Chapitre trois : Le maître des ombres

                Des lumières dansaient dans la nuit.

Des lanternes étaient accrochées, pendaient au bout des fils et brillaient, illuminant les rues habitées par une foule qui riait, et dont les voix se dispersaient dans une musique festive. Des éclats de rire, des paroles graves ou enjouées, des verres qui se levaient et de la bière qui coulait à flots, la nuit ne dérangeait personne. Des chevaux passèrent, tirant leurs carrosses, leur cocher les guidant en criant aux passants de libérer le chemin. De part et d'autres, des marchands improvisaient et tentaient de vendre des robes venues, selon eux, des contrées lointaines ; ils levaient leurs bras et souriaient, guettaient l'approche d'un esprit curieux tels des rapaces avides. D'autres essayaient de vendre des bijoux, des colliers de faux saphirs, profitant de l'occasion pour bien s'enrichir.

Je soufflais.

Serrant mes sacs contre moi, je levais le nez et, apercevant la douce lumière d'une auberge, je m'empressais et me faufilais dans la foule, poussant quelques insomniaques sans le moindre ménagement. Des voix graves couvrirent mon dos, des tons colériques suivirent mes pas et des regards se froncèrent dans ma direction ; pourtant, ils ne s'attardaient pas longtemps sur ma personne pressée.

Je poussais une lourde porte, heureuse de quitter la fraîcheur de la nuit et l'engourdissement de la foule. Des bougies me réchauffèrent et quelques têtes se levèrent à mon approche avant de se détourner, continuant leurs discussions sans se soucier de ma présence plus longtemps.

Je m'approchais d'un vieil homme dodu, aux yeux chaleureux et au sourire surpris.

-Lucy ! Ça alors ! Je ne m'attendais pas à te revoir de sitôt !

Mes lèvres s'étirèrent, mes yeux pétillèrent.

-Comment allez-vous, Makarov ?, demandais-je d'une voix fluette.

Tirant une chaise, je m'installais confortablement, mes coudes s'adossant à la table de bois.

Un feu crépitait dans une cheminée, léchant les parois de pierre, réchauffant cette pièce de ses flammes dorées.

Rapidement, un verre apparut devant moi, l'odeur de la bière s'élevant et effleurant mon nez glacé. Retenant une légère grimace, je tendis le bras et le repoussais gentiment, secouant la tête, refusant rapidement :

-Je ne bois pas, l'avez-vous oublié ?

-Ah, les femmes de nos jours ! Elles ne sont plus ce qu'elles étaient dans mon temps !, il se répartit dans un rire gras, frottant ses paupières fatiguées et soupirant lentement.

Il se racla la gorge, après que son rire amer se soit dissipé dans les fumées noires du feu, fermant les yeux et prenant une grande inspiration. Sa main s'ouvrant, il saisit rapidement mon verre et le porta à ses lèvres, en but son contenu d'une traite rapide et avide.

-N'empêche, ça fait du bien de te voir, Lucy. Mon fils sera très heureux de te revoir, je peux te l'assurer.

Je serrais la mâchoire inconsciemment, mes lèvres se crispant et mes yeux tressaillant. Mon cœur s'emballant, je déglutis et soupirais silencieusement ; revoir son fils ne faisait pas partie de mes plans. Mes souvenirs de cette personne n'étaient pas bons, il n'avait pas laissé une très bonne image la dernière fois que nos regards se sont croisés. Arrogant et bêtement méchant, il avait des mains baladeuses qui me déplaisaient beaucoup, ses traits étaient cruels, ses manières étaient celles d'un bandit. Mes sourcils se froncèrent et un éclair de colère alluma mon esprit agité. Je n'aimais pas son fils, je ne l'aimais vraiment pas, pas du tout, pourtant je ne pouvais me résoudre à l'avouer à son père qui était tout réjouit de voir sa progéniture s'intéresser à quelqu'un de mon rang. Les intérêts devaient être grands, il devait espérer le voir changer sa vie qui prenait une tournure misérable.

Je me mordis la langue, me forçais à sourire et à ignorer mon cœur indigné.

Les joues du vieil homme rosirent, l'alcool commençant à lui faire tourner la tête, il s'émoustillait et se réjouissait, levant ses petits yeux vers le plafond de bois et souriant bêtement. Ses mains se serraient sur son verre et son visage se tourna, se détourna, se baissa alors que ses sourcils se froncèrent.

