LUCAS
— Enfin, tu es rentré, je me suis fait du souci pour toi.
L’air réellement inquiet qui s’affiche sur son visage me donne envie de vomir. Soit c'est une comédienne hors pair, soit elle n'a pas toute sa tête. Ce n’est pas comme si elle ce qui pouvait m’arriver avait eu une quelconque importance à ses yeux. Si mon existence ne l'a pas intéressé ces seize dernières années, ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer.
— Je ne savais plus quoi faire, continue-t-elle. J'ai cru que tu étais reparti.
— Ça suffit ! Je crie en levant les mains. Je ne supporte plus ton hypocrisie. N’en fais pas trop. Ce n’est pas comme si tu te sentais préoccupée par mes besoins.
Les larmes dévalent ses joues rondes, mais ce n’est pas ça qui m’empêchera de dormir.
— À ce que je vois, il n’y a pas de petite fête ce soir, je lui balance en pleine figure.
— Je n’ai pas ton numéro de téléphone, c’est normal que je me fasse du souci. Tu es quand même venu pour t'installer ici, non ?
— Oui, et je regrette crois-moi. J'ai voulu faire plaisir à mon père qui dans sa grande naïveté croit toujours que tu es récupérable ! Fais comme tu as fait toute ta vie, ne change rien. Dès que je trouve un appartement, je me casse ! Bonsoir, je lui dis en prenant la direction de ma chambre.
— Je t'ai préparé un dîner, viens manger s'il te plait, pleurniche-t-elle.
— Non, je n’ai pas faim, je lui réponds en claquant la porte derrière moi.
C’est désolant, mais elle me sort par les yeux. J’en ai assez. Je ne pensais pas qu’il serait aussi difficile de supporter la voir. Mon père ne se rend pas compte de la situation dans laquelle il me met. C’est mieux pour elle de faire comme si de rien n’était alors qu’elle a été absente pendant seize longues années. Je ne sais pas pourquoi je me retiens de lui dire le dégoût qu'elle m'inspire. Elle est et restera malgré tout ma mère, elle peut remercier le bon Dieu et mon père de m'avoir bien éduqué.
Les bruits des assiettes qui s’entrechoquent dans la cuisine me tirent de mon sommeil. Mon réveil se met à sonner en même temps. Je me cache sous l'oreiller avant de repousser les draps et me traîner jusqu'à la douche. Je suis accueilli dans le salon par un arome de café. Je trouve ma mère à table, tenant une tasse entre les mains.
— Bonjour, assieds-toi, je t’ai fait des pancakes.
Je prends place en soupirant et la laisse me servir. Je la trouve pitoyable à mendier mon attention alors que toute ma vie j’ai cherché une épaule sur laquelle pleurer. Mon père a été mon confident, mais j’avais du mal à lui raconter certaines de mes angoisses pour ne pas lui faire de peine. Peut-être avais-je peur de sa réaction !
— Tu veux un peu de sucre ?
— Non, merci, c'est bon. Le docteur Bermudes te salue au fait, je continue en portant ma tasse de café à la bouche.
— Euh… bafouille-t-elle sans trouver les mots. Comment tu connais Bermudes et où vous êtes-vous rencontrés ?
— Je travaille dans son dispensaire, je soupire tout en la fixant du regard.
Un silence pesant s’installe et ses yeux m’interrogent plus qu’elle n’a le courage de le faire de vive voix.
— Une recommandation de papa, je reprends pour briser le calme. J’ai eu mon diplôme de médecine, mais est-ce que tu le sais au moins ?
— Évidemment que je le sais ! Je suis désolé de n’avoir pas été là.
— Ne t’en fais pas. Je peux comprendre qu’on n’a jamais rien représenté à tes yeux.
Je vide ma tasse d’un coup et me sors de table ne lui laissant aucune occasion de réagir. Je prends ma trousse et quitte l'appartement.
— Je me fais du souci pour toi, souffle-t-elle d’une voix tremblante en ouvrant la porte avant que je n'aie eu le temps de descendre la première marche. Ce quartier est dangereux. Fais attention à toi.
Je dévale les étages sur cette mise en garde et n’y prête aucune attention. Ses paroles sonnent faux dans mes oreilles. Je marche à vive allure me rappelant qu’une longue journée m’attend au dispensaire.
Les rires moqueurs et des brimades attirent mon attention quand je sors de l'immeuble. J’avance d’un pas hésitant attiré par les cris de détresse de l'homme qu'ils encerclent. Je reconnais immédiatement les cheveux crolés de l'androgyne acculé par cinq gaillards. Sans hésiter, je m'approche. Il se fait bousculer dans tous les sens, mais se débat comme il peut.
— Fichez-moi la paix, suffoque-t-il tandis que son sac passe d’une main à l’autre. Rendez-le-moi bande des voyous.
— Laissez-le tranquille, je gueule comme sans me démonter.
— Quoi, t’es qui toi ? Profère l’un d’eux, se retranchant de la troupe et avançant dans ma direction avec un joint à la main.
Je me jure que si dans les minutes qui suivent ils ne lui rendent pas son sac à main, je leur fais mordre la poussière.
