandonne sur la piste de danse.
J'agrippe les pans de ma robe et slalome entre les tables. Je m'approche du buffet et saisis une coupe de champagne. Les bulles ont l'avantage de faire diminuer la boule qui s'est logée dans ma gorge.
— Vous êtes venue.
À cette phrase, je me retourne et suis surprise de me retrouver nez à nez avec le père d'Eliot.
— Je ne pensais pas que mon fils vous emmènerait, me dit-il en souriant.
Malgré ce qu'il veut me faire croire, je ne décèle aucune sympathie dans son sourire. Il me semble faux, exagéré.
—Je ne me suis pas présenté la dernière fois, ajoute-t-il. Je suis Lionel Johnson. Et vous êtes ?
— Evy Benedict, je suis sa stagiaire.
— Sa stagiaire, répète-t-il, amusé.
Je ne réponds rien et me contente d'un geste gauche de la tête.
— Père, le salue Eliot en prenant place à mes côtés. Où est mère ?
— Elle était un peu malade.
À ces mots, je sens instantanément l'atmosphère changer, se charger d'électricité. Eliot se raidit et s'avance d'un pas.
— Elle était malade ou l'as-tu rendue incapable de venir jusqu'ici ?
Mes sourcils se froncent et mon regard passe de l'un à l'autre.
— Mademoiselle Benedict, on en a fini ici, dit Eliot à mon attention.
Mais et le repas ? ai-je envie de lui dire. Mais je n'en fais rien alors qu'il se précipite vers la sortie. Je salue Johnson père et m'apprête à rejoindre son fils lorsque mon bras est retenu d'une poigne puissante.
— Ne prenez pas vos rêves pour la réalité, mademoiselle. Comme vous l'avez dit, vous n'êtes que sa stagiaire. Vous finirez comme toutes les autres, sur le bas-côté.
Je perçois la menace dans sa voix, mais plus que ça encore, je sens ses doigts me serrer avec tant de force qu'ils arrivent à m'arracher quelques larmes de douleurs. Je comprends alors ce qu'Eliot insinuait quant à l'état de sa mère. Je repense aux marques qui marbrent son dos et un frisson me parcourt l'épine dorsale à l'idée que cet homme en soit le responsable.
— Vous n'êtes personne pour me dire lequel de mes rêves est réalisable ou pas, Monsieur Johnson. Maintenant, laissez-moi, lâché-je froidement.
À ses mots, il libère mon bras, non sans me fixer de façon haineuse.
Je recule d'un pas et pivote pour m'éloigner. Malgré la douleur dans les pieds, je traverse la pièce d'un pas rapide tout en me massant l'avant-bras. Ma peau est rougie là où sa main m'a retenue, mais je le masque du mieux que je peux lorsque je passe devant Alexander qui m'observe la mine inquiète. Je le salue d'un mouvement de tête et quitte la grande salle. Je ne sais pas à quoi je m'attendais en venant ici, mais certainement pas à ce que la soirée prenne une tournure pareille à peine une heure après notre arrivée.
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