-Il est où, d'ailleurs, mon idiot de fils ? S'il traine encore avec cette Louisa, je te jure que je vais ... !

-Monsieur Makarov, soufflais-je, en grondement tout bas. Je ne suis pas venue voir votre fils, j'espère juste avoir une chambre à un prix d'ami, c'est tout.

D'un mouvement lent, il se tourna vers moi, me fixa longuement, les traits concentrés et le regard brouillé. Encore une fois, il se frotta les paupières et soupira, souffla, inspira et fouilla ses poches, plaquant sur la table une clé rouillée.

-Tout pour une amie de la famille !, s'exclama-t-il joyeusement lorsque je déposais ma monnaie sur sa table noire et écorchée par le temps.

Son rire s'éleva, domina la foule et l'espace et le monde entier, s'écrasa contre mes oreilles fatiguées alors que, lui tournant le dos, je montais à l'étage. Les marches grinçaient sous chacun de mes pas, se plaignaient sous mon poids et se tordaient, une odeur de bois s'élevait, mélangée à de la sueur et à la cire des bougies qui fondait. Rapidement, je me trouvais au second étage, devant le petit couloir mal éclairé et les portes abimées à la poignée effritée. Rapidement, sans perdre une minute de plus, j'entrais dans la chambre à l'allure bien pauvre, au lit sale, aux fenêtre grandes ouvertes qui donnaient sur la rue encore et toujours agitée. Un combat semblait être commencé, des applaudissements, des encouragements fusèrent alors que des poings volaient. Je fronçais le nez, fis une légère grimace devant ce spectacle désagréable, songeant à la bêtise de l'homme alors que je fermais les fenêtres, tirais les rideaux blancs.

Mon corps était lourd, j'étais fatigué et, ignorant les draps sales, les odeurs désagréables et la dureté du matelas, je me jetais sur le lit, fermant les yeux, fermant mon esprit et mes oreilles, ignorant les voix, les cris, les rires désagréables qui animaient l'auberge.

J'étais épuisée, je voulais dormir, je voulais m'assoupir et me reposer et prendre des forces pour le lendemain, pourtant, ma tête refusait de se taire. Pourtant, voilà que mes pensaient surgissaient et m'entouraient tel un nuage de guêpes, désagréable et énervant. Un grognement sortit de ma gorge, et je me tournais, j'ouvris les yeux et fis face au plafond sale. Regardais l'araignée, une ombre noire et petite, une ombre insignifiante qui s'empressait de se glisser dans une fissure sobre. Mon regard vacilla. Se tourna vers les rideaux, vers le mur, vers la table basse, vers la bougie éteinte, vers mes sacs posés négligemment sur le sol. Mon regard vacilla, mon esprit s'éparpillait, et je m'égarais. Je songeais, tout d'un coup, à Mirajane. Avait-elle découvert ma disparition ? Avait-elle alerté les gardes ? Avait-elle lancé un avis de recherche ? Était-elle en colère, ou tout simplement attristée par mon attitude égoïste ? Égoïste... on l'était tous, après tout. J'étais égoïste, Mirajane était égoïste, Makarov était égoïste et son fils était égoïste. On formait tous une chaîne interminable de mauvaises grâces et d'orgueil impur, une chaine difforme et détestable qu'on ignore de toutes nos forces et on essaye de le cacher, ce lien indestructible qui nous lit tous. On ferme les yeux dessus, on sourit et on soupire et on lui tourne le dos, espérant de toutes nos forces le voir disparaître, ne pouvant accepter une quelconque ressemblance avec l'autre, prétendant être unique alors qu'on ne peut plus tomber dans la banalité !

Je soupirais.

M'agitais, mes mains se serrant sur quelques mèches de cheveux perdus.

Mirajane n'avait pas besoin de moi pour diriger son pays, mais elle l'ignorait ou ne voulait pas le comprendre. Elle s'accrochait de toutes ses forces à moi, plaçait tous ses espoirs en moi et prétendait être une incapable, et jamais elle ne cessait de se cacher dans le dos des autres telle une enfant. Enfant... elle l'était bel et bien. Une enfant perdue et démunie qu'on avait pris brutalement et placé sur le trône sans jamais lui demander son avis. Du jour au lendemain, elle avait perdu son père, sa petite sœur et s'était retrouvée reine d'un royaume affamé et chaotique, on lui avait demandé de diriger, on lui avait demandé de redresser la mire en sachant pertinemment qu'elle ne pouvait le faire toute seule. Les conseillers de l'ancien roi était partis, eux aussi, riant dans son ombre frémissante et la fixant, un sourire jaune collé sur leurs lèvres mortes.

