22. L'au revoir


"Ne crains pas la mort, car l'heure de ton sort est arrivée, et nul ne peut y échapper."

C'est une fierté. Ce passage dans l'au-delà.

Ces mots résonnent dans l'esprit de Jungkook alors qu'il se tient devant la tente de son père mourant. Une phrase qu'il avait entendue mille fois dans son enfance, une leçon inculquée à coups de fatalité et de regards résilients. Mais aujourd'hui, ces mots semblent peser d'un poids qu'il n'avait jamais anticipé.

À l'intérieur, dans l'obscurité tamisée de la tente, Les fils Jeon entourent Hakon, leurs silhouettes imposantes formant une barrière entre lui et la mort, comme si leur simple présence pouvait retarder l'inévitable qu'eux-mêmes ne veulent pas vivre.

Le souffle de Hakon résonne faiblement, comme une flamme vacillante sur le point de s'éteindre. Il est allongé sur une couche surélevée, faite de bois brut et recouverte de peaux d'animaux. Autour de lui, l'atmosphère est lourde, empreinte de respect et de tristesse. Hakon, autrefois imposant et robuste, n'est plus qu'un homme brisé par la vie qui le quitte. Ses joues sont creuses, ses yeux, bien que toujours perçants, sont ternis par la fatigue. Chaque respiration est un effort visible, son torse se soulevant avec lenteur sous le poids des couvertures. Mais malgré son état, il impose encore le respect, simplement par la force de son regard quand il réussit à ouvrir les paupières.

Jungkook est là, debout près de son père, ses larges épaules tendues sous le poids invisible de l'instant. Ses frères se tiennent autour de lui : Killian, impassible mais les poings serrés, Kaelen qui fixe le sol comme s'il ne pouvait affronter le regard de leur père, et le plus jeune, Aksel, dont les yeux brillent d'un mélange de tristesse et de révolte. Jin, bien que visiblement mal à l'aise à cause de son rut, se tient droit, la mâchoire serrée, prêt à quitter les lieux dès qu'il sentira son contrôle faiblir.

- Je ne pourrais pas... rester longtemps, murmure-t-il à l'oreille de Jungkook, sa voix grave teintée d'un regret qu'il cache mal.

Jungkook tourne brièvement la tête, lui adressant un hochement compréhensif. Il n'a pas besoin de mots pour savoir que son frère aîné préférerait mourir que de montrer la moindre faiblesse ici, au chevet de leur père.

À l'entrée, Yoongi se tient en retrait, toujours calme, une ombre rassurante dans le chaos latent. Les alphas les plus âgés du Conseil observent à distance, comme des témoins silencieux de la fin d'une ère. Le souffle d'Hakon devient plus court, chaque inspiration semblant arracher un morceau de son âme.

Les petits-enfants de Hakon, y compris Rowon et Siobhan, sont brièvement introduits dans la tente. Hakon, avec un effort visible, lève une main tremblante pour caresser les cheveux de chacun, ses lèvres formant un sourire faible mais sincère. Rowon s'accroche brièvement à sa main, et Siobhan, malgré son sérieux d'habitude, pose un baiser rapide sur la joue de son grand-père. Jimin, debout en retrait, observe avec une émotion qu'il peine à contenir. Ses enfants, comme tous les autres petits-enfants, sont rapidement sortis, leur innocence préservée de la lourdeur de ce moment.

Hakon inspire difficilement, son regard se posant enfin sur Jungkook. Il lève une main pour l'inviter à s'approcher, et ses autres fils s'écartent pour leur laisser un moment d'intimité.

Hakon tourne lentement la tête vers Jungkook, ses yeux brillants d'une intensité qu'il avait cru perdue. Ses lèvres bougent légèrement, mais aucun son ne sort au début. Jungkook s'approche, s'agenouillant près de la couche, prêt à capter chaque mot.

- Tu es là, commence enfin Hakon, sa voix rauque brisant le silence. Mon fils que j'aime... Le dernier des loups blancs.

