29. Un espoir vain

Je suis dans la chambre, la parcourant dans tous les sens à la recherche de mes affaires dispersées. Je me fous de ce stage, je préfère encore rater mon année que rester une minute de plus ici. J'ouvre le placard et en sors mon sac, j'y enfourne tout ce qui m'appartient. Tout sauf ses robes. Qu'il les offre à une autre.

Je retiens mes larmes, il m'a menti, mais je ne comprends pas pourquoi. Mon regard dérive sans que je le veuille sur mon ordinateur. Je souffle un bon coup pour me donner du courage et me dirige vers lui, laissant en plan mon rangement. Je le récupère et m'assois sur le lit avant de l'ouvrir.

J'ouvre le navigateur et, les doigts tremblants, je saisis son nom. Son véritable nom. Morgan Johnson. Comment ai-je pu me laisser ainsi berner ? Pourquoi n'ai-je rien remarqué ?

Rapidement, de nombreuses pages me sont proposées. Je me dirige sur l'onglet Images, pour être sûre qu'il s'agit bien de lui. Dans l'espoir que, peut-être, j'aie mal interprété les mots de cet homme, la réaction d'Eliot, mais non, il n'y a pas erreur, je n'ai pas mal compris... C'est lui. Si nos mondes semblaient différents lorsque je le pensais simple artiste ayant réussi, ces photos m'indiquent à quel point j'étais loin de la réalité. Sur les clichés, il est toujours accompagné du gratin new-yorkais lors de galas de charités, d'inaugurations. C'est peut-être pour ça qu'il disait quelque chose à Jenny. Moi, la presse people ne m'a jamais intéressée. Aujourd'hui, je le regrette, je l'aurais peut-être reconnu.

Le cœur battant, je clique sur un lien menant à sa biographie. Fils de Lionel Johnson. Là aussi il m'a menti. Son père est bien l'homme que j'ai vu à la galerie. On ne peut pas faire plus vivant... L'article m'informe qu'Eliot est issu d'une famille bourgeoise. Son père semble réussir dans tous les domaines, que ce soit financier, immobilier ou même dans la restauration. J'étouffe un rire lorsque je découvre que le restaurant où nous étions hier soir appartenait en fait à Eliot. Ou devrais-je dire Morgan.

Je me gratte nerveusement les cheveux, je ne réalise pas ce que j'apprends, la vérité m'est tombée dessus sans que je puisse l'appréhender. Je n'ai ni l'envie de pleurer ni celle de hurler, je suis juste totalement abasourdie. Je ne veux pas pousser plus loin mes recherches, je n'ai que faire des autres mensonges qu'il a pu me raconter. Je referme brutalement mon ordinateur, puis me lève du lit. Je le range brusquement dans mon sac et termine de récupérer mes affaires.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Dos à la porte, je ne l'ai pas entendu arriver. Mes gestes se suspendent et ma respiration se bloque. Je voudrais lui lâcher une réplique acerbe, lui demander de sortir, mais j'ai bien trop peur que ma voix trahisse ma douleur. Alors, je ne lui réponds pas et continue de lui tourner le dos tout en rangeant mon chargeur de téléphone. Je suis fébrile, les nerfs prêts à lâcher.

— Evy...

J'ignore la détresse contenue dans sa voix. J'ignore la boule qui m'obstrue la gorge. J'ignore tout, jusqu'à mon cœur fissuré.

— Parle-moi, souffle-t-il.

Je le remercie néanmoins de rester sur le pas de la porte, de ne pas chercher à m'envahir plus qu'il ne le fait déjà en étant entré dans l'appartement.

— Je pars, me contenté-je de dire, la voix tremblante.

Je n'arrive pas à prononcer d'autres mots, ceux-là sont les seuls qui filtrent avant que les sanglots ne menacent.

— S'il te plaît, je peux tout expliquer.

Un rire las m'échappe dans un souffle. La peine se retrouve teintée d'amertume à ces paroles.

— M'expliquer quoi, Morgan ? demandé-je en lui faisant face.

Je le sens se tendre à cette appellation. Oui, moi aussi ça me fait le même effet. Mais le nommer ainsi me permet de garder une certaine distance, comme s'il n'était plus qu'un inconnu.

