12. Le choc
Eliot :
— Je vous sers autre chose, Monsieur ?
Je lève le nez sur la serveuse, puis dirige mon regard sur mon verre de whisky presque vide. Je le lui tends. Oui, je vais en prendre un autre. J'aurais dû quitter cette ville il y a quatre jours et voilà que, désespéré, j'ai rallongé encore et encore. Je devrais partir ce soir, ne pas attendre demain. De toute façon, elle ne viendra pas...
La serveuse revient quelques minutes plus tard, un nouveau verre sur son plateau. Elle le pose devant mes yeux, mais ne repars pas. Ma tête se lève pour l'interroger sur sa présence.
— Personne ne devrait boire seul..., me dit-elle navrée.
— Joignez-vous à moi, la provoqué-je.
Elle soupire et place le plateau sur son ventre, comme si elle voulait se protéger.
— Je dis juste que, depuis quatre jours, vous êtes là, seul avec vos verres... Est-ce que vous...
— Je n'ai pas besoin de sermon ni d'une oreille attentive. Vous feriez mieux de retourner à votre travail... Je ne pense pas que vous ayez un diplôme en psychologie, la coupé-je.
Ses mains resserrent leur prise sur le plateau, signe que je l'ai vexée. Mais de quoi se plaint-elle ? Je ne lui ai rien demandé. Je porte le verre à mes lèvres et en apprécie le goût prononcé. Le whisky de l'hôtel est bien meilleur que celui de l'autre jour. Il me brûlerait sans doute la gorge si je n'en étais pas au troisième. Il a l'avantage de m'anesthésier le cœur. Je pense toujours, mais je ressens moins.
— Détrompez-vous, je suis étudiante, reprend-elle. Ce job c'est juste pour me payer les études qui me permettront de soigner les gens comme vous.
— Les gens comme moi ? demandé-je, dans un rire dénué d'humour.
— Les alcooliques.
— Les alcooliques ? Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Le fait que je boive un verre tous les soirs ? m'agacé-je.
Qu'est-ce qu'elle prétend savoir ? Elle croit que travailler dans ce genre d'endroit lui apprend à distinguer les gens heureux des gens malheureux ? Elle ne sait probablement rien du malheur ni de ce que c'est que de vivre une vie qui ne nous appartient pas. Je survis, voilà ce que je fais. Alors je ne vais pas me priver de ces petites choses qui m'aident à tenir le coup.
— Non... Le fait que vous buviez minimum quatre verres tous les soirs. Et seul, souligne-t-elle.
Je lui fais signe de partir, de me lâcher, mais elle ne bouge pas. Je soupire excédé, vide mon verre d'un trait et me relève de ma chaise. Mademoiselle je-sais-tout se recroqueville sur elle-même. Forcément. Je fais bien une tête de plus qu'elle. Je masque les tremblements de mes jambes et feins de ne pas être enivré, elle en rajouterait et je ne suis pas d'humeur à supporter ce genre de discours. Au lieu de me laisser passer, elle relève la tête fièrement.
— Croyez-moi, ça ne vous apportera rien. Vous éloignerez seulement les gens qui vous aiment et vous leur ferez du mal.
À la conviction qu'elle met lorsqu'elle me dit ça, je devine que je me suis trompé. Ce sujet la touche particulièrement. Pourtant, au lieu de ressentir de la compassion, j'ai besoin de m'en servir contre elle, de la provoquer.
— Dites-moi... Papa était alcoolo ? Ou peut-être était-ce maman ?
Elle se tend et détourne le regard. J'ai tapé dans le mille, les gens s'entêtent à se mêler des problèmes des autres parce que ça leur évite de faire face aux leurs. Je la contourne et salue le barman avant de quitter le bar.
Dans la cabine d'ascenseur, je déboutonne mon veston, desserre ma cravate. L'air est chaud, j'étouffe. Arrivé à mon étage, j'enfonce ma carte magnétique et pénètre dans ma suite. Je me débarrasse de ma veste, de mon veston. Mes chaussures et ma chemise les rejoignent avant que je ne me dirige vers la salle de bains.
Je m'observe avec attention dans le miroir, mes yeux sont rougis, sans doute un mélange de fatigue et d'alcool. Ma barbe, elle, a poussé. J'ai une tête à faire peur. Je déboutonne mon pantalon et ôte mes derniers vêtements.