Jungkook retient son souffle. Il a tant d'émotions en lui qui ne demande qu'à sortir. Autant que son loup qui aimerait s'échapper et courir à perte de vue sans but, sans regarder en arrière, en hurlant à pleins poumons une fois sa course achevée. Il aurait tant à dire, à reprocher. Il s'est tellement retenu depuis son arrivée ici, il prend sur lui, respecte les coutumes, tant qu'elles n'entachent pas ses nouvelles valeurs et sa nouvelle famille. Il essaie de faire le fils parfait, alors qu'il est loin de l'être, alors qu'il aimerait crier sur son père de tout son vécu, de la perte de sa mère que son père n'a sûrement pas assez protégée, de cette violence qu'il a subie pour qu'on le considère "digne d'être de la lignée". Jungkook n'a jamais rien demandé de toute cette souffrance.

Il sait maintenant que c'est différent ailleurs. Plus bienveillant. Plus respectueux. Que c'est possible. Et il ne veut connaître à l'avenir rien d'autre. Il repense aux regards entre Namjoon et Jin et se demande encore comment ces deux-là vont s'en sortir. Vont-ils se faire souffrir jusqu'à devoir lâchement se quitter, jusqu'à laisser les traditions les séparer et lacérer leur cœur ? Lui, il a fait le choix de s'enfuir, de protéger ses enfants pour qu'ils ne subissent pas à leur tour.

Mais il s'en veut. Est-il un faible ? Un geignement involontaire sort de sa bouche. Une boule se forme dans sa gorge.

"Mon fils que j'aime"

Que répondre à cela ? Il pense à ses frères à qui il ne l'a jamais dit. Il étouffe sa peine en lui, la repousse, il sait que c'est mal, qu'il va avoir mal, les larmes se forment dans l'humidité de ses yeux. Il aurait tellement voulu comprendre pourquoi. Alors qu'il y a d'autres solutions que la violence quand on aime.

Jungkook a t-il pris les coups de ses frères aînés et de son père, ceux qu'il recevait "c'est pour t'endurcir !" parce qu'il était le préféré ? Son petit frère a toujours été plus insouciant, arrivant toujours à se fourvoyer dans les tâches à accomplir ou mentir sans qu'il ne se fasse prendre. Il est peut-être le plus souriant de tous. Mais Jungkook, lui... devait être plus fort.

"Le dernier des loups blancs"

Cette responsabilité qu'il n'a jamais souhaitée. Les larmes veulent couler. Il a déjà haï sa couleur. Mais il ne l'a jamais dit à Jimin. Comment lui expliquer que lui aussi a détesté la neige, celle de son pelage, qu'il s'était déjà griffé sous forme de loup en pleurant seul dans les bois ? "Un Jeon ne pleure jamais", mais son loup, lui, a le droit. Combien de fois s'est-il retrouvé adolescent à pleurer ainsi, après une course effrénée ? Lorsque le sang coulait des sa paupière ou d'un coup de fouet dans son dos et qu'il préférait ensuite se transformer pour avoir moins mal ? Ces fois où Taehyung venait le retrouver sous la même forme, le sourire aux lèvres, son semblant de bonne humeur et ses coups de langue pour lécher ses plaies et le faire ronronner ? Il s'asseyait à ses côtés sur ses fesses, et le loup blanc et le loup noir regardaient dans le silence le ciel ensoleillé ou nocturne, sans parler, juste avec la présence de l'autre.

La main de Hakon, fripée et tremblante, repose faiblement dans la sienne. Malgré la faiblesse qui émane de son père, il y a encore une certaine fermeté dans ce contact, un reste de cette force indomptable qui avait marqué toute son existence. À l'extérieur, la fête appartient déjà au passé. Le village repose dans une quiétude presque irréelle, seulement troublée par le bruissement des feuilles sous la brise matinale.

Jungkook baisse les yeux sur leurs mains entrelacées. Une vague de souvenirs l'assaille, le ramenant à son arrivée dans la meute il y a quelques semaines. Il revoit les regards méfiants, presque hostiles, les jugements silencieux de ces alphas qui avaient grandi à ses côtés et qui le considéraient désormais comme un étranger. Il avait su, dès qu'il avait posé un pied sur ce territoire, qu'il n'aurait pas d'autre choix que de se plier une fois encore à leurs coutumes. Il avait pris sur lui, n'avait rien dit, mais savait. Il n'avait pas fait cela pour lui. Mais pour Jimin, pour leurs enfants, pour protéger ce qu'il avait de plus précieux.

Il serre un peu plus la main de son père, comme s'il cherchait une réponse dans ce contact. Comment pourrait-il en avoir ?