— C'est bien comme ça que tu t'appelles, non ? Et ton père n'est pas mort... Sur quoi m'as-tu menti encore ? Es-tu marié ? As-tu des enfants ?

À chaque question, ma colère fait surface.

— J'étais quoi ? Un jeu ? Une distraction ?

À chaque question, son silence se fait plus assourdissant.

— Réponds-moi, putain ! Dis-moi quel était le but de tout ça ! Combien de temps ça allait durer au juste ? Un mois ? Deux ?

— Il n'y avait aucun but, il... Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça, lâche-t-il brusquement.

— Alors, explique-moi ! hurlé-je.

La peine n'est plus teintée d'amertume, elle l'est à présent de colère.

— Je n'aurais jamais dû rester toute une semaine là-bas, je n'aurais jamais dû te rencontrer.

J'aurais finalement préféré qu'il ne le fasse pas. Je détourne le regard, que je n'avais pu poser que sur ses épaules. Je ne voulais pas risquer de croiser le sien.

— Pourtant c'est ce qui s'est passé et je n'ai pas pu partir, pas sans toi.

Mes poings se resserrent et mes ongles s'enfoncent dans mes paumes. Plus mon cœur bat, plus ils pénètrent ma peau. Cette douleur ne me soulage même pas. Du coin de l'œil, je le vois amorcer un pas dans ma direction, mais je recule aussitôt. Je ne veux pas qu'il me touche. Il ne faut pas qu'il me touche.

— J'aimais être Eliot. Tu ne m'aurais même pas regardé si tu avais su qui j'étais réellement, tu m'aurais jugé. Il n'y a qu'à voir comment tu te comportais dans la boutique, tu juges ceux comme moi, ceux qui naissent avec des privilèges, me reproche-t-il.

Mes yeux se ferment parce qu'il dit vrai. Je ne les déteste pas, mais je les juge. J'ai vu mes parents galérer, alors voir que d'un claquement de doigts, certains s'achètent n'importe quel service a tendance à me mettre hors de moi. Et les fils de, encore plus. Eux n'ont jamais eu à voir leurs parents se sacrifier pour permettre à leurs enfants de poursuivre leurs études.

— Mais tu t'es intéressée à moi et pas au reste. Tu as fait abstraction du milieu dans lequel j'évoluais. Tu me voyais tel que j'étais.

J'attends la suite, une preuve qu'il comptait me le dire tôt ou tard.

— Ensuite, je t'ai emmenée avec moi et je ne savais absolument pas comment tout t'avouer. Je devais tout te dire avant le vernissage, mais ça ne s'est pas vraiment déroulé comme prévu. J'ai couché avec toi et ça a tout changé, lâche-t-il contrarié.

— Et pourquoi ça ? demandé-je amère au ton de sa voix.

— Parce que c'est devenu beaucoup trop compliqué. Ça non plus ça n'était pas prévu, je ne sais même pas pourquoi je t'ai emmenée avec moi, alors que je savais que ça nous mènerait là.

Ces derniers mots ne sont qu'un murmure presque inaudible, mais je les ai entendus et j'ai peur d'en avoir compris leur sens.

— Qu'est-ce que tu es en train de me dire ?

Il soupire et baisse la tête. J'inspire parce qu'il n'a pas besoin d'en dire plus, nos vies sont bien trop différentes. Lorsque j'étais dans l'ignorance, il pouvait prétendre que quelque chose était possible, mais plus maintenant.

— On ne peut pas être ensemble, Evy.

J'opine du chef, la boule obstruant ma gorge ne faisant que grossir. Je l'avais compris, mais l'entendre l'énoncer reste douloureux. Il y a deux minutes, j'aurais pu le haïr, mais à présent, je n'y arrive plus.

— Je suis tellement désolé, me dit-il, peiné.

Moi aussi, mais j'aurais préféré savoir tout ça bien avant. Si j'avais su qu'il ne me rattraperait pas, je ne me serais jamais laissée tomber en arrière.

— Je représentais quoi pour Eliot ? demandé-je pour approfondir la plaie qui balafre mon cœur.

