33. Cendrillon
Evy :
Il nous a fallu un jour pour établir le plan de l'exposition et définir les œuvres que nous voulions élaborer. Nous avons décidé que six pièces seraient créées à deux et que nous devrions chacun réaliser deux sculptures supplémentaires. Les deux jours suivants, nous avons commencé à travailler sur la première pièce. Deux bustes nus, enlacés, pas de visages pour celle-ci. Bien sûr, c'est prévu, mais nous devrons modifier nos traits pour ne pas être reconnaissables. Quelque part, je trouve cela amusant de savoir que les gens ne se douteront pas que les artistes seront dans la même pièce qu'eux le soir du vernissage.
Je sors de la salle de bains, mes cheveux goûtant sur mes épaules, je me dirige vers la boîte qui m'a été livrée ce matin pour le gala qui aura lieu dans quelques heures. Je suis angoissée, mais en même temps surexcitée. Pour la première fois, je n'ai pas râlé en recevant un présent de sa part. Pour ce genre de soirée, je lui fais confiance. C'est une robe couleur rubis et elle est magnifique. Je suis sûre qu'elle mettra en valeur la blancheur de ma peau. Autrefois, j'aurais tout donné pour avoir un teint hâlé. Je me trouvais toujours trop pâle, trop fade, mais grâce à Eliot, je commence à aimer mon aspect et ce qui me caractérise.
J'attrape un sèche-cheveux au moment où quelqu'un frappe à la porte. Je resserre les pans de mon peignoir et traverse l'appartement. Un coup d'œil dans le judas m'informe que je ne connais pas les deux personnes qui attendent patiemment devant la porte. Timidement, je l'ouvre et passe uniquement ma tête dans l'entrebâillement.
— Cinderella ? me demande une blonde au visage rayonnant.
Ses grands yeux bleus sont mis en valeur par un maquillage discret. Elle doit faire une tête de moins que moi et, si je devais la comparer à quelqu'un, ce serait la fée Clochette.
— Pardon ?
— On est venu vous coiffer et vous maquiller. Ordre de Monsieur Johnson, ajoute la seconde.
L'autre jeune femme est rousse aux cheveux courts, mais élégamment coiffés. Elle est beaucoup plus grande que la première et arbore un look motard et de nombreux piercings sur le visage.
— Je suis Mary, je vais m'occuper de vos cheveux, poursuit-elle.
— Et moi Elena, je vais me charger de votre mise en beauté.
Je les regarde tour à tour, les yeux écarquillés.
— Je...
— On peut rentrer ? s'exclame joyeusement la petite fée.
— Euh... oui, allez-y, capitulé-je tant je suis surprise.
La prénommée Elena m'attrape par la main et me conduit à sa suite en me demandant où se situe ma chambre. Suivies de près par la jolie rousse, nous nous installons devant ma coiffeuse dont elle couvre le miroir, pour l'effet de surprise selon elle. Elle en fait de même avec le grand miroir sur pied qui est dans un coin de la pièce.
Leur attirail en main, Mary n'attend pas pour sortir ses ciseaux et autres accessoires. Je la regarde, inquiète, mais elle me rassure quant à la longueur qu'elle coupera. Je touche du bout des doigts les pointes de mes cheveux, mais j'opine du chef, totalement confiante. Elle m'installe brutalement sur la chaise et je me demande alors si elle est venue me coiffer ou me torturer.
Alors qu'elle se met à couper, désépaissir, Elena récupère l'une de mes mains, avec plus de douceur que sa collègue, et s'attelle à soigner mes ongles.
La séance dure plus de deux heures, mais je ne trouve nullement le temps long. Les deux jeunes femmes sont agréables et amusantes. Très vite, elles me demandent de les tutoyer et nous bavardons comme de vieilles copines. Nous parlons de leur parcours difficile jusqu'à ce qu'elles viennent à être demandées par tout le gratin new-yorkais. J'apprends qu'elles sont sœurs et ont débarqué du Montana il y a trois ans. Peu à peu, elles se sont fait leur réseau. Elles me racontent quelques anecdotes croustillantes avec des célébrités en se gardant de me donner leurs noms.
Quand tout est terminé, elles m'aident à enfiler ma tenue. Grâce aux talons que je porte, elle ne traîne pas au sol. L'ourlet le frôle seulement, me donnant l'impression de flotter. Le col en V de la robe empire dévoile légèrement ma poitrine sans pour autant être indécent. Le jupon quant à lui est fourni d'organza, la rendant bouffante et la faisant bruisser à chaque pas. J'ai l'impression d'être une princesse.
— Prête ? me demande Elena en me tenant la main pour me conduire jusqu'au grand miroir sur pied.
J'acquiesce, la boule au ventre. Et si le résultat ne me plaisait pas ?
D'un geste théâtral, Mary retire le drap cachant mon reflet et je me découvre. Ébahie, je ne trouve rien d'autre à faire qu'ouvrir la bouche sans arriver à émettre le moindre son. J'ai l'impression d'être une tout autre personne. Pourtant je reconnais bien mon regard et les traits qui composent mon visage. Comme je le pensais, la couleur rubis met parfaitement en valeur mon teint et ma chevelure brune. Mes cheveux ont été légèrement raccourcis et ondulés. Pas de coiffure élaborée pour moi, je suis trop jeune pour ça m'a dit Mary lorsque je lui ai demandé ce qu'elle comptait faire, mais j'en suis ravie parce qu'Eliot m'a dit un jour qu'il me préférait les cheveux lâchés.
