3.8
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Il n'y a rien. Il n'y a rien. Il n'y a rien. Plus de montagne à gravir ni de neige immaculée à éclabousser de notre avenir, plus d'yeux verts presque transparents illuminés d'un rire et de la promesse d'une chanson à venir, plus de ligne à poursuivre avec la rage de vivre. Du réveil au sommeil m'engloutissait cette abyssale révélation : il n'y a rien.
Arrête
Je m'y engouffrai imperceptiblement. Plus taciturne, plus apathique, plus misérable.
Lorsqu'ils s'en rendirent compte, il était trop tard. Les concerts m'étaient un supplice, et le reste du temps, je ne jouais pas. Le violoncelle m'écœurait d'impuissance, l'archet creusait dans mon cœur des sillons de dégoût. Je le haïssais à en crever. Les cals au bout de mes doigts, que j'avais longtemps considérés comme des blessures de guerre et l'assurance d'être dévoué corps et âme à la musique me brûlaient insupportablement. Tous nos morceaux, toutes mes mélodies n'étaient plus que d'infâmes trahisons que je répétais les soirs de concerts avec au cœur une cuisante humiliation.
Guillaume ne me parlait plus, il avait compris le premier que cela ne servirait à rien et préférait s'isoler. Lillie m'avait tour à tour consolé, houspillé, jeté sous une douche froide, réchauffé sous une couverture, enveloppé de sa tendresse, rien n'y faisait. Nous étions même rentrés à Ludz - ils espéraient que j'avais simplement besoin de repos. Andreas s'entêtait à m'entraîner au studio, je l'entendais vaguement, étendu sur le canapé, les yeux fermés. Il finissait par me rejoindre, s'allongeait à l'autre bout et regardait avec moi le plafond désespérément blanc. Il tenta une ou deux fois d'y projeter le souvenir de Krispiel mais je demeurai aveugle.
L'avenir des Lignes se parait de couleurs alors même que m'était révélée son imposture. On ne m'avait rien laissé à moi, rien, comment aurais-je pu, pour qui me prenais-je à vouloir chanter pour d'autres ? Je venais de nulle part. J'avais été oublié et j'avais béni cet oubli mais si le manque et la rage, si la folie qui m'avaient animé jusqu'au violoncelle n'avaient pas de fondement, alors je n'étais rien. La mer qui ne reflétait aucune étoile, polluée par des lumières artificielles et des déchets en décomposition.
Quelque chose s'était brisé, si profondément, en moi. J'avais l'impression de ne vivre que cela, que, jour après jour tout se brisait en moi, les frontières, je m'enfonçais degré par degré, marche après marche dans la folie et dans le noir. Je me voyais en rêve. J'étais l'Autre (Andreas ?) et je voyais en face de moi, mon propre corps s'efforcer de chanter et il ne réussissait qu'à cracher des lignes de métal, comme celles de Lech, brûlant et coupant qui le faisaient hurler de douleur. Je me réveillais terrifié à l'idée d'être réveillé.
Encore une journée.
Et après ?
Je fermai les yeux. Andreas venait de se lever. Encore torse nu, il se dirigea vers la platine, son premier geste de la journée, avant de s'effondrer sur moi, tout chaud de sommeil. Je le repoussai vaguement mais il m'ouvrait ses bras. Nous écoutâmes New Order, blottis l'un contre l'autre. Son odeur me donnait envie de hurler.
« Qu'est-ce qui s'est passé, Vincent...? »
Je haussai les épaules, le regard dans le vide.
« Rien... Il n'y a rien... Ça finit là. Je suis allé au bout de moi-même, comme tu me l'as demandé. Et il n'y avait rien.
- C'est pas possible. »
Il y avait une réelle épouvante dans sa voix.
« Mais tu en voulais, toi ! Tu en voulais tellement ! Jamais je n'avais rencontré quelqu'un comme toi !
- Je suis désolé... »
Il jaillit du canapé pour arpenter la pièce. Il criait et jurait, debout au milieu du salon.
« Oh mais c'est quoi ce cauchemar... Vincent, ça peut pas être fini, ça peut pas être fini... »
Tais-toi... Tais-toi !
« Hé, Vincent, il fait un temps magnifique, viens, on va se balader dans la ville. Il y a une expo dans la boutique de fringues... »
« Hé, Vincent, quand on aura fini la tournée avec les Forceuses, on ira à Munich, d'accord ? Tu vas prendre des vacances. Ou on pourra retourner voir Camille à Carlieux aussi. Tout ce que tu veux. »
« Hé, Vincent, viens au cinéma... »
« Hé, Vincent, Iwan nous a appelés... On va faire une soirée à l'Usine. Ça fait des mois qu'on ne s'est pas vu tous ensemble, ça va être chouette... Allez, lève-toi.»
