Chapitre 36: Le mirage de vérités


En bas, plus question de voir le sol. Les nuages blancs et épais recouvraient tout, formant une limite entre deux mondes. Ils étaient très hauts. Très hauts. Mais étrangement, il ne faisait pas particulièrement froid.

Krusla, essoufflé, s'arrêta et essuya la sueur perlant à son front, surpris de découvrir un escalier taillé à même la pierre, dont certaines marches étaient enrobées de mousse.

Il ne s'attendait pas à trouver cela aussi haut, près du sommet du gigantesque mont dont à pointe était visible à plus trois jours de marche du pied de la chaine de montagne.

« Ces motifs sont vraiment beaux.», remarqua Krusla en observant de plus près les spirales et signes gravés dégageant des lueurs colorés.

Il allait faire une réflexion quand Zelriasfer l'assomma à coups de couverture :

« C'est tout ce que tu trouves à dire, petit ignorant ? On se demande qui t'a éduqué ! »

Le garçon allait rétorquer que celui qui lui avait enseigné était un livre poussiéreux mais l'autre ne lui laissa pas l'occasion de le faire.

« Ce sont des anciens symboles ! L'écriture de l'Ancien Langage, le premier langage inventé de ce monde, la voix de la nature ! Ces signes associés forment des formules qui servaient autrefois à invoquer les éléments. Mais le langage était tellement complexe qu'il fut abandonné par la suite. De rares personnes le pratiquent encore, mais bientôt, il sera oublié, et détruit si on ne l'utilise pas de nouveau. Les inventions de l'Homme, les langages nouveaux diverses s'éloignent de plus en plus des lois de la nature... je me demande ce qui se passera ici des milliers d'années plus tard s'ils continuent... »

Il était rare que le démon parle autant, donc il attira toute l'attention de Krusla.

« C'est dur à comprendre, ce language? Ne pourrais-je pas l'apprendre ? », questionna le garçon.

Il ne dirait pas non à un nouveau moyen de renforcer ses pouvoirs.
« Non, et ces symboles ne seront pas compatibles avec les pouvoirs des Estres.... »

« Je ne pourrai pas m'en servir... », conclut-il, déçu.

« Bien-sûr que si, maître ! Je suis là, moi... se congratula Zelriasfer en agitant les pages de son livre. Admire-moi, petit ignorant, regardes mes pages, elles sont gravées des symboles de ce langage. »

Le garçon remarqua effectivement que les gribouillis incompréhensibles du grimoire ressemblaient énormément à ceux des marches, mis à part que ceux des pages se rapprochaient davantage de l'écriture actuelle.

Quand il fit la remarque à Zelriasfer, celui-ci mima un semblant de toux et se justifia :

« Ceux d'ici sont très, très anciens. Ils doivent être les tout-premiers de ce monde. Ils datent d'une autre époque par rapport à moi. Je suis encore jeune, et plein d'énergie, mon p'tit maître ! Bon, je vais rester là. Je n'ai pas eu le temps de l'étudier la dernière fois que je suis venu avec Zellan. Quant à toi... »

Il sourit diaboliquement, d'un sourire qui ne présageait rien de bon.

Krusla frissonna. Non... non... il n'aurait jamais dû faire de remarque... il n'aurait jamais dû mettre les pieds ici...

« Continue le chemin, poursuivit le démon. Monte cet escalier. Il n'a que cent marches, mais elles ne sont pas si simples que ça... Puis, tu marcheras tout droit, vers le sommet. La pointe du mont se nomme Queue de Scorpion. C'est là où tu va. Juste avant d'arriver à cet endroit, tu prendras le chemin vers les cascades. Entre les cascades, il y a douze pierres. Assis-toi sur celle du centre et ferme les yeux. Tu sauras alors ce que tu dois faire. Bon, file, le temps presse. Bon courage, maître ! »

Puis, il se plongea dans son travail, et une sphère de lumière mordorée coupa le son entre Krusla et lui.

Celui-ci, n'ayant personne à qui se plaindre, posa son pied sur la première marche.

Le paysage changea autour de lui. La montagne aux végétaux fantastiques prit place à un palais en pierre blanche. Mais le décor changea de nouveau. Il comprit que ce qui allait se passer n'était pas là.

Puis, il vit un bébé aux cheveux flamboyants dans les bras d'une jeune femme aux cheveux d'un brun-roux dépareillant de ses doux yeux verts. Ses traits ressemblaient pour moitié à ceux de l'enfant et son diadème tremblait légèrement, ainsi que ses mains fines et blanches.

Malgré le peu de souvenirs qu'il lui restait de sa mère, Krusla la reconnut tout de suite. Elle ressemblait trait pour trait aux tableaux affichés dans les halls et galeries du palais, mais le plus précis des pinceaux n'auraient pas pu peindre cette douceur rieuse coulant de ses yeux malgré la douleur marquée de son visage.

Une servante bien habillée ouvrit doucement la porte et s'inclina devant la jeune mère.

-Madame, je vous en prie, posez son altesse dans son berceau et reposez-vous. Le mal pourrait vos atteindre. Les ténèbres que son altesse Krusla dégage pourraient envahir votre corps. De plus, vous venez d'enfanter du prince Reyan...

-Madeleyn, sors, s'il te plait... souffla la reine en se massant les tempes, visiblement épuisée. Quand tu reviendras, il ne sera plus un danger... promis. Nous ne pouvons plus attendre. Retarder ne suffit pas.