Il savait que revenir ici signifiait se soumettre, prouver sa valeur, refaire ses preuves. On ne revient pas dans une meute comme celle des Jeon sans montrer les crocs. On ne revient pas sans accepter de se briser à nouveau pour retrouver sa place. Jungkook s'était battu ce soir-là devant son oméga angoissé, non pas par plaisir ou par conviction, mais parce que combattre était la seule manière de garantir la sécurité de Jimin. Si lui avait fléchi, on se serait vengé sur son compagnon, la meute aurait vu en Jimin la faiblesse de Jungkook. Une cible. Alors, il avait fait ce qu'on attendait de lui. Comme avant. Comme toujours. Il avait obéi à des règles qu'il méprisait pour pouvoir approcher son père une dernière fois et exiger des réponses.

Pourtant, alors qu'il regarde maintenant son père affaibli sur son lit de mort, un doute le ronge. Il n'est plus ce garçon qui rêvait de plaire à Hakon. Il n'est plus ce fils qui cherchait désespérément l'approbation de ce père intransigeant. Il est celui qui pleurait sa couleur et sa mère. Alors pourquoi ressent-il toujours ce poids sur ses épaules, ce besoin insatiable de prouver qu'il est digne ?

Les souvenirs de son enfance affluent. Il se revoit, petit garçon insouciant, courant dans les bois, le rire clair de sa mère résonnant dans son dos. Elle était la douceur incarnée même en tant que guerrière, un refuge dans un monde où la brutalité régnait en maître. Elle était tout ce que son père n'était pas. Mais elle était morte bien trop tôt, et avec elle, une part de lui s'était éteinte.

Après sa disparition, il n'y avait eu que le silence et les ordres, la jalouse de ses frères de l'attention qu'on devait lui porter. Les bras forts de son père n'avaient plus été un abri, mais une leçon constante. "Tu seras moi plus tard, alors endurcis-toi !" lui disait Hakon, la voix grave et implacable. Mais Jungkook ne voulait pas être lui. Il voulait rester cet enfant qui aimait les rires de sa mère et les plaisirs simples de la vie. Il voulait être celui qui aime un garçon et n'aurait pas d'enfant. Mais dans la meute des Jeon, il n'y a pas tous ces luxes.

Bien qu'il y ait toujours eu des moments de liesse et de joie associés (et bien trop de débordements), Jungkook se souvient des coups reçus, des leçons de morale, de ces entraînements brutaux sous le regard dur de son père et de ses frères. Chaque coup, chaque leçon était censée faire de lui un guerrier. Et il l'était devenu, avec fierté. Mais à quel prix ?

Il inspire profondément, ses épaules se relâchant légèrement alors qu'il fixe les traits fatigués de son père.

Il aimerait pardonner à Hakon, vraiment. Il aimerait lui dire qu'il comprend. Mais il n'est pas prêt, il le sait. Et tant pis si cela met du temps.

Ce père qu'il avait tant admiré, tant haï, tant cherché à fuir, était aussi celui qui avait forgé l'homme qu'il était aujourd'hui. Jungkook savait qu'il avait fait des erreurs. Il en avait tellement fait, mais il avait aussi essayé de faire de son mieux, et même mieux. Il avait voulu échapper à cette vie, à cette meute, à ce poids. Et pourtant, il était là. De retour. Parce qu'une part de lui ne savait pas comment être autre chose que ce qu'on lui avait appris à être : fort, impassible, endurant, digne.

Il baisse les yeux sur leur main liée.

- Pourquoi, père ? murmure-t-il avec émotion. Pourquoi avoir fait tout ça ? Pour moi... ou pour toi ?

Les yeux d'Hakon s'ouvrent légèrement, brillants d'une lueur vacillante. Un faible sourire effleure ses lèvres.

- Pour nous deux, Jungkook. Toujours pour nous deux.

Et ces mots, simples mais lourds de sens, restent suspendus dans l'air, entre un père et son fils, entre le passé et l'avenir.

- J'ai fait... ce qu'il fallait faire, poursuit Hakon, sa respiration saccadée. Pour toi... pour elle... pour eux. C'était nécessaire.

Jungkook serre les poings, la tension dans ses épaules trahissant sa colère. Mais il sait que crier ne changerait rien. Il prend une inspiration profonde avant de répondre, sa voix tranchante malgré son calme apparent :

- Tu n'avais pas le droit de décider pour nous, murmure-t-il, ses mots lourds de reproches. Pas pour moi. Pas pour Jimin. Tu as imposé ton choix à notre famille... sans même demander.

