Chapitre 10 - Double je(u)
Ayden
L'obscurité m'enveloppe. La mélodie des vagues qui s'entrechoquent me berce mais l'odeur tenace de métal et de caoutchouc bloque mon besoin de m'évader. Soudain, le son feutré de la circulation parisienne me tire de cet état presque flottant. Mes yeux s'ouvrent sur le plafond sombre. Comme ma chambre, tout est ébène ici, excepté les néons à la lumière tamisée.
— Pourquoi es-tu ici ?
Manquait plus que lui...
L'accent russe d'Aleksander a une profondeur qui capte l'attention. Le gilet de son costume, d'une teinte grisée plus claire que son pantalon, crée un décalage accentué par sa cravate de travers. Ses cheveux bruns d'ordinaire coiffés en arrière retombent en désordre sur son visage pâle. Lui qui accorde une importance capitale à sa noble apparence a perdu de sa splendeur.
Il a l'air d'un clochard qui a braqué Armani.
Dans sa main, mon téléphone relié aux écouteurs qu'il vient de m'arracher. Allongé, je tente de les reprendre mais il recule.
— Tu ne travailles pas le vendredi. Pourquoi es-tu ici, Ayden ?
Son bureau professionnel étant à l'étage supérieur, il rapplique sitôt ma présence détectée dans l'immeuble. Il croit sans doute que je viens justifier mon attitude de la veille. Une intuition confirmée par la caresse de son bracelet aux teintes bleutées.
— Tu ne sens ni l'alcool ni la menthe. Comment vas-tu ?
Depuis vingt-quatre heures, l'environnement m'est plus sonore, plus vibrant. Il me rend plus irascible alors que grossit une tension dans ma tête.
Une ampoule clignote.
Je m'assois sur le banc en vinyle sans interrompre son monologue, sans l'écouter non plus. Mon corps, pourtant rodé aux entraînements quotidiens, est une épave difficile à gouverner. Ma nouvelle position me fait l'effet d'une chape de plomb sur le front et l'ancrage de mes baskets dans les dalles en caoutchouc peine à me stabiliser.
— Peux-tu avoir l'amabilité de bien vouloir me répondre ?
J'évacue mon oxygène pour chasser mon irritation mais elle est tenace. Ce sentiment bout dans mes veines et tout le monde persiste à empirer ma situation. La douleur reprend comme des aiguilles enfoncées dans mon cerveau, ma fréquence cardiaque accélère au rythme du clignotement de la lumière. Je réplique d'un ton sec :
— Tu parles trop pour un mec qui va pleurer dans deux minutes.
Il se glace dans une expression incrédule avant de rétorquer, mal assuré :
— Je ne suis pas faible. Je ne pleure jamais.
— Hier, je t'ai entendu chialer comme une pauvre conne se faisant larguer, me moqué-je avant de contempler la pièce.
Des haltères de différentes tailles sont alignés sur le côté avec une précision clinique, les appareils de musculation et cardio flambants neufs d'une qualité professionnelle.
— J'ai conversé avec l'enseignante d'Élio. Qu'as-tu fait ?
Je le fixe, surpris de la tournure de son interrogatoire. Mes souvenirs aspirés par le trou noir post-ivresse, j'ignore ce qui a causé sa posture défensive à mon égard. Sa furie injurieuse est la seule image enregistrée. Soucieux d'éviter ses leçons de morale, je garde pour moi l'épisode à l'école ce matin.
— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? ne puis-je m'empêcher de demander.
Tambourinant du pied, il croise ses bras en m'observant de côté.
— Je vois. Monsieur est tout de suite intéressé lorsqu'il s'agit d'une fille... Comment s'appelle-t-elle ?
— J'en sais rien et je m'en fous, pesté-je, concentré sur le néon défaillant.
Le genre de détail qui passe inaperçu. Cependant, une fois remarqué, il devient obsessionnel.
Fermer les yeux, inspirer par le nez, faire le vide, expirer par la bouche.
Un exercice peu concluant avec les jérémiades du brun en fond.
— Qu'as-tu fait ? C'est indigne d'un homme d'être irrespectueux envers la gent féminine.
— Et m'insulter, c'est comment ?
