𝟣𝟧 | 𝖲𝗂 𝗅'𝖠𝗌𝗌𝗈𝗆𝗈𝗂𝗋 𝖾́𝗍𝖺𝗂𝗍 𝗎𝗇 𝖿𝖾𝗌𝗍𝗂𝗇.
🎵 Feel Good Inc - Gorillɑz
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ೃ⁀➷ 𝔏'après-midi était passé à une vitesse folle et la nuit tomba rapidement. Il était déjà vingt heures et nous n'avions pas cessé de discuter. Seuls quatre Angels du Chapitre de New York étaient présents à cette soirée d'accueil. Les autres étaient apparemment en mission, sur ordre d'Alvarez. D'ailleurs, celui-ci n'était pas aussi mauvais que je le croyais, et s'occupait beaucoup du jeune Gil. Ils avaient l'air d'entretenir une relation très spéciale.
— Raconte-nous comment t'as rencontré le Chef Evans ! lança Alvarez. Ça m'a l'air d'être une histoire croustillante.
Si seulement je pouvais faire en sorte que son nez redevienne droit.
— Elle s'est infiltrée chez moi, répondit Jayden avant même que j'aie le temps d'émettre un mot.
— Tu aurais pu te taire, rétorquai-je en serrant les poings.
— Et elle lui répond en plus ! s'exclama le trentenaire. Je l'aime déjà cette petite !
Les deux hommes que j'avais aperçus avec Alvarez en arrivant, apportèrent d'énormes packs de bière et les déposèrent sur la table basse. Ils en décapsulèrent une dizaine et nous les tendirent. Dennis Garcia semblait heureux d'accueillir du monde et il ne cessait de triturer sa moustache. Ses doigts boudinés étouffaient sous la pression de ses énormes bagues, bien trop petites pour lui.
Isaac Miller, lui, portait constamment une casquette de base-ball, un t-shirt représentant une femme dénudée et une bonne vingtaine de piercings lui recouvraient le visage. Quelques minutes après mon arrivée au QG, je l'avais surpris en train de fouiller parmi mes affaires. Apparemment, c'était une sorte de TOC chez lui, il ne pouvait s'empêcher de voler. Il était sorti de prison grâce à Alvarez trois ans plus tôt.
— Au retour du Chef !
Tous levèrent leur bière vers Jayden qui afficha un sourire ravi.
— Content d'être revenu au bercail.
— Tu devrais venir plus souvent, je vois pas ce qui te retient en Pennsylvanie, lança le moustachu aux gros doigts qui ne pouvait pas parler sans avoir la bouche pleine.
— C'est pas le moment de parler de ça, Garcia, fit Jayden.
— Le Chef a raison ! Buvons, c'est beaucoup plus amusant ! s'exclama Palmer en apportant une nouvelle bière à ses lèvres.
Celui-ci avait déjà le nez rouge et ne tenait plus sa bouteille correctement. A vrai dire, il avait commencé à boire dès que l'on était arrivé.
Nous nous installâmes autour de la grande table en bois située dans le salon et je m'assis entre Gil, qui ne cessait de tapoter sur la chaise à côté de lui pour que j'y prenne place, et Alvarez. Je ne savais pas qui avait cuisiné mais tous les plats avaient l'air délicieux, du moins, pour ceux qui avaient de l'appétit.
— Sers-toi Miss Evans, on ne va pas te laisser crever de faim, me proposa Alvarez en me tendant une assiette.
Non, tu dois perdre du poids. Ne mange pas ce soir.
— Je n'ai pas très faim, refusai-je poliment.
— Tu rigoles ! s'exclama-t-il en prenant un air renfrogné. Tu en as besoin sinon tu ne tiendras pas les prochains jours !
— Laisse-la, souffla son Chef. Sers-toi d'abord, Al.
Celui-ci ronchonna dans sa barbe mal rasée et se servit tout comme le reste du groupe. Des discussions sans aucun rapport fusaient depuis chaque coin de la table. Je ne comprenais pas un seul mot de ce qu'ils se racontaient car j'étais incapable de les suivre.
