Chapitre 41


Un aigle géant prit son envol en quittant les ruines pour les champs brûlés. Ils évitèrent tout de même les plantations... même s'il ne restait plus personne pour les cultiver. Assit sur le dos de l'aigle, Onyx, Krusla parcourut de ses yeux mordorés cet horizon légèrement courbé qui lui était presqu'inconnu- son père l'avait envoyé avec son oncle Fennir trop tôt pour qu'il connaisse son lieu de connaisse à sa moindre ruelle, comme ses frères.

Mais soudain, il entendit un bruit du vent anormal, qui ne semblait pas provenir du garçonnet qui s'agrippait à sa taille a cause du vertige. Il se retourna brusquement en cognant son menton de fer contre la tête du garçon qui hurla de douleur, et en un éclair arriva auprès d'Hélan.

-Hélan ? Réponds ! Que se passe-t-il ?

Mais son frère se contenta de le fixer de ses yeux fermes.

-Rien, les anciennes blessures, ce n'est pas grave, dit-il froidement.

Mais plus il semblait distant, plus Krusla s'inquiétait. Ce côté d'Hélan, qui aimait cacher ses douleurs n'avait pas changé. De plus, il sentait un flux glacial provenant du dos de son frère, où sa main s'était appuyée...une froideur différente de la température, bien-sûr, celle qui aspirait les eisthones stockées dans son corps. Mais il résista à son instinct qui s'était aiguisé dans ses périples en laissant ce flux inconnu continuer à puiser dans sa réserve. Mais étrangement, il sentit qu'il lui semblait familier. Son œil écarlate fleurit sur son visage, et son aura se transforma brusquement. Il le focalisa sur le dos d'Hélan et vit... un trou noir et sans fin ! Sa stupéfaction interrompit son état de concentration. Il dut se ressaisir et se replonger dans son observation. Cette fois-ci, il vit plus clair. Dans ce trou noir surgit des petites créatures microscopiques qui avalaient ses eisthones et le convertissait en ténèbres. Une idée lui vint. Il dégaina Ténèbres et le posa sur le dos de son frère, et soudain, ce dernier se mit à aspirer toutes les créatures, qui poussèrent des infrasons suraigus.

« Il ne reste plus de créatures pour maintenir le trou ouvert. Il ne tardera pas à se refermer. »

Le rouquin vit alors le regard inquisiteur de son frère, qui tentait de ne pas faire paraître son inquiétude, et sourit de soulagement.

-C'est bon. Mais tu ne devras pas utiliser tes pouvoirs pendant un mois, dit-il en choisissant un délai un peu court... car plus de délai insupporterait le blond.

Mais visiblement, c'était déjà trop.

-Un mois ! Weskovin va attaquer l'armée souterraine de père dans moins de deux semaines. Les préparatifs son déjà en retard, on a besoin de moi.

Krusla baissa la tête, laissant ses tourments l'envahir. Il ne se doutait pas d'une situation aussi... grave. La seule solution qui lui restait... il ne voulait pas l'affronter. Cela signifierait de partir seul, devant, et de laisser le sort des pays entre ses mains. Mais, un Estre ne doit-il pas parfois prendre les devants ? Sinon, à quoi cela sert, d'acquérir tant de pouvoir ? Et puis... il était temps d'aller délivrer Kaeron, conformément à sa promesse, avant qu'il ne serve de rançon durant la guerre qui trame, tapie dans l'ombre.

-J'irai. Je partirai devant.

-Mais tu n'y pourras rien ! Un homme, aussi puissant soit-il, ne peut pas aller à l'encontre de tous !

-Pas de tous, d'un seul. Weskovin. Et puis... j'ai également des personnes qui me soutiennent...

Hélan allait rétorquer quand il se rendit compte qu'ils planaient sur des petits points blancs.

-Nous sommes arrivés, déclara-t-il.

...

Krusla s'étala sur la fourrure qui lui servait de couche, et poussa un soupir de soulagement. Il avait obtenu de Reyan d'être insérer dans leur armée en tant qu'homme de main. Il jeta un regard vers la tente principale, ou se trouvait sans doute son père, qui devait être rentré à cette heure-ci. Il comprit enfin ce que voulait dire « être proche et loin à la fois ».

