14. Mais il y a deux lits !
Eliot m'ouvre la porte et j'entre dans le hall de l'hôtel. Il est joli, douillet et très cosy. On est bien loin de ce que mon portefeuille peut me permettre. J'ai de l'argent de côté, mais sûrement pas de quoi payer une chambre dans un endroit pareil. Ce n'est certes pas du grand luxe, mais mon budget correspond plutôt à un petit motel de bord de route.
— Monsieur Millers, je ne peux pas..., osé-je tandis qu'il appuie sur la petite cloche située sur le comptoir.
Il me regarde, perdu, puis semble saisir ma gêne.
— Ne vous inquiétez pas, c'est compris dans le stage, vous serez payée, nourrie et logée.
Mes yeux s'écarquillent de surprise. Il est hors de question que j'accepte une chose pareille. Je n'apprécie pas vraiment qu'il énumère toutes ces conditions sans m'en avoir parlé au préalable.
— Non, monsieur Millers. Écoutez, j'ai de quoi me loger, juste pas dans ce genre d'endroit, lui expliqué-je en désignant la pièce.
— Eliot, me reprend-il. Ne vous en faites pas, c'est indiqué dans le contrat... Vous travaillerez pour moi. Dites-vous que c'est ma façon de vous rétribuer.
— Je..., m'apprêté-je à rétorquer lorsque la réceptionniste arrive par la porte arrière.
Rouge de honte, je la salue faiblement. Je n'aime pas avoir l'impression de profiter. S'il rémunère mon stage, il n'y a aucune raison pour qu'il s'occupe du reste. Je lui en parlerai quand on sera arrivés à New York. Là, nous sommes fatigués et je ne pense pas que ce soit le moment d'aborder le sujet.
Eliot nous présente et s'excuse auprès de la gérante pour notre arrivée tardive. Elle lui assure que, si près de l'autoroute, les passages au milieu de la nuit ne sont pas rares. Il lui demande deux chambres, puis elle affiche une grimace désolée.
— Je suis navré, mais il nous reste une seule chambre. Mais il y a deux lits, ajoute-t-elle précipitamment en nous voyant nous décomposer.
On se croirait dans une mauvaise comédie romantique. Eliot jette un coup d'œil nerveux dans ma direction et je ne peux rien faire d'autre que hausser les épaules. Ce n'est pas comme si nous avions le choix. La nuit est bien entamée, puis s'il y a deux lits, ça devrait le faire. Je vais me comporter comme une adulte pour une fois.
— Bien, nous allons la prendre, lui répond-il.
Eliot règle la chambre pour une nuit puis Lucia, la gérante, nous y conduit. Lorsque nous entrons, elle allume les plafonniers qui éclairent la pièce d'une faible lumière. Elle nous laisse rapidement et je reste plantée à l'entrée, mon sac sous le bras. Eliot s'affaire à sortir son nécessaire de toilette. Il ne me remarque même pas et j'approche à pas lents du deuxième lit. Je n'ose pas le regarder, je suis plus que mal à l'aise. Ce genre de situation n'est pas une habitude et cette proximité avec lui me rend nerveuse.
— Evy, m'appelle-t-il.
— Hm ?
Je ne me retourne même pas, mon regard concentré sur mes doigts qui s'empressent d'ouvrir la fermeture éclair de mon sac. J'ai besoin de me focaliser sur des taches simples pour ne pas me rendre compte de l'effet que sa présence a sur moi.
— Evy, s'agace-t-il.
Je me retourne enfin, toujours sans lever les yeux sur lui. La lumière tamisée donne à la pièce une atmosphère bien trop intime.
— Vous avez peur ? me demande-t-il.
— Non..., mens-je.
Si, bien sûr que j'ai peur. Je suis effrayée à l'idée de ne pas pouvoir contrôler ce que je ressens, ce que mon corps désire, ce qu'il provoque chez moi. Je ne suis pas du genre impulsive, mais quand je suis avec lui, j'ai l'impression de ne pas me connaître, de découvrir une nouvelle Evy. Une Evy plus impatiente, plus désireuse.
— Je ne vous toucherai pas, s'amuse-t-il.
Piquée à vif, mon regard trouve enfin le sien. Ça l'amuse ?
— Vous m'avez bien embrassée, non ? demandé-je vexée.
— Rectification, vous m'avez embrassé, me répond-il en faisant un pas dans ma direction.
Le lit m'empêche de reculer plus et mon dos se courbe en arrière pour s'éloigner de lui.
— Même si je dois avouer avoir pris plaisir à vous le rendre, souffle-t-il, sa tête à quelques centimètres de la mienne.
Je déglutis nerveusement alors que son regard sombre ne quitte pas le mien. Pourquoi me fait-il tant d'effet ? Mon regard le fuit et se promène sur sa peau, la cicatrice qui pare sa tempe est assombrie par les ombres qui se dessinent dans la chambre. Je me demande alors comment elle est apparue.
— Vous pouvez aller vous rafraîchir, je vais aller faire un tour, me coupe-t-il dans mes pensées en s'éloignant de moi.
Je n'avais même pas remarqué que j'avais cessé de respirer. Un frisson glacial me surprend lorsque sa chaleur me quitte. Comment peut-il me brûler la peau sans même me toucher ? Et l'instant d'après me donner l'impression de me retrouver au Pôle Nord ?
Je récupère précipitamment des affaires puis cours m'enfermer dans la salle de bains, où je tente de noyer le flot de pensées sous la cascade d'eau.