Après une pause trop courte, il déclare comme une évidence :
— Une fille dotée d'une voix aussi délicate ne dirait pas d'obscénité. L'alcool te fait imaginer de vilaines choses.
Tu parles. Elle m'a clairement envoyé me faire foutre.
Son regard fuyant, l'angoisse dans sa voix, ses paroles hésitantes. Malgré sa peur manifeste de moi, la brune affichait un sourire figé.
Il lui manque une case. Une autre folle.
Raison de plus pour la faire partir. Il reste un mois avant les vacances de Noël et qu'elle le veuille ou non, elle ne reviendra pas en janvier. J'y veillerai personnellement.
L'ampoule clignote encore et encore tandis que mes poings se referment à leur maximum. Mon souffle se raccourcit.
— Excuse-toi en lui offrant des fleurs. Quant à moi, je saurai me contenter d'un câlin en bonne et due forme.
Je reste perplexe face à sa demande. Sa personnalité est spontanée, oscillant entre maturité et niaiserie à vitesse grand V.
— Même pas en rêve. Je m'excuse jamais.
— Je suis sûr que tu es plus affectueux avec les filles qu'avec moi, s'impatiente-t-il en me bloquant la vue. Margot prétend que tu visites son lit.
La blague de l'année. J'aurais éclaté de rire si je n'avais pas les neurones en fusion.
— Sache qu'elle t'est infidèle. Durant notre appel d'hier, Margot... Elle... Cette vicieuse forniquait, avoue-t-il sans masquer son dégoût.
— Pourquoi tu lui parles encore à cette conne ? Elle nous fait chier dès...
— Ne sois pas grossier, me sermonne-t-il comme la grand-mère que je n'ai pas eue.
Je ne vois plus le luminaire, je sais qu'il clignote toujours. Mon seuil de tolérance frôle le zéro alors que je m'imagine le fracasser à coup d'haltère. Je lève mes jambes l'une après l'autre pour pivoter d'un demi-tour et la vision des casiers métalliques me rappelle la raison de ma présence ici.
— Montre-moi ton bras, s'il te plaît, me harcèle-t-il en prenant place à ma gauche.
Un arôme de cola émane de lui et ses cernes ressortent sur sa peau constellée de grains de beauté. Désireux d'en finir au plus vite, je m'exécute en retroussant la manche de mon pull. L'intrus grimace en voyant deux traces de piqûres fraîches, dont l'une auréolée d'un hématome, avant de sortir une pommade de sa poche.
— J'en ai pas besoin.
Il m'ignore et applique une noisette de crème sur l'intérieur de mon coude. À raison de deux prises de sang par semaine, j'aurai bientôt l'aspect d'un drogué.
— J'ai pensé à toi toute la nuit, Ayden. À toi, à nous. Je n'accepte pas une séparation.
— Dis pas des choses ambiguës comme ça, râlè-je, le regard plissé.
Il masse mon épiderme meurtri avec une douceur déconcertante pour quelqu'un qui ne reçoit que du mépris de ma part.
— Après ce que je t'ai fait, il est normal que tu m'en veuilles et je prie pour...
— Trouve-toi une copine, ça t'occupera, répondé-je en m'efforçant de rester calme.
Il pouffe avant de réaliser que je suis sérieux.
— Pardon ? Quel homme digne de ce nom abandonnerait son frère pour une fille ? Pas moi !
— On n'est pas des frères. T'es débile ou tu le fais exprès ?
Ses mains tremblent et ses iris d'un vert malheureux me font presque de la peine. Il exhale un soupir désabusé à l'arôme de sucre chimique. Bizarre.
— Depuis quand tu manges des bonbons ?
— Je ne suis plus un enfant, réfute-t-il en baissant la tête. Je ne mange pas de sucreries.
En une décennie, il n'est jamais parvenu à m'embobiner avec ses mensonges. Un silence reposant règne tandis que le frottement cutané devient désagréable. Je romps le lien physique et le moulin à paroles se réactive en rebouchant le tube :
— J'ai entendu parler d'un endroit discret en Angleterre avec toutes sortes d'installations sportives et de bien-être, en plus de psychothérapies.