« Père, si je n'avais pas changé, je serais allé te voir et tu m'aurais retenu, mais maintenant que je suis de retour après si longtemps, je comprends enfin que... que tu m'aimes. »

Il balaya ces pensées trop sentimentales et se mit à planifier son opération, assis sur les poils de basse qualité. Puis, quand sa tête fut sur le point de surchauffer, il se mit à aspirer les Eisthones , sachant qu'il s'agissait peut-être de sa dernière nuit de repos pour très longtemps...et peut-être sa dernière tout court... Il n'osa pas pousser cette réflexion plus loin, de peur de ternir son courage.

Un Estre est plus puissant qu'un humain... s'il n'est pas plus fragile.

...

La nuit transforma le temps encore chaud en une tempête estivale. Les fureurs de la pluie masquèrent toutes traces de grognements des soldats, qui s'efforçaient avec peine d'ouvrir leurs petits yeux ramollis pour se conformer à l'emploi du temps monochrome des temps de guerre.

Dans une tente étroite, entourant une bougie boiteuse rétrécissait de plus en plus, deux jeunes hommes s'échangèrent un verre. Celui qui portait des galons sur sa veste bleutée toucha la toile de la tente pour former une cloche anti-son avec ses pouvoirs, et protesta :

-Je sais bien que tu pars, raison de plus pour boire un verre d'alcool ! Ca réchauffe !

L'autre, qui dominait légèrement de taille, rit doucement :

-On est des Estres, les eisthones nous réchauffent déjà ! Et puis, tu sais bien que si je bois, je ferai partir l'alcool de mon corps tout de suite, donc à quoi cela sert ? Je n'aime pas être la sensation de perdre le contrôle de soi.

A son dernier mot, il lança un regard doré à Hélan, et s'aperçut que se dernier le fixait avec une tendresse inaccoutumée.

-Ne me regarde pas comme ça ! J'ai déjà Alexia ! Plaisanta-t-il.

Son frère le frappa à l'épaule en profitant du fait qu'il n'avait pas formé de protection autour de lui. Tout de suite, un cri de poulet égorgé retentit, avant d'être étouffé par la cloche anti-son.

Le premier rayon d'aurore remplaça la bougie consumée. Krusla rangea ses affaires et les frères se quittèrent sans faire de mot. Déguisé en petit homme de main, il passa à côté des tentes avec un air légèrement pressé, comme s'il devait exécuter une tâche importante, en évitant tout contact avec les rares personnes levées : le tour de garde suivant n'était pas encore parti. La lisière du bois qui marquait la fin du campement était en vue quand une voix grave retentit :

-Hé, toi, là, vas aider au Nord !

Le rouquin se retourna et vit un homme dont l'armure indiquait la fonction de commandant. Il ne vit personne dans les environs... sauf lui-même.

« Pourquoi moi ... ? », voulut-il protester.

Mais il se contenta d'obéir. De toute façon, Liore était au Nord.

Une fois arrivé sur place, il vit une patrouille regroupée sur quelque chose et quelques personnes effectuant des allers-retours... sans-doute rien de très grave, car aucun homme d'importance n'était venu. Mais soudain, un cri attira son attention :

-Mais si, c'est surement elle, la princesse de Liore !

Krusla sentit ses jambes se raidir, comme si un marteau venait de lui tomber sur la tête. Après un instant, il réagit enfin et trottina calmement vers eux. Il vit alors, entre deux armures, des étoffes blanches étalés sur le sol boueux, accrochés à des mèches de cheveux entremêlés.

-Hé, laissez-moi passer ! lança-t-il aux obstacles vivants qui se décalèrent avec efficacité, il permettant de voir une fine silhouette, qui, même dans cet état, éveillait la beauté.

Il se baissa, vérifia sa respiration, et, après s'être rassuré, la souleva dans ses bras. Sa légèreté inquiétante lui fit froncer les sourcils, et un garçon d'à côté se méprit de cette expression et lui lança :

-Hé, t'es pas capable de soulever une fille ?

Mais le rouquin se contenta d'hocher la tête dans sa direction en signe de salut et d'expliquer aux autres qu'il obéissait aux ordres. Soudain, il entendit une voix grave qui lui était familière :

-Que se passe-t-il ? Pourquoi tant de chahut ?

Krusla se retourna, et vit le visage mêlant sévérité et bienveillance du roi... son père.

« Ce qui doit arriver est inévitable... », soupira-t-il en vérifiant que son faux nez était toujours là.

