Chapitre XXIV: Evolution
L'immense salle aux plafonds voûtés fut bientôt déserte. L'ancien roi et son épouse regagnèrent leurs appartements, et l'heure du Conseil n'était pas arrivée. Dans un coin de la salle s'était posté le Conseiller. Weskovin était seul, toujours assis dans une position peu confortable, et Floralyn s'avança vers lui.
-Weskovin... ou plutôt devrais-je dire « Sa Majesté », se corrigea Floralyn avec une pointe d'ironie.
Elle était restée là dans un seul et unique but : lui demander s'il avait reconnu son agresseur.
Le roi la dévisagea une seconde, et devina qu'elle avait tout vu. Il se leva donc en ramassant un poignard et le bouton tombé de sa veste en souriant.
-Floralyn, ma très chère... pourquoi me traiter de la sorte ? Nous n'étions point en désaccord, avant le couronnement...
<<Signifie-t-il que je suis mauvaise joueuse ?>>, pensa-t-elle, mais en même temps... elle n'était ni honnête, ni loyale...
A ces réflexions, un sourire amusé vint animer son visage.
-Je le sais... mais qu'importe ?
-Même pour la fuite d'Alexia avec ce cher petit Krusla ? la piqua-t-il.
-Oh... la fuite...
Et elle plongea dans un profond silence, tandis qu'une larme roula sur sa joue, avant d'être effacée d'un geste furtif.
-Auriez-vous reconnu votre agresseur ? demanda-t-elle afin de changer de conversation comme de ruban.
-Hélas non, très chère. Mais je m'en chargerais personnellement.
-Ah... tant mieux, donc... vous êtes roi, après tout.
Elle se mordit les lèvres jusqu'au sang. A ce rythme là, elle n'en tirera rien. Autant s'orienter vers un sujet plus sensible...
-L'épreuve du Prétendant se maintiendra-t-elle cette année ?
-Bien évidemment, s'écria-t-il d'un ton faussement sincère. Vous sembliez déçue... rechercher un époux bien-né et servir votre pays ne vous plait-il donc pas ? Une jeune demoiselle si bien née...
Floralyn lui jeta un regard appuyé.
-Parlez donc pour vous ! rétorqua-t-elle. Quand notre chère Majesté prendra-t-elle une charmante épouse ?
Weskovin lui lança un sourire innocent :
-Mais très bientôt, juste avant l'Épreuve du Prétendant, même. Je me lierai alors avec un très bon parti. Une jeune fille qui sera une ravissante reine pour notre pays... ne témoignez-vous pas, Floralyn ?
Il fallut à celle-ci un moment avant de comprendre la signification de la dernière phrase.
<<Il... c'est moi qu'il veut ! Il m'tendu un piège, et j'y suis tombée !>>
On lui vantait chaque fois sa stratégie, son intelligence... mais elle n'a même pas vu venir un plan aussi grotesque !
-Oh, moi ? s'exclama-t-elle, surprise. Je n'aurais jamais cru en un si immense honneur !
-Hé bien, très chère, vous sembliez apprendre une surprise agréable : tant mieux. La dague qui a souhaité me tuer vous sera un présent qui vous sera –je crois- fort agréable. Je vous le donne en gage de mon amitié.
Il la lui tendit en même temps que son bouton ; la jeune fille la prit entre ses mains et la glissa dans une pochette en cuir poli et se retira après un hochement de tête.
Elle erra dans les couloirs les plus déserts. Personne, personne ne devait la voir affligée ! Mais la peur prit rapidement la place de ce sentiment. Weskovin, malgré son apparence, devait avoir plus de cent cinquante ans –ce qui était tout à fait normal pour un Estre. Que le poussait-il à se lier avec elle ? Elle devait le découvrir, avant d'être perdue à jamais. Et... de préférence avant le mariage.
Floralyn hocha imperceptiblement la tête. Pour cela, une seule arme : l'innocence feinte.
*
Weskovin suivit des yeux la fillette quitter la salle, armé d'un sourire inquiétant. Il avait triomphé... encore.
Cette Floralyn... quelques décennies, et elle sera pour lui une adversaire de taille. Mais tant jouvencelle qu'elle était...