Autrement dit, une thalasso pour fils à papa névrosés, camés ou les deux. Devinant son objectif, je décline :
— J'ai pas ton temps et c'est interdit aux mineurs.
— Ta chambre d'ami est parfaite pour une fille au pair. Elle s'occupera d'Élio et...
— Déjà qu'il a changé de vie du jour au lendemain, tu veux le laisser à une inconnue ? Laisse tomber.
Ses mains s'entremêlent alors qu'il insiste, espérant une réconciliation :
— Juste ce week-end... Pour l'anniversaire... Et pour nous ressourcer avant notre premier conseil d'administration mardi. Cela nous fera le plus grand bien et nous pourrions même inviter Edward et William.
Mon corps se tend à l'évocation des frères Scott. Mon irritabilité n'étant pas encore régulée par mon traitement, impossible de côtoyer ses amis plus d'une heure sans risquer le double homicide.
— Fous-moi la paix, conclus-je en me levant.
Je reprends ma fouille des casiers. J'ai beau remuer les vêtements et serviettes des cinq compartiments, mon précieux est introuvable.
— Mes clés de moto, tu les as prises ?
— Tu les as sûrement jetées avec mes courses, suppose-t-il en me fusillant du regard.
Je n'y comprends rien. Encore cette impression d'être dans une faille temporelle dans laquelle le monde entier m'en veut sans que j'en sache la raison.
Tant mieux. Ça me facilite la tâche.
Je récupère dans mon manteau mon portefeuille à la recherche de la carte de visite du concessionnaire mais je me fige. Ma carte bancaire n'est pas dans sa fente habituelle et le préservatif que je garde par précaution a disparu. Deux anomalies, deux fois en deux semaines. La succession des événements de la journée alimente mon foyer d'agressivité et me pousse à bout.
— Bordel de merde ! Si j'attrape ce putain de voleur, je l'encastre dans le mur !
Un raclement de gorge discret m'alerte. L'index tirant sur son nœud de cravate, Aleksander manque d'air.
— Ne me dis pas que c'est toi..., le menacé-je, les dents serrées.
— Non, bien sûr que non. Quelle idée farfelue, dément-il en s'intéressant au plafond.
Ne pas m'énerver. Ne pas m'énerver. Ne pas...
— Tu me prends pour un con ou quoi ?!
— Je te retourne la question ! Dois-je te rappeler qui je suis ?!
Debout à son tour, sa voix paraît branchée sur un haut-parleur, faisant bourdonner mes tympans.
— Je suis Aleksander Féodor Smirnov, futur duc du plus grand pays de ce monde et tu me dois le respect ! De quel droit te permets-tu d'élever la voix sur moi ?! J'exige tes plus plates excuses pour ton attitude exécrable ! Je veux dix pages manuscrites et peut-être, je dis bien peut-être, que j'étudierais la possibilité de te pardonner et crois-moi que...
— Baisse le volume avant de te prendre mon poing dans la gueule !
Les tambours cognent toujours plus fort contre ma boîte crânienne tandis qu'il s'étrangle de stupeur.
— Co... Comment oses-tu me menacer ?! Tu n'es qu'un petit ingrat !
— Et toi, un putain d'abruti qui ferait mieux de grandir et d'affronter le présent parce que c'est ça, être adulte !
Accusant le contrecoup, ses sourcils se froncent, ses lèvres tremblent. Cynique, j'enfonce le clou :
— Te mets pas à chialer. Sois un homme, au moins trois minutes.
Il pâlit et ses paupières sautillent, piquées par l'acidité de son humiliation.
— ты тоже... (Toi aussi...)
Camouflant son visage, il tourne les talons et avance d'un pas incertain vers la sortie. La poignée saisie, au moins dix secondes s'écoulent avant qu'il se décide à me faire face avec son air de chien battu.
— Tu étais un Harry si adorable et te voilà un horrible Drago. Je suis profondément déçu de toi.
— Encore là ? Va chouiner auprès de ta nounou et dégage de ma vue !
— Дурачок ! (Petit con !) braille-t-il en me pointant du doigt. Sais-tu ce que tu mérites ?! Une fessée déculottée !