« Arrête »
Indifférent à leur conversation, je m'assis sur un coussin, près du canapé, contre lequel je me recroquevillai, capuche sur la tête et écharpe sur le visage. Quelqu'un s'assit près de moi et me tendit un joint sur lequel je tirai sans envie. Un verre du cocktail d'Iwan passa devant moi, sa saveur mêlée aux effluves de peinture me ramena au mois de décembre.
« T'as des cernes profonds comme ça... On dirait la gueule de Franz !
- Qu'est-ce qu'il devient ? demanda Guillaume.
- On est en train de le perdre. Il s'est fait des amis... La dernière fois qu'on s'est parlé, on a cru qu'il allait mieux, un peu plus en forme, un peu plus vif, tu vois. Ce qu'il disait nous a glacé le sang. On a essayé de le contredire doucement, il s'est énervé et on ne le voit presque plus. »
Andreas et Guillaume jouaient doucement tout en discutant. Je poussai un gémissement inaudible. Le bodrhàn. Odeur de fumée, la tête me tournait un peu. Anka n'était pas loin, elle ne parlait pas. Je sentais qu'elle cherchait mon regard. Andreas me retira des lèvres la cigarette qu'Iwan venait de me rouler et me donna sa main, cachée par nos manches. Elle était très froide, ce n'était pas désagréable.
Plus tard, Iwan m'emmena voir la fresque qu'il avait poursuivie, au deuxième. Il l'éclairait avec une torche. Je voyais ses couleurs et je voyais de l'ombre.
« Je frime un peu. Je ne sais pas quoi te dire. Sinon que tu me fais peur. Ne le prends pas mal, ce n'est que triste. J'ai peur qu'on te perde. Ça veut juste dire que tu nous manques. Tu nous fais peur à ne plus être vivant. Tu as débarqué là, l'air de rien, chargé de rêves trop grands, ta faim terrible, en équilibre au-dessus d'un vide abyssal. Andreas m'a dit qu'il avait eu la même sensation, dans le train, et même Guillaume ne te laissera pas tomber. Tu impressionnes ceux qui te croisent, comme un tourbillon, comme un trou noir, inévitable... Et tu as tendu toutes ces lignes... On ne peut pas rester indifférents, Vincent. »
Les Forceuses nous faisaient la gueule depuis ce concert où nous leur avions volé la vedette. Et visiblement, ma dépression accentuait l'admiration des fans qui lisaient en moi un réel désespoir, berceau de leurs émotions où résonnaient mes chants. J'avais plus que jamais le sentiment de m'exhiber. Ma mémoire connaissait tous les morceaux sans que j'aie à penser. Je laissais mes mains faire tout le travail. Je perdais seulement le rythme. Andreas, fidèle devant l'éternel, accélérait aussi ses percussions, bousculant Lillie et Guillaume qui dissimulaient mal leur agacement. Puis il en eut assez, distordit au point qu'il m'était difficile de suivre. Je jetai le violoncelle par terre et sortis de scène alors qu'il transformait la pièce en un solo désaxé. La tête contre le mur du couloir, je marmonnais des paroles incohérentes. « ... J'en peux plus... Arrête... ». Guillaume passa une main sur mon épaule. Je savais que les Forceuses étaient derrière nous et que cela l'embarrassait. « Viens saluer, allez... »
Lors de la soirée qui s'ensuivit, je déambulai dans les couloirs et autour du hall, me donnant l'air toujours à la recherche de quelque chose ou quelqu'un, afin de n'être pas importuné. Guillaume saisit mon bras : « T'as l'air encore plus dingue comme ça. Viens, reste avec moi, t'auras pas à parler. » Il discutait avec Victoire. Elle avait le visage le plus lumineux que je n'eusse jamais vu. Un nouveau vertige.
« Je vais aux toilettes.
- Tu veux que je t'accompagne ?
- Tu veux que je te donne ma ceinture et mes lacets ?
- P'tain, Vincent, je m'inquiète pour toi. Profites-en pour te regarder dans la glace, tu comprendras...»