Hakon ferme les yeux un instant, une expression d'usure sur son visage. Lorsqu'il les rouvre, son regard est empreint d'une détermination glacée.

- Si je ne l'avais pas fait... il n'y aurait plus eu de lignée. Pas de descendance. Pas d'avenir. J'ai agi... pour protéger ce que nous sommes. Et je referais ce choix. Encore et encore.

Les mâchoires de Jungkook se crispent, sa respiration s'accélérant légèrement. Il sent une vague de colère monter en lui, mais il l'étouffe, conscient de la fragilité de son père. Pourtant, il ne peut s'empêcher de murmurer, la voix pleine d'une tristesse qu'il n'a jamais exprimée auparavant, parce qu'exprimer ses émotions c'était être faible :

- Tu as sacrifié ta vie... pour quelque chose qui aurait pu attendre un ou deux sauts de génération. Tu n'as pas pensé à ce que cela nous coûterait... à ce que cela ME coûterait. Je ne veux pas de cette responsabilité dans la meute. Je ne suis pas idiot père. Je sais que tu m'as fait revenir dans la meute pour m'attendrir et prendre ta place en restant ici. Y trouver enfin ma place. Mais je n'en ai jamais voulu, pourquoi te voiles-tu la face ?

Hakon lève faiblement une main, cherchant à effleurer le bras de son fils. Sa voix n'est plus qu'un souffle :

- Tu y trouves déjà du contentement, non ? Ne me dis pas le contraire. Tu aimes aider et soigner, c'est dans tes gènes, les nôtres. Et Jin m'a dit que tu arrivais maintenant à te guérir.

- Père...

- Tu comprendras... un jour. Quand tu regarderas dans les yeux de ton enfant comme je l'avais fait avec toi. J'ai toujours su que tu serais meilleur que moi. Et quand tu verras... ce qu'elle est destinée à devenir.

Jungkook baisse les yeux, incapable de répondre. Il reste là, immobile, jusqu'à ce que le souffle de son père se fasse encore plus court. Aksel et Kaelen s'approchent doucement, posant une main sur l'épaule de Jungkook.

Hakon inspire difficilement, son souffle de plus en plus saccadé. Ses yeux, voilés par la fin, semblent chercher quelque chose au-delà des murs de la tente. Lorsqu'il se concentre enfin sur Jungkook, une étincelle de lucidité traverse son regard.

- Écoute-moi bien, commence-t-il d'une voix faible mais empreinte de gravité. Il y a quelque chose que je n'ai jamais pu te dire avant... quelque chose qui concerne notre lignée, et maintenant toi, ta famille, et surtout cet enfant à naître.

Jungkook garde le silence, son cœur battant plus vite.

- Cela remonte à un temps que même les plus anciens de la meute ont oublié, poursuit Hakon, sa voix se brisant légèrement. L'un de nos ancêtres loup blanc... il a sauvé un elfe. Pas n'importe lequel, mais le prince des elfes gris, blessé mortellement lors d'une bataille sur leurs terres. Les elfes, Jungkook... ils ne meurent pas comme nous, mais ils peuvent être brisés, détruits, lorsque leur magie est attaquée directement.

Jungkook plisse les yeux, autant que ses frères, absorbés par les paroles de leur père. Une histoire qu'ils n'ont jamais entendue auparavant, mais qui semble soudain éclairer tout ce que Jungkook ne comprenait pas.

- Cet ancêtre... il a utilisé l'essence même de sa vie pour soigner l'elfe, explique Hakon. Pas complètement, mais assez pour qu'il puisse retrouver ses forces et sa magie. En échange, le prince lui a offert une promesse. Une promesse sacrée, scellée par un pacte. Peu importe combien de générations passeraient, si un descendant des loups blancs utilisait un jour la magie des elfes pour sauver une vie ou en créer une, alors les elfes honoreraient leur dette. Mais... ce genre de magie ne peut être invoqué sans un prix. Tellement elle est puissante. J'ai osé prendre le risque.

Hakon s'arrête, rassemblant ses forces pour continuer. Jungkook serre un peu plus sa main, son esprit tournant à toute vitesse.

