Chapitre 8
Sigma ferma la portière du van noir. Tous étaient silencieux. Les autres duos étaient parvenus à sortir indemnes de leurs secteurs. Ils avaient simplement été chassés des zones et non pas attaqués. En l'apprenant, la chef avait été soulagée. Un poids avait glissé de ses épaules.
Il n'était pas difficile de deviner que les corrompus avaient visé à éliminer les plus compétents dans le secteur Zêta. Ils s'en étaient pris aux plus forts.
Mais comment avaient-ils su qu'une patrouille viendrait ? Si les rondes étaient tellement prévisibles, il fallait y changer quelque chose. L'administration faisait mal son boulot.
Heta tenait fermement le volant, attendant le signal de départ de sa supérieure. Perdre un membre de son équipe n'était jamais facile, mais les chasseurs avaient été entraînés à faire face à ces situations. Pendant vingt ans de formation, on leur avait constamment répété qu'ils pouvaient mourir à chaque instant, qu'ils étaient destinés à ça.
La conductrice rousse semblait être la plus touchée par cet affreux événement, mais les autres savaient simplement mieux dissimuler leur désarroi. Elle était plus jeune et s'y habituerait au fil des expéditions. Malheureusement.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? lui demanda soudain la cadette.
Il était évident qu'elle n'avait encore jamais vu une mission échouer.
— Je vais faire un rapport auprès de l'administration. Il faut alerter tout le monde face à la situation critique. D'autres équipes pourraient subir le même sort dans le futur et devront se préparer au pire.
Sigma tentait de rester calme, de ne pas grimacer à cause de la douleur causée par sa blessure. Elle n'en avait rien dit aux autres. Après tout, elle était censée donner l'exemple. Ses longs cheveux blancs recouvraient la plaie. Bientôt, ce ne serait rien d'autre qu'une cicatrice de plus. Son corps était déjà recouvert de ces marques blanchâtres constituées d'une suite de quatre points. Quatre canines.
— Qu'est-ce qu'ils diront ? se manifesta une voix masculine à l'arrière du véhicule.
— Je verrai.
La chasseuse ne le savait pas. Elle n'avait jamais été dans le binôme concerné lorsqu'un membre était mort. Le secteur Zêta avait toujours été le plus dangereux, mais elle avait la chance d'être capable de se défendre. Elle avait vu de nombreux semblables perdre la vie, mais ce n'avait jamais été le cas d'un de ses coéquipiers.
Elle avait condamné Resh à mort et n'avait même pas eu le courage de se sacrifier pour lui. Elle avait pris la fuite telle une lâche. Les autres n'avaient pas besoin de le savoir, mais le grand esprit verrait à travers sa mascarade en un rien de temps. Aleph connaissait ses émotions et était conscient de ses décisions avant qu'elle ne les prenne. Il lisait en elle comme dans un livre ouvert.
La culpabilité la rongeait tout entière.
— Allons-y, ordonna-t-elle à Heta.
La conductrice obéit aussitôt et démarra le moteur. Tous avaient l'air angoissés face à ce qui les attendait. Ils ne connaissaient pas le protocole en cas de décès imprévu. Ils avaient espéré n'avoir jamais eu à le mémoriser. Les recrues présentes dans le véhicule étaient relativement jeunes, mais bien formées.
— Tu me déposeras à l'aile gauche du palais d'entraînement. Vous, rentrez tous aux dortoirs des chasseurs. Je me charge de la paperasse.
Ils n'avaient rien à voir dans cette histoire, ils n'étaient pas coupables.
— Donc la mort de Resh se résume à une pile de feuilles ?
« Exactement », avait envie de répondre la chef d'équipe. Mais ce serait trop brutal. La rousse semblait déjà être sur le point de craquer.
— C'est purement formel. Ensuite, son décès sera annoncé et pleuré par la communauté entière, la rassura Sigma.
Elle aurait aimé croire en ses propres mots. Toutefois, elle savait que c'était un mensonge.
À la disparition de Dalet, la plupart des citoyens avaient oublié l'annonce en un rien de temps. Peu avaient pensé à lui et encore moins avaient été attristés par sa disparition. La chasseuse avait été furieuse envers tous, elle avait traversé les couloirs du palais en détruisant l'intégralité du mobilier qu'elle croisait. Les nobles lui avaient jeté des regards amusés et ses semblables s'étaient écartés de son chemin. Ils avaient eu peur d'elle.
Ce jour-là, elle avait cru mourir de chagrin. Mais la période survenue après avait été encore bien plus éprouvante.