Tous avaient le regard braqué sur elle.

Tous attendaient qu'elle fasse quelque chose.

Et tous s'étaient indignés face à son manque d'expérience.

Je levais les mains, m'étirais, me levais doucement en sentant le lit craquer dangereusement. D'un mouvement de tête mécontent, je secouais la tête, éloignais brutalement de mes yeux mes cheveux encore et toujours égarés, pensant les faire couper avant de rejeter cette idée. Mes jambes tremblèrent, mon tissu frémit et mes doigts se serrèrent autour de ma clé en or. Une certaine appréhension se fit sentir, m'agaçant, elle troubla mon envie subite et cette habitude qui s'était installée dans ma vie, depuis une année, environ. La peur de l'échec, la peur de réentendre encore et encore ces mêmes mots ces mêmes paroles, de sentir ce même désespoir désastreux me fit frissonner et hésiter, hésiter, hésiter détestablement.

Je déglutis.

Fronçais les sourcils.

Réprimandais ma peur, la traitant de ridicule, d'absurde, d'incompréhensible. Puis, d'un mouvement rapide et irréfléchi, j'enfonçais la clé dans la serrure, la tournant, sursautant en entendant un ''clic'' habituel. Puis, les membres tremblants, les traits défigurés par une crainte inconcevable, j'ouvris la porte et avançais d'un, de deux, de trois pas malheureux.

Une infinité de portes s'étalaient devant moi.

Mes yeux étaient fermés, mon esprit effrayé, et je me vis reculer avant d'avancer, en me forçant un peu. Le désespoir. La perte. L'oubli. La peur. La douleur. Ces sentiments se déchaînaient dans ma poitrine essoufflée, tombaient sur ma peau dans un fracas muet et me fouettaient, écorchaient ma peau, ouvraient mon ventre, déchiraient mon cœur. J'ouvris les yeux, inspirais doucement, continuais mon chemin. Tout n'était que ressentiment. Que colère et peine. Et le silence. Le silence. Aucun son, aucun bruit ne venait interrompre cette quiétude macabre, aucune mélodie ne donnait un semblant de vie à cet endroit.

Mes pas s'enfonçaient dans la brume, mes orteils n'étaient que glace, le sang me quittait peu à peu.

Des ombres progressaient en silence, à mes côtés. Des ombres confuses, aux traits indistincts, sans couleur ou vie, elles étaient perdues et condamnées à errer pour l'éternité. Et elles marchaient. Elles marchaient, marchaient et marchaient encore, sans jamais s'arrêter ou se poser la moindre question, tout simplement parce qu'elles en étaient incapables. Ou elles auraient dû en être incapables. Les voilà qui, soudainement, se tournaient vers moi et braquaient sur mon corps cadavérique un regard vide. Elles accélérèrent leur cadence, s'approchant de moi, levant leurs bras, ouvrant leurs bouches, leur voix commune s'infiltrant dans ma tête, déchirant mon esprit :

« Maître...»



Mot d'auteure : Ah là là, ce chapitre m'a donné du fil à retordre, dit donc ! Non mais plus sérieusement, j'ai du le réécrire quatre fois, et je peux dire que cette version est très différente de ce que j'avais prévu au départ ! 

Sinon, j'ai hâte d'en finir avec l'introduction pour me lancer dans le vif du sujet, héhé. Enfin, le chapitre prochain sera beaucoup plus intéressant. 

Hum. Bref. Je m'égare du sujet, là ! Ce chapitre, donc. Qu'en avez-vous pensé ? J'avais prévu vous donner plus de renseignements au sujet du pouvoir de Lucy, puis je me suis dit que vous faire attendre un peu ne vous fera pas de mal x3 Oui, je suis sadique. Mais ce n'est pas de ma faute, j'aime vous faire languir ! 

Et puis, je vous donne des indices, aussi u,u
Pour finir, j'espère que vous avez aimé ce chapitre et rendez-vous au chapitre quatre !
À dans deux semaines ;D  

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