CHAPITRE 5
Il y a des jours que l'on aimerait passer loin de toute oppression. Pour se sentir revivre. S'éloigner pour oublier l'injustice et la méchanceté de ce monde. Lena se sentait ainsi depuis quelques jours. Elle voulait juste partir loin de l'ambiance toxique qui régnait chez elle. Elle avait surtout besoin de trouver des réponses à ses nombreuses préoccupations. Ces derniers jours n'avaient pas été de tout repos pour la jeune styliste. Elle appréciait être à la tête de Domingo Fashion, mais ce poste demandait beaucoup plus d'investissements qu'elle ne le pensait. Elle y avait déjà mis tout son temps et son savoir-faire, pourtant elle avait l'impression que ce n'était jamais suffisant. Deux jours dans la péninsule de Mussolo, c'est tout ce dont elle avait besoin pour le moment. Quarante-huit longues heures pendant lesquelles elle n'arrêterait sûrement pas une seule seconde de penser à son amour, Jade. Lena s'était déjà trop interrogée sur l'avenir de leur relation et ça la torturait de ne pas trouver de solution. Elle avait pensé à faire venir Jade à Luanda, mais cela engendrerait probablement qu'elle fasse son coming out. Elle ne pouvait pas se le permettre avec tout ce qui se passait autour d'elle. Elle craignait aussi la réaction de son père qui n'hésiterait pas à l'écarter du magazine. On avait beau légaliser l'homosexualité, les mentalités demeuraient les mêmes et Lena n'avait aucune intention de nuire à sa carrière naissante.
Lena parcourut quarante-cinq kilomètres avant de débarquer à la plage de Palmeirinhas. Elle s'extirpa de sa BMW et respira un bon air frais en tournant sur elle-même. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle s'y était rendue, mais tout était magnifique. Les maisons étaient joliment construites, les allées bordées de palmiers et le ciel toujours aussi bleu. Cette plage reflétait la vie dans tous les sens du terme. Lena poursuivit son chemin avant de s'arrêter devant une belle villa peinte de couleurs vives.
- Enfin, soupira-t-elle en s'éloignant de sa voiture, une sacoche en mains dans laquelle étaient rangés quelques effets pour le week-end.
- Bienvenue mademoiselle, l'accueillit le majordome qui s'empressa de lui prendre la sacoche des mains. Madame Victoria vous attend déjà dans le bureau.
- C'est parfait Leandro, fit-elle avec un air de satisfaction.
Lena n'avait pas seulement prévu de revivre les vacances de son enfance, elle voulait surtout obtenir des réponses à ses nombreuses questions. Qui était mieux placée que Victoria pour nourrir sa curiosité ? Victoria n'était pas seulement une très bonne amie de sa mère, elle était aussi l'avocate de la famille Domingo. Elle en savait plus sur sa famille que n'importe lequel de leurs employés.
- Bonjour Victoria, annonça Lena en passant la porte. Je suis contente de vous revoir.
- Le plaisir est partagé, répondit la femme siégeant dans un fauteuil à pivot qu'elle retourna pour faire face à son interlocutrice. Je suis vraiment désolée pour ta grand-mère. La nouvelle de son décès m'est parvenue alors que j'étais loin du pays, en mission pour affaire.
Lena hocha simplement la tête avant de se diriger vers le bar.
- Vous voulez boire quelque chose ?
- Non, merci ! Je ne prends plus d'alcool, Leandro m'a déjà servi un bon thé. J'ai appris ta nomination au poste de rédactrice en chef, félicitations !
Lena leva son verre de whisky comme pour trinquer, après en avoir bu une gorgée.
- Ta mère serait tellement fière de toi, tu sais ! continua l'avocate. Quand est-ce qu'il arrive ton père ?
- Je suis désolée, mais Armando ne viendra pas.
- Euh... Comment ça il ne viendra pas ? s'offusqua-t-elle, le visage renfrogné. Leandro m'a fait revenir précipitamment de mon voyage et... Attends, ne me dis pas que...
Les idées devinrent claires et elle comprit qu'Armando n'avait rien avoir avec l'appel de Leandro. Il l'aurait personnellement contactée, mais elle s'était dit qu'il y avait peut-être une urgence.