Lorsque je rejoins la chambre, celle-ci est déserte. Je me pelotonne sous la couette et éteins le plafonnier. Alors que je pensais que le sommeil tarderait, ce n'est pas le cas, tant le lit est confortable et détend mon corps courbaturé par ce voyage.
*
Je me réveille lentement. Ma main tâtonne la table de chevet à la recherche de mon téléphone, je le saisis et observe l'heure. Moi qui pensais que nous serions bientôt le matin, je constate que nous sommes encore au milieu de la nuit et qu'Eliot n'est pas dans le lit voisin. Mes yeux s'habituent à l'obscurité, puis je le trouve enfin.
— Tout va bien ? osé-je lui demander.
Il est debout, face à la fenêtre. Toujours en jean et t-shirt, son dos se raidit lorsque ma voix brise le silence de la chambre.
— Rendormez-vous, me conseille-t-il gentiment sans se retourner.
Je me redresse sur le lit et le drap retombe, dévoilant mon débardeur en coton.
— Vous devriez vous coucher. Nous avons de la route demain, lui dis-je à mi-voix.
Il se retourne alors et mon corps se tend. Ma peau frémit face à l'intensité qu'il dégage. J'ai tout à coup trop chaud et mon corps me démange, comme s'il n'attendait que lui pour s'apaiser.
— Je n'y arrive pas, murmure-t-il en détachant son regard du mien.
Une vague de froid m'envahit lorsqu'il rompt le contact. Je préférerais faire face à son ignorance en permanence. Parce que quand il me donne l'impression de le comprendre, il se referme aussitôt et c'est encore plus douloureux.
— Pourquoi ? soufflé-je, angoissée par la réponse qu'il pourrait m'offrir.
— À cause de vous, m'annonce-t-il sans se dérober. Ne me dites pas que je suis le seul, dites-moi que vous le sentez, vous aussi. Quoi que ce soit, s'il vous plaît...
La façon presque torturée dont il me demande ça me trouble tant que je n'arrive pas à lui répondre, mes mots restent coincés au bord des lèvres.
— Evy...
Il murmure mon prénom et au son de sa voix, j'ai le sentiment que m'appeler lui est douloureux. Il franchit la distance qui nous sépare et je me lève d'un bond. Ses mains entourent mes hanches et je me lève sur la pointe des pieds. Ma bouche se pose sur la sienne avant qu'il n'ait le temps de faire ou dire quoi que ce soit. L'impulsivité dont je fais preuve me surprend moi-même. Pourtant, au contact de ses lèvres, je ne la regrette pas. Je veux qu'il sache qu'il me trouble plus que quiconque ne l'a jamais fait. Je ne comprends pas comment quelqu'un que je connais à peine peut avoir autant d'effet sur moi.
Si j'étais quelqu'un d'autre, je penserais qu'il ne s'agit de rien d'autre que du désir. Les gens confondent souvent ces deux sentiments. Pourtant, quand je le vois, c'est bien plus profond qu'un simple besoin à assouvir, comme si ma vie dépendait de ce qu'il avait à me donner.
Il semble tout d'abord surpris par mon audace et ne bouge pas, puis, finalement, ses mains resserrent leur prise sur mes hanches et me rapprochent de lui. Son grognement se répercute sur mes lèvres, m'arrachant un gémissement. Je n'ai jamais été aussi sensible, jamais. Mes mains s'agrippent à son col, mais sans que je ne sache pourquoi, il me glisse entre les doigts. Je m'y accroche une deuxième fois, mais perdant à nouveau ma prise, je place mes mains dans sa nuque. Une substance me glisse entre les doigts et j'ouvre les yeux lorsque j'en reconnais la texture.
Je m'éloigne pour voir ce qui cloche et lâche un cri de stupeur. C'est quoi ce bordel ?
— Eliot.
Face à moi, le visage d'Eliot se transforme, coule, l'argile s'affaisse. Merde... Qu'est-ce qui se passe ? Je tente de maintenir son corps debout, mais celui-ci se ramollit de plus en plus.
— Evy, m'appelle-t-il dans un râle douloureux.
Tremblante, je me réveille en sursaut dans mon lit. C'était quoi ça ? C'est la première fois qu'un rêve érotique se transforme en cauchemar.
Je me précipite sur la table de chevet et, lorsque l'interrupteur est enclenché, une lumière douce vient tamiser la pièce. Il n'est pas là. Je ne sais pas pourquoi, mais je me mets aussitôt à paniquer. Calme-toi Evy, tu ne rationalises pas, ton cauchemar te joue des tours. Oui, sans doute. Mais je dois le retrouver, je dois m'assurer qu'il va bien.
Je quitte le lit, chausse mes baskets et enfile un simple gilet. Après avoir récupéré la clé, je quitte la chambre.
Pour ne pas réveiller les autres résidents, je descends à pas de loup puis arrive enfin devant le bureau de la gérante. Je suis soulagée de la voir à son poste, malgré l'heure tardive.
— Bonsoir, chuchoté-je en arrivant.
Ses sourcils se froncent, puis elle semble me reconnaître.
— Vous cherchez votre ami ?
Oui, en plein milieu de la nuit, je ne serais pas là sinon. Le manque de sommeil a tendance à me rendre un peu antipathique, mais je n'en montre rien et lui souris en acquiesçant.
— Il m'a demandé où était le bar le plus proche, me dit-elle amusée.
Il est parti s'amuser ou je rêve ? Je ne suis pas sa nana, mais demain on a de la route. J'aimerais autant qu'il soit frais.
La réceptionniste m'indique comment m'y rendre et m'assure que je ne crains rien ici. Je baisse le regard sur mon legging et referme mon gilet. Qu'est-ce qu'il ne me fait pas faire ?
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