MAEL



Dix ans plus tôt.
— Maman…
— Oui mon amour.
— Tu crois que je suis malade parce que je préfère porter des robes plutôt que des pantalons et des tee-shirts ?
— Mais non, bien sûr que non ! Je t’aime comme ça moi. En robe ou en jean, ça m’est égal. Tu es mon tout et te voir heureux me suffit amplement.
— Mais les autres disent que…
—  La vie est trop courte pour passer son temps à plaire aux autres Mael. Tu as ta vie et ils ont la leur. Si ta façon de faire ne leur plait pas, ils n’ont qu’à regarder ailleurs.
Je suis né avec un corps d'homme qui me plait et dans lequel je me sent bien. Mais ma silhouette longiligne, mon visage imberbe, mes grands yeux bleus bordés de long cils, ma bouche boudeuse et mes traits fins ainsi que mes cheveux blonds et bouclés font plutôt penser que je suis une femme. Et j'entretiens l'ambiguïté, parce que j'aime les vêtements féminins et j'adore me maquiller et me vernir les ongles. Et je ne me suis jamais gêné pour le faire. Alors, peut-être que je suis un travesti, mais c'est comme cela que je me sens bien dans ma peau. Deux choses ne trompent pas, ou plutôt trois. Ma voix, ma pomme d'Adam et ma voix.
Ma mère a été la seule personne qui m'a compris et encouragé à rester moi-même. Et ce, depuis que je suis en âge de m'habiller seul et de choisir mes vêtements surtout. Cette conversation et les paroles qu'elle m'a dites ce jour-là, elle me les a répétées des centaines de fois et sont gravées dans ma mémoire. Elles me rappellent constamment que je dois faire abstraction des regards et rester moi-même et que je n’ai pas forcément besoin d'être accepté pour avoir une vie épanouie. Ma mère était tout pour moi. Elle était ma force, mon espoir, la femme de ma vie et ma raison de vivre. Elle donnait un sens à mon existence. Lorsque la mort l'a arrachée à moi des suites d'une leucémie aiguë contre laquelle elle a lutté bec et ongles, mon monde s’est écroulé. Je me suis senti tellement mal que j’en ai voulu au Tout-puissant et à la terre entière de me l’avoir enlevée. Il me restait tant de choses à apprendre avec elle à mes côtés et je l'aimais tant.
La mort de ma mère ne m’a pas seulement anéanti. Elle m’a ouvert les yeux et plus encore, permis de trouver ma voie. Quelques mois plus tard, mon père s’est remarié. Je me suis senti comme un étranger dans notre propre maison et j'ai décidé de partir le plus loin possible. C’est peut-être ce que j’aurais dû faire dès que j’en ai eu les moyens au lieu de supporter bêtement l’ambiance toxique qui régnait chez nous. Sa nouvelle épouse me sortait par les narines. Je n’en pouvais plus de ses réflexions moqueuses à mon égard, encore moins de ses airs de grande dame. Elle croyait qu’il suffisait de dormir dans le lit de ma mère pour la remplacer dans ma vie et dans mon cœur. Elle voulait surtout, faire de moi quelqu'un que je n'étais pas.
     Mon père lui, la soutenait en tout ne me facilitait la tâche. Il ne m’a jamais laissé le choix. J’aurais tant aimé qu'il soit comme ma mère et que les choses se soient passées autrement, comme quand il m’achetait des figurines alors que je voulais tout simplement une poupée. Ou lorsqu’il m'offrait pour Noël un train électrique alors que j'avais demandé au père Noël une poupée Barbie. Je souffrais sans trop savoir pourquoi, car je ne comprenais pas qu'il me refuse ces jouets. Quand on est petit, c'est compliqué d'assimiler que quand on est né garçon, on doit s'habiller et se comporter comme tel aux yeux des autres. Dans l'esprit d'un enfant, rien n'est pire que la douleur infligée par un père qui tente de le masculiniser par tous les moyens. En grandissant, n'en parlons pas !
    En bref, je suis bien un garçon. Et je tiens à le rester. Mon sexe ne me pose aucun problème, au contraire. Mais j'aime encore plus quand je me regarde dans la glace et que moi-même j'ai du mal à reconnaître la personne qui se tient face à son propre reflet. Je m'aime comme ça, et je ne compte pas changer.
Ah oui, je suis gay aussi !