— Un espoir vain, lâche-t-il en relevant son regard vers moi.

— Pourquoi ?

Seul le silence me répond. Mes yeux s'ancrent aux siens, comme s'il ne pouvait en être autrement. Mes dents saisissent l'intérieur de ma lèvre et mes paupières s'abaissent de façon frénétique dans une tentative de faire disparaître les larmes qui ne demandent qu'à sortir, qu'à s'échapper.

Il le remarque et je perçois de la douleur dans ses yeux, mais plutôt que de me satisfaire, elle accentue la mienne.

Je déglutis, pour chasser le trouble qui s'est emparé de moi. Je voudrais me jeter dans ses bras, faire disparaître les vingt dernières minutes. Hélas dans notre monde, il n'y a pas de machine à retourner le temps.

— C'est ce que tu comptais me dire ce soir ?

Il acquiesce, tête baissée, main dans les poches. Les miennes, elles, sont venues m'entourer. Elles s'agrippent fermement à mon t-shirt pour se retenir de tenter un geste dans sa direction.

— Tu comptais rompre aussi ?

— Ouais, lâche-t-il dans un souffle.

Les larmes ne m'obéissent plus et dévalent mes joues. Un rire douloureux s'échappe de ma gorge, parce que je réalise que de toute façon, tout se serait arrêté aujourd'hui.

Je m'assois sur le lit, en séchant mes joues d'un revers de main, mais c'est inutile car aussitôt, elles se retrouvent humides. Lui n'a pas bougé, il est immobile.

— Pourquoi avoir fait ça si la fin était inévitable ?

— Je voulais être heureux, même si ce n'était qu'éphémère.

Et moi ? Ne s'est-il pas dit que j'en souffrirais ?

— Tu devrais rentrer chez toi, dis-je, rompant le silence.

Tu devrais partir. On devrait oublier cette parenthèse qui n'aurait jamais dû exister.

— Evy...

Un sanglot m'échappe et je lui en veux d'avoir pris autant de place en si peu de temps.

— S'il te plaît.

— Ne pars pas, me supplie-t-il.

Mon corps s'anime et je me relève.

— Que je ne parte pas ? Et pourquoi ça ? demandé-je en me rapprochant de lui. Pourquoi je resterais ? Tu me l'as dit toi-même, c'est terminé et je ne supporterai pas de te croiser tous les jours.

Mes mains viennent s'abattre sur son torse alors que je le pousse.

— Te sentir, t'entendre. Ne m'en demande pas autant, je n'y arriverais pas.

Son corps recule alors que je sais qu'il est assez fort pour pouvoir résister à mes assauts.

— Ne me demande pas de rester.

Ses mains viennent saisir mes poignets et je me retrouve collée contre son corps. Mon souffle m'échappe et je regrette de m'être autant approchée de lui. Mes pointes de pieds m'élèvent à sa hauteur et ma bouche vient percuter la sienne. Elle la dévore désespérément, tente se raccrocher au peu qu'il lui reste. Mais je fais taire mon cœur et laisse ma tête prendre le dessus. Je le repousse et nous nous observons, essoufflés. Voilà pourquoi je ne peux pas, parce quoi qu'il arrive, j'aurais l'impression de mourir si je ne pouvais pas le toucher.

— Pars, lui demandé-je dans un sanglot. S'il te plaît.

Mes paupières se serrent et je voudrais pouvoir disparaître, je voudrais effacer ces dernières semaines. Lorsque je les rouvre, il a déserté la chambre, laissant derrière lui un froid pénétrant. Le pas lent, je me dirige vers le lit. Ma main vient saisir un coussin et mes bras l'entourent. Je m'allonge, tandis que larmes se déversent librement. Elles n'ont plus aucune retenue. Je ne pensais pas qu'en si peu de temps, je me serais autant attachée à lui. Pourtant, au vu de la souffrance que je ressens, de mon cœur qui me fait mal à en crever, il est clair que je suis tombée amoureuse de lui.

La douleur est si intense que j'ai l'impression que jamais je ne m'en remettrai. Alors c'est ça l'amour ? Si j'avais su, je l'aurais fui.

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