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Je suis littéralement paralysée. Mon cerveau, seul élément de mon corps encore en fonction, se met automatiquement à résumer la situation, il fait une liste. Dans cette liste, le dernier point me paraît étrange : 5) Mon voisin est dans mon salon. Mon regard réussit à se disloquer de ma paralysie totale et se pose sur les basket de Laurraine, à mes pieds. J'aurais peut-être dû les lire ces messages finalement.

Je sors rapidement mon téléphone du fond de ma poche, et remarque au passage qu'un trou est une formation dans celle-ci. Machinalement, je survoles trente-six applications pour cliquer sur la trente-septième : Message. J'ouvre la conversation avec vin messages non-lus. Rapidement, je constate qu'il n'y a qu'un seul message qui me parle de ses chaussures. Les quatre autres m'expliquent, en détail, qu'Anaïs a proposé d'inviter les voisins, puis que Robert a décidé qu'un dîner serait une bonne idée, et qu'enfin Laurraine est allée sonner à la porte d'en face. Le dernier message m'indiquant la réponse positive des invités.

Mes jambes commencent à me dire qu'elles souhaitent me lâcher. Je les retiens et trouve, miraculeusement, la force d'aller jusqu'à la maison. Je passe lentement la porte vitrée. Je ne salue le voisin que très rapidement, un mouvement bref de la tête et un rapide regard. Une fois la fenêtre refermée derrière moi, je me fais la plus petite possible et fonce jusqu'à ma chambre.

Je trouve du réconfort dans mon lit, puis dans mes cahiers de cours, mais surtout dans mon lit. La douceur de mes draps et la musique au volume maximal dans mes oreilles m'aidant à oublier ce qu'il vient de se passer. Au moins une demie heure plus tard, j'entend vaguement quelqu'un crier depuis le bas des escaliers. Je l'ignore. Quelques instants plus tard, des pas rapides dans le couloir puis une petite tête d'Anaïs qui passe par l'entrebâillement de ma porte. Une pichenette dans mon casque, il laissé mon oreille droite entendre le monde extérieur.

- On mange.

- J'arrive.

Le petit visage disparaît, le bruit de pas reprend en sens inverse. Je soupire, met pause à la musique et jette mon casque sur les cahiers que je n'ai pas rangés. Mes pieds me portent jusqu'à l'entrée de ma chambre. Je referme le panneau de bois qui me sert de porte et saute jusqu'en haut des escaliers. Je vois le bout des cheveux du monstre qui s'envolent vers le salon.

Lentement, je descend les marches, une à une les planches atterrissent sous mes pieds. J'entend la conversation d'ici, un truc banal : ils parlent travail. J'ai fortement envie de remonter me cloîtrer dans ma chambre, mais je sens déjà le regard de Robert sur le bout de mes mollets apparents depuis les escaliers. Néanmoins, j'ai un argument : Anaïs m'a dit qu'on mangeait alors qu'on ne prend que l'apéro ; ma mauvaise foi me dit que c'est une raison valable.

Je finis par cesser de descendre les marches et m'assoir sur une de celles-ci. Ce n'est pas le siège le plus agréable du monde, mais de là j'ai une assez bonne vue sur le salon, donc ma famille et les invités. Je laissé mon regard se balader entre les invités, ma famille et Philibert. J'écoute vaguement la conversation. Je reste ainsi une bonne dizaine de minutes, jusqu'à ce que Laurraine arrive en bas des escaliers pour me dire de venir.

Douloureusement, je me relève de ma marche et descend lentement celles qu'il reste. En arrivant sur le parquet plat "comment un parquet pourrait-il ne pas être plat ?" est la pensée qui traverse mon petit cerveau. Quelques instant plus tard, je sens le regard du voisin, le fils, me traverser. J'ai l'impression que celui-ci me transperce la tête au niveaux de l'entre-yeux. Ma cervelle me donne la même sensation que si elle fondait sous ce regard lourd.

Plus ou moins malheureusement pour moi, je peut décrypter ce regard. Je sais qu'il me dit qu'il m'a vu, qu'il sait et que je lui doit des explications. Je me demande si Laurraine a intercepté ce regard, elle aussi ? Je ne me pose pas de questions plus longtemps car une vois intervient, celle de mon père.