Je contourne la vitre et me retrouve dans la douche italienne, mes mains tremblantes viennent allumer le robinet. L'eau glacée me tombe en cascade, le froid engourdit ma peau et enfin j'inspire. Ma respiration se saccade. Je n'aurais jamais dû rester. Mes poings viennent frapper la céramique murale. J'aurais dû rentrer à New York. Je ne sais pas ce que je fais avec cette fille, je ne sais pas pourquoi je veux l'entraîner avec moi. Je frôle du bout des doigts les cicatrices qui me zèbrent le dos, j'ai la chance de ne pas les voir, mais je les sens. Mes doigts, eux, sont capables de les dessiner, je pourrais les cartographier, les montrer au monde entier.
Je fais taire ma colère, je l'étouffe avant qu'elle ne prenne trop de place, avant qu'elle ne s'infiltre dans chacune de mes veines. Je coupe l'eau et sors de la cabine. La chaleur de la pièce me fait regretter de ne pas être resté sous la douche.
J'enroule une serviette et sors de la salle de bains. J'attrape une cigarette et l'allume alors que je m'assois à mon bureau. Je tape mon nom et entre dans mon logiciel de reconnaissance faciale. Je suis soulagé de voir qu'aucune photo n'a filtré. Tous les soirs depuis mon arrivée, le même rituel.
Je n'accepte jamais les déplacements, les représentations. Je suis toujours « absent » lors des vernissages. Presque personne n'a jamais vu « Le Prince de l'Argile » - quel nom stupide, je ne le supporte pas - et je ne compte pas changer ça. Malheureusement, je devais un service à Davis. Voilà trois ans qu'il me tanne pour que je vienne et, là, j'ai été forcé de dire oui.
Une fois le logiciel éteint, je referme mon ordi et tire une dernière taffe sur ma cigarette avant de l'écraser.
Je lâche un soupir las... Ouais, je suis épuisé de la vie que je mène, du bordel qu'est ma tête. Il n'y a que quand je sculpte que je m'évade. Et quand tu bois ? Je me relève et me dirige vers ma chambre, le lit king size vient accueillir mon corps et je ne tarde pas à m'endormir.
*
Je tourne en rond, j'ai passé la journée à m'occuper. Déjeuner avec Davis, récupération des travaux à la fac et, avant de partir, la sentence est tombée.
Elle a trouvé un stage. L'ami galeriste de Davis le lui a dit. Il n'attend plus qu'une réponse, alors tout n'est pas perdu, si ? Si... bien sûr que si. Quelle fille comme elle serait assez sotte pour accepter d'entrer dans mon monde ? Elle ne me connaît pas. J'ai senti cette alchimie, ce lien qui nous a retenus l'un à l'autre et elle aussi, alors elle serait encore plus folle de me suivre.
Je relève la manche de ma veste, plus que dix minutes, mais je ne suis pas idiot, quand on veut quelque chose, on est généralement là en avance, non ?
Je récupère mon sac et scrute attentivement la chambre à la recherche d'un objet oublié. Je ne compte jamais revenir dans cette ville, autant ne rien laisser derrière moi. Je referme la porte et remonte le couloir, presque au ralenti, comme si je voulais retenir le temps, l'empêcher de filer. Comme si je voulais lui laisser une chance de venir.
L'ascenseur s'ouvre et je m'y engouffre. Mon reflet n'est pas valorisant. Je porte un simple jean et un t-shirt noir. Pas dans mes habitudes, mais plus confortable pour prendre la route. J'ai annulé mon billet d'avion et loué un nouveau véhicule pour rentrer jusqu'à New York. J'ai besoin de rouler, de faire une pause.
La cabine me libère enfin et je ne peux pas empêcher mon corps de s'arrêter, d'observer, de la chercher, mais non... Elle n'est pas venue. Tu devais t'en douter, non ? Je salue froidement le réceptionniste et lui rends la carte magnétique. Après avoir réglé, il me souhaite bon voyage. En enfer, ai-je envie de compléter, mais je ne dis mot et poursuis ma route. Je passe les portes-tambour et l'air humide m'accueille. Il va pleuvoir, je le sens.
Je traverse la route et déverrouille à distance la voiture. Je jette mon sac dans le coffre et m'installe derrière le volant. La pluie s'abat à ce moment-là, m'arrachant un rire las. Putain de merde. Je ne peux plus ignorer cette douleur qui m'oppresse la poitrine. C'est au-dessus de mes forces, elle est beaucoup trop puissante. Pour tenter de la contrer, mes mains serrent le volant et ma tête retombe sur le dossier. Je vais attendre que la pluie cesse. Elle ne viendra pas, se moque ma conscience. Ce sera plus prudent. Elle a joué la sécurité.
