11. Course contre la montre
Je presse le pas en regardant ma montre. Je n'ai plus à hésiter, plus maintenant. Je veux saisir cette opportunité, parce qu'une occasion comme celle-là n'arrive pas tous les jours.
Je n'aurai qu'à ignorer ce qu'il provoque chez moi, je n'aurai qu'à me fixer un objectif. Voilà, c'est ça ! Je vais tâcher d'en apprendre le plus possible, il n'est pas le Prince de l'Argile pour rien. Je l'ai bien vu, une seule expérience a suffi à ce que je produise un travail que je n'avais jusque-là pas réussi à créer. Bien que je l'aie détruite...
La moiteur de cette fin d'après-midi, mêlée à la rapidité de mes pas, m'assoiffe. Je devrais calmer le rythme, mais je sais que si j'arrive en retard, je n'aurai pas de seconde chance.
C'est alors que je me rends compte que je ne suis plus effrayée, mais excitée à l'idée de l'aventure qui m'attend. Je voudrais déjà être à New York, dans sa galerie, je voudrais déjà apprendre, et... Des images de mes mains sur sa peau s'impriment devant mes yeux, me tordant le ventre. Non, je dois me focaliser sur mon objectif. Il est bien trop à part, inaccessible...
J'arrive enfin devant mon immeuble et pousse vivement la porte. Je monte en sautillant les marches qui mènent jusqu'à mon étage. Ma fébrilité me fait perdre mes clés deux fois. J'arrive finalement à ouvrir la porte et suis envahie par la panique. Je vais faire quoi de ma chambre ? D'accord... On se calme, la chambre est payée jusqu'à la rentrée. Ce stage commence plus tôt donc je devrais être rentrée une semaine avant de devoir rendre mes clés.
J'attrape un sac et le remplis de vêtements. New York est un peu au nord, mais l'été existe quand même là-bas, non ? Je décide de prendre quelques pantalons et des vêtements légers. Mon ordinateur, mes chargeurs, mes... Je dois prendre quoi d'autre ?
Je m'assois sur mon lit, paniquée. Qu'est-ce que je m'apprête à faire ? « Surprends-toi » m'a dit ma mère. Je ferme les yeux et médite quelques secondes pour retrouver ma sérénité. La bile me monte à la gorge. Non, pas de crise d'angoisse maintenant. Je suis assez à la bourre, je ne vais pas faire machine arrière. Je vais boucler ce sac, quitter cet appartement et partir. Je le rejoindrai à son hôtel et je gérerai le reste en temps et en heure.
J'ai toujours laissé les autres posséder ce qui me faisait envie, ça ne me rendait même pas jalouse, mais là, aujourd'hui, c'est ma chance, mon opportunité. Regonflée à bloc, je rouvre les yeux, récupère mes documents d'identité, ferme mon sac et attrape le bout de papier où est notée l'adresse de son hôtel.
En refermant la porte, je réalise que dès demain, une nouvelle vie s'offrira à moi.
Mes pas s'accélèrent alors que je quitte le bâtiment. Des étudiants entrent et sortent de chaque bloc, ce qui est habituel pour un vendredi soir.
Je me retourne pour observer mon immeuble et prends conscience que je n'ai plus d'amis ici, plus personne pour me retenir ou partager mon enthousiasme. Bien que ça me rende triste, ça me pousse également à partir.
J'ouvre mon GPS et entre le nom de l'hôtel qui est à l'autre bout de la ville. Mes sourcils se froncent lorsque je comprends qu'il se pourrait que j'arrive trop tard. Je cours jusqu'à l'arrêt de bus, mon sac de voyage freinant ma démarche, et observe le panneau d'affichage. Merde. Je ne serai jamais à l'heure comme ça.
Je quitte l'arrêt de bus et me dirige vers les rues commerçantes, un taxi ira plus vite.
Les rues sont animées, les étudiants profitent du happy hour pour commencer le week-end, tandis que d'autres pressent le pas pour rentrer chez eux. L'air s'est alourdi et je tente un coup d'œil vers le ciel. L'orage menace et je m'empresse de héler un taxi, j'aimerais autant être à l'abri quand la pluie s'abattra sur la ville.
La plupart des taxis qui passent devant moi sont occupés. Je m'impatiente et piétine sur le trottoir quand, enfin, l'un d'eux s'arrête devant moi. La fenêtre passagère s'ouvre et le chauffeur se penche pour m'écouter. Je lui indique l'adresse et il secoue la tête. Comment ça il secoue la tête ?
— C'est pas mon quartier, ma petite dame.
Ma petite dame ? Vraiment ?
— Écoutez, je n'ai pas le temps, je dois vraiment être là-bas, je vous paierai le double, le supplié-je.
Évidemment, l'arnaqueur ne crache pas sur la somme et m'indique d'un mouvement du pouce que je peux m'installer à l'arrière. Il ne me propose même pas de prendre mon sac ? Au prix de la course, il pourrait faire un effort. Mais je ne dis rien, je ne veux pas prendre le risque qu'il me laisse sur la chaussée.