- Ce prix... c'est la vie de celui qui appelle cette magie, murmure Hakon, le regard fixé sur son fils. Une vie pour une vie. Lorsque j'ai utilisé mon don envers Jimin pour qu'il puisse concevoir votre enfant, j'ai invoqué cette ancienne magie. C'était un sacrifice. Je savais que cela me coûterait toutes mes forces, mais je l'ai fait parce que... parce que c'était mon devoir, envers notre lignée, envers toi. Et moi, je n'ai plus rien à perdre.

Les mots résonnent comme un coup de tonnerre dans la tente. Jungkook inspire profondément, ses émotions un mélange de colère, de tristesse, mais aussi d'un respect douloureux pour cet homme qui, malgré ses défauts, a fait ce qu'il pensait être juste.

- Avec ce pacte, une prophétie s'est répondue parmi nos ancêtres, parce que lier un don métamorphe à la magie des Elfes n'est pas sans conséquence. Elle ne s'était jamais réalisée. Celle d'un enfant né du don des loups blancs et des elfes. Et je l'ai réalisé.

Jungkook avait essayé d'y croire, très fort. Il avait pris sur lui lorsqu'ils s'étaient fait attaquer dans cette satanée forêt maudite et que les elfes les avaient sortis de là. Il avait essayé d'y croire, de comprendre ce qu'il foutait dans ce royaume féérique qu'il ne croyait que légendaire, avait revêtu leur tenue, avait dansé avec son lié sous leurs étoiles, avait mangé à la table du maître et de la maîtresse des lieux pour rester dans l'ignorance et le néant, tout en repoussant l'idée que sa fille avait déjà un prénom et peut-être même un prétendant bien trop sûr de lui, et qu'elle serait protégée par ce peuple érudit aux oreilles pointues. Depuis son arrivée dans sa meute, il avait refusé d'y penser, pour ne pas s'y confronter.

Parce que, n'est-ce pas une responsabilité bien trop lourde à porter ?

Les parents de Faën disaient donc vrai. Son père avait donc invoqué le plus ancien et le plus secret des pactes de sa famille pour que sa fille naisse...

- Alors, cette prophétie... cet bébé, notre fille... elle est liée à tout ça ? demande Jungkook.

Hakon acquiesce faiblement.

- Oui. La prophétie parle d'un enfant né, ici, dans notre clan sous une lune bénie, mêlant le sang des loups et l'essence des elfes. Elle sera différente, Jungkook. Unique. Et avec elle, viendront des défis... et des bénédictions. Les elfes l'attendent. Ils savent qu'elle est leur héritage autant que le nôtre.

Jungkook serre les poings, luttant contre un mélange d'émotions. Fierté, peur, incompréhension. Il cherche dans le regard de son père des réponses supplémentaires.

- Et qu'est-ce que cela signifie pour elle ? Pour nous ? demande-t-il, presque désespéré.

Hakon esquisse un sourire faible.

- Cela signifie que votre fille portera en elle une force que nul autre ne possède. Une connexion à la nature, à la vie elle-même. Mais cela la rendra aussi vulnérable. Elle devra être protégée, Jungkook. Les elfes respecteront ce lien, mais il y aura toujours ceux qui chercheront à exploiter ce qu'elle représente. Elle sera une clé, une réponse, mais aussi une cible.

Jungkook inspire profondément, essayant de comprendre l'ampleur de ce qu'il vient d'apprendre. Il pense à Jimin, à leur voyage, à tout ce qu'ils ont déjà traversé. Ce qui les a amenés directement chez les elfes.

Le fait que son père lui demande de revenir, ce voyage fou qui les a directement amenés à Faën, leur venue ici, la révélation de son père, la naissance qui doit se faire ici...

Et maintenant, cette nouvelle responsabilité.

- Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ? Même à mes frères ? Pourquoi garder cela pour toi ? accuse-t-il, le ton plus dur, mais pas sans respect.

Hakon détourne faiblement les yeux, une ombre de regret passant sur son visage.

-Ton frère Jin, le Chef de cette meute, est au courant, c'est lui qui a le parchemin du pacte. Il ne voulait pas te mettre la pression à ton arrivée. Malgré ce que tu crois, tes frères t'ont toujours protégé. Et tu es revenu, Jungkook. Tu as ramené ta famille ici, et maintenant cette prophétie est plus proche que jamais de se réaliser. Tu devais savoir, avant qu'il ne soit trop tard. À ton tour de protéger.

