1er article
Interview exclusive – Laura Hinterseer : « À ce moment-là, j'ai pensé à mon futur, à mes proches et je me suis dit, ça suffit les conneries ! »
Il y a quelques mois, elle prenait par surprise tout le cirque blanc en annonçant subitement sa retraite à quelques heures de prendre le portillon de départ à Bormio. C'est chez elle, dans son chalet perdu dans la montagne, à quelques dizaines de minutes de la station de Kitzbühel, que nous retrouvons aujourd'hui une Laura Hinterseer qui vit toujours à deux-cent à l'heure alors qu'elle se prépare à sa première saison hivernale sans compétition.
Bonjour Laura !
Bonjour Josef, les interviews me manquaient presque ! (rires)
Comment est-ce que tu vas depuis la dernière interview il y a plusieurs mois ?
Très bien ! Je m'adapte à ma nouvelle vie.
J'imagine que tu vas nous en dire un peu plus. Qu'est-ce que c'était une année dans ta vie d'avant et une dans cette nouvelle vie ?
Je vais commencer avec celle d'avant. On avait quelques semaines de pause après la dernière course et puis on reprenait la préparation physique, ensuite on avait régulièrement des stages l'été en France ou à l'étranger surtout dans des lieux où il y avait de la neige en quantité suffisante pour qu'on puisse s'entrainer. On reprenait fin octobre les courses après des stages où on était testé pour savoir qui serait dans le groupe coupe du monde. L'hiver s'enchainait très vite. Entre les entrainements, les week-ends de courses et les déplacements, on avait que quelques jours au calme pendant toute la saison hivernale. Avant les quelques semaines de pause et que ça recommence.
Et maintenant ?
C'est calme.
Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
J'ai plus toutes les obligations extérieures alors ça me libère du temps pour d'autres choses. Quand je vais skier, à la fin de la journée, je les pose sur mon toit de voiture, je rentre et je prends une douche. J'ai pas des interviews, des shootings photo, l'obligation d'être chez moi pour ne pas rater un contrôle inopiné alors que je suis invité à sortir par des amis. C'est un soulagement, ce côté emploi du temps moins surveillé, plus libre à l'organisation de choses à la dernière minute. Je crois que personne ne se rend compte ce que c'est de devoir toujours être à un endroit précis sur certains créneaux horaires, d'être levée depuis dix minutes, d'être à peine habillée et d'être déjà en train de pisser pour le contrôleur. Ou bien de l'avoir à table à boire du thé pendant trois heures parce qu'il a débarqué trois minutes trop tard. Ça non plus ça me manque pas ! Ça libère vraiment du temps.
Pour faire quoi ?
Skier avec les amis, sortir, faire le marché le samedi matin, appeler des proches en soirée. Je suis peut-être encore plus occupée qu'avant, mais c'est différent, parce que j'ai plus vraiment les contraintes liées au sport. Cet été, j'ai enfin eu le temps de faire de l'alpinisme. C'était quelque chose que je voulais faire depuis toute petite mais j'avais jamais eu le temps de réellement m'y mettre.
Il y a quelques minutes, tu disais que les interviews te manquaient, et je n'en doute pas, qu'est-ce qui te manque d'autre dans ta vie d'avant ?
Si elles ne me manquaient pas au moins un peu, tu ne serais pas ici. (rires) La vie en communauté. Pendant la saison, on vit tous ensemble tout le temps et même si c'est parfois étouffant, c'est étrange de se retrouver tout d'un coup toute seule à longueur d'été sans aucun stage avec les copains et copines.
Et pas le ski ?
Le ski ? Pourquoi il me manquerait, je passe ma vie sur les skis. Bon, j'admets qu'il me manque un peu l'été. J'ai jamais été fan des entrainements sur les glaciers mais c'est très long l'attente de la neige quand on y a plus trop accès. Mais je sais que dès les premières chutes de neige, je pourrai les rechausser et que je passerai toutes mes journées dessus. En tout cas, la préparation physique ne me manque pas du tout ! (rires)
Tu dis passer ta vie sur les skis, de quelle façon, puisque j'imagine que ce n'est pas à faire des compétitions.
Déjà du ski entre amis, que ce soit de rando, de descente, un peu de nordique mais j'ai jamais été très douée pour ça. Quelques compétitions locales quand même, j'en ai pas parlé mais l'univers, l'ambiance des courses, ça aussi ça me manque. Et puis, quand la station ouvrira, je suis monitrice depuis la fin de saison dernière dans ma station locale donc je vais enchainer les cours.
Comment on passe de la vitesse au piou piou ?
C'est compliqué (rires). Après on a tous nos préférences, mon choix n'est clairement pas sur les plus jeunes puisque j'aime trop skier et la vitesse pour ça, mais y a tous les skis-clubs à gérer et je peux bien leur rendre tout ce qu'ils m'ont donné quand j'étais enfant et adolescente. Ils restent ceux au départ de l'intégralité des réussites de la fédération au niveau mondial.