— Comment ça va en Pennsylvanie ? demanda Miller d'une voix nasillarde. Morgan va bien ? Ça fait un bail que j'ai pas revu son joli minois.
— Elle va très bien, répondit Jayden. Elle ne me parle jamais de toi, tu ne dois pas beaucoup lui manquer, dit-il sarcastiquement. Et puis elle sort avec Noah Barry.
Miller lui attribua un regard mauvais avant de replacer sa casquette de base-ball sur sa tête.
— Son blog tient toujours en tout cas, même s'il n'est pas très net, commenta Greene en tendant un verre d'eau à Palmer.
— Du moment qu'il nous est utile, je me fiche du reste, répliqua Jayden d'un ton las.
Je ne voyais pas vraiment en quoi le blog de Lindsay pouvait poser un problème, mais je ne posais pas la question. Après tout, les affaires internes du Club ne me concernaient pas vraiment.
— Tu dois avoir pas mal de boulot en ce moment, j'ai entendu dire que la vermine s'était concentrée à Philadelphie, dit Miller en se tournant vers Emerson.
— C'est vite fait, affirma ce dernier en se resservant un peu de vin. Suffit d'être stratégique et de les éradiquer quand ils sont regroupés.
On pourrait croire qu'ils parlaient d'animaux, mais je savais parfaitement que ce n'était pas le cas. Et cela suffisait à me donner la chair de poule et à faire trembler mes jambes sous la table. Emerson remarqua mon état d'alerte et me lança un regard interrogateur. Je hochais la tête en guise de réponse, signalant que tout allait bien.
— C'est dingue ce qui se passe avec Evans en ce moment. Jamais je n'aurais cru que ça se terminerait comme ça pour lui, fit le dénommé Garcia en jouant avec ses énormes bagues.
Sa moustache me stressait de plus en plus et ma nervosité s'accrut lorsque je me rendis compte qu'il parlait de mon père.
— C'est pas encore fini, remarqua Jayden. Mais il fallait s'attendre à des retombées.
— Tiens Eli, fit Gil en approchant un plat de moi. Tu veux des tomates ?
— Elle est allergique, coupa Jayden en tendant le bras. Donne-moi ça Barnett.
Gil s'exécuta et s'excusa auprès de moi. Comment Jayden savait-il ça ? Je ne me rappelais pas l'avoir évoqué, j'avais sûrement oublié. De toute façon, je ne pourrais plus jamais compter sur ma mémoire. Depuis mon accident, il m'arrivait d'avoir des absences, d'oublier certaines choses parce que mon cerveau les considérait futiles et ne voulait pas s'en encombrer.
— Et Griffin ? Ça fait sacrément longtemps que j'ai pas vu ce gosse ! s'enquit Alvarez en direction de Jayden. Il devient quoi ?
— Je crois qu'il continuera de s'entraîner encore et encore tant qu'il n'aura pas atteint son objectif, répondit son Chef.
— On ne devrait pas l'aider ? demanda Gil qui ne cessait de gesticuler depuis dix bonnes minutes.
— Sûrement pas ! le réprimanda Alvarez. On ne doit jamais interférer dans la quête personnelle des autres Angels, retiens bien ça. Sauf si on te le demande.
Le Club était régi par de nombreuses règles très strictes et je comprenais maintenant pourquoi. C'était un moyen de continuer à vivre ensemble, de se soutenir d'une certaine manière et de se rester fidèle. Chaque Angel avait un rôle bien défini, un poids sur ses épaules et une mission à remplir. Ils admiraient leur Chef et le respectaient comme un membre de leur famille. Ils étaient une famille.
Nous continuâmes le repas dans un brouhaha infernal entre Palmer qui ne cessait de faire la misère à Greene, Alvarez qui répétait toutes les deux minutes à Gil de se tenir correctement, et Garcia occupé avec Miller à faire des bras de fer sur la table, bousculant les assiettes. Les bouteilles de vin et de bière se vidaient à vue d'œil et je surpris Jayden qui se donnait beaucoup de mal pour rester assis normalement.