-Votre... vous... vous n'allez pas...

-Il le faut. Tout comme il faut que tu m'obéisses. Je te remercie de ta fidélité, et je sais que tu n'en diras rien, à personne. Va, Madeleyn, ce ne sera pas long.

La reine attendit d'être seule dans la chambre avant de se lever avec peine et prendre un papier et une plume d'or pour se mettre à écrire.

Krusla remarqua qu'elle était adressée à son père, Roëns, le roi. Il la vit poser sa plume après avoir signé de son nom « Estilda » et sentit l'amertume monter dans sa gorge.

Puis, ses yeux écarquillèrent. Il la vit mettre ses belles mains sur la poitrine du garçon, et une lueur verte, de la douce couleur de ses yeux envahit la pièce. Étrangement, il parvenait à ressentir les mêmes sensations que l'enfant.

Mais il n'y accorda pas d'importance, car une chose plus grave venait de se produire.

Elle avait enflammé son énergie vitale et sa magie !

Il comprit alors pourquoi elle paraissait déterminée. C'était donc sa mère qui avait, au péril de sa vie, scellé ses ténèbres et l'avait empêché de devenir Estre... et c'était à cause de lui qu'elle était morte...

Et lui, il ne savait même pas qu'elle était Estre...

Soudain, la scène disparut, il n'y avait à présent plus que ténèbres autour de lui. Une silhouette apparut de nulle part. Krusla ne vit pas distinctement son visage, mais sa silhouette semblait harmonieuse et légère.

-Tu as causé la mort de ta mère. Tu n'aurais jamais dû naître. Si tu disparais, ta mère reviendra à la vie. Je te donne cette pierre. Il suffit juste de la briser...

Krusla sentit une surface lisse entre sa main. C'était une pierre grise, aux reflets doux. Il sembla réfléchir très sérieusement, avant de répondre :

-Non, merci. Elle ne semblait pas avoir regretté ce choix. Et moi, je veux vivre. Le passé est passé, nous ne pouvons pas retourner en arrière.

Il jeta la pierre, qui vibra quelques temps avant de s'immobiliser.

Krusla, fixe comme une pierre sur la première marche de l'escalier, leva sa jambe droite, et fit un pas.

Zelriasfer leva la couverture de son livre et ondula l'une de ses pages :

« Je savais qu'il n'aurait pas besoin de mon aide. Son cœur est plus fort encore que celui de Zellan. Reste à savoir si d'autres souvenirs le retiendront prisonnier. »

Une grande salle encombrée de livres et à l'odeur de vielle paperasse se forma autour de Krusla. Elle était tapissée dans les tons beiges, qui contrastaient avec des vifs rideaux de velours lie-de-vin. Le garçon reconnut tout de suite son ancien bureau taillé dans un unique bois rouge et fleuri d'une volée d'oiseaux sculptés de toutes sortes.

Il avait l'impression que le temps était retourné en arrière, et qu'il était redevenu l'innocent enfant de six ans veillant tard afin de devenir un homme savant pour ne pas décevoir son père.

Cette nuit là, dehors, il pleuvait. Sur le bureau, dedans, le garçon travaillant encore et encore, les doigts rougis par le froid et l'effort.

Puis, le garçon disparut. La salle contenait à présent plusieurs personnes. Il reconnut son père, portant le petit Krusla dont les petites jambes se balançaient sur ses genoux. A côté, un homme d'âge moyenne à la taille légèrement enveloppée - Carl le stratège- et son oncle Fennir, qu'il chérissait plus que toute personne.

Le garçon ferma douloureusement ses yeux. Il se souvenait encore de cette scène. La scène où son père l'avait envoyé dans le manoir des Cascades pour n'en revenir qu'une fois par an. Aujourd'hui encore, elle était une ombre qui emprisonnait Krusla dans son passé, inconsciemment.

L'homme inidentifiable réapparut :

-Si tu n'avais pas travaillé assidument, ton père ne t'aurait pas exilé ailleurs dans la peur que tu sois blessé par ton incompétence et que tu veuilles prétendre au trône. Pourquoi fais-tu cet effort, si cela n'a aucun sens ?

Cette fois, le garçon n'hésita pas, et expliqua :

-Oncle Fen a dit « la seule personne sur qui tu pourras toujours compter est toi-même ». Je ne peux pas toujours rester sous l'aile de mon père.

-Tu ne tenais pas à sa tendresse ? Rétorqua l'homme, mais une surprise visibe se lisait dans sa voix.

-Évidemment que si... soupira le garçon, dont les lèvres s'étirèrent tristement. Mais je voulais devenir plus fort. Car si un jour, je parviens au sommet, il n'y aura plus de problème. Et j'y serai, un jour.

Le décor changea encore. Il dégageait cette fois une atmosphère sombre, et lugubre. Des corps s'étendaient à présent devant les pieds d'un jeune garçon dont la grâce se trahissait déjà dans son allure, malgré son jeune âge. Ses cheveux roux sombre tombaient sur son visage, assombrissant sa physionomie. Ses mèches étaient mêlées de sang.

Les mains de ce garçon, qui resserraient un poignard brillant reflétant le rouge écarlate étendu sur le sol, tremblaient.

La première fois qu'il avait tué.

Comment oublier ce moment ?

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