Mes paupières sont ombrées et rendent mes pupilles plus claires, agrandissant mon regard. Un rouge à lèvres de la même teinte que ma robe me donne l'impression d'avoir une bouche plus pulpeuse qu'en réalité.
Elena me fait faire un tour sur moi-même et je peux voir qu'une pince discrète dégage ma nuque et mon dos nu, laissant apparaître mes omoplates. Je suis époustouflée par ce qu'elles ont réussi à faire, mais j'ai peur que ça soit beaucoup trop excessif.
— Ce n'est pas trop ? osé-je en regardant Mary toujours à côté du miroir qui m'observe avec beaucoup de bienveillance.
— Crois-moi ma belle, dans ce genre de soirée, ce ne sera jamais assez.
Elle fait un aller-retour jusqu'à la coiffeuse et revient, un flacon de parfum dans les mains.
— La touche finale, me dit-elle amusée en ouvrant son autre main dans laquelle elle tient une paire de boucles d'oreilles et un pendentif.
De jolis petits diamants, très discrets. Je les mets un à un, puis Mary applique le parfum.
— Tu vas tous les faire craquer, s'extasie Elena.
Je me garde de leur dire qu'il n'y en a qu'un que j'espère rendre fou et leur souris, reconnaissante.
La sonnerie de la porte interrompt notre échange silencieux.
— Bien, notre devoir s'arrête ici. Le tien consiste à t'amuser et à briser des cœurs, s'exclame Elena, me faisant rire.
Mes deux amies du jour ramassent leurs affaires et m'envoient un baiser avant de quitter la chambre. Je ne lâche pas mon reflet du regard, m'admirant. Suis-je égocentrique de me trouver belle ? Je n'ai jamais rien porté de si sublime, même pour mon bal de promo. Mon copain de l'époque n'était pas très « conventions sociales » et avait donc décidé que ce n'était qu'une fête parmi tant d'autres. Je n'ai pas acheté de belle robe, jugeant que ce serait étrange alors que mon petit-ami porterait un simple jean. Avec le recul, on s'était beaucoup amusé et je ne regrette pas vraiment de ne pas avoir dépensé une somme indécente pour une simple soirée.
Je décide d'arrêter là ma contemplation et récupère ma pochette avant de quitter la chambre. Eliot m'attend nerveusement à l'entrée. Les claquements de mes talons sont interrompus par sa vision. Je suis habituée à le voir habillé de façon distinguée, mais aujourd'hui c'est encore un cran au-dessus. Il est magnifique et très classe. Un nœud papillon vient parer son cou et son complet noir lui donne une allure légèrement sauvage. Lorsque je relève les yeux sur ses iris, je les surprends à me détailler, le regard avide.
Enfin, nos regards se croisent et je le devine époustouflé, les yeux brillants.
— Tu es magnifique, souffle-t-il.
À ces mots, je suis sûre que mes joues ont pris la même teinte que ma robe. Pour la jouer décontractée, je tourne sur moi-même façon mannequin dans un défilé et mon cœur se gonfle à l'entente de son rire.
— J'ai envie de t'embrasser, mais je ne voudrais pas gâcher ton maquillage, lâche-t-il sérieusement.
J'arrête de tourner et l'observe attendrie. Il s'approche lentement de moi et me prend dans ses bras. Je me laisse aller contre son torse tandis que sa main prodigue quelques caresses à mon dos nu. Je soupire de bien-être et je regrette cette soirée que je voudrais passer dans ses bras.
— Ça va être une torture de ne pas pouvoir te toucher, geint-il théâtralement.
— Je vais mourir sans vos baisers, mon Prince, exagéré-je, toujours blottie contre lui.
— Et si on restait là ?
Je ne peux m'empêcher de rire en tapotant son bras. Le sérieux avec lequel il me dit ça me perturbe toutefois, mais je le cache pour ne pas lui montrer à quel point je suis nerveuse. Sa main exerce des pressions de plus en plus fortes, me laissant imaginer ce qu'il prévoirait de me faire et aussitôt, toute anxiété s'évapore.
— Quel dommage que ce dîner soit obligatoire, m'amusé-je.
Je le repousse gentiment et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Au diable ma mise en beauté. Ses mains prennent mon visage en coupe et nos regards se soudent.
— Je t'ai dit que tu étais magnifique ? me demande-t-il le plus sérieusement du monde.
— Je crois oui, murmuré-je, troublée.
Nous nous détachons l'un de l'autre, conscients que, de toute façon, il nous faudra y aller. Une main au creux de mes reins, il me conduit jusqu'à la porte.
Nous quittons l'appartement et, main dans la main, nous nous rendons dans l'ascenseur. Elles se tiennent fermement, parce que nous savons que nous n'aurons aucun contact de la soirée. Mon regard s'abaisse sur sa main tremblante et se redresse pour le questionner, mais il détourne la tête.
— Tout va bien ?
— Juste un peu fatigué, me rassure-t-il en souriant. On a beaucoup sculpté hier.
Je ne peux pas pousser plus mes interrogations puisque nous arrivons au parking. Je suis surprise que cette fois-ci nous nous y rendions par nos propres moyens. Gentleman jusqu'au bout, il m'ouvre la portière et m'aide à m'installer. Une fois seule dans l'habitacle j'expire un bon coup. Allez, ça va le faire !
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