Ses yeux effleurèrent les traces que le temps et le périple avaient creusées sur son visage, et il baissa les yeux pour ne pas trahir ses émotions tout en imitant la révérence des autres Estres.

-Il s'agit bien de son Altesse, confirma Hélan en donnant à Krusla l'honneur d'être de l'air.

Le père et le fils s'échangèrent un regard tacite et Hélan fit à Krusla le signe de le suivre. Voyant le regard méfiant de son père, il expliqua :

-Je l'ai promu quand j'étais à Flayen.

Ils entrèrent dans une tente dégagée spécialement pour Floralyn. Krusla la posa sur le lit, et glissa sa main froide dans la couverture. Il profita de l'ordre de son petit frère de veiller sur elle pour lui transférer ses eisthones afin de la réchauffer.

« Ouf... Elle a juste épuisé toute sa réserve eisthones... comment a-t-elle vécu durant ces années ? »

Dans son cœur se formula une hypothèse : Hélan n'était pas avec elle, donc sans-doute l'avait-elle semé pour... délivrer Kaeron seule. Vu qu'elle est ressortie de Liore vivante, alors qu'elle ne l'aurait jamais fait sans s'être assurée que ce dernier était sain et sauf, il y avait une forte chance pour qu'elle soit venue... pour Alexia ou pour lui !

Des quintes de toux le tira de ses analyses.

-Flo ! S'écria-t-il doucement, histoire de discrétion.

La jeune fille tendit sa main frêle encore plus fine qu'avant vers le visage du garçon et toucha sa joue. Krusla tressaillit.

« Flo... il faut que tu assassines ce sentiment dans son berceau... »

Mais en voyant ce visage pâle, il n'en eut pas le cœur. Tout à coup, il flux d'eisthones l'enroba et la télépathie s'établit entre eux, et il se rendit compte qu'il avait trop pensé... Il rit légèrement d'une façon moqueuse en pensant que la personne qui n'arrivait pas à oublier était lui-même.

« Krus ? Je savais que tu étais ici... »

« Que s'est-il passé, Flo, je veux savoir. Tu as sauvé Kaeron ? »

Floralyn rougit, et transmit une pensée légèrement gênée :

« Désolée... Je ne pouvais plus attendre... »

Puis, elle prévit sa prochaine question :

« Hélan...Il est de confiance, et il a tenté de tenir sa promesse... mais quand il a su le prix que j'étais prête à payé pour la sauvegarde de Kaeron... il a cédé. Mais je ne suis pas venue pour cela. Durant cette opération, j'ai appris que Weskovin attaquerait bientôt... et le nombre d'armées qu'il nourrit dans l'ombre... crois-moi, nous ne sommes pas prêts à rivaliser. Krus, il faut partir. »

Le garçon sourit, mas la flamme de ses yeux ne vacilla pas. Il caressa le front de Floralyn, comme s'il voulait la rassurer, mais cette dernière savait qu'il voulait vérifier son état.... Et sans doute si elle était ou non manipulée. Elle prit cette main :

-Je n'espère plus de réponse positive de ta part... comment as-tu vécu durant ses années ? Tu as encore progressé.

-Normalement, je me suis entrainé. Pourquoi es-tu venue me voir ? Sais-tu le risque que tu cours ?

Il se tut, car à en voir son état, elle avait déjà subit de rudes attaques.

-Si tu es là, c'est que tu as quelque chose a proposer, n'est-ce pas ?

Floralyn baissa les yeux, et souffla :

-Oui. Il nous faut éliminer Weskovin. Seuls. Il est devenu trop puissant pour nous, et son armée est presque complète. Weskovin est monté sur le trône très vite... trop vite. Sa base et ses relations ne sont pas stables...mais que lui importe ? Il est l'être le plus puissant de ce continent. La seule solution est d'allier Roënster, Acadmyr et ses ennemis afin de lutter momentanément contre son armée tandis que nous...
-Nous deux ? Devina Krusla. Si même père ne peut le faire, nous... ?

-Mais nous détenons... l'Écarlate !

Le rouquin hésita, et souffla :

-Tu ne peux plus utiliser tes pouvoirs ! Tu n'as donc pas peur pour ton avenir ?

-Bien. Alors peu importe ce qui adviendra, je serai à tes côtés.

Ils s'échangèrent un sourire qui leur semblait si lointain.

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