Je traversai le couloir qui menait aux loges en me cognant contre les murs. Un sanglot se coinçait dans ma gorge, je ne parvenais pas à pleurer. Je me raclai la gorge et crachai dans le lavabo, eus un haut le cœur qui m'arracha un gémissement ridicule. Je tentai de donner à mon souffle un rythme convenable, de dénouer les crampes qui tordaient mes entrailles. Je m'approchai jusqu'à me cogner le front contre le miroir, plongé dans ces yeux ces yeux verts ces yeux verts. Je te connais. Je te connais. Blême, les joues creuses, des cernes noirs, les yeux rouges. Un fantôme. Une carcasse vide. Et ces pupilles, vert presque transparent. Je ne te reconnais pas. Je frappai mon front une deuxième fois. Arrête. Je ne te reconnais pas. Encore. Arrête ! Qui es-tu ? Où es-tu ? Mes mains empoignèrent mes cheveux. Arrête ! Un autre spasme me secoua violemment et douloureusement. Ni larmes, ni bile. J'étais pitoyablement vide.
J'entendis la voix de Nathan. Andreas lui répondit. Mon cœur s'affola. Je me retins au mur gluant et mou, la bouche grande ouverte pour avaler des goulées d'air qui ne voulaient pas venir.
« Tu es beau... » murmura Nathan tendrement.
Il y avait du sourire dans sa voix.
Petit rire étouffé d'Andreas. Le rire d'Andreas... Le rire d'Andreas ! Je le rejouai dans ma tête, en boucle, en boucle. Froissement de vêtements. Le son d'un baiser.
« Nate, je... je pourrais être heureux avec toi... Joyeux en tout cas. Mais j'ai déjà essayé d'être joyeusement amoureux, ça n'a pas marché. Je peux pas renoncer à Vincent.
- Mais c'est ton frère... ?!
- Bon sang non, bien sûr que non... Et comme j'aurais aimé...
- Oh... Merde, alors...
- Je suis désolé. Tu sais, il... Il touche la corde sensible... oui, avec son mutisme. Même muet, je l'entends, partout, résonner, comme un écho...»
Connasse d'ironie.
« Il y a quelqu'un ? » demanda Nathan, la voix un peu nouée.
Les oreilles bourdonnantes, le champ de vision rétréci, je sortis, accroché au mur, le regard flou, dents serrées ; une grimace de dégoût de moi-même déformait mes lèvres en un rictus effarant. Cela n'empêcha pas Andreas de s'élancer dans mes bras.
« Viens on va sur le toit. Ça te fera du bien même s'il fait chaud. »
L'air moite ne me faisait vraiment aucun bien, mais au moins j'étais avec lui. Les bourdonnements de mes oreilles faisaient des volutes dans mon crâne, comme...
Comme de la musique.
Dans l'air gras, je secouai la tête pour chasser ces spirales mensongères de ma tête. Cela n'existe pas, cela n'existe pas... Même si dans quelque chose qui ressemble à un souvenir d'amour intense ou à une foi sans pilier, elle est belle à crever, elle n'existe pas, la ligne. Elle n'existe pas, mais pourquoi ces mille mélodies encore non chantées et plus belles les unes que les autres voulaient me précipiter vers Andreas ?
Il caressa ma joue.
« Tu reprends des couleurs, c'est bien...
- Ils te veulent. Il te veut... » murmurai-je, sans oser le regarder.
Sauve-toi, Andreas.
Sauve-toi !
De quoi serai-je capable pour la retrouver ?
« Je sais...»
Il avait la tête baissée.
« Mais toi ? Est-ce que tu m'aimes quand même ? Même si je ne suis pas... ça ? »
Tellement.
Tellement...
« Tellement que ça en fait mal. »
S'il fallait en finir, après avoir été pris pour un fou, après m'être tué à jouer, après avoir tout perdu, ma fin serait comme ça.
Puisqu'elle continue.
Elle continue.
Je saisis sa main, étranger désormais à moi-même, je la laissai prendre le contrôle :
« Viens, on se casse. »
Nous avions à peine descendu le premier palier de l'escalier que j'avais déjà fondu sur sa bouche qui n'attendait que moi. Explosion, dans ma tête, de tous les sens. J'abandonne. Je ne le vois plus. Il n'y a que ce bourdonnement multiple comme un labyrinthe.
Mon ange, messager de l'autre monde, dis-moi...
« Tu vois, Vincent, je suis là, moi, bien vivant... » balbutia-t-il entre deux baisers.