Est-ce que tu as d'autres projets en parallèle de cette reconversion ?
Oui. Certains bien définis, d'autres moins. Mais j'aurai tout l'été pour y penser et mûrir un peu plus mon projet. Là, j'ai beaucoup profité pour faire tout ce que je pouvais pas faire avant, mais l'été prochain, la coupure me permettra certainement d'y voir plus clair dans ce que je veux et je ne doute pas que j'aurais des opportunités.
On voit que tu ne sembles pas regretter ton choix de l'hiver dernier. Est-ce que tu peux un peu plus nous l'expliquer ?
On faisait la reconnaissance et déjà la veille la piste était pourrie. C'était une plaque de glace géante. Et quand je l'ai regardée, que j'ai vu le carnage que c'était... À ce moment-là, j'ai pensé à mon futur, à mes proches et je me suis dit, ça suffit les conneries ! Ma mère, ça fait trente ans qu'elle vit plus le week-end parce qu'elle attend une mauvaise nouvelle. Et ce jour-là, j'ai compris que j'avais passé l'âge de m'envoyer à cent-trente kilomètres heures sur une piste verglacée et incontrôlable. Ma carrière est derrière moi, je suis heureuse et fière de ce que j'ai accompli, et j'aurais rien gagné à m'exploser une énième fois sur les pentes. Je veux dire, si j'ai des enfants, j'ai pas envie d'avoir à les élever dans un fauteuil parce que j'aurais été incapable de dire stop alors que la situation était catastrophique et que la FIS aurait dû interdire à cette manche d'être disputée. Parce que tout le monde était d'accord que les skieurs étaient mis en danger. Alors ce jour-là, après la reco, j'ai préféré arrêter avant de me prendre la vraie belle qui aurait fait que ça se serait mal terminé. Mais je ne suis ni la première, ni la dernière descendeuse à qui ça arrivera.
Tu avais donc peur ?
Pas vraiment peur. Mais pour faire ce qu'on fait, on ne peut pas avoir la moindre pensée parasite. On doit être parfaitement concentré et quand on ne peut plus l'être, il faut s'avoir s'arrêter à temps, avoir la lucidité d'admettre qu'on a fait son temps ou qu'on va se mettre en danger. On peut toujours prolonger un peu, mais il faut avoir la flamme, et une fois qu'elle est éteinte, on peut faire tout ce qu'on veut, on n'obtient plus les gains marginaux, ceux qui font la différence à la fin. Ce jour-là, plus qu'avoir peur, je comprenais juste plus l'intérêt de me mettre ainsi en danger pour une simple médaille alors que je l'avais déjà en cinq exemplaires dans ma vitrine. Mais c'était pas que pour moi que je le faisais. Ma maman, elle supportait pas de me savoir sur les pistes et je pense que je lui devais bien aussi quelques hivers de calme après des années où elle m'a laissé faire parce qu'elle savait que ce qui la rendait si malheureuse était mon plus grand bonheur.
Et est-ce qu'elle est heureuse maintenant ?
Très, encore plus quand je viens les aider au restaurant le soir et qu'on peut passer du temps ensemble en journée l'hiver. (ndlr : les Hinterseer possèdent une auberge-restaurant à la sortie de Kitzbühel). Elle a toujours aimé le ski, mais elle fait du nordique et elle est très heureuse que je puisse dégager du temps pour aller en faire ou faire des raquettes avec elle.
Je suis heureux pour elle, mais également que ta nouvelle vie te plaise à ce point. Est-ce qu'on te reverra bientôt sur les pistes ?
Peut-être.
Alors à bientôt !
À bientôt Josef !
finalement j'ai un peu coupé parce que c'était pas prévu de la développer comme ça.
j'espère que ce début d'aperçu de notre second protagoniste vous plait.
on retourne à lewis et ses soucis dès le prochain chapitre !
comme vous avez pu le remarquer pour ceux qui suivent le ski alpin, il y a beaucoup de références à des personnages réels. j'ai fait le choix de lier l'affaire à kitzbühel qui est LE temple du ski alpin, malgré que les féminines n'aient pas de courses dans ce lieu parce qu'il est vraiment mythique sur le circuit pour plein de raisons.
laura sera inspirée de plusieurs skieurs réels, le 1er étant matthias mayer, triple champion olympique (descente x1 + bronze ; super-g x2) & qui a annoncé sa retraite comme ça en interview post-reconnaissance en bas de la Stelvio à bormio en décembre 2022. (annonce à 10h pour un début de course à 11h30 pour que vous vous rendiez un peu compte de la stupeur qui s'est abattue sur la piste). et elle a un lien familial avec la famille de skieurs du même nom bien évidemment (grand-père, père & oncle).
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top