15- Max

Après un parcours laborieux sous le timide soleil matinal, sur des trottoirs décorés de givre, ils se retrouvent dans un dispensaire pour sans abris.  Rapidement, la blessure de l'homme attire les regards d'une bénévole.  L'infirmière sexagénaire ausculte l'homme pour compléter les soins de Kalia.  L'homme joue les lunatiques pour éviter les interrogatoires ambarassants.  À la question «Quel est votre nom ? » il bredouille un « Max House ».  Kalia, en attente a la porte du petit cabinet, ne peux s'empêcher de lui jeter un œil surpris.  La soignante note sur son registre les détails puis lui donne quelques cachets contre la douleur. 

— Je vous laisse aller pour le moment.  J'aimerais vous revoir demain.  Arrivez tôt comme ce matin, sinon il n'y aura pas de place.  Mais vous pouvez demander Anaëlle à l'accueil et remettre ce coupon.

Elle lui remet une carte avec son nom et ses fonctions d'aide-soignante bénévole.

— Vous viendrez, c'est promis ?

— Hu hum, gromelle-t-il.

La femme fixe les yeux sombres sous la tignasse emmêlée.  Elle y observe ce qu'elle voit souvent ici : un regard de bête traquée et abandonnée.  Perdue.  Méfiante.

— Je ne veux que vous aider vous savez.  Je ne vous obligerai pas à aller voir les autorités ni à  vous rendre à  l'hopital.  Je ne veux que votre bien.  Je suis passée par là moi aussi.  Je vous comprends et je vous assure que je ne veux que vous aider.  

— Merci Anaëlle, murmure l'homme en quittant à pièce.

Kalia lui prend le bras, alors qu'un nouveau patient prend place auprès de l'aide-soignante :

— Max House ?  Enchantée.

— C'est le premier nom qui m'est venu à l'esprit.

— Vous aimez le café ? réplique-t-elle en pointant une annonce fripée au mur, face à la porte du dispensaire, vantant les mérites du Café MaxwellHouse.

— Quand on l'a sous les yeux, c'est une bonne inspiration, sourit-il.

— Eh bien Max ! venez, je vous en offre un !

Ils se rendent à la cafétéria, où un brouhaha joyeux et une chaleur bienfaisante les accueillent, Un quart d'heure plus tard, ils se retrouvent attablés devant un petit déjeuner.  Ce sont des repas chauds, simples mais rassasiants, pour tous ceux qui se retrouvent ici.  Autour d'eux, une assemblée bigarrée s'installe pour prendre des forces avant d'entamer une autre longue journée d'errance.  Il y en a de tous les types, jeunes, vieux, hommes, femmes et même quelques enfants en bas âge.  Certains sont habillés de misère alors que d'autres conservent une allure plus «normale ».  La plupart se déplace en solitaire mais il y en a quelques-uns qui se regroupent, tels des habitués de voyage.

Des bénévoles circulent autour d'eux, distribuant du café ou des jus.  L'une d'elle semble très populaire auprès de ceux à la dégaine plus « normale ».  Kalia, relevant le nez de son assiette observe ses activités.  Elle va de l'un à l'autre, prend leur nom puis, leur remet un formulaire. Tendant l'oreille, Kalia comprend qu'elle leur distribue des emplois journaliers.

« Un ange gardien qui échoue dans une arche pour la lie de l'humanité... Combien d'âmes perdues ici ?  La vie les a abandonnés.  Elles échouent ici pour attendre quelle aide de ces gens : le salut ? Une nouvelle vie ? »

Elle demeure un instant les yeux perdus dans sa tasse de café fumant qui lui réchauffe les mains. Relevant son menton, son regard fait le tour des visages. Derrière chaque physionomie se développe une histoire, se cache un passé, des bons et des mauvais souvenirs, des parcelles sombres ou lumineuses. Cette perception lui donne le tournis. Kalia remarque alors une petite fille, de trois-quatre ans, au visage basané, bien assise sur les genoux d'un homme, qui pourrait être son grand-père. Elle mange avec application un muffin alors que son protecteur, de ses doigts noués et marqués par le temps, peigne et tresse ses cheveux en une épaisse natte. Elle s'agite un peu pour prendre son verre sur la table :

— Sacha !  Cesse de bouger ! lui reproche l'homme. On doit partir bientôt.

Soudain, deux grands yeux foncés et purs se fixent sur ceux de Kalia et du même geste, l'enfant  lui décerne un superbe sourire avant de plonger ses lèvres dans son verre de lait.  La petite bouche émerge du liquide avec une joyeuse moustache de lait qui accentue encore plus la blancheur de petites dents.  Cet éclat de lumière pure dans ce lieu miséreux éblouit Kalia.

L'esprit de l'Ange gardien s'éveille alors à une réalité : non, ce ne sont pas nécessairement des âmes perdues ...

« On les sauve ici.... Jour après jour, ces gens y sont accueillis, soignés, nourris, orientés vers de nouvelles possibilités.  Mais surtout, ils y ont acceptés et aimés.  Voilà un lieu où on retrouve de véritables anges sauveurs. »

Les yeux plus clairs de la jeune femme perçoivent la réalité sous un autre angle, avec un toute nouveau approche, celle de la mansuétude et de l'espoir.  Il lui semble voir la lumière dans les ombres.

Un bénévole vient remplir leurs tasses de café avec un sourire réconfortant.  Alors que sa silhouette s'éloigne, Kalia se surprend à chercher si une orbe de lumière ne flotterait pas dans son sillage ou dans les environs...


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« La compassion n'a guère de valeur si elle en reste au stade d'idée.  Elle doit façonner notre attitude envers notre prochain, se traduire dans tous nos actes et toutes nos pensées. On peut très bien comprendre abstraitement la nécessité de se montrer humble et néanmoins demeurer arrogant. »

Dalaï-lama 

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