Il s'éclipse en claquant la porte avec une force démesurée. Sous le choc auditif, Fukushima explose dans mon crâne. Je gémis, plaquant mes paumes contre mes tempes. Tout devient flou, instable et je m'appuie sur le métal froid pour m'équilibrer.
Merde... La prochaine fois, il passera par la fenêtre...
Avec sa tendance naturelle à l'exagération, les apparitions en privé du "prince" sont dignes d'une représentation de théâtre aux sorties dramatiques.
Ma température augmentant à mesure que je perds le contrôle, mon besoin de fumer presse. La maîtrise de ma vie m'échappe à mesure qu'approche le jour J. Whisky, vodka, peu importe tant qu'ils m'offraient quelques heures de répit durant lesquelles j'oubliais. Je m'oubliais, moi qui ne suis qu'un gouffre rempli d'une rage consumante.
Cadeau de ma dépression hostile.
Durant ces deux semaines, ma conscience était entre parenthèses. J'avais trouvé une paix illusoire dans une dimension parallèle où rien n'avait d'importance. Une paix vite écourtée par les antidépresseurs qui m'empêchent d'ingurgiter quoi que ce soit de solide ou fort. Sobriété forcée. Déjà sept jours que je les ai repris et aucun bienfait ressenti.
Dévoré par la migraine, je me dirige vers l'évier à proximité et attrape la bouteille et la plaquette de codéine qui s'y trouvent. Seconde tentative de soulager ma souffrance. J'avale un comprimé, à peine l'eau atteint mon estomac qu'un haut-le-cœur m'oblige à vomir.
Nausées, vertiges, maux de tête. Le trio infernal des effets secondaires.
Encore une ou deux semaines à tenir et ça reviendra normal. Secoué de spasmes, j'ouvre le robinet et le liquide frais me revigore. Maigre consolation.
Le miroir reflète un homme inconnu. Excepté le bleu de mes yeux hérité de ma mère, je ne me reconnais pas. Au prix d'efforts qui m'étaient surhumains, je suis devenu ce que je détestais. Mon retour en France n'a rien d'innocent et n'est que les prémices d'une partie d'échecs grandeur nature. Détruire mon image de "petit génie" est le premier coup que j'ai réussi avec brio. Une fausse note perturbe mon plan : Aleksander.
Par respect pour mes parents adoptifs, j'ai tenté de l'éloigner en réfrénant mes pulsions. Les mois filent et il continue de s'accrocher comme une moule à son rocher. Guidé par l'espoir inutile de retrouver le bonheur d'il y a deux ans, même la scène d'hier n'a pas suffi à couper les ponts. Sa résistance frôle le masochisme.
Besoin de me détendre pour réfléchir à la suite.
Je rassemble mes affaires et, la lanière de mon sac sur l'épaule, sors de ma salle de sport personnelle. La blancheur du couloir m'agresse, m'obligeant à suivre les lignes du parquet Point de Hongrie et à presser le pas vers mes objectifs.
Arrivé dans l'open space où se dressent quatre bureaux isolés, je m'arrête, surpris de voir Aleksander dans mon fauteuil. Avachi sur lui-même, ses mains sont crispées dans ses ondulations brunes, ses bredouillements inaudibles. L'occasion inopinée pour le dernier acte, le coup de grâce.
Et si je lui cassais le nez ?
Avec sa phobie de l'hôpital, rien de mieux qu'un passage aux urgences pour lui éclaircir les idées. Il bondit sur ses pieds dès que je m'approche de lui. Je le croyais en train de pleurnicher mais son regard est perçant et sa posture dégage une tension palpable.
— Tu étais distant avec moi mais c'est pire encore depuis que tu as ramené Élio ici... À cause de lui...
Un frisson picote ma nuque, signe d'un mauvais pressentiment.
— Élio quitte Paris aujourd'hui même ! s'écrie-t-il en fonçant sur moi. Il va repartir d'où il est venu et ne plus jamais réapparaître dans notre vie ! Je ne le laisserai pas me voler ma place, tu m'entends ?!
— Mais qu'est-ce qui...
Avant que je puisse l'esquiver, il agrippe mon col puis me repousse en arrière. L'impact de mes omoplates contre le mur m'arrache le souffle et la douleur irradie mes nerfs déjà à vif.