Je prends place à l'arrière et, comme un coup de chance, la pluie s'abat. Peut-être est-ce bon signe ? Voyant que le taxi ne démarre pas, mon regard quitte la fenêtre et ses gouttes de pluie pour se tourner vers le chauffeur. Sourcils arqués, celui-ci attend.
— Je vous ai déjà donné l'adresse, m'impatienté-je.
— Je veux la première moitié de la course, maintenant.
En évitant de l'injurier, je sors mon portefeuille et lui tends l'argent qu'il me réclame. Je lui fais signe de prendre la route et me cale contre le dossier en tapotant nerveusement ma montre.
Les minutes défilent à une vitesse hallucinante. Les routes sont embouteillées et je ne me fais pas d'illusions, j'arriverai trop tard. Pourtant, je ne renonce pas. Qui sait ? Un miracle pourrait se produire.
Quand nous arrivons enfin sur place, l'heure est déjà dépassée de quinze minutes, mais la pluie a cessé. Ce qui fait une bonne nouvelle sur deux. Je paie le restant de la course au chauffeur, aimable comme pas deux, et quitte son taxi.
Je lève le nez sur la devanture de l'hôtel. Quatre étoiles, certains ont des moyens... Quand je disais à mes parents que l'art pouvait payer.
Je passe les portes tournantes et arrive enfin devant l'accueil. Mon sac vient s'échouer lamentablement à mes pieds et l'homme qui se trouve derrière le comptoir relève le nez de son ordinateur. Surpris par mon allure, il m'observe des pieds à la tête. Oui, c'est sûr que je n'ai pas le profil du client type.
— Bonjour, j'ai un rendez-vous avec monsieur Millers, annoncé-je.
La peur fait trembler ma voix. La peur qu'il soit parti, celle qu'il soit resté. L'une des deux est effrayante, tandis que l'autre est exaltante.
Après avoir pianoté sur son ordinateur, il relève le nez, un sourire désolé sur le visage.
— Je suis navré, mademoiselle, il a quitté l'hôtel il y a vingt minutes.
Je ravale ma déception et le remercie avant de replacer la bandoulière de mon sac et de quitter l'hôtel.
Je passe par les sorties de secours, un vent chaud me fouette le visage et je ravale les larmes. Je n'avais qu'à être plus rapide, qu'à ne pas tergiverser. Si j'avais été plus sûre de moi, je serais arrivée à l'heure. Je m'en veux, d'autant plus qu'à présent je sais que c'est ce que je voulais depuis le début, depuis qu'il me l'a proposé. J'avais juste trop peur pour faire le grand saut.
Je m'adosse au mur, un peu à l'écart. J'ai besoin de souffler, il ne me reste plus qu'à trouver un taxi et à repartir. Je pianote sur mon téléphone, à la recherche d'une compagnie. L'hôtel est un peu trop à l'écart et, si je dois attendre, je pense que je ne serai pas chez moi avant un moment. Juste le fait de penser chez moi me retourne le cœur.
J'expire en gonflant mes joues pour ne pas craquer. Je compose le numéro et porte le téléphone à mon oreille. Je balaie le parking du regard et mon cœur loupe un battement, lorsqu'il me semble le reconnaître. Je ne le distingue pas, mais à la façon dont mon cœur réagit, ça ne peut être que lui. Ma main s'abaisse et je raccroche au nez de l'opératrice.
La portière s'ouvre. Il apparaît et je perds mon souffle. La portière se referme. Il s'avance et je perds la raison.
Chacun de ses pas me semble être au ralenti, chacune de mes inspirations plus difficiles. Il s'approche, seule la route nous sépare, nos regards s'accrochent. Le sien me fascine par son intensité. Il ne bouge plus et je comprends que c'est à moi de le rejoindre. Sans le quitter des yeux, mes doigts cherchent à tâtons la sangle de mon sac. Oui, j'ai bien trop peur qu'il ne soit qu'un mirage et qu'il disparaisse. Je soupire lorsqu'enfin le tissu entre en contact avec ma peau. Je me redresse et le pose sur mon épaule. J'avance jusqu'à la bordure du trottoir et c'est effrayée que je détache mon regard pour vérifier la circulation. Je fais un pas en avant et me retrouve sur la chaussée. Comme pour s'assurer que tout cela est bien réel, mon regard paniqué se porte sur l'autre côté. Je n'ai pas rêvé. Il est bien là.
Alors je traverse les quelques mètres qui nous séparent. L'odeur du bitume mouillé me chatouille le nez, cela m'apaise et j'arrive enfin devant lui. Mon esprit s'est fait plus serein, comme s'il savait que là était ma place, près de lui. Je n'ose pas rompre le silence, de peur de dire une bêtise.
— Vous êtes venue, constate-t-il troublé.
— Je suis venue, acquiescé-je dans un souffle.
Lui aussi avait peur de rêver ? Je voudrais savoir s'il ressent tout avec autant d'intensité que moi ? Ainsi, je me sentirais moins seule, moins perdue. Mais il me prendrait certainement pour une folle...
Je tais mes divagations et lui adresse un sourire rayonnant, parce que oui, à l'instant je suis comblée.
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