Ce n'est pas Andreas, bien sûr. Il est là, vivant sous mes mains, son corps chaud ploie dans mes bras. Mais qu'est-ce, cela que je retrouve en toi ? Lèvres si parfaitement ourlées que je crevais de dévorer. Langue curieuse, brûlante de désir, promesse affolante. Où es-tu, damnée ligne ? J'étais prêt à chercher au fond de ses entrailles. Éperdu, il gémissait :
« Je te veux... Je te veux !!! »
Je plaquai ses mains contre le mur pour descendre dans son cou. Brûle, brûle mon amour, que tout disparaisse, que je perde tout, que je puisse mourir, enfin. Je contemplai pour la dernière fois son visage rejeté en arrière, baigné de béatitude. Je devais le caresser, tant mes yeux étaient brouillés, pour m'assurer de sa présence mais mon front contre le sien et mes mains sur ses joues s'engourdirent eux aussi. J'approchai mon oreille de sa bouche pour entendre sa respiration haletante, ponctuée de gémissements harmonieux qu'il tentait vainement de retenir. Il y glissa une langue amoureuse. Je le repoussai contre le mur en descendant sur son ventre, désert chaud où battait une pulsation irrésistible, profonde et vitale. J'y posai mon front, mes lèvres, une seconde ; ému aux larmes, les mains pressées sur ses reins. Je léchai sa chaleur exquise et mordis ses frissons, tandis qu'il tentait lui aussi de m'atteindre. Je ne voulais pas être caressé. J'avais envie de dévorer son ventre, sa chaleur, la chair vivante qui se dressait pour moi. Ses soupirs changèrent. Ils me déconcentraient. « Attends, Vincent... Qu'est-ce que tu fiches ? Arrête, c'est pas ça que je veux... Pas comme ça, attends ! » Il tenta à nouveau de me caresser, je plaquai sa main contre le mur. Andreas, laisse-moi le temps...
« ARRÊTE ! »
Puis, plus rien que ce sol froid dégueulasse, évanouissement soudain, l'absence, à nouveau.
Andreas m'avait frappé. Et moi, je l'avais -
Il tomba aussitôt à genoux, il m'enlaça, tremblant de tous ses membres de désir et de peur. Il m'étreignit longtemps, même quand, revenu à moi-même, je tentai de le repousser, même quand mortifié, je tentai de m'enfuir.
Lorsqu'elle vit nos visages dévastés, Lillie eut un cri. Il lui demanda d'une voix brisée si elle pouvait nous ramener à la maison, en me tenant fermement par le bras pour ne pas que je fuie. Dieu, quel monstre. Et il ne se rendait compte de rien ? Si terriblement affectueux. J'avais envie de me blottir dans ses bras autant que de le frapper jusqu'à ce qu'il me haïsse.
« Je ne peux pas conduire, j'ai trop bu... Et Guillaume aussi... Vincent ? Est-ce que ça va ? »
Elle effleura le bleu qu'avait causé son coup sur ma tempe.
« Vous vous êtes fait agresser ?!
- Non, je me suis cogné, c'est rien... »
Elle ferma les yeux, exténuée et s'écroula dans mes bras.
« Vincent, je t'en prie arrête tout ça, j'en peux plus de me faire du souci pour toi... Pourquoi tu ne reviens pas ? Je ne peux pas comprendre ce que tu ne dis pas...»
La musique pop et jeune tonitruait autour de nous. L'alcool imbibait sa sueur. Les rires résonnaient, les lumières étaient roses et dorées. Lillie me serrait dans ses bras et, la tête sur son épaule, au milieu de cette agitation festive, je l'entendis à peine dire : « Laisse-le... Laisse-le partir... »
Elle me retint lorsque je voulus me redresser : « J'ai essayé, balbutiai-je. Il revient sans cesse, sa musique...
- Ce n'est pas Andreas. Quand est-ce que tu comprendras que ce n'est pas Andreas ? »
Et tandis qu'elle parlait encore, mes esprits se précipitèrent par-delà les baies vitrées qui se déchiraient sur la nuit.
Je me serrai le plus possible contre elle quand il fut inévitable de me coucher dans la caravane, terrifié à l'idée d'agresser Andreas à nouveau, essayant en vain de réduire mon âme à une note, et surtout de ne pas m'endormir. Lorsque je réussissais à me calmer, je tombais dans un gouffre et une vague d'angoisse me submergeait à nouveau. Lillie s'en rendit compte lorsqu'elle se réveilla entre deux sommes, au milieu de la nuit. Elle me retira les écouteurs « Allez... Ça suffit, Vincent... » avant de se pelotonner à nouveau dans les couvertures. Andreas était réveillé. Je fis semblant de ne pas remarquer son souffle, ses yeux lumineux. Il se rapprocha de moi et glissa sa main à la recherche de la mienne. Ce geste si précieux fit cascader un sanglot.