J’ai quitté la maison dans laquelle j'ai toujours vécu et laissé derrière moi un pan de ma vie et tout ce qui me rappelait ma mère, c'est ce qui m'a fait le plus de mal. Ma grand-mère m’a recueilli dans son petit appartement dans le quartier du Queens et j’ai retrouvé le sourire, l’espoir, la joie de vivre et ce bonheur n’a pas de prix.
Mon père, est un homme bourré des préjugés et n’a plus cherché à me revoir. Et je crois qu’il a bien fait, car je ne supporterais plus de l’avoir devant moi et l'entendre me cracher des insanités et me rabâcher combien je l’ai déçu en brisant son rêve de père. Il aurait préféré me voir rejoindre un gang, ou me défoncer la gueule à la cocaïne qu'être une tapette efféminée. Ce sont ses propres mots, sans oublier qu’il a déjà tenté à plusieurs reprises de m’enivrer dans l’espoir de me voir revenir dans la peau d'un mec viril. C’est désolant, mais c'est la réalité. J’ai longtemps culpabilisé de ne pas être celui que mon père voulait que je sois. Son regard empli de dédain me rappelle à quel point à ses yeux je suis une erreur de la nature. Non ! Je suis simplement un androgyne qui a détruit ses illusions.
    Est-ce de ma faute si je suis né homosexuel et avec ce physique ?
Aujourd’hui, je réalise que je me suis trompé en le laissant me dénigrer sans me défendre et me juger comme si j'étais une erreur de la nature. En dépit de toutes les larmes que j'ai versées suite à ses mauvais traitements, son rejet et sa haine, j’ai continué à l’aimer en silence. Dîtes de moi ce que bon vous semble, que je ne suis qu’un faible, tant pis. Je sais qu’il m’a aimé lui aussi même si tout ça me semble bien loin, mais ma vie n'a pas été faite que de souffrances. Aussi loin que je me souvienne, la tendresse et l’écoute de ma mère ont comblé l’indifférence et les regards mauvais de mon père.
J'arrive au bout de l’avenue qui fait face au grand immeuble qui nous abrite. Un sentiment de bien-être m’envahit. Je m’empresse de monter les marches de l’escalier avec mon sac sur le dos. C’est devenu une habitude quand je rentre après avoir passé des heures à trimer à l’usine en compagnie de Mr Duke. Ça me permet de décompresser avant de retrouver ma mémé et de la serrer fort dans mes bras pour la couvrir de baisers.
— Mémé, je suis de retour, criai-je pour qu’elle m’entende depuis la cuisine.
Je n'obtiens aucune réponse, alors que d'habitude elle s'empresse devant la porte trop contente de me voir. Je tourne la clef dans la serrure, marche à pas de loup pour déboucher dans le petit salon où règne une obscurité totale. J’appuie sur l’interrupteur et mes yeux s’embuent devant le décor qui orne la pièce.
— Surprise ! j’entends.
Mon cœur s’emballe de bonheur en voyant un gâteau et les bouteilles de vin mousseux qui trônent sur la table. Ma grand-mère tient dans ses mains ridées un joli paquet et me regarde avec un sourire heureux. Quelques voisins du deuxième et troisième niveau sont derrière elle. Je ne peux pas rêver mieux pour fêter mon vingt-et-unième anniversaire. Les jeunes fêtent ça avec leurs potes, moi, je suis fier de le fêter avec ces personnes qui m'aiment.
— Tu pensais que j’avais oublié ? Me lance ma grand-mère en avançant les bras ouverts vers moi pour me prendre dans ses bras chaleureux et déposer un baiser bruyant sur mon front.
Elle me tend son cadeau que je prends bouche bée. Elle me demande de l’ouvrir plus tard. Je n’insiste pas et me laisse guider par Jared, mon ami du deuxième jusqu'à devant le gâteau magnifique. Je souffle les bougies et les regarde me chanter la fameuse chanson du "joyeux anniversaire". Je n'ai toujours pas décroché un mot, trop peur de me mettre à pleurer d'émotion. De grands coups contre la porte attirent notre attention et Jared se précipite pour ouvrir pendant que je fais le tour de tout le monde pour les remercier de leur présence. Il ne lui faut pas plus de deux minutes pour revenir le visage confus.
— C’était qui ? Lui demandai-je en me levant du fauteuil un verre de mousseux en main.
