2.4
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Nine Inch Nails - The persistence of loss
Un concert ? Dans les ruines hantées par les créations de nos amis d'infortune qui nous dresseraient un décor idéal
Un truc en grand, avec les nouvelles chansons, avec les réarrangements des anciennes. Électrisés par la promesse d'un concert, le guitariste et Lillie revinrent plus souvent, canalisés par une perspective concrète.
Tu as besoin de leur présence et de leur dimension.
« On devrait enregistrer une maquette, déclara Andreas. On pourra la distribuer lors de nos prochains concerts. On a pas mal de chansons rodées, maintenant !
- Ouais, enfin, quand Vincent ne décide pas de partir en cacahuète à la fin...
- Mais avec quel matériel ?
- Celui de la fac. Les élèves du BTS peuvent faire ça : prendre le son, mixer les morceaux. Ils sont apprentis, alors ce sera un peu long, et peut-être un peu maladroit, mais ils aiment bien se faire la main sur ce genre de projet. Et on n'aura à payer que les disques.
- Quand ? balbutiai-je.
- Je n'ai pas encore réservé, peut-être dans deux semaines.
- Combien de chansons ?
- Je dirais... au moins cinq, non ? Pas seulement les vieilles de Carlieux, on devrait mettre Perceval et cette nouvelle sur laquelle on...
- On attend d'avoir fait le disque pour proposer une date à l'usine ? coupa Lillie.
- Ça nous amène à décembre.
- Concert du nouvel an ! annonça Andreas.
- Concert ET exposition, souligna Lillie en lui jetant une baguette à la tête.
- Eh !
- Eh ! Ludz ! On te rallume !
- On t'allume ! »
Des jours entiers au studio, auprès des techniciens, j'explorai les modulations nouvelles de nos enregistrements, nos strates décomposées, recomposées, je parcourais des arrangements artificiels, j'allai trop loin, forcément, j'en perdais le son même de mon violoncelle. Lillie me fit sortir avant qu'il ne fût trop tard. Je commençais à trembler de panique quand ils se réjouissaient de passer à la radio universitaire, de rappeler Michelle qui saurait nous conseiller des labels, de proposer à Eve de dessiner un logo, des autocollants et des tee-shirts.
J'avais l'impression de perdre mon temps, de faire tout sauf ce que je voulais
Sordides mondanités
« Laisse le temps au temps » , me dit Lillie.
Cette petite phrase-sésame de notre adolescence m'émut.
« Tu pourrais m'apprendre ?
- Tu sauras m'attendre ?
- On n'a toujours fait que ça, s'attendre l'un l'autre. Dis-moi plus souvent ce que tu veux et je ferai n'importe quoi pour te le donner.
- Mais tu chantes "Voilà plus de mille ans que j'erre parmi les monts". Tu ressens vraiment ça ?
- Parfois...
Tout le temps.
- Elle est incroyable, cette chanson. »
Voilà plus de mille ans que je suis mis en fuite
Par un crime incongru, spontané, oublié
Sais-tu comme j'ai couru pour m'éveiller ?
« J'ai dit à Andreas que la maison avait brûlé.
- Il ne faut pas que tu te sentes coupable. »
J'écarquillai les yeux.
« Que veux-tu, je suis une fille bien élevée, au tempérament calme et raisonnable... Il m'en a fallu du temps pour comprendre que la sagesse, c'est aussi savoir se mettre en colère. C'est savoir qu'on a le droit de mettre le feu.
Tes parents ont toujours fait comme si tu n'existais pas. »
Elle pressa mon épaule. J'entourai son poignet.
« Je suis désolé d'avoir oublié pour le violoncelle et toi. »
Je me rappelais très bien, maintenant, qu'elle avait commencé avant moi et m'avait donné envie, que tout avait commencé dans sa chambre. Je m'étais révélé bien plus doué qu'elle. C'était son premier chagrin d'amour. Son unique, déchirant, inoubliable chagrin d'amour.
« J'ai le chant, maintenant. Enfin... Quand tu me laisses. Perceval, ce sera à toi de la chanter. J'aime ce que tu écris mais j'ai envie de parler, moi aussi. Laisse-moi la place, murmura-t-elle le plus tendrement possible.
- Je vais y arriver, on va y arriver » criai-je à son dos tourné.
Andreas me tirait par la manche pour descendre au studio. Nous jouâmes un peu de clavier à quatre mains, je fis glisser l'archet dans les voûtes de son hang. Je feuilletai le cahier, parcourus des fragments de poèmes et mélodies. Quelques-unes avaient été rapides à arranger ; d'autres, nombreuses, plus délicates restaient à relier : des paroles, des atmosphères, un refrain incroyable sans couplet. Les yeux fermés, je laissai mon esprit divaguer, conduit par ce que jouait Andreas. Son rythme répétitif et engourdissant m'agaçait en se collant à ma peau. Je l'appelais mais plus j'essayais d'y insuffler mon jeu, plus il s'assourdissait, comme s'il me parvenait étouffé derrière un mur.
Agacé, je poussai un cri en lacérant les cordes.
« Rentrons à la maison. »
Le guitariste était parti travailler. J'hésitai à me coucher. Je m'accoudai au balcon entre deux passages du train aérien. Andreas, à sa fenêtre, me regardait avec un sourire curieux.
« A quoi tu penses, chevalier ? »
Je souris, ma tête fatiguée dodelinait.
Le silence de son côté aussi
puis un aveu :
« Tu m'en fais voir, des choses... »
Il regardait au loin, son petit sourire flottant toujours sur son visage, les cheveux balayés par le vent du métro aérien qui pointait au bout de l'avenue.
« Je vois encore des milliers de trucs, Andreas, j'ai en tête... »
Je parlai de plus en plus fort, couvert par le vacarme devant nos fenêtres, la vipère tapageuse ; je continuai de parler, les cheveux agités par son courant métallique, et me pressai de confier à Andreas ce qui me dévorait. Il rit en criant lui aussi, des éclats inaudibles et passionnés, bras tendus pour saisir l'inconsistance inconstante de nos désirs, et tout s'acheva dans un immense hurlement de bête sauvage, les mains crispées sur la rambarde, jusqu'à ce que de misérables lumières dérangées s'allument en face pour se refléter sur ses larmes lardées de rouge.
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