- Ne reste pas plantée là, viens t'asseoir.

Je réussi tant bien que mal à débloquer les jambes. C'est toute tremblante que je finis par m'asseoir sur le bout du bord du canapé, à côté d'Anaïs qui s'amuse à montrer ses poupées aux voisins, qui n'en ont que faire. Je fais semblant de m'intéresser à ce que raconte le petit monstre "Et tu vois, celle-là elle s'appelle Lilissany. Elle est en couple avec Coralita car elles sont gay, tu vois dans leur ville elles peuvent le montrer sans problème puisque le mariage gay bah c'est accepté !" Mais qui est-ce qui a appris tout ça à cette chose sans cervelle ? Je me le demande.

Mais malgré tout mes efforts, le regard insistant du voisin, le fils toujours, continue à se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau pour tenter d'y trouver je ne sais quoi. Enfin si, je sais ce qu'il veut savoir, mais je ne veux pas le savoir moi-même.

Je suis désespérée, désespérée de ne plus avoir son regard qui me transperce. De l'apéritif dans le salon jusqu'au dessert sur la terrasse du jardin, il ne m'a presque pas quittée des yeux. Résultat ? J'ai faim. Je n'ai pas osé trop toucher à ce que l'on me proposer de manger, de peur que cela révèle quelque chose. C'est idiot. Je le sais. Mais je n'ai jamais prétendu ne pas être idiote.

Les adultes discutent sans arrêt, trouvant toujours un nouveau sujet de conversation ; comme pour avoir une raison de rester ensemble. Anaïs s'est endormie sur le canapé depuis le milieu de l'entrée, elle a mangé tout son repas pendant notre apéro.

Je tente un regard rapide vers les yeux qui me fixe, je sais ce que je vais voir, mais je veux le voir quand même. Nos regards se croisent, je tente de soutenir le sien un instant mais il me transperce ce qu'il reste de mes globes oculaires fatigués. En détournant le regard, je jette quelques mots à Laurraine et Robert, pour leur dire que je monte coucher le monstre endormi.

Son regard me suit encore jusqu'à ce que je disparaisse dans l'escalier, Anaïs sur le dos. Je monte jusqu'à l'étage, puis dépasse les portes jusqu'à la chambre, rose princesse, du truc sur mon dos. Je ne saute pas une fois, je ne sais pas si je le peux avec quelqu'un et ce n'est pas aujourd'hui que j'essayerai. Une fois la petite endormie dans ses draps, je reste écouter sa légère respiration. Elle ronfle un peu, mais c'est un ronflement doux et régulier. J'aurais presque envie de m'endormir à ses côtés, mais je ne sais pas ce qu'il l'attendrait au réveil.

Je sors de la pièce, les paillettes des poster plein la tête, et referme la porte avec inscrit "Anaïs", un cœur sur le i à la place du tréma. J'hésite à fuir jusqu'à ma chambre, mais à quoi bon ? Je suis certaine qu'il trouvera un moyen pour que son horrible regard m'atteigne.

Je lâche un long soupir, laissant mes épaules s'affaisser, et finis par choisir la solution de la fuite. Quitte à retrouver son regard, autant avoir le répit le plus long possible. Sans plus d'attente, je saute jusqu'à mon lit dans lequel je m'étale. Je fais glisser mes chaussures sur de mes pieds. Elles claquent contre le sol et mes chaussettes les rejoignent. Mes yeux se ferment d'eux-même.

Quand je les rouvre, peu de temps c'est passé. Je le sais car son regard est là, dans l'entrebâillement de ma porte. Je devine donc facilement qu'on l'a envoyé monter me chercher, et qu'il ne sait pas fait prier pour le faire. Mes oreilles bourdonnent, je vois qu'il me parle mais je n'entends pas. Il doit l'avoir compris, car il répète, plus fort :

- Je crois qu'il faut que tu m'expliques quelque chose.

Je déglutis difficilement, ma gorge est sèche, et je répond d'une voix qui ne semble pas mienne.

- Je crois...

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