Je tourne la clé, mais je suis incapable de desserrer le frein à main et j'attends. Encore et encore. Les minutes défilent et, enfin, je comprends que j'espère l'impossible. La pluie a cessé depuis bien cinq minutes, je n'ai plus aucune excuse.
Mon regard se relève et je me demande si je ne rêve pas. Si, à force de l'avoir espérée, je ne l'imagine pas. Mais c'est elle, j'en suis convaincu parce qu'à n'importe qu'elle distance, je suis sûr que je la reconnaîtrais. Adossée au mur, elle sort son téléphone, je ne la lâche pas des yeux. Dois-je lui signaler que je suis là ou bien partir ? Tu as attendu ici pour elle, non ? Je n'ai pas besoin de réfléchir que son regard me trouve. Je ne sais pas si elle me distingue, mais sa posture change. La main portée à son oreille, son téléphone s'abaisse lentement. Poussé par l'adrénaline, je sors du véhicule, sans la lâcher du regard. Je referme la portière. Je ne peux plus faire marche arrière. Je m'avance. Je ne veux plus faire marche arrière.
Mon cœur cavale tant il est soulagé qu'elle soit là, je pensais qu'elle ne viendrait pas. Je m'approche du trottoir, nos regards toujours ancrés l'un dans l'autre. Elle semble aussi troublée que moi et ça me fait un effet de dingue. Mes pas cessent et, aussitôt, ses sourcils se froncent. Elle comprend que je ne m'avancerai pas plus.
Sans me lâcher des yeux, son corps se courbe et sa main attrape la sangle de son sac. Elle avance jusqu'au trottoir puis détourne la tête pour s'assurer qu'aucune voiture n'arrive. Moi, je n'arrive pas à la quitter des yeux, une boule m'obstrue la gorge et mon cœur bat la chamade. Il est parti dans une course folle et j'ai l'impression que la seule chose qui pourrait l'arrêter, ce serait un choc. Elle traverse et, enfin, ses prunelles brunes se retrouvent dans les miennes. Mon cœur rate un battement alors qu'elle s'approche jusqu'à se trouver à côté de moi.
— Vous êtes venue, ne puis-je m'empêcher de dire.
— Je suis venue, lâche-t-elle dans un souffle.
Un sourire franc naît sur son visage et le voilà : le choc.— Je vous sers autre chose, Monsieur ?
Je lève le nez sur la serveuse, puis dirige mon regard sur mon verre de whisky presque vide. Je le lui tends. Oui, je vais en prendre un autre. J'aurais dû quitter cette ville il y a quatre jours et voilà que, désespéré, j'ai rallongé encore et encore. Je devrais partir ce soir, ne pas attendre demain. De toute façon, elle ne viendra pas...
La serveuse revient quelques minutes plus tard, un nouveau verre sur son plateau. Elle le pose devant mes yeux, mais ne repars pas. Ma tête se lève pour l'interroger sur sa présence.
— Personne ne devrait boire seul..., me dit-elle navrée.
— Joignez-vous à moi, la provoqué-je.
Elle soupire et place le plateau sur son ventre, comme si elle voulait se protéger.
— Je dis juste que, depuis quatre jours, vous êtes là, seul avec vos verres... Est-ce que vous...
— Je n'ai pas besoin de sermon ni d'une oreille attentive. Vous feriez mieux de retourner à votre travail... Je ne pense pas que vous ayez un diplôme en psychologie, la coupé-je.
Ses mains resserrent leur prise sur le plateau, signe que je l'ai vexée. Mais de quoi se plaint-elle ? Je ne lui ai rien demandé. Je porte le verre à mes lèvres et en apprécie le goût prononcé. Le whisky de l'hôtel est bien meilleur que celui de l'autre jour. Il me brûlerait sans doute la gorge si je n'en étais pas au troisième. Il a l'avantage de m'anesthésier le cœur. Je pense toujours, mais je ressens moins.
— Détrompez-vous, je suis étudiante, reprend-elle. Ce job c'est juste pour me payer les études qui me permettront de soigner les gens comme vous.
— Les gens comme moi ? demandé-je, dans un rire dénué d'humour.
— Les alcooliques.
— Les alcooliques ? Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Le fait que je boive un verre tous les soirs ? m'agacé-je.
Qu'est-ce qu'elle prétend savoir ? Elle croit que travailler dans ce genre d'endroit lui apprend à distinguer les gens heureux des gens malheureux ? Elle ne sait probablement rien du malheur ni de ce que c'est que de vivre une vie qui ne nous appartient pas. Je survis, voilà ce que je fais. Alors je ne vais pas me priver de ces petites choses qui m'aident à tenir le coup.