— Il était un homme bien, murmura Heta en prenant un tournant pour sortir de la forêt.
Le van prit la route à pleine allure.
Sigma posa sa main sur l'épaule de la vampire. Aucun mot ne pouvait égaler le réconfort dont témoignait ce geste. Il n'était pas difficile de deviner que la jeune recrue avait eu des sentiments pour Resh. Peu importe s'ils avaient été réciproques, la perte d'un être cher fait toujours autant de mal.
En retirant son bras, l'aînée manqua de se recroqueviller sur elle-même. La morsure du corrompu était encore ouverte et devait être soignée au plus vite pour éviter une quelconque infection. Elle le ferait en rentrant. Pas question de laisser quiconque toucher sa chair mise à vif.
— Est-ce qu'il a souffert ? voulut savoir la conductrice.
— Non. Le venin des corrompus a brouillé ses sens.
La toxine qu'il comporte met la proie dans un état d'euphorie, comme le ferait une drogue.
Elle aurait aimé ajouter qu'elle avait essayé de le sauver, qu'elle l'avait porté sur ses épaules avant d'être prise d'assaut, mais cela témoignerait d'une trop grande empathie qui pourrait lui être reprochée. Elle préférait garder la scène un peu floue. Libre à chacun d'interpréter son récit comme il le voulait. Dans tous les cas, elle serait à la fois la méchante et l'héroïne de cette situation inconfortable.
— Étaient-ils nombreux ?
— Une vingtaine.
Un silence inconfortable s'installa dans le véhicule. Personne ne s'était attendu à cette réponse. Aucune équipe n'avait jamais été confrontée à un tel nombre de corrompus. Quelque chose était en train de changer dans la ville. Sigma se demanda si cela avait à voir avec la jeune fille qu'elle y avait rencontrée.
— Mais comment t'en es-tu sortie ? articula soudain un coéquipier jusque-là resté silencieux.
Sigma inspira profondément.
Elle s'était préparée à cette question en traversant les passages souterrains.
— Resh s'est sacrifié pour moi. Je lui dois la vie.
Un ton mélancolique perça sa voix.
Le défunt avait toujours aimé frimer. Il avait tout fait pour être admiré au sein de la communauté. Mourir de façon banale l'aurait sûrement fait grimacer. Il méritait amplement qu'on embellisse la vérité et son vœu allait être exaucé.
— Le problème est que son arme est tombée dans les bras de l'ennemi, poursuivit la chef.
Elle n'avait pas pensé à l'emporter avec elle lors de sa fuite. Qui sait ce que ces créatures pourraient faire avec une immense arme à feu ? Elle préférait ne pas encore y penser. Sa première mission en vingt ans avait été une réelle catastrophe ! À présent, il lui fallait réparer ses erreurs.
— Au moins, nous avons pu trouver quelques indices, intervint un membre du secteur Bêta.
Sa zone avait été la seule à ne pas avoir été touchée.
Intriguée, Sigma lui fit signe de poursuivre.
— Nous avons retrouvé des traces de pas mouillées. Elles étaient bien trop ordonnées pour appartenir à un corrompu.
Il lui tendit son moniteur servant à signaler un problème et lui indiqua l'emplacement des empreintes. Malheureusement, la machine ne prenait pas de photos.
— Intéressant.
Le secteur Bêta n'avait plus été fréquenté par les patrouilles depuis plus d'une semaine. Personne n'y avait été envoyé. Ce devait être un citoyen sorti des passages secrets qui était passé par là.
— Le plus déconcertant était qu'elles correspondaient à celles laissées par les semelles des bottes d'un chasseur. Or, nous étions la seule équipe à avoir été envoyée ici depuis l'incident de Tau et Gimel, poursuivit le jeune homme.
Il semblait être tendu et excité à la fois. Sa découverte pourrait décrypter certaines pistes envisagées par le grand esprit quant à la récente théorie de conspiration des corrompus.
Cependant, aucun membre de la haute société n'était censé sortir de l'enceinte du palais d'entraînement ou des districts nobles sans l'autorisation de leur supérieur. Qui avait eu le courage d'enfreindre les lois ?
— Nous allons investiguer tout cela. Gardez-le pour vous pour l'instant.
Tous hochèrent la tête. Ils avaient compris le message.
Le propriétaire de ces empreintes pouvait être un individu ayant volé des bottes à un cadavre de chasseur, bien qu'aucun habit manquant n'ait été signalé sur les dépouilles rapatriées. Ou alors, elles pouvaient appartenir à un traître...
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