- Oui, bien trouvé ! affirma Lena toute souriante. C'est moi qui vous ai fait venir jusqu'ici et vous m'en excuserez... J'ai maintes fois contacté votre assistant et il ne m'a jamais donné une suite favorable, donc j'ai fait l'impensable.
- Telle mère, telle fille, ça se confirme. Que me veux-tu ?
- En parlant de mère, je suis certaine que vous avez énormément de choses à me raconter sur la mienne.
- Je n'ai rien à te dire, s'énerva Victoria, d'ailleurs je m'en vais.
- Non madame, refusa Lena en attrapant le bras de l'avocate et claquant la langue, personne ne part d'ici.
- Quoi ? Tu vas me séquestrer ? Je te rappelle que c'est contre la loi, ricana-t-elle en se libérant violemment de cette prise.
Lena avait mené ses petites enquêtes, et elle avait découvert des choses pas très catholiques sur celle qui se disait être l'amie de sa mère. Lors du divorce, Victoria avait représenté Elisabeth devant le juge. Allez donc savoir comment elle s'était retrouvée à gérer les affaires judiciaires d'Armando après le divorce. Elle était rapidement devenue l'amie de l'ennemi.
- Où est ma mère ? demanda Lena sur un ton sans appel.
- Je n'en sais rien, répondit l'avocate, et même si j'en savais quelque chose je ne te le dirais pas. Enfant mal élevée, maugréa-t-elle d'une voix à peine audible.
- Vous avez mené ma mère en bateau ! Elle vous a toujours fait confiance alors que vous ne rêviez que de la poignarder dans le dos.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, murmura-t-elle en fuyant le regard de Lena.
- Bien sûr que si... Vous étiez censée vous occuper de son divorce, au lieu de ça, vous l'avez conduite à sa perte. Pourquoi ? Pour de l'argent !?
Lena respira une bouffée d'air avant de boire son alcool d'un coup sec. Elle avait beaucoup de rancœur contre Victoria. Découvrir le manège de son père fut un grand choc pour elle, mais elle ne comprenait pas qu'une femme complote contre une autre dans un monde où le patriarcat sévissait encore.
- Je le répète une dernière fois... je ne te dirai rien du tout. Et si tu as des questions, autant les poser directement à ton père.
- Vous savez quoi ? Personne n'est invincible. Et le mal que vous faites à autrui ne restera pas toujours impuni. Je ne suis pas de ceux qui attendent le jugement divin, je trouve toujours un moyen de faire payer à chacun ses erreurs.
- Et donc ? Devrais-je trembler devant tes menaces absurdes ? Rentre chez toi et monte dans le premier vol pour Londres, je te le dis pour ton bien.
Victoria se leva et prit la direction de la porte lorsque la voix de Lena la figea sur place.
- Elle s'appelle Erith... Aujourd'hui encore, elle pleure son pauvre père, emporté suite à un accident. C'est vrai en plus, je vous jure. Hier, je me suis entretenue avec elle pour la prochaine séance photo que j'organise chez Domingo Fashion ! Très belle fille, elle correspond parfaitement à ce que je cherche pour faire la couverture de mon magazine. Revenons à l'accident, c'est encore mieux ! Quel accident ? Ah non, ce n'était pas la bonne question. Qui a causé l'accident ?
- Si tu crois que je vais m'inquiéter pour quelques infos dénichées je ne sais où, tu rêves !
Victoria se mit à rire aux éclats avant de se retrouver avec un cliché de Lena en compagnie d'Erith devant le nez.
- Quoi ? Vous ne la trouvez pas splendide ? s'écria Lena avec une main sur la bouche et un air faussement choqué. On l'a prise hier, poursuivit-elle sûre d'elle. Je dois avouer ne pas avoir pu me retenir devant autant de beauté. Elle avait des rêves. Non, son père en avait pour elle. Il voulait l'envoyer au Portugal et elle voulait devenir styliste comme moi. Malheureusement, elle n'aura plus jamais cette chance parce qu'une femme complètement ivre tenait le volant le soir où son père est mort de manière tragique. Treize juillet deux mille cinq, cette date me rappelle beaucoup de choses... En particulier le départ de ma mère qui, pour des raisons inconnues, avait décidé d'abandonner ma garde. Le karma, je peux dire ! Elle, qui quitte tout, et vous, qui plongez dans l'alcool et la dépression.