— Non... Le fait que vous buviez minimum quatre verres tous les soirs. Et seul, souligne-t-elle.
Je lui fais signe de partir, de me lâcher, mais elle ne bouge pas. Je soupire excédé, vide mon verre d'un trait et me relève de ma chaise. Mademoiselle je-sais-tout se recroqueville sur elle-même. Forcément. Je fais bien une tête de plus qu'elle. Je masque les tremblements de mes jambes et feins de ne pas être enivré, elle en rajouterait et je ne suis pas d'humeur à supporter ce genre de discours. Au lieu de me laisser passer, elle relève la tête fièrement.
— Croyez-moi, ça ne vous apportera rien. Vous éloignerez seulement les gens qui vous aiment et vous leur ferez du mal.
À la conviction qu'elle met lorsqu'elle me dit ça, je devine que je me suis trompé. Ce sujet la touche particulièrement. Pourtant, au lieu de ressentir de la compassion, j'ai besoin de m'en servir contre elle, de la provoquer.
— Dites-moi... Papa était alcoolo ? Ou peut-être était-ce maman ?
Elle se tend et détourne le regard. J'ai tapé dans le mille, les gens s'entêtent à se mêler des problèmes des autres parce que ça leur évite de faire face aux leurs. Je la contourne et salue le barman avant de quitter le bar.
Dans la cabine d'ascenseur, je déboutonne mon veston, desserre ma cravate. L'air est chaud, j'étouffe. Arrivé à mon étage, j'enfonce ma carte magnétique et pénètre dans ma suite. Je me débarrasse de ma veste, de mon veston. Mes chaussures et ma chemise les rejoignent avant que je ne me dirige vers la salle de bains.
Je m'observe avec attention dans le miroir, mes yeux sont rougis, sans doute un mélange de fatigue et d'alcool. Ma barbe, elle, a poussé. J'ai une tête à faire peur. Je déboutonne mon pantalon et ôte mes derniers vêtements.
Je contourne la vitre et me retrouve dans la douche italienne, mes mains tremblantes viennent allumer le robinet. L'eau glacée me tombe en cascade, le froid engourdit ma peau et enfin j'inspire. Ma respiration se saccade. Je n'aurais jamais dû rester. Mes poings viennent frapper la céramique murale. J'aurais dû rentrer à New York. Je ne sais pas ce que je fais avec cette fille, je ne sais pas pourquoi je veux l'entraîner avec moi. Je frôle du bout des doigts les cicatrices qui me zèbrent le dos, j'ai la chance de ne pas les voir, mais je les sens. Mes doigts, eux, sont capables de les dessiner, je pourrais les cartographier, les montrer au monde entier.
Je fais taire ma colère, je l'étouffe avant qu'elle ne prenne trop de place, avant qu'elle ne s'infiltre dans chacune de mes veines. Je coupe l'eau et sors de la cabine. La chaleur de la pièce me fait regretter de ne pas être resté sous la douche.
J'enroule une serviette et sors de la salle de bains. J'attrape une cigarette et l'allume alors que je m'assois à mon bureau. Je tape mon nom et entre dans mon logiciel de reconnaissance faciale. Je suis soulagé de voir qu'aucune photo n'a filtré. Tous les soirs depuis mon arrivée, le même rituel.
Je n'accepte jamais les déplacements, les représentations. Je suis toujours « absent » lors des vernissages. Presque personne n'a jamais vu « Le Prince de l'Argile » - quel nom stupide, je ne le supporte pas - et je ne compte pas changer ça. Malheureusement, je devais un service à Davis. Voilà trois ans qu'il me tanne pour que je vienne et, là, j'ai été forcé de dire oui.
Une fois le logiciel éteint, je referme mon ordi et tire une dernière taffe sur ma cigarette avant de l'écraser.
Je lâche un soupir las... Ouais, je suis épuisé de la vie que je mène, du bordel qu'est ma tête. Il n'y a que quand je sculpte que je m'évade. Et quand tu bois ? Je me relève et me dirige vers ma chambre, le lit king size vient accueillir mon corps et je ne tarde pas à m'endormir.
*
Je tourne en rond, j'ai passé la journée à m'occuper. Déjeuner avec Davis, récupération des travaux à la fac et, avant de partir, la sentence est tombée.