Un silence lourd s'installe, seulement rompu par le souffle rauque de Hakon. Jungkook serre un peu plus sa main, se penchant davantage :

- Je ne laisserai rien lui arriver, promet-il, sa voix basse mais emplie d'une détermination farouche. Elle sera protégée. J'en fais mon serment.

Hakon esquisse un sourire faible, ses yeux se fermant lentement.

- Alors... je peux partir en paix, murmure-t-il. Je vous aime... les garçons... quoi que vous en pensiez tous. Prenez soin... les uns des autres.

Le dernier souffle de Hakon emplit la tente, et avec lui, une paix étrange semble s'installer.

Le silence qui suit est assourdissant. Pendant un instant, personne ne bouge. Puis Jungkook réalise.

- Non... murmure-t-il, les yeux s'écarquillant. Non, non, pas encore.

Il secoue doucement la main de son père, comme s'il pouvait le réveiller.

- Père ! crie-t-il, sa voix brisée par un mélange de désespoir et de colère. Tu ne peux pas partir maintenant ! J'ai trop de choses à te dire, tu ne peux pas partir en me donnant ta place, ni me demander d'assumer TA décision. Tu ne peux pas me faire ça !

Il se penche, pressant son front contre celui de son père, cherchant désespérément à capter une dernière trace de chaleur, un dernier souffle qui lui prouverait qu'il est encore là. Les larmes ruissèlent silencieusement, traçant des sillons brûlants sur ses joues, tandis qu'une vague de douleur brute et implacable déchire son cœur, plus forte que tout ce qu'il a jamais connu.

- Tu ne peux pas... lâche-t-il dans un sanglot. Je dois rentrer chez moi, père. Je la protégerai, je protégerai, m-mais à ma manière. J'aurais voulu que tu l'entendes, que tu acceptes ce que je suis...Que tu sois fier ce que je deviens, même ailleurs...

Un souffle tremblant échappe à Killian, qui brise le silence en posant une main lourde sur l'épaule de Jungkook.

- Il l'était, je peux te l'assurer, murmure-t-il d'une sa voix brisée mais emplie d'une chaleur inattendue.

Les autres frères détournent les yeux, luttant pour contenir leurs émotions. Kaelen ferme les poings, les jointures blanchies par la tension, tandis qu'Aksel essuie discrètement une larme qui roule sur sa joue.

Jungkook reprend son souffle, il en ferme les paupières avant de chuchoter avec une pointe d'ironie :

- Père nous a toujours ordonné de ne pas pleurer. Et nous le faisons à sa mort... n'est-ce pas ironique ? De lui rendre hommage de cette manière, en brisant la seule règle qu'il a toujours voulu qu'on suive ?

Mais sa voix trahit la douleur qu'il essaie de cacher. Killian, le plus stoïque, hoche la tête, son regard fixé sur le visage apaisé de leur père.

- Ouais, il nous aurait grogné dessus et maman lui aurait dit d'arrêter d'être aussi dur, plaisante Kaelen pour faire sourire ses frères.

Les souvenirs affluent pour eux - les moments durs, les moments tendres, tout ce qui a forgé les hommes qu'ils sont aujourd'hui. Mais il n'y a plus de temps pour les regrets. Hakon est parti, et avec lui, une partie de leur histoire.

Jungkook lève les yeux, croisant brièvement le regard de Killian à ses côtés. Ce dernier pose une main ferme sur son épaule, une poigne réconfortante malgré la dureté de ses traits.

- Il est temps, murmure Killian avec calme. "Les choses changent et nous devons changer avec elle", c'est ce que grand-père avait dit avant de mourir.

Jungkook ferme les yeux, ses épaules tremblant sous le poids du chagrin et de ce souvenir bien plus ancien, d'un autre homme de leur famille, fort et paraissant invincible lui aussi. Mais il était décédé, comme beaucoup d'autres dans le ce clan guerrier.

Lentement, il se redresse, son regard fixé sur le visage désormais paisible de son père.

- Repose-toi, Père, murmure-t-il, sa voix presque inaudible.

Et alors qu'il se détourne pour laisser les anciens et alphas plus jeunes du Conseil venir saluer son père, une douleur sourde persiste dans sa poitrine. Mais quelque part, il sait que son père est enfin en paix.

Et dans son esprit, une résolution se forme, brûlante et indélébile. Il protégera Jimin. Il protégera leur fille et les siens, mais à sa façon.