Son conseiller s'approcha de quelques pas, et s'inclina.
-Vos prédictions étaient bonnes, Sire. Son Altesse Floralyn est tout à fait innocente. Elle semble complètement ignorer vos plans...
Le roi ricana, et soupira :
-Richter, Richter... C'est là où tu te trompes. A vrai dire, j'aurais pu perdre lors de l'épreuve du trône, à cause de cette gamine. Là où tu la penses pure, elle est espiègle. Sa joie et sa candeur était feinte. C'est une actrice terrible.... Mais ce qu'elle ne sait pas, cette chère Floralyn, c'est que là où elle voit loin, je vois encore plus loin.
Ses lèvres exprimèrent une excitation visible :
-C'est cela qui causera sa perte ! Grand-père... je t'obtiendrai l'Écarlate... mais j'espère que tu n'oublieras pas ta promesse. Sinon...
Il serra ses poings, si fort que ses oncles entaillèrent sa main jusqu'au sang.
*
Blottie contre Fantôme, Floralyn enfouit son visage dans la masse de fourrure avant de s'en écarter avec dégoût.
-Ne me dis pas qu'elle est encore allée dénicher les oiseaux ! s'écœura la jeune fille en la lâchant d'un coup brusque. Elle sent l'exquis parfum de la charogne !
Zellan, debout devant la fenêtre avec l'air pensif habituel, sourit :
-J'ai cru que tu appréciais l'odeur métallique du sang...
-Certes, mais pas de la chair séchée !
La loÿstrall grogna doucement en enfouissant son museau au bas-ventre de sa maîtresse. L'abandonner comme ça ? Pas question !
Ce geste d'affection arracha un soupir involontaire de celle-ci, qui reprit son air joyeux. Il n'était pas question qu'on la voit ainsi. Personne.
Zellan soupira... parfois, il se demandait s'il avait bien fait de l'amener ici. En l'espace de si peu de temps, elle avait renforcée son cœur et apprit plus qu'elle fillette normale de son âge. Si seulement elle pouvait... non, elle ne pouvait pas.
-Floralyn... Pars. Vas rejoindre Alexia et Krusla. Je trouverai Melwis sans ton aide.
La jeune princesse lui jeta un œil étonné. Maintenant ? Si elle partait... sa vie redeviendrait ensoleillée. Elle avait trop donné pour Melwis. Son âme et son secret avait-elle tant de valeur ? Et si elle retrouve une partie de sa mémoire, sera-t-elle vraiment heureuse ? Si elle l'avait perdu, c'est qu'il y a une raison...
Alors...
Floralyn entrouvrit ses lèvres rosées et souffla :
-Pas question. Melwis est celle qui m'a protégée. Aimée. Tenu à moi. J'ai toujours vécu sans proches. Et même quand j'ai trouvé mon père, il aimait tant Alexia. Pour lui, je n'étais que l'ombre de maman. Et ma sœur... elle éprouve pour moi affection et amitié.
Elle lui prit sa main presque devenue translucide et fixa ses prunelles Écarlates.
-Elle m'a aimée, Zellan. Je ne le fais pour personne. Mais pour moi.
En voyant le visage émue de son ami, elle esquissa un sourire :
-Je suis une fille égoïste, tu sais...
-Floralyn... si le monde pouvait être aussi égoïste que toi...
Cette parole lui mit du baume au cœur.
<<Pour lui, pour Krusla, pour moi... il faut retrouver Melwis !>>
Durant un instant, son œil gauche prit une couleur rouge vif, avant de reprendre son doux azur.
Krusla, qui nourrissait son âme avec l'énergie des eisthones, sentit son œil droit le brûler. Il fronça les sourcils : d'où venait une concentration de magie aussi forte? Il regarda Alexia, qui ne semblait pas l'avoir remarqué, et comprit.
<<Florys... c'est toi n'est-ce pas ?>>
Le pouvoir Écarlate dans le corps de la jeune fille est en train d'évoluer... à une vitesse effrayante ! Mais étrangement, tout cela révélait un aspect inquiétant.
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