— Vous croyez qu'ils ont changé ? demanda Palmer dont le sang était à mon avis plus concentré en alcool qu'en globules rouges.
— Qu'est-ce ça peut t'faire, t'façon ils termineront tous au trou ! lâcha Garcia qui était dans un état tout aussi lamentable que son interlocuteur.
— Ils parlent des Rebels, chuchota le petit Gil à mon oreille.
Je le remerciai de son information par un sourire. J'avais presque oublié que les Rebels faisaient partie des Hell's Angels par le passé. Ils avaient tous été amis à un moment donné. Je me demandais ce qui avait bien pu causer un tel déséquilibre chez les Hell's Angels pour les séparer en deux clans, et surtout, qui avait bien pu organiser le massacre des Rebels en faisant passer cet acte pour l'œuvre du HAMC.
— Cox est toujours pédé ? questionna Miller en jouant avec ses piercings. Il avait essayé de te choper Owens, tu te souviens ?
— Et toi t'es toujours obligé de nous rabâcher les mauvais souvenirs, Miller ? grinça le jeune homme. J'y vais, moi, je vais fumer.
Owens se leva tout en faisant bien crisser sa chaise sur le carrelage, signalant son mécontentement et sortit de la pièce en claquant la porte.
Pourquoi s'offusquait-il ainsi ? Ce n'était pas dans son habitude d'agir comme ça. Normalement, s'énerver pour rien était le rôle de Greene le grincheux, pas d'Owens le timide. Miller avait sûrement touché un point sensible.
Palmer avait posé sa tête sur l'épaule de Greene tout en marmonnant des paroles incompréhensibles. Son jeune ami affichait un air exaspéré et ne cessait de lui recommander de boire de l'eau. Jayden était parti accompagner Owens à l'extérieur, et Gil dormait la tête enfouie dans ses bras. Ce gamin avait bien trop bu lui aussi.
— J'espère qu'on les tuera tous... comme ils nous ont tous tués, marmonna Garcia dont les yeux se fermaient lentement.
— C'est clair... un bain...sang...mérité..., bafouilla Miller qui lui aussi était sur le point de s'endormir sur sa chaise.
— Je crois qu'ils sont tous complètement assommés, déclara Alvarez étonnamment sobre. Je ramène Gil dans sa chambre. Greene, emmène la Miss Evans à l'étage. Quant à toi, fit-il en se dirigeant vers Emerson, occupe-toi de ces trois ivrognes.
Palmer, Garcia et Miller ne bougeaient plus d'un cheveu. Ils ronflaient affalés sur la table devant eux, les manches de leurs blousons en cuir trempant dans leurs assiettes. Jayden et Owens n'étaient toujours pas revenus de leur « pause clope » et je me demandais ce qu'ils faisaient depuis tout ce temps.
— Suis-moi Evans, m'indiqua Greene.
Nous montâmes des escaliers en bois dont les murs en briques rouges qui l'entouraient étaient recouvertes d'images et noir et blanc représentant d'autres motards. Il y avait plusieurs affiches auxquelles je n'avais pas prêté attention plus tôt, sur lesquelles était inscrit : « Honor, Respect, Support 81 » ou encore « 81 Forever ». Les portraits d'un même homme étaient accrochés à plusieurs endroits. Sur une étiquette, je pus lire « Zed Silva ». Le blason des Hell's Angels était partout, je trouvais des articles de presse, des photos officielles, mais aussi des posters de pin-up. En tout cas, il n'y avait plus un seul espace vide sur les murs.
Green m'expliqua que les posters de pin-up étaient une idée de Miller et Palmer, ce qui ne m'étonnait pas d'eux. « Honor, Respect, Support » représentaient les trois piliers du Club, les trois valeurs les plus importantes pour eux. Si un Angel venait à enfreindre l'un de ces principes, il était châtié.