— Il y a un monsieur qui désire te parler. Cheveux blonds, yeux bleus, plutôt grand et…
Je n’ai pas besoin de plus de descriptions pour savoir de qui il s'agit. Le sang déserte mon visage. À moins de me tromper, je me demande ce qu’il me veut. Je pose immédiatement la coupe sur la table basse pour aller confirmer mes doutes, renversant une chaise au passage. Mon souffle se coupe quand je vois mon père appuyé contre le montant de la porte. Mon sang fait le tour de mon corps et bat dans mes tempes. Mes jambes ne supportent plus le poids de mon corps et une bouffée de colère me monte au cerveau. J'ai envie de le faire partir à coups de pied au cul, mais devant le gabarit, je me sens un peu vulnérable et pas si téméraire que ça !
— Qu’est-ce que tu me veux ? Je parviens à articuler après un gros effort pour éviter un scandale.
— Bonsoir et joyeux anniversaire, lance-t-il avec un sourire goguenard.
C’est tout ce qu’il trouve à dire après le mal qu’il m’a fait et après m'avoir traité comme une merde ? Je rêve !
— Je t'ai posé une question ! alors sois bref et dégage, j’ai des invités qui m’attendent ! rétorquai-je en détournant le regard. Tu as une minute, pas une de plus.
J’estime qu’il ne mérite pas que mes yeux se posent sur lui, encore moins que je lui adresse la parole.
— Il faut que je te parle, sérieusement. On pourrait aller quelque part ?
Quelle audace ! Il exige quelque chose de moi après m'avoir traité avec autant d’indifférence.
— Je n’irai nulle part avec toi et je te rappelle que ta minute est écoulée.
Un silence pesant s’installe et je choisis ce moment pour attraper la poignée. Il saisit farouchement mon bras pour m’arrêter avant que je ne lui claque la porte au nez.
— Ne pose plus tes mains sur moi, je gueule en le repoussant. Va-t’en d’ici et je te le dis gentiment !
Une douleur sourde me noue la gorge. J'ai besoin qu'il fasse demi-tour et qu'il disparaisse de ma vue. Comment ose-t-il revenir et demander à me parler après trois années d’absence comme s'il avait réalisé que j'existe comme par enchantement.
— Je suis désolé, murmure-t-il.
— Pars tout de suite. Je ne veux te parler ni aujourd’hui, ni jamais, je lui crache en ouvrant grand les yeux avant de claquer le battant.
Mon père a du culot à revendre. Venir se présenter le jour de mon vingt-et-unième anniversaire comme si de rien n’était, comme si je l’intéressais et comme si le simple mot "désolé" pouvait effacer les années de brimades qu'il m'a fait vivre. Comme si un simple "désolé" pouvait chasser de mes pensées les mauvais souvenirs qui me marqueront certainement à vie. Sans un mot, je plante mes invités et m’enferme dans ma chambre. Les larmes roulent sur mon visage sans trop d’efforts. Pourquoi moi ? Je ne cesse de m’interroger, blotti dans mon lit. J’entends ma grand-mère derrière la porte. Je suppose que tout le monde est parti, mais je n’ai pas le courage d'ouvrir. Je préfère qu’elle ne me voie dans ce sale état.
Elle insiste et frappe sans discontinuer jusqu'à me faire céder et je me résous à la laisser entrer avant de courir vers mon lit et cacher mon visage défait.
        — Mémé, il était là, je sanglote quand elle s'assoie au bord du lit pour me prendre dans ses bras
— Je sais, me susurre-t-elle en s'approchant sur le lit pour lisser mes cheveux emmêlés.
— Pourquoi est-il venu, hein ? Je hoquète. Pour se moquer de mon allure ou pour me rappeler que je ne vaux rien une fois de plus ? Je continue en plantant mon regard brouillé dans le sien.
—Arrête de parler comme ça ! lance-t-elle en haussant le ton, me prenant par les épaules pour me faire asseoir. C’est ton père et il n’aura pas d’autre choix que de t’accepter tel que tu es ou disparaître de ta vie. Ça me fait honte qu’il t'ait rejeté. Mais qu'est-ce qu'il veut bon sang !?
— Tu n’y es pour rien, je la rassure en caressant sa joue du bout de mes doigts. Il est grand et sait ce qu’il fait, par contre je ne cautionne pas qu’il vienne jusqu’ici cracher son venin, pas du tout !
