6- La Visite

C'est la nuit. 

 Abandonnant dans une rue transversale ma vieille voiture bleu-bosses-rouille -que j'appelle affectueusement «la Vieille»-  je fais le reste du chemin à pied.  Vêtu d'un jeans élimé et de mes vieilles bottes de randonnées, j'ai endossé un manteau de laine usé au coudes et collet montant. Un bonnet noir complète mon costume d'incognito et protège aussi ma tête des courants d'air qui sont violents ce soir.  Comme souvent lorsque je me déplace dans la ville et les environs pour mon agrément, j'ai endossé cette enveloppe passe-partout, le but étant surtout de ne pas se démarquer trop, de passer inaperçu.  Être l'Héritier Dorchester est parfois lourd en pression sociale.

Je marche d'un pas qui se veut tranquille et innocent autour du chantier de la gare.   La tête dans les épaules, mes yeux recherchent la faille dans la clôture, celle que j'ai localisée cet après-midi, afin de pouvoir m'y faufiler.

Loin du lampadaire de la rue... voilà j'y suis !  Un éboulement de pierres a fait s'affaisser quelque peu le grillage dans un coin et un passage s'est créé par dessous un peu plus loin.  Je m'y glisse, non sans salir copieusement mes vêtements et mes mains.  Je me relève rapidement et me faufile sans bruit vers le côté où je sais se trouver le couloir en pente douce.  Rendu près du bâtiment, je tâtonne pour trouver l'autre accès que j'ai aperçu derrière un vieux tas de bois empilé le long d'un mur.  Je me retrouve ainsi à ramper derrière une montagne de vieilles planches afin d'atteindre l'interstice aperçue ce matin.  Je constate que de vieux cartons en tapisse le passage, pour éviter que les monceaux de vitres des fenêtres brisées ne blessent des rampeurs clandestins : une preuve que d'autres sont passés avant moi.

J'ai les oreilles qui bourdonnent dans ce passage sombre, le bruit du vent extérieur est assourdi, l'air est poussiéreux et porte un effluve de terre et de moisissure. 

Je me sens comme, lorsque gamin, je me glissais en douce dans la cuisine, pour voler des biscuits dans la cuisine alors que Doris faisait sa sieste avant d'entamer la préparation du souper, affalée dans sa chaise berçante préférée.  Mais cette fois-ci, pas de biscuit aux pépites de chocolat au bout du périple et une punition autrement plus grave si je me fais prendre.  Ce ne sera pas une heure de pénitence assit sagement près de la Jamaïcaine, à la regarder me raconter, avec ses petites mains brunes qui virevoltaient dans les airs et son doux visage expressif, ses ragots de l'épicerie du coin ou les souvenirs de sa rencontre avec Jacob, son petit blanc préféré - après moi bien sûr. 

Non, si je suis pris sur le fait, je risque gros !

Ma crainte ne me ralentit pas et je me trémousse pour finir par passer dans le tunnel improvisé.  Je prend conscience que je me sens attiré vers cet endroit d'une manière incompréhensible.

Je débouche dans le couloir, de l'autre côté du grillage.  Mon cœur palpite à tout rompre.  En secouant la poussière sur mon manteau, je sens la crise d'asthme qui me guette.  Mes mains fouillent dans ma poche et je me dépêche de prendre une bouffée de ma pompe de Ventolin qui m'accompagne en tout temps. Je constate alors que je me suis blessé avec les tessons de verre dans la paume de ma main gauche.  Le sang coule sur mon bras.  Je remonte la manche de mon chandail pour éponger et endiguer le flux de sang.  Une chance, la blessure ne me semble pas trop grave.  Quel mauvais cambrioleur je fais ! 

Je réalise encore plus le risque que je prend en venant seul ici...  Et si l'ombre se révélait un dangereux bonhomme psychopathe ou un junky paumé et shooté à l'os !  Et si tout cela n'était que mon imagination ?  Si je me fais prendre !  Je serais dans la gadoue jusqu'au cou... En effet, malgré mon statut d'héritier, de jeune patron dynamique dans la fin vingtaine, comment expliquer ma présence, vêtu comme un SDF, les mains en sang et les clefs dans les poches.  Une inspection surprise ?

Mais trop tard pour reculer...

Je me lance sans bruit à l'assaut de la porte de bois.  Je trouve la bonne clef du premier coup... un signe du destin ?

J'entends un bruit de trottinement près de moi !   Des souris, des rats, un chat errant ?  Je prend mon cellulaire pour m'en faire une lumière de secours.  Mon écran ne s'allume plus.   Je réessais. Rien à faire.  En regardant de près, dans la pénombre, je constate que mon passage dans les tunnels n'a pas épargné mon portable.  Je le remet dans ma poche d'un geste rageur : il est foutu !

Je poursuis mon chemin en faisant fi des grattements le long des murs.

Un grincement de porte plus tard, me revoici dans la rotonde.

La nuit, les lieux me paraissent encore plus mystérieux et ... magiques !  Oui, c'est le mot.  La Lune dans le ciel envoie ses rayons par les vitraux.  Sur le sol, se dessine des tableaux multicolores en clair-obscur que je prend le temps d'admirer un instant.

Mais je dois m'avancer...

                     Impression étrange de déjà vu.

Frôler les murs.

                    Comme si mon esprit rentrait chez lui.

Tel une ombre.

                    Qu'est-ce qui m'attend ici ?

Armé du trousseau de vieilles clefs que je continue de serrer dans mes doigts crispés, je fais quelques pas.  Je m'aventure sous la rotonde.  Une envolée de pigeons aux ailes battantes me fait sursauter et j'étouffe un cri.  La nuée plumeuse m'entoure, les rayons lunaires multicolores font un effet stroboscopique.   Je panique, j'étouffe et je me sens attaqué.  J'agite mes bras dans tous les sens en poussant des murmures pas très héroïques...  Je recule sous l'assaut et je m'embourbe les pieds dans une planche ou un truc, qui traîne naturellement derrière mon talon, et je m'affale de tout mon long sur le sol.

Ma tête cogne durement sur le sol, un bruit de gong résonne dans mon cerveau, mon souffle est coupé sous le choc et mes yeux se ferment derrière des flash étoilés.

Je tente de reprendre le contrôle, mais mon corps ne répond plus.

Je tombe inconscient dans le noir absolu.

La poussière retombe et le roucoulement des pigeons reprend.


*********************

Oups !  En apparence, je viens d'éliminer mon personnage principal !

Oh lala ...

Mais, ne serait-ce que le début de tout ?

Que nous réserve l'avenir ?  

Quel est le destin de Philippe Dorchester, l'homme sans peur et sans valeur ?  Celui qui n'hésite pas à décevoir son père sur son lit de mort, à oublier sa propre mère et à rabaisser l'empathie de son frère.  Celui qui place l'argent comme valeur principale.  Richesse, Réussite et Rendement.

Quelle sera la suite ?

Pour le Savoir je dois vous mener de l'autre Côté... 

Et oui, on arrête là !  Bonne semaine en imagination :)

Gaïa;) 


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