— Pourquoi est-ce que tu me fais cela ?!
Ma patience est une mèche qui s'enflamme quand je siffle, la voix rauque :
— T'as intérêt à me lâcher avant que je te...
— Tu ne le connais que depuis trois mois alors que je suis avec toi depuis dix ans ! Dix ans ! Tu n'as pas le droit de me rejeter !
Son visage à quelques centimètres du mien, il crache sa colère assourdissante tandis que mes muscles se contractent.
— J'ai patienté une année entière pour te revoir ! C'est moi que tu dois aimer, pas lui ! Il n'est rien qu'un...
— Ferme ta putain de bouche ! explosé-je, ma main happant ses mâchoires.
Mes doigts s'enfoncent dans ses joues et je regrette cette riposte impulsive quand mes phalanges craquent sur sa peau livide. Aussitôt ma prise libérée, il s'effondre comme un pantin désarticulé.
— Aleksander !
Mon muscle cardiaque rate un battement et je passe un bras sous son aisselle pour le retenir contre moi mais le poids mort m'entraîne avec lui. Les genoux pliés pour amortir la chute, je l'allonge sans brusquerie. Son pouls à la gorge aussi rapide qu'irrégulier. Le feu de la panique crépite dans mon thorax et court-circuite le personnage odieux que je suis censé tenir. Dans mon sac, j'attrape ma bouteille et une dosette de sucre que je dissous en contenant mes tremblements. Je secoue le mélange d'une main, l'autre tapote sa pommette rougie.
— Allez, reviens, c'est juste un malaise.
Les secondes s'écoulent avant qu'un sursaut de ses sourcils démontre un retour à la conscience. Ses paupières s'entrouvrent puis se referment, peinant à s'ajuster à la luminosité crue de la pièce. Ses traits se froissent, comme s'il tentait d'assimiler ce qui se passe.
— Tu t'es évanoui mais ça va aller.
Je redresse son buste et stabilise sa tête contre mon biceps. Il est si faible que ses chuchotis sont hachés par de brefs halètements :
— Pa... Pardon... Je ne... Voulais pas... Me fâcher.
— C'est rien. N'essaye pas de parler, le rassuré-je en lui faisant avaler de courtes gorgées d'eau.
Chaque inspiration un peu plus stable que la précédente, il parvient en quelques minutes à se maintenir assis. Il frictionne sa montre contre son poignet, un tic trahissant son agitation intérieure.
— Je suis tellement fatigué... J'ai arrêté de dormir... Quand tu as commencé à boire...
Le manque chronique de sommeil augmente drastiquement le risque de maladies cardiovasculaires et de dépression. Sa bouffée délirante n'est que le résultat de son mal-être. Conscient de la gravité de la situation, mon cœur palpite mais je garde ma froideur feinte.
Lorsque ses pupilles s'humidifient, sa voix se fait plus suppliante :
— Tu me rejettes... Érik me maltraite... Mère m'ignore... Même mes meilleurs amis... Je me noie de chagrin et personne ne s'en soucie... Personne.
Un tiraillement de conscience me prend aux tripes et se matérialise en un chuchotement :
— Je suis désolé.
Ses yeux s'écarquillent comme s'il voyait la Vierge Marie.
— Est-ce... Une hallucination ?
— Je suis désolé, formulé-je plus fort.
Il laisse à sa cervelle ralentie le temps d'infuser mes excuses avant d'arborer son sourire Colgate à la dentition parfaite.
— Répète, je vais t'enregistrer, quémande-t-il en sortant son portable de son pantalon.
Je tchipe, pas d'humeur à apprécier sa comédie. Remis de ses émotions, il se lamente à la manière d'un tragédien, la paume sur le torse :
— Hier, tu as brisé mon cœur en mille morceaux et aujourd'hui, tu me frappes à mort. N'as-tu donc aucune pitié ?
— Je ne t'ai pas frappé.
— Bien sûr que si.
— Non.
— Si.
Refusant de perdre plus d'énergie dans ce jeu stupide, je m'abstiens de surenchérir. Deux larmes coulent lorsqu'il rit et, profitant de notre position, il se jette sur moi et je me retrouve de nouveau adossé à la paroi, les fesses au sol.