Elle pousse un long soupir qui montre sa désolation. Elle ne l’a pas éduqué ainsi, grand-mère n’a de cesse de me le répéter. Il est évident que je ne fais pas honneur à mon père, il me l'a assez répété. Sans compter que depuis que je suis avec ma grand-mère, il ne lui adresse plus la parole à elle non plus.
— Allez, mémé, ne t’en fais pas. Va te coucher, je tente de la convaincre. Demain est un autre jour, on en reparlera.
Je réussis à la reconduire dans sa chambre. Je n’aime pas la voir anxieuse à cause de moi. Elle est bien trop âgée pour avoir le cœur déchiré par des problèmes qui ne sont pas les siens. J’éteins la lumière et je regagne ma chambre où je ne retiens plus mes pleurs. Peut-être que la rancœur que je ressens à son égard partira avec les larmes, mais je ne crois pas. Mon esprit est tellement meurtri que de simples gouttes ne suffiront pas à effacer mes cicatrices. Les stigmates des tortures psychologiques qu’il m’a infligées consciemment ou inconsciemment sont indélébiles. Je lui en veux, pourtant j'ai besoin de lui parler et lui rappeler combien il a été injuste envers moi et combien ça me ronge. Mais là, je préfère fermer les yeux, oublier qu’il a eu l’audace de venir jusqu’ici pour une raison que j’ignore. Je ne regrette pas de ne pas lui avoir laissé l’occasion de me parler, car il ne mérite pas mon attention. Je serre contre moi la peluche de ma mère et je m'assoupis, me sentant bercé comme si je l’avais à mes côtés.
Les rayons de soleil qui traversent la porte-fenêtre de ma chambre me font cligner les yeux. Je frotte mes paupières avec le dos de ma main avant de poser mes pieds sur le parquet. Je me dirige vers la douche en bâillant, m’étirant dans tous les sens. Après une toilette sommaire et laborieuse, j’ouvre la porte de mon dressing et comme tous les matins je réfléchis à la tenue du jour. Des tops d’un côté, des robes par-ci, des salopettes par-là, des jeans un peu partout. Je n’arrive jamais à me décider immédiatement si je m'habille en homme ou en femme. C'est selon mon humeur. Tant mieux, au moins j’ai le choix et ça ne me gêne pas de vivre cette indécision. Au contraire, ça m’amuse. Aujourd'hui, ce sera un slim bleu turquoise et un tee-shirt blanc simple. Je chausse mes pieds d'escarpins qui m’élèvent de 10 centimètres me faisant passer à 1,80 m, clipse mes créoles à mes oreilles et encercle mes poignets de bracelets clinquants avant de me maquiller.
La glace me renvoie le reflet d’un homme élancé et mince avec des pupilles bleues comme la mer… Si on peut m’appeler « homme », car les autres ne me considèrent pas comme tel. Eux, ne voient en moi qu'un travelo, alors que je suis autre chose que ça. Au-delà de cette apparence que j’affiche se cache une personne forte et battante pour laquelle la vie n’a pas toujours été rose. Malgré les moments de souffrance et les rejets, je n’ai jamais baissé les bras. J’ai lutté et je m’en suis sorti. Aujourd’hui, je marche la tête haute et je suis fier de ce que je suis, un homme qui ne demande rien à ,personne, juste un peu de respect et la considération que je mérite. J'entre dans notre petit salon et tombe sur Mémé qui serre une tasse fumante entre les doigts.
— Bonjour, je te sers du café ? Me propose-t-elle en me désignant la cafetière.
— Non, merci, je vais prendre un jus de fruits.
Elle se lève pour attraper le cadeau que j’ai délaissé la veille sur la petite table et revient me le donner avec un sourire au bout des lèvres.
— Vas-y, ouvre-le, m'intime-t-elle avec un clin d'œil.
Je lui prends des mains pour dénouer le ruban satiné de couleur de rouge et découvre une belle boîte dans laquelle se trouve la robe à pois que je lorgnais depuis quelque temps dans la vitrine d'une des boutiques du centre commercial. Nous l’avons vue et admirée quelques mois auparavant alors qu’on faisait les courses. Elle est aussi belle que coûteuse. Je reste quelques instants en admiration devant l'étoffe que je place devant moi en la serrant de mes deux bras.