🐾

Les anciens de la meute s'affairent en silence, leurs gestes précis empreints de respect. Hakon est veillé pendant trois jours et trois nuits, temps pendant lequel le clan prépare ses funérailles, chante, fait des offrandes et des sacrifices d'animaux.

Le corps de Hakon, immobile mais imposant dans la mort, a été nettoyé avec soin par Jungkook et Yoongi. Chaque pli de sa peau, chaque cicatrice raconte une histoire, une vie de batailles, d'honneur, et de sacrifices. Ses cheveux, encore épais malgré son âge, ont été peignés et tressés, une tradition pour guider les âmes vers l'autre monde. Sa tenue de guerre, symbole de sa grandeur, a été ajustée avec une précision presque cérémoniale, tandis que son épée, polie jusqu'à briller, repose à ses côtés, avec d'autres de ses armes avec lesquelles il a gagné ses meilleurs combats. Les fleurs sauvages et les herbes médicinales, soigneusement disposées, enveloppent le corps dans un parfum à la fois apaisant et vibrant qui a été préparé pour la crémation, mélange de sauge, de pin, et de lavande, comme une offrande à la nature elle-même.

Jungkook est maintenant là, immobile, son regard rivé sur son père. Il ne dit rien, mais ses mains, qui participent aux préparatifs, tremblent légèrement. Il aide à soulever le corps avec ses frères, unis dans ce moment de deuil, pour l'emmener et le placer sur le radeau. Jin, malgré sa posture rigide et son rôle de chef, ne peut masquer la tension qui marque sa mâchoire serrée. Killian et Kaelen, les deux autres aînés tout aussi affectés, évitent de croiser le regard de quiconque, comme pour protéger leur douleur. Aksel, le plus jeune, retient un sanglot, et c'est Jungkook qui pose une main ferme sur son épaule pour le soutenir. Les Jeon ne pleurent pas, mais ce soir, les règles semblent s'effacer devant la puissance de l'émotion.

Au loin, le radeau funéraire, majestueux rempli de ses effets personnels les plus précieux, de fleurs et des plus beaux tissus que Jimin a pu trouver et disposer, attend au bord de la rivière. Construit avec les bois les plus nobles, ses gravures racontent les légendes des Jeon, leurs victoires et leurs sacrifices. Les flots, calmes et argentés sous la pleine lune, semblent eux aussi témoins de ce passage. Chaque détail a été pensé pour honorer Hakon, pour rappeler qu'il ne s'agit pas d'un adieu définitif, mais d'un passage vers une autre vie, là où seuls les plus grands guerriers sont accueillis.

Les membres de la meute avancent en silence, guidés par la lumière vacillante des torches. Les chants des anciens s'élèvent, gutturaux et puissants, résonnant comme un écho aux battements des cœurs au rythme des tambours. C'est un chant d'au revoir, mais aussi d'espoir. Un rappel que la mort n'est qu'un seuil à franchir, une porte vers une existence où les âmes brisées trouvent enfin la paix.

Jimin marche à côté de Jungkook, légèrement en retrait, mais sa présence est constante. Sa main frôle brièvement celle de son compagnon, et ce simple geste, bien que discret, parle d'un soutien indéfectible. Jimin sait que les mots ne suffisent pas ce soir, mais il murmure tout de même, sa voix douce comme une caresse dans le chaos intérieur de Jungkook :

- Il aurait trouvé cela très beau.

Jungkook ne répond pas immédiatement.

Il avait espéré ne jamais voir ce jour.

Maintenant que son père repose sur le radeau, il hoche imperceptiblement la tête. Ces mots résonnent en lui, apaisant un peu le tumulte de ses pensées à travers tous ces chants, les sourires de tous, et ceux qui dansent enveloppés de peaux et leurs corps peinturés de symboles de leur clan. Il repense à sa mère, à la douceur de ses bras et à la lumière qu'elle portait en elle. Et maintenant, il ne peut qu'espérer que son père la retrouvera dans cet au-delà mystérieux où les âmes s'unissent à nouveau.

Les enfants de Jungkook sont présents aussi, avec ceux de ses frères et leurs compagnes. Toute la meute est présente, telle une armée fière et heureuse de rendre hommage. Siobhan serre une couronne de fleurs qu'elle a confectionnée pour offrir à son grand-père. Rowon, plus réservé, reste près de Jimin, son regard oscillant entre curiosité et tristesse. Jimin les observe, son cœur serré, promettant silencieusement de toujours les protéger de ce poids qu'est le devoir des Jeon.

