Deuxième partie
Airelle arriva à la hauteur de la créature sans toutefois oser la dépasser ni lui porter un regard curieux. Intriguée, le silence lui parut assourdissant jusqu'à ce qu'une voix ferme et sensuelle s'élève :
— Ne fais pas un pas de plus.
—Je ne te veux pas de mal, promit la jeune fille, surprise du timbre de ses mots dans ce calme parfait.
—Oh, de cela, je ne doute pas un seul instant !
Alors, la créature se retourna. Les lueurs de la lune jouèrent avec sa peau lisse pour y dessiner des arabesques étranges, issues d'un autre monde. Airelle détailla longuement les pupilles vitreuses, les tresses qui ornaient le haut de son crâne, les traits singuliers qui parcouraient son épiderme aux nuances bleu pâle. L'adolescente découvrit sans parvenir à masquer sa surprise que l'être était aussi nu qu'elle-même. Comme une sorte d'égalité décalée.
—Tu n'es pas réelle... murmura-t-elle, comme pour s'en convaincre, tout en esquissant un léger mouvement de recul.
—Vraiment ? Penses-tu réellement que l'attraction qui t'a menée jusqu'ici n'était que le fruit de ton imagination ?
Le ton était moqueur, presque offensant. Une chose était sûre, la créature n'avait rien d'humain. La vacancière se persuadait du contraire, le cœur battant dans sa poitrine alors qu'elle ne pouvait se résoudre à rebrousser chemin. L'attraction responsable de sa venue n'avait cessé d'opérer, elle se déclarait même encore plus forte désormais. Son interlocutrice possédait un charme magnétique auquel la malheureuse victime ne saurait se soustraire. Même sa peur toute naturelle ne l'encouragea pas à fuir.
—C'est toi qui m'as...
—Bien sûr que non, sourit-elle. Ce sont tes jambes qui ont agi, pas moi. Je me suis contentée d'éveiller le désir, il existait déjà bien avant cette nuit. Je ne suis que la conséquence, tu es l'unique responsable de ta venue.
—Qui es-tu ? interrogea Airelle, le vent frais provoquant un frisson sur sa peau dénudée.
—Je me nomme Cléore, mais cela ne t'avance à rien. Ce nom que j'emprunte ne symbolise rien à la surface.
Son regard planté dans celui de la jeune fille, Cléore se jouait du contrôle qu'elle exerçait sur l'humaine. Comme d'une marionnette dont elle tirait les ficelles en secret. Sa peau luisait et les yeux humides d'Airelle ne pouvaient se détacher de ce corps singulier. Les seins que l'eau n'avait pas encore engloutis semblaient la narguer. Tout en l'anatomie voisine inspirait le désir et une envie indétrônable.
—Je me nomme Airelle, dit-elle, sa voix étranglée décrédibilisant cette présentation polie.
—Dis-moi, Airelle. Sais-tu ce que l'on raconte sur les créatures qui peuplent les océans ? Quelles sont les légendes qui pullulent par ici ?
—Je n'en connais aucune, je ne viens pas d'ici, répondit l'interpellée, pendue aux lèvres de son étrange interlocutrice.
—Bien sûr, mais que sais-tu au sujet de toutes ces histoires ?
La jeune fille ouvrit la bouche pour la refermer immédiatement, confuse. Les clapotis de l'eau produisaient un son hypnotique alors que l'odeur saline chatouillait ses narines. Cléore venait d'avancer d'un pas en sa direction, comme pour lui prouver que rien en ce monde ne saurait l'arrêter.
—Fais un petit effort, tu sais ce que l'on raconte à propos des sirènes. Personne n'ignore les histoires à leur sujet.
—Je connais la légende d'Ulysse, récita-t-elle, vivement. Je sais qu'il ne faut pas écouter leurs appels. Elles peuvent rendre fou n'importe quel homme et l'entraîner dans les profondeurs. Mais ce sont des fables pour enfants, celles que les parents racontent avant d'embrasser leur front, pour éviter qu'ils ne fassent des bêtises.
—Ainsi tu penses que ces histoires ne sont que des... chimères destinées aux enfants qui n'ont pas été sages ?
—Je ne sais pas. Il me semble que les pêcheurs des villages alentours craignent le chant des sirènes, mais...
—Comprends-tu désormais ce qui t'a menée jusqu'au rivage ?
L'air déserta les poumons d'Airelle. Prise au piège et incapable de nager jusqu'aux cotes, elle se contentait d'observer la créature prédatrice, à la fois fascinée et terrifiée. Peut-être était-il encore temps de prendre ses jambes à son cou, regagner son lit et oublier cette rencontre ?