— Tu n'aurais pas dû mamie, elle coûte trop cher, merci pour ce beau cadeau, soufflai-je ému.
— Ce n’est rien. Aucune robe n’est trop chère pour te faire plaisir, glousse-t-elle en remplissant mon verre de jus d'orange puis mon sac à dos de petits beignets au miel. Tu les portes tellement bien ces robes. Tu es magnifique mon chéri !
— Mémé, arrête de mettre des sucreries dans mon sac !
Je l'avertis en me renfrognant les bras croisés sur la poitrine.
— Non ! lance-t-elle d’un air amusé. Tu es beaucoup trop mince pour te priver des bonnes choses.
— Qu’est-ce que tu es têtue !
Je finis par céder. Je suis gourmand, mais je tiens à ma ligne. Je pars accrocher ma nouvelle robe sur un ceintre et l’enlace avant de partir travailler.
M. Duke va être vert de rage si j’arrive en retard. C’est la seule idée qui me vient à l’esprit tandis que je descends l’escalier à toute allure. Cela fait quatre mois que je travaille dans son usine et je gagne plutôt bien ma vie. On ne peut pas espérer vivre décemment avec la pension de ma grand-mère alors j’ai décidé malgré ses engueulades à trouver un job. Je travaille à mi-temps et étudie le soir à l'académie des beaux-arts. Au rez-de-chaussée, je salue des voisins au moment où mon regard croise celui de mon père adossé à sa Jeep. Je souffle énervé. J’ai pourtant été clair avec lui hier soir. Je tente de l’ignorer, mais il vient me barrer le passage en se plantant devant moi.
— Je dois te parler, commence-t-il en faisant tinter les clés de contact.
— Et après ? Je m’emporte. Tu vas me reprocher d’être une fille ratée comme tu sais bien le faire et…
— Chut ! m’interrompt-il tout bas en jetant des œillades de tous les côtés.
Les passants nous regardent, mais ça ne m’empêchera pas de gueuler.
— Je ne suis pas venu pour ça, reprend-il, et même si ça m’écœure de te voir accoutré comme tu es, ajoute-t-il en me désignant de la main d'un air dédaigneux. Je devais quand même te voir.
— Pourquoi es-tu venu alors ? Je ne compte rien changer, je mettrais du rouge à lèvres et des escarpins quand ça me chante.
— C’est pour ta mère, susurre-t-il d’une voix que je peine à entendre.
J’esquisse un mouvement de recul et fixe son regard dans lequel je tente de déceler une tentative de manipulation, mais je ne vois rien. Pourquoi vient-il me voir trois ans après sa mort pour me parler d’elle ?
— Loin de moi l’idée de te faire revenir à la maison ou essayer de te reconvertir en… homme. Tu peux faire de ton corps ce que bon te semble et je n’en ai rien à foutre. Mais aujourd'hui, tu dois venir avec moi. Le notaire est passé et puisque tu es parti, tu dois signer pour me laisser l'usufruit de la maison.
— C’est tout ce qui t’intéresse n’est-ce pas ? Je maugrée au bord de la crise de nerfs. La maison ! Pour y vivre tranquille avec ton arriviste d’épouse.
— Je t’interdis de manquer de respect à Odile, me menace-t-il le doigt pointé dans ma direction.
— Je le ferai encore et toujours. Maintenant, fiche-moi la paix parce que je ne viendrais pas avec toi ! Je préfère mourir qu'offrir sur un plateau d’argent le fruit du travail de ma mère à cette femme sans vergogne. Donc, si j'en ai envie, soit nous vendons la maison, soit tu me rachètes ma part, mais je ne te laisserais rien !
Je le dis d'un ton outré, parce que je suis écœuré. Comme je me suis trompé sur mon père ! J’espérais que mon départ de la maison familiale l’interpellerait, mais non ! Il a dû jubiler lorsque j’ai passé la porte, car je ne représentais pour lui qu’un être anormal, rien de plus. J'étais et je resterais la honte de sa vie. Une larme de rage s’échappe de mes yeux et je l’essuie rapidement avant de lui tourner le dos. Je pars presque en courant, sans me retourner, le cœur brisé en mille morceaux. Je lui en voulais, aujourd’hui, il me répugne autant que je le dégoûte.









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