- Je n'ai jamais voulu faire de mal à personne, c'était un accident !
- Un accident pour lequel vous avez été facilement acquittée, comme si cet homme n'était qu'un chien. Maitre Victoria De Castro, vous avez commis un meurtre.
- Homicide involontaire, rectifia-t-elle.
- Meurtre ou homicide involontaire, appelez-le comme voulez ! Une chose est certaine, vous avez tué un homme, un père de famille, un mari, un fils, et vous avez continué de vivre comme si de rien n'était !
Victoria réalisa à ce moment qu'elle se trouvait dans de sales draps. Lena avait tellement fourré son nez partout qu'elle connaissait l'affaire dans les moindres détails.
- Je ne sais pas où se trouve ta mère, bougonna-t-elle avec les mains jointes.
- Crois-tu qu'Erith sait quelque chose de ce qui est arrivé à son père ce soir-là ? Je me ferai un plaisir de lui demander personnellement pour en apprendre un peu plus...
- Ne fais surtout pas ça Lena ! Je t'en prie...
Lena gloussa devant autant de stupeur. La femme qui croyait avoir le dernier mot de la discussion se trouvait en train de l'implorer. Ça devait être l'ironie du sort !
- Aux dernières nouvelles elle se trouvait en Namibie, c'est tout ce que je sais !
- Qu'est-ce que mon père a découvert pour retourner la situation en sa faveur ? N'essaie même pas de me mentir ! Ma mère avait beaucoup d'avance sur mon père, elle voulait ma garde plus que tout et cela ne pouvait pas changer du jour au lendemain.
- Moi-même je l'ignore, se justifia l'avocate au barreau de Luanda. J'avais pour mission de rapporter nos prochaines actions à ton père et comme ça il trouvait un moyen de contrer nos attaques, et puis un jour... Elisabeth a débarqué chez moi à bout de souffle. Elle n'arrivait même pas à s'exprimer. Tout poussait à croire qu'elle avait découvert une chose terrible, mais sans en dire plus elle était repartie. Deux jours plus tard, elle m'a fait savoir qu'elle abandonnait ta garde parce qu'elle avait décidé de quitter le pays. J'avoue que moi-même je n'y comprenais plus rien. Voilà, c'est tout ce que je sais. Je t'en prie, ne raconte rien à Erith...
Lena avait conscience que ce petit secret lui serait d'une importance capitale un peu plus tard, alors elle choisit de garder le silence pour le moment. Involontairement, elle venait de déclarer la guerre à Maitre Victoria.
- Vous pouvez vous en aller, autorisa Lena en balayant l'air de la main, et que cette conversation reste entre nous !
Victoria hocha la tête avant de partir. Lena soupira tellement elle ne se reconnaissait plus. Elle ne se serait jamais crue capable de chantage, et pourtant... elle l'avait fait. Elle se demanda dans quoi elle avait encore mis les pieds et se condamna surtout de n'avoir rien vu venir depuis tout ce temps. Sa vie n'avait été qu'un gros mensonge doublé d'hypocrisie. Si Armando et Constantia avaient, un tant soit peu, voulu son bien, ils auraient dû réaliser que l'éloigner de sa mère n'auraient pas arrangé les choses. Maintenant, de nouvelles questions lui trottaient dans la tête et seule sa mère en détenait les réponses.
En bikini, le long de la plage, Lena se remémorait chaque instant qu'elle avait passé ici en compagnie de ses parents. Ils avaient vraiment été heureux. Et puis un soir, tout avait changé...
Elle sourit en fixant le soleil qui pointait à l'horizon et souffla de soulagement en se félicitant d'avoir mené à bien sa petite mission. Elle n'avait peut-être pu tirer grand-chose de Victoria, néanmoins son séjour à Mussolo avait confirmé ses doutes et suscité d'autres questionnements. Qu'avait donc découvert sa mère au point de mettre sa vie en danger ? Elle s'était souvenue du soir dont avait parlé Victoria. Jusqu'à leur divorce, Armando et Elisabeth étaient restés sous le même toit, même s'ils faisaient chambre à part. Ils estimaient que cela était mieux pour leur fille qui avait encore besoin d'un peu de temps pour digérer cette séparation. Un soir, Elisabeth était rentrée pour prendre ses affaires à l'insu d'Armando. C'était la dernière fois que Lena avait revu sa mère. Une femme terrifiée qui lui promettait de revenir la chercher bientôt, c'était cette image que Lena avait gardée de sa mère. Malheureusement, elle n'était jamais revenue et Lena avait fini par croire ce qui se racontait autour d'elle : Élisabeth l'avait abandonnée.