— Je ne me répéterai pas, je maugrée. Rendez-lui son sac à main si vous ne voulez pas d’ennuis.
— Ne sois pas ridicule. T’es qui toi pour venir défendre cette tapette ? Tu en es une toi aussi ? Reprends l’un des quatre autres en passant une main dans ses dreadlocks.
Ils s’esclaffent à s’en décrocher la mâchoire tandis que je commence è perdre patience.
— Vous me mettez en retard, crie le mec juché sur ses talons tentant de récupérer son sac, en vain.
La rage dévale mon échine et mon cerveau réagit tout de suite. Je laisse tomber ma trousse. Mon poing se serre et un coup file droit contre la mâchoire de l’homme qui me fait face. J’attrape à la volée le deuxième que j’étouffe avec le pli de mon coude contre sa gorge. Je me retrouve avec les deux bras bloqués dans le dos par les deux autres. L’homme aux dreads me roue des coups dans le ventre tandis que le blond aux cheveux frisés ne cesse de crier au secours, les suppliant de me laisser tranquille. Je finis par me libérer de la prise et m’en prends à celui qui me fait face. Je le plaque au sol pour le rouer de coups en même temps que le reste de la bande me tire en arrière. Ma tête cogne le mur de l'immeuble alors qu'ils finissent par me lâcher et partent en traînant celui que j'ai bien amoché.
— Partons, ordonne le mec le nez en sang qui prend appui sur les autres, qui abandonnent le sac à main sur les pavés.
— Vous allez bien ? Me demande le gars aux yeux bleus après avoir ramassé son sac à main.
— Ça peut aller, je lui réponds en passant une main sur la bouche. Et vous, ça va ?
Il hoche la tête de haut en bas. Je tente de me mettre debout lorsqu’une main se pose sur mon bras.
— Venez, je vais vous aider ?
J’acquiesce avec un sourire. Il me suit jusqu'à la marche de l'entrée de notre immeuble sur laquelle il m'aide à m'asseoir en prenant place à mes côtés. Mon regard se plante dans le sien encore une fois et un frisson parcourt ma colonne vertébrale. C’est dingue comme ses yeux sont clairs et limpides. Je m’y vois et m’y perds jusqu’à ce que sa voix douce me fasse retrouver le sens des réalités.
—Vous savez, vous auriez pu vous attirer des ennuis avec ces pochtrons, soupire-t-il le regard baissé sur ses escarpins.
— Tant pis, j’articule en reprenant mon souffle. Je n'ai fait que venir en aide à une personne en détresse. J'ai horreur des agressions gratuites. Vous auriez fait pareil pour moi non ?
Je tente, mais j'imagine que vu son allure et les échasses qu'il porte aux pieds, il aurait beaucoup de mal à secourir qui que ce soit. Mais l'air ne fait pas la chanson parfois.
— En réalité… Non ! avoue-t-il avec un rire étouffé. Je plaisante ! lâche-t-il avec un petit rire, mais je ne fais peur à personne.
— Content de voir que si je suis attaqué quelqu'un va me secourir, je réponds en souriant et en frottant ma tête.
Un silence s'installe quelques secondes et je sens son regard posé sur moi. Je le surprends en train de m'observer quand je lève mes yeux vers lui.
— Vous vous êtes bien débrouillé, vous savez ? Pour un « un contre cinq », fait-il en mimant des guillemets. Ce n’était pas mal. Merci de m’avoir sorti des griffes de ces voyous.
— Vous vous en seriez sorti tout seul je suppose, je lui balance avec un clin d’œil.
Il rigole à mes mots à s’en décrocher la mâchoire. Je me demande s'il est conscient du danger qu'il court en s'habillant de cette manière. Il est vraiment beau, mais la société a beaucoup de mal à accepter les personnes qui se montrent telles qu'elles sont. Moi, je l'admire pour son courage.
— Oh, je ne crois pas non, reprend-il en balayant de son visage une mèche rebelle. J’aurais sûrement passé un sale quart d’heure si vous n’aviez pas débarqué.
— Alors j’ai bien fait de venir, renchéris-je en levant les épaules.
— Votre tête me dit quelque chose, me fait-il remarquer en me détaillant un instant. On se connaît peut-être ?
— Je vous ai presque percuté dans les escaliers hier, vous vous en souvenez ? Je vis dans l’immeuble d’à côté, lui dis-je en désignant le grand bâtiment à trois étages.
— Et moi, je vous ai presque crié dessus, se souvient-il en couvrant son visage avec ses deux mains. Je suis Maël et j’habite au deuxième dans l’immeuble d’à côté, m'affirme-t-il en me tendant la main.
À cet instant son sourire est si lumineux et sa main si douce et chaude dans la mienne.
— Ravi, moi je suis Lucas !
— Oups ! s’écrie-t-il en jetant un coup d’œil à sa montre. Je vais être en retard à mon travail. J’espère vous revoir bientôt.
Il se lève, me fait un signe de la main et longe la rue certainement pour prendre le métro. Je le regarde filer et mes lèvres se relèvent en un sourire débile. Debout Lucas ! Une longue journée t’attend à la miséricorde.
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