« Putain, Vincent, tu fais chier ! s'emporta Guillaume que je réveillais. Je suis crevé, je ne demande qu'à dormir et même ça tu peux pas ?! Juste fermer ta putain de gueule ?! Je te demande six heures ! Tu veux ma mort, non mais dis-le !! Tu veux qu'on devienne tous aussi tarés que toi ?!
- C'est toi qui vas te calmer ! bondit Andreas, toujours ridiculement fidèle. T'as aucune idée de ce qu'il est en train de vivre, merde ! »
Je le retins avant qu'ils n'en viennent aux mains : « Mêle-toi de ce qui te regarde, Andreas ! On t'a pas sonné !
- Je fais tout TOUT pour toi Vincent, louper des cours et des examens, supporter de jouer au second plan, tes crises en studio et tes crises à l'appart', à deux heures du matin, appeler les urgences et manquer de me faire virer du taf car je suis en retard...
- Les urgences ? Quoi ? Quand ?
- Ah, il ne t'a pas raconté ça ton amoureux ? C'est pas la première fois qu'il nous claque une crise pareille...
- Eh, Tu vas pas te casser en pleine nuit ! » coupa Andreas alors que je me levais et saisissais mon manteau.
Je sortis trois billets de mon portefeuille, que je jetai à Guillaume. « Prends-toi une chambre à l'hôtel. Tu te réveilles quand tu veux. On te retrouvera demain. »
Il saisit son sac et sortit sans plus un mot. Lillie se leva à son tour.
« Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vais me prendre une chambre aussi. »
Je me sentis blêmir.
« Non, tu ne peux pas me laisser là... Avec lui... Me laisse pas, je t'en prie... » chuchotai-je.
Elle pressa ses mains sur son visage.
« Je peux pas, Vincent ! Ça fait des semaines que tu nous crèves, avec ta déprime, alors qu'on a joué tout ce que tu voulais, alors qu'on a réussi à faire décoller le groupe, on s'est saignés pour toi, et tu nous ignores... T'es pas seul, Vincent ! Je sais que tu souffres et que t'es traumatisé mais t'es pas seul ! Tout ce que je voudrais, c'est que tu nous considères assez pour nous parler, mais tout ce dont on a l'impression c'est d'être indignes de ta confiance. T'as pas idée de ce que ça fait d'être ignoré comme ça.
- Si, murmurai-je.
- Alors pourquoi tu nous fais vivre ça ? On t'a tout donné, tout... »
Je ne répondis pas.
« Tu peux pas nous imposer de vivre ça. T'as qu'à te prendre une chambre toi aussi, prends le temps de réfléchir, je pars avec Andreas. »
Hébété, de sommeil, secoué par les dernières révélations, il leva la tête vers elle, sans vraiment la regarder.
« Allez, viens. Ça lui fera le plus grand bien d'être seul pour réfléchir ! Pense un peu à toi ! T'as besoin de dormir, de prendre du recul avec tout ça. Ça te ronge, toi aussi.
- Ça me rongera encore plus d'être loin et de le savoir tout seul dans la caravane, dehors...
- Quoi ?
- Je reste ici Lillie, quand je pense à moi, ce que je veux, c'est être avec Vincent. »
Non. Non !
« Elle a raison Andy, j'ai besoin d'être seul. »
Sauve ta peau.
« Je ne te dérangerai pas, ce sera juste pour dormir, je veux pas te laisser seul. »
Je me rallongeai, trop fatigué pour quoi que ce soit, réfléchir ou me battre contre Andreas. Il lança à Lillie :
« On te retrouve demain.
- Je ne sais pas si je reviendrai demain. Rien que d'y penser, j'ai envie de... »
Elle balaya l'air de la main.
« Bref. »
Andreas tint promesse, il ne me parla pas. Il se tenait loin de moi. Il me fit écouter en boucle « It's never over (Oh Orpheus) » Sa main dans la mienne, si froide, si froide... Les voix mêlées, les échos, l'assurance des percussions, le trait net de la guitare, affirmé, les exhortations suivies de chuchotis, de voix jumelles où se succédaient désespoir et souvenir finirent par m'apaiser.
« Je te demande pardon...
- Tu es pardonné. »
Il n'y a rien.
Mon esprit se détacha de moi, entre la musique et Andreas, pour se permettre de tenir une journée de plus.
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