Yoongi et Namjoon, silencieux, se tiennent en arrière, respectueux mais présent, aux côtés du reste de leur groupe. Les yeux sombres scrutent la scène pleine d'émotions et d'intensité, ils murmurent leur prière à mi-voix, pour Hakon mais aussi pour ceux qu'ils ont déjà laissés derrière eux.

Alors que le radeau est poussé sur l'eau, les chants du clan s'intensifient.

Les cinq frères s'avancent, allumant une flèche enduite d'huile et tendant l'arc avec une précision martiale. Jin est le premier à tirer, puis les autres suivent. Les flèches fendent l'air, enflammées, et frappent le radeau avec une grâce fatale, suivis des flèches d'une vingtaine de mâles alpha du clan qui s'étaient positionnés à bonne distance. Les flammes s'élèvent immédiatement, dansant avec une intensité presque vivante, illuminant les visages des Jeon et de leur meute.

Jungkook regarde les flammes dévorer le bois et les fleurs, son cœur lourd mais déterminé. Il murmure, presque pour lui-même, mais avec une force qui traverse la nuit :

- Repose enfin, Père. Que les flots te portent vers des terres où le chagrin n'existe pas. Là où maman t'attend, là où ton cœur sera léger.

Un chant cristallin s'élève dans les airs, celui d'un oméga, porteur de vie et d'espoir. Celui d'une meute décimée, mais qui existe encore à travers lui et grâce au dernier loup blanc. Ce chant qu'il entendait de sa famille, qu'il n'a jamais oublié et qu'il aimerait faire perdurer. C'est une mélodie ancienne, presque oubliée, qui résonne dans chaque cœur présent.

Jimin est debout, légèrement en retrait, les bras le long du corps, les yeux fermés. Il n'avait pas prévu ce moment, mais une force intérieure l'a poussé à le faire. Sa voix est douce, mais elle porte une puissance qui fait frissonner les guerriers les plus endurcis. Chaque note chargée d'émotions semble contenir une promesse, un souvenir, une prière, un hommage à la vie, un adieu respectueux à celui qui s'en va, et une bénédiction pour ceux qui restent. Sa voix traverse l'espace, transcendante, comme si elle reliait le monde des vivants à celui des morts.

C'est un chant d'adieu, mais aussi de renaissance, comme une flamme vacillante qui refuse de s'éteindre. Les notes, légères mais intenses, dansent autour du radeau funéraire, comme si elles accompagnaient l'âme de Hakon vers l'autre rive. Jungkook, immobile à quelques pas, sent sa gorge se serrer. Il connaît la force de son compagnon, mais jamais il n'a ressenti une telle intensité. Les derniers échos du chant se perdent dans l'immensité du ciel. Une brise douce souffle sur la rivière, emportant les notes avec elle, comme une caresse offerte à l'âme de Hakon. Un silence respectueux suit, chargé de l'émotion de ce moment unique.

Jimin rouvre doucement les yeux, croisant le regard de Jungkook. Comme une première rencontre, comme une connexion qui les lie de nouveau.

Rien que leurs yeux qui se rencontrent et se bouleversent.

Les flammes s'élèvent plus haut, emportant Hakon vers le fleuve rejoignant la rivière, vers l'au-delà.

Et alors que la lumière s'éloigne, une étoile semble briller un peu plus fort dans le ciel, comme un dernier signe, une promesse silencieuse que ce n'est jamais vraiment la fin.





Mais son père est mort. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

ִֶָ𓂃 ࣪˖ ִֶָ🐾 ་༘࿐


Voilà pour ce chapitre qui m'a donné un peu de fil à retordre mais aussi quelques larmes (on ne me refera pas, surtout quand il faut dire au revoir et qu'on n'a pas toujours l'occasion de le faire).

Même si je l'ai dit en message mais aussi sur Insta, je vous remercie à nouveau pour les 100K de lectures de cette histoire. Je n'ai pas les mots pour vous remercier de tout cet amour que vous lui porter, pour m'avoir incité à écrire une suite (laquelle je l'espère vous plait, même si elle est différente du tome 1) et pour commenter, m'encourager, apprécier cette romance que j'aime tant écrire. J'espère qu'elle nous portera loin encore ensemble.

Je vous dis à demain pour la suite. Belle soirée à vous chères étoiles ✨️😘

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