27. Dis-moi qui tu es

Eliot :

Je ne veux pas qu'elle parte, pas maintenant.

— Je suis désolé, lâché-je dans un souffle. Je ne suis pas fier de celui que je suis, mais quand tu connaîtras la vérité, tu partiras. Depuis que tu es entrée dans cet amphi, je voudrais être quelqu'un d'autre. Je...

— Alors, dis-moi qui tu es.

Non, certainement pas. Pas aujourd'hui, pas ce week-end. Je veux juste un jour de sursis. Juste un.

— Lundi soir.

— Lundi soir ?

— Oui, à ce moment-là, je te dirai tout. Je te le promets, Evy.

— Pourquoi ne pas me le dire maintenant.

— Parce que j'ai l'espoir, qu'après ce week-end, tu m'aimeras assez pour rester.

Je mens, ça ne changerait rien, mais j'aime rester dans cette illusion qui me garde près d'elle. Après ça, notre histoire prendra fin, peu importe ce qu'elle éprouvera pour moi.

Je vois ses sourcils se froncer, signe qu'elle ne comprend pas ce que je lui demande. Je me suis mis dans la merde tout seul, je ne sais pas pourquoi je me suis maintenu dans ce demi-mensonge, mais je n'ai pas su lui dire la vérité. Quand j'ai compris le dégoût qu'elle éprouvait pour mon monde, je n'ai pas pu. Et maintenant que je sais qu'elle prendrait ces mensonges pour une trahison, je ne veux plus.

— J'ai besoin de réfléchir, Eliot. Je vais rentrer à l'appartement et on se verra demain pour ta journée.

— Et la tienne ? Elle n'est pas finie, dis-je dans une dernière tentative pour la faire rester.

— Je t'en fais cadeau. J'arrive à court d'idées, souffle-t-elle.

Je sais que je l'ai blessée ce soir, mais je ne peux rien faire pour la faire changer d'avis. Un faible sourire s'imprime sur son visage lorsqu'elle me murmure un « bonne nuit » et je n'arrive plus à la retenir.

La porte se referme, laissant flotter son parfum dans l'air. Je me sens minable, le verre toujours à la main. Je suis pathétique de toujours manquer de courage. Elle se trompe si elle se pense faible, elle ne l'est pas.

Je me détourne et me dirige dans ma cuisine. Je fixe la liqueur dans mon verre et, au point où j'en suis, j'avale ce qu'il en reste. La brûlure, je ne la sens plus. Quand je me suis réveillé, Evy dans mes bras, j'ai eu une montée d'angoisse parce que je savais que tout cela devait cesser. Son corps chaud lové contre le mien est devenu une agonie, je la détestais de me faire cet effet-là, et je me haïssais d'avoir provoqué tout ça.

Eliot Millers, plus grosse escroquerie du siècle. Un magicien des doigts ? Et un usurpateur. Mon talent n'est pas que dans mes gestes, il est aussi dans mes mots.

*

Je lui ai laissé de l'espace toute la journée. Je ne l'ai pas importunée. En milieu d'après-midi, elle a reçu une robe, ainsi qu'une invitation pour l'Asiate, un des restaurants les plus gastronomiques de la ville. Par jeu, par provocation, j'avais prévu les choses en grand. Limousine, privatisation du restaurant, mais c'était quand le week-end se passait encore bien. Je patiente nerveusement devant le véhicule. Va-t-elle venir ?

Je regarde nerveusement ma montre, angoissé à l'idée qu'elle ne se montre pas. Henry a tenté de me rassurer à plusieurs reprises, précisant qu'Evy était une bonne petite, mais il ne sait pas à quel point j'ai merdé. Je pourrais aller la chercher, mais j'ai décidé de la laisser choisir. Je ne compte pas l'influencer. Alors que je commence à me dire que c'est peine perdue, j'aperçois à travers les portes, l'ascenseur s'ouvrir. Parée d'une robe bordeaux, elle s'approche à pas lents de la sortie. Les portes s'ouvrent et mon souffle se coupe.

Elle est magnifique, je n'ai pas d'autre mot. Ses longues boucles ébène sont remontées en chignon et son maquillage met en valeur ses yeux foncés et sa peau de porcelaine. Un rouge à lèvres écarlate vient illuminer son visage. Evy est belle en toute circonstance, mais ce soir, elle est sublime.

Je suis ravi d'avoir choisi les bonnes mensurations, parce que la robe est faite pour elle. La couleur contraste à merveille avec son teint laiteux. Elle est à couper le souffle. Elle moule son corps à la perfection, dévoile tout juste ses trapèzes et le bas de ses jambes. Elle descend les quelques marches qui nous séparent, puis s'arrête à quelques centimètres de moi. Je suis obligé de baisser la tête pour ne pas la lâcher du regard. Ses yeux pétillants s'ancrent aux miens et, si je ne risquais pas de ruiner son maquillage, je l'embrasserais. Au sourire en coin qu'elle affiche, je devine que c'était le but de la manœuvre.

— J'ai cru que tu ne viendrais pas, avoué-je dans un soupir.

— Moi aussi, me confirme-t-elle en détournant les yeux.