Et enfin, les Hell's Angels avaient aussi leurs surnoms ; 81 ou encore les Rouges et Blancs, les couleurs officielles du Club. Le 8 de 81 représentait le H pour Hell's. Quant au 1, il représentait le A pour Angels. C'était un peu comme leur nombre porte bonheur. Personne ne m'avait jamais rien dit à ce sujet mais il s'avérait que je n'avais jamais posé de question à ce propos.
Au deuxième étage, Greene s'avança vers une petite porte au fond du couloir et l'ouvrit à l'aide d'une clef qu'il venait de sortir de sa poche.
— C'est l'ancienne chambre du Chef. On ne vient presque plus ici alors les gars ont tout entassé dans des cartons. Ton sac est là aussi.
— Merci, Greene.
Je le vis s'éloigner de moi puis il s'arrêta net quelques mètres plus loin.
— T'avais pas l'air en forme ce soir, il y a un truc qui va pas ?
Je fus étonnée par sa question et pris plusieurs secondes avant de répondre. Greene ne faisait pas grand-chose de ses journées, mis à part grogner, jouer à des jeux vidéo d'horreur, encore grogner et se battre avec Palmer. Il me faisait penser à un petit garçon capricieux qui piquait une crise dès qu'il se voyait refuser quelque chose. Il ne s'intéressait pas vraiment aux autres, en encore moins à leur mal-être.
— C'est rien. Ça arrive, parfois.
— Tu m'en parlerais si jamais t'allais pas bien, hein ?
Je le dévisageais, plongeant mes yeux dans ses iris verts, soutenant son regard inquiet.
— Bien sûr, mentis-je en souriant.
Puis il reprit son air renfrogné, fronça ses sourcils noirs et reprit la direction des escaliers. Je restais perplexe quelques secondes avant de me tourner et d'entrer dans la chambre.
Comme Greene l'avait dit, une vingtaine de cartons empilés les uns sur les autres se trouvait à droite de la porte. Il y avait seulement un lit double et une armoire en bois dans la pièce, ce qui la rendait d'autant plus froide.
J'ouvris l'unique placard par curiosité mais je compris très vite que j'avais besoin d'une clef pour y accéder. Je la trouvais posée sur l'un des vieux cartons et déverrouillais la porte. Des tas de papiers et de pochettes étaient dispersés en désordre sur les étagères. Je remarquais quelques objets que je n'avais jamais vus auparavant comme une sorte de pince en métal ou encore de petits triangles en plastique.
Je pris l'une des nombreuses feuilles et la détaillais. Des dizaines de phrases étaient inscrites à l'encre bleu, dans une écriture peu soignée, mais tout de même lisible. On aurait dit une sorte de poème.
Des pas lourds et irréguliers retentirent à travers l'étage ; Jayden était de retour. Je m'empressais de remettre la feuille à sa place, de refermer le placard et de reposer la clef là où je l'avais trouvée. Une seconde plus tard, Jayden fit son entrée dans la pièce.
— Ah... C'est vrai que je vais devoir me coltiner ta présence toute la nuit, marmonna-t-il.
Il empestait l'alcool à des mètres à la ronde ce qui me fit grimacer.
— Dépêche-toi de te coucher, je suis fatigué, bredouilla-t-il en retirant son blouson avec difficulté.
— Tu n'as qu'à aller dormir en bas si t'es pas content, lui soufflai-je.
Il fronça les sourcils, mais ne répondit rien. Il devait actuellement se situer sur une autre planète, probablement la même qu'Owens lorsqu'il fumait.
D'ailleurs je me demandais ce que celui-ci faisait toujours dehors. S'il allait bien. J'aimais beaucoup discuter avec lui. Parler n'était pas trop son truc, pourtant je sentais qu'il aimait se livrer avec moi. Il me faisait part de ses sensations lorsqu'il planait et je lui parlais des miennes quand je regardais les étoiles. Owens était un rêveur dans l'âme et c'était pour cette raison qu'il m'inspirait beaucoup. Parfois on évoquait la littérature, il disait qu'il adorait les romans de fantasy. Je supposais que cela correspondait mieux à son imagination débordante.
Et puis, Owens aimait la lune. Peut-être restait-il dehors pour lui parler.
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