Au volant de sa belle BMW, Lena entendit sonner son téléphone. Elle se gara sur le côté avant de décrocher.
- Allo Cabral, je suis déjà sur le chemin du retour.
- Alors, tu as pu tirer quelque chose de bon de ton séjour à Mussolo ?
- Pas grand-chose, répondit-elle en remontant la vitre du côté passager ; en fait rien de ce qu'on savait déjà... Elle dit ne pas savoir où se trouve ma mère.
- Et moi je dis qu'elle ment !
- Je ne crois pas... Elle n'oserait pas avec ce que je lui ai mis devant le nez ! Tu la verrais trembler comme une feuille.
- Je ne sais pas, mais je ne crois pas qu'elle ait coupé tout contact avec ta mère. Je t'explique... Elles ont été longtemps amies, avant qu'elle ne décide de la poignarder dans le dos. Là, ta mère est partie depuis des années et ne sait pas que l'autre s'est alliée à ton père. Et si ta grand-mère est restée tout ce temps en contact avec madame Elisabeth, cela voudrait bien dire que cette dernière détient quelque chose, d'elle ou de ton père, qu'elle aimerait récupérer.
Lena fronça les sourcils et même si les explications du détective n'étaient pas aussi lucides, elle réalisa que cette théorie n'était peut-être pas si loin de la vérité. En effet, pourquoi sa grand-mère serait-elle restée en contact avec sa mère seize ans après le divorce ? Tout ceci commençait à la rendre dingue et elle n'en pouvait plus de ne pas avoir les réponses.
- Je ne sais pas, répondit-elle simplement, ma mère et ma grand-mère étaient tellement proches que ça ne m'étonnerait presque pas qu'elles aient gardé des liens. Dis, tu as des nouvelles du côté de Lukeny ?
- Oui, et pas des moindres... Ivandro Mendoça ! Il était en couple avec ta chère belle-maman depuis plus de dix ans, et ils ont rompu il y a quatre mois. Depuis combien de temps est-elle avec ton père ?
- Ah non, dis-moi que ce n'est pas vrai ! prononça Lena avec un sourire espiègle.
- Désolé de te décevoir, c'est bien vrai et je le tiens d'une personne très proche d'eux.
- Cela voudrait bien dire qu'elle a quitté l'autre pour se caser avec mon père ?! Sale garce, je le savais...
- Allez, je te souhaite une bonne soirée. Ne vous entretuez pas.
- Merci Cabral. C'est très réconfortant.
Lena souffla profondément avant de reprendre la route. C'était beaucoup trop de coups pour une seule journée et elle avait besoin de digérer tout ça. C'est en début de soirée que la jeune femme débarqua chez elle, avec l'intention de démasquer sa future belle-mère.
- Ah, Lena, te voilà enfin... l'accueillit Lukeny avec un magnifique sourire. Nous t'attendions justement pour diner.
- Et pour t'annoncer une très bonne nouvelle aussi, ajouta Armando en rejoignant sa compagne.
- Quoi donc ? Vas-y, accouche ! rétorqua Lena, curieuse.
- En parlant d'accoucher, tu vas avoir un petit frère ou une petite sœur, annonça Lukeny toute souriante. Armando et moi avons décidé de nous marier dans un mois.
La nouvelle parvint à Lena comme un écho. Elle n'en croyait pas ses oreilles ! Ça paraissait tellement fou qu'ils décident de se marier du jour au lendemain. Cette annonce l'arrêta net et elle ne trouva pas l'utilité de faire part à son père de ce qu'elle avait découvert.
- Je suis contente pour vous, fit Lena en esquissant un sourire.
Lena se souvint alors du dicton qui disait qu'il fallait avoir ses amis près de soi, et ses ennemis encore plus près... Puisque Lukeny avait choisi de jouer, Lena prévoyait de l'avoir à son propre jeu et cela n'allait pas tarder.
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