Ma main se pose délicatement sous son menton et je l'invite d'une légère pression à me regarder. Elle consent à le faire sans que j'aie besoin d'insister.

— Merci d'être venue.

— Je n'avais pas le choix, soupire-t-elle.

Mes sourcils se froncent à cet aveu.

— Non, ce n'est pas ce que je veux dire, reprend-elle. Je voulais dire que je voulais venir, je...

Je pose délicatement mes lèvres au coin des siennes et je la sens frémir sous mes doigts. Ma gorge se resserre parce que je voudrais faire plus que ça, mais je ne sais pas si j'en ai le droit.

Je me détache d'elle, lui ouvre la portière et lui propose ma main pour l'aider à s'installer. Je la referme et la rejoins en contournant le véhicule.

Dans l'habitacle, j'ai l'impression de manquer d'air. Son parfum embaume délicatement l'espace, il est subtil. Tout comme elle. Je suis nerveux, comme je ne l'ai jamais été. J'ai le sentiment que cette soirée doit être parfaite, inoubliable. Je veux m'en souvenir éternellement. J'observe nerveusement les rues qui défilent lorsque sa peau entre en contact avec la mienne. Ma tête pivote vers elle, Evy me sourit avec tendresse. Je retourne ma main et entrelace nos doigts.

— Je suis désolée d'être partie, Eliot.

— Et moi de t'avoir poussée à le faire.

Elle détache sa ceinture et vient prendre place sur mes genoux. Son corps se colle au mien lorsque sa tête se niche sur mon épaule. Mes mains se déposent avec délicatesse sur sa peau incandescente. J'ai l'impression de brûler dès que je la touche, j'inspire profondément pour m'enivrer de son parfum.

La limousine s'arrête et Evy se détache de moi.

— Je suppose que tu y es allé à fond ? s'amuse-t-elle.

— J'ai donné tout ce que j'avais.

Elle rit et c'est l'une des plus belles mélodies qu'il m'ait été donné d'entendre. Evy se détache de moi, puis notre chauffeur vient nous ouvrir la porte. Je m'en extirpe le premier et l'aide à en sortir à son tour.

La tête relevée, elle s'accroche à mes bras en constatant la hauteur de l'immeuble.

— Prête ?

Elle acquiesce sans baisser la tête, puis je prends sa main dans la mienne. Nous pénétrons dans l'immeuble et accédons rapidement à l'ascenseur. Ses yeux s'arrondissent lorsque j'appuie sur le trente-cinquième étage.

— Si haut ? me demande-t-elle en déglutissant.

— La vue en vaut le coup, la rassuré-je.

Ses doigts resserrent leur prise, tandis que mon pouce effectue des mouvements circulaires pour l'apaiser. Enfin, les portes s'ouvrent et nous nous avançons vers l'accueil. Une hôtesse nous salue, puis nous dirige vers la meilleure table.

— Où sont les clients ?

— Là, dis-je en nous désignant.

Elle marque un arrêt, me forçant à me tourner vers elle.

— Tu n'as pas fait ça ? me demande-t-elle, interloquée.

— Absolument, avoué-je, un sourire fier sur le visage.

Elle secoue la tête, mais rit tout de même.

Nous arrivons à la meilleure table, New York se dessine derrière la baie vitrée. Elle lâche ma main et s'avance au plus près, retenant son souffle. Je le devine à sa poitrine qui ne se soulève plus pendant quelques secondes.

— C'est magnifique, souffle-t-elle, ébahie.

— Je confirme, avoué-je dans son dos, sans la lâcher des yeux.

Nos yeux se croisent à travers la vitre et elle secoue la tête en comprenant que c'est à elle que je faisais allusion.

Pendant le repas, il n'est nullement question de cette nuit ou de demain. On profite du moment, de l'instant. Nos yeux se dévorent, nos mains se touchent, nos rires se joignent. Elle mange avec gourmandise ce qui se trouve dans son assiette, mais aussi ce qu'il y a dans la mienne. Par moment, sa langue passe délicatement sur sa lèvre et je la soupçonne de vouloir me chauffer ; je me retiens de lui dire que je le suis depuis qu'elle est apparue dans le hall de notre immeuble.

Lorsque notre repas est terminé, je la félicite de ne pas s'être plainte une seule fois et elle m'avoue ne pas en avoir eu envie. Nous remercions le personnel et nous engouffrons dans l'ascenseur.

La tension est palpable, mais je n'amorce aucun mouvement. Elle recule d'un pas et son corps se colle au mien. Mes mains viennent saisir ses hanches, je les presse pour tenter de me contrôler. Cette nuit loin d'elle a été un supplice, cette journée à la savoir si proche et en même temps si loin, un calvaire. Si je ne me contiens pas, je risquerais de ne faire preuve d'aucune douceur.

Les chiffres défilent dans une lenteur agonisante. Ma respiration s'alourdit et, à son dos qui s'avachit contre ma poitrine, je devine qu'elle est dans le même état. Le regard toujours rivé sur les étages, je hume le parfum qui s'échappe délicatement de son cou. Un léger sourire prend naissance sur mon visage lorsqu'un soupir lui échappe.

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