Cléore coulait sur elle un regard affamé, sa peau reflétant une lueur pâle. La sirène avait conscience que l'état dans lequel se trouvait la jeune vacancière ne lui permettrait pas de s'extraire à son emprise. L'attraction se faisait si forte que même celle qui l'avait créée ne saurait y mettre un terme. L'océan réclamait son dû, et il n'était pas question de lui refuser cette faveur.
—C'est ce qui va m'arriver ? Tu vas m'entraîner sous l'eau pour que j'y meure ?
—Tu n'es pas un de ces marins qui dépouillent nos mers et les mettent à nu, releva Cléore, avec une indulgence teintée de dureté. Ce sort te sera peut-être épargné.
Les yeux d'Airelle se perdaient à la surface de ceux de la sirène au seuil d'un secret immense. L'autre se tenait si proche que la fille pouvait presque imaginer la texture lisse de sa peau. Le calme de l'eau avalait les corps jusqu'au milieu du ventre, abandonnant ce qu'il en restait à la fraîcheur nocturne. Airelle avait déjà oublié la beauté de ces heures, obnubilée par ce qui hantait le récif et ses profondeurs.
Cléore fit glisser sa main à la hauteur du visage humain. Les rondeurs de l'enfance ne l'avaient pas encore complètement déserté, sa peau pâle était striée de tâches de rousseur à peine visibles. Ses cheveux sombres narguaient la surface de l'eau tandis que son corps était parcouru par un délectable frisson. Pas de doutes, la pêche s'était avérée fructueuse !
—Tu es bien trop jeune pour mourir, souffla la créature, tout proche de son visage.
Muette, la vacancière était partagée entre la terreur insufflée par sa raison, et un inexplicable désir. Elle se laissait porter par le courant, par les gestes graciles de la sirène. Elle s'abandonna d'ailleurs à son étreinte lorsque celle-ci ravit ses lèvres. Un baiser prodigieux et intense comme une promesse, mais à la saveur saline.
Cléore se jouait d'elle, bientôt prise à son propre jeu. Grisée elle aussi par cette étreinte et par le reflet de la lune miroitant sur la surface plane de l'eau, elle sentit tout nettement l'instant où l'humaine cessa de lutter. Une victoire que la sirène aurait sans doute dû saluer d'un sourire machiavélique et satisfait. Le poids de ce corps charnu lui ôta ce privilège, une désillusion masquée par une assurance vieille de plusieurs siècles.
—As-tu déjà visité l'océan, petite humaine ? s'enquit-elle, son souffle s'échouant sur les lèvres entrouvertes de la fille.
—Je n'avais jamais vu la mer avant de mettre les pieds ici, assura celle-ci, avec une charmante sincérité et un brin de naïveté.
Un rictus gagna le visage de Cléore. Quel amusement ce soir lui offrait-il ! Elle plongea ses mains dans la chevelure humide d'Airelle. Le regard qu'elle lui portait attisait une flamme que toutes les mers du monde ne sauraient éteindre.
—Inutile d'essayer de retenir ta respiration, concéda la sirène, ses jambes humaines, cette mascarade puérile, se fondant pour laisser apparaître sa queue majestueuse sous l'eau. Mais rassure-toi, l'expérience ne devrait pas t'être déplaisante !
Airelle n'eut pas le loisir d'appuyer ces quelques paroles que la main de l'être saisit sa taille pour l'entraîner vers le large. Son corps flottant à la surface, tiré par la puissance phénoménale de Cléore, une bouffée de panique la submergea. Un ultime éclat de conscience avant que la houle ne l'envahisse véritablement, ne s'éprenne des courbes nues que la pudeur avait abandonnées.
Une torpeur glacée. Airelle avait le sentiment de s'enfoncer dans un songe, elle perdait le contrôle de ses membres alors que le changement de pression gagnait ses entrailles. Un gémissement s'échappa de sa bouche et elle resserra ses doigts autour du bras de sa ravisseuse. Celle-ci sembla comprendre le message informulé et ralentit la cadence toujours infernale.
L'interminable descente se poursuivit de longues secondes durant. L'adrénaline empêchait la vacancière de ressentir le froid et si, les premiers instants, elle avait perçu le manque d'oxygène, il n'en était plus rien. Comme si ses poumons expérimentaient une pratique nouvelle, mais entièrement envisageable. Ils se gonflaient d'eau pour permettre la survie dans ce milieu hostile. La queue puissante de Cléore semblait l'attirer vers les abysses, dans des profondeurs jusqu'alors inexplorées.
La deuxième partie de cette nouvelle dont le découpage est, pardonnez-moi, légèrement aléatoire.
La dernière partie sera postée courant de la semaine, et il s'agira d'une scène plus ou moins explicite. Je veux dire par là que je ne souhaitais pas tomber dans le vulgaire et que je garde, pour ainsi dire, quelques distances.
Une excellente semaine à vous <3
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