Elle a trouvé un stage. L'ami galeriste de Davis le lui a dit. Il n'attend plus qu'une réponse, alors tout n'est pas perdu, si ? Si... bien sûr que si. Quelle fille comme elle serait assez sotte pour accepter d'entrer dans mon monde ? Elle ne me connaît pas. J'ai senti cette alchimie, ce lien qui nous a retenus l'un à l'autre et elle aussi, alors elle serait encore plus folle de me suivre.
Je relève la manche de ma veste, plus que dix minutes, mais je ne suis pas idiot, quand on veut quelque chose, on est généralement là en avance, non ?
Je récupère mon sac et scrute attentivement la chambre à la recherche d'un objet oublié. Je ne compte jamais revenir dans cette ville, autant ne rien laisser derrière moi. Je referme la porte et remonte le couloir, presque au ralenti, comme si je voulais retenir le temps, l'empêcher de filer. Comme si je voulais lui laisser une chance de venir.
L'ascenseur s'ouvre et je m'y engouffre. Mon reflet n'est pas valorisant. Je porte un simple jean et un t-shirt noir. Pas dans mes habitudes, mais plus confortable pour prendre la route. J'ai annulé mon billet d'avion et loué un nouveau véhicule pour rentrer jusqu'à New York. J'ai besoin de rouler, de faire une pause.
La cabine me libère enfin et je ne peux pas empêcher mon corps de s'arrêter, d'observer, de la chercher, mais non... Elle n'est pas venue. Tu devais t'en douter, non ? Je salue froidement le réceptionniste et lui rends la carte magnétique. Après avoir réglé, il me souhaite bon voyage. En enfer, ai-je envie de compléter, mais je ne dis mot et poursuis ma route. Je passe les portes-tambour et l'air humide m'accueille. Il va pleuvoir, je le sens.
Je traverse la route et déverrouille à distance la voiture. Je jette mon sac dans le coffre et m'installe derrière le volant. La pluie s'abat à ce moment-là, m'arrachant un rire las. Putain de merde. Je ne peux plus ignorer cette douleur qui m'oppresse la poitrine. C'est au-dessus de mes forces, elle est beaucoup trop puissante. Pour tenter de la contrer, mes mains serrent le volant et ma tête retombe sur le dossier. Je vais attendre que la pluie cesse. Elle ne viendra pas, se moque ma conscience. Ce sera plus prudent. Elle a joué la sécurité.
Je tourne la clé, mais je suis incapable de desserrer le frein à main et j'attends. Encore et encore. Les minutes défilent et, enfin, je comprends que j'espère l'impossible. La pluie a cessé depuis bien cinq minutes, je n'ai plus aucune excuse.
Mon regard se relève et je me demande si je ne rêve pas. Si, à force de l'avoir espérée, je ne l'imagine pas. Mais c'est elle, j'en suis convaincu parce qu'à n'importe qu'elle distance, je suis sûr que je la reconnaîtrais. Adossée au mur, elle sort son téléphone, je ne la lâche pas des yeux. Dois-je lui signaler que je suis là ou bien partir ? Tu as attendu ici pour elle, non ? Je n'ai pas besoin de réfléchir que son regard me trouve. Je ne sais pas si elle me distingue, mais sa posture change. La main portée à son oreille, son téléphone s'abaisse lentement. Poussé par l'adrénaline, je sors du véhicule, sans la lâcher du regard. Je referme la portière. Je ne peux plus faire marche arrière. Je m'avance. Je ne veux plus faire marche arrière.
Mon cœur cavale tant il est soulagé qu'elle soit là, je pensais qu'elle ne viendrait pas. Je m'approche du trottoir, nos regards toujours ancrés l'un dans l'autre. Elle semble aussi troublée que moi et ça me fait un effet de dingue. Mes pas cessent et, aussitôt, ses sourcils se froncent. Elle comprend que je ne m'avancerai pas plus.
Sans me lâcher des yeux, son corps se courbe et sa main attrape la sangle de son sac. Elle avance jusqu'au trottoir puis détourne la tête pour s'assurer qu'aucune voiture n'arrive. Moi, je n'arrive pas à la quitter des yeux, une boule m'obstrue la gorge et mon cœur bat la chamade. Il est parti dans une course folle et j'ai l'impression que la seule chose qui pourrait l'arrêter, ce serait un choc. Elle traverse et, enfin, ses prunelles brunes se retrouvent dans les miennes. Mon cœur rate un battement alors qu'elle s'approche jusqu'à se trouver à côté de moi.
— Vous êtes venue, ne puis-je m'empêcher de dire.
— Je suis venue, lâche-t-elle dans un souffle.
Un sourire franc naît sur son visage et le voilà : le choc.
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