— Putain ! T'es vraiment gênant ! tenté-je de l'écarter alors que ses bras se verrouillent sur ma taille. Si on nous voit comme ça, je te jure que...
— Un câlin et fini le chagrin, prétend Alek en posant son front sur mon épaule.
Étant la source principale de ses tourments, j'accepte contre mon gré mon statut de doudou et cale ma tête contre le mur en soufflant.
— Juste une minute. J'ai pas que ça à faire.
Je sens ses lèvres s'étirer sur ma clavicule. Ses expirations sur mon cou me démangent mais son étreinte se referme lorsque je tente de m'y soustraire.
— Lève-toi maintenant, t'es lourd.
— "C'est que du muscle", ronchonne-t-il en se cramponnant davantage.
— Quel muscle ? T'es allergique au sport. Sérieux, bouge avant de t'endormir.
— Non. Il me faut me reposer puisque tu nous invites au parc Astérix demain.
— J'ai jamais...
— Quelle hâte de déguster les douceurs que tu nous offriras pour te faire pardonner. Te rappelles-tu du bonheur d'Élio en mangeant une barbe à papa ?
Malicieux, son chantage affectif est subtil mais efficace. Je me plie sans broncher à cette punition méritée.
Qui manipule qui, au final ?
Un râle d'ennui m'échappe en pensant au samedi passé à supporter les caprices de deux gosses par dix degrés.
— Elle semble douce comme un nuage de lait à la fraise, murmure-t-il, somnolant.
— De qui tu parles ?
Trop tard. Il a déjà rejoint Hypnos et le poids de son abandon me cloue un peu plus sur place.
De retour à la réalité, la vraie, il me faut assumer les conséquences de mon naufrage. Je sais que j'aurais dû continuer dans cette lancée de rejet total mais compte tenu des circonstances, la santé d'Aleksander est la priorité.
Je dois mettre de côté le rôle du méchant. Juste un week-end.
Ce changement de cap me blase. Je replonge dans le noir sécurisant derrière mes paupières et le temps s'écoule au rythme des klaxons de l'extérieur. Rompant cette musique irrégulière, une sonnerie familière s'échappe de ma cuisse. Je déverrouille l'écran de mon Samsung pour consulter le message.
Kyle
Hey mont pote !!! pré a fer la fiesta se soar ??? sa va èttre le 🔥🔥🔥 o moonligt !!! Fo k'tu parl a Lexy pck ell ve te niké ta rasse !!!
Déchiffrer ce langage étranger relève à chaque fois d'une épreuve qui manque de m'aveugler. Je décline l'invitation, n'étant pas d'humeur à supporter la folle. Franchement, aller en soirée sans boire, c'est comme manger une raclette sans fromage, ça manque de saveur.
Un ronflement léger m'indique qu'Aleksander a atteint le nirvana de la sieste. Son emprise sur mon corps s'allège, me permettant de m'en débarrasser. Alors que je l'allonge, ma serviette de sport comme oreiller, il proteste de vagues marmonnements. Même endormi, il ne peut s'empêcher de causer.
Il était sûrement une femme dans une ancienne vie.
Je récupère dans mon sac un paquet de Marlboro et mon briquet. Une cigarette entre mes lèvres, j'en brûle le bout et aspire la fumée. Ce plaisir m'apaise avant qu'une brume odorante se forme, à l'image de mes pensées embrouillées.
Mes suppositions sur Aleksander se sont confirmées. Il régresse, retrouvant par moment son caractère capricieux de l'adolescence. Plus inquiétant encore, une dépendance affective qui freine sérieusement l'indépendance nécessaire à mes projets. Quinze mois que mon plan a débuté, cinq que je suis revenu et rien n'avance.
Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
*
"Les gens sont comme les livres. Les uns trompent par leur couverture, les autres surprennent par leur contenu."
Anonyme
✿❀✿❀✿❀✿❀
Premier chapitre d'Ayden sobre 🎉
Deux révélations majeures sur ces personnages et des petits indices sur la suite, hâte d'avoir vos réactions !
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Monimoni-ka
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