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Je passe la journée entière dehors. Pourtant, je n'ai aucuns souvenirs de ce j'ai bien pu faire. Mis à part le sachet vide de McDonald's délaissé sur la banquette arrière et la sucette que je m'apprête à ouvrir, rien ne me donne d'indications sur ce à quoi j'ai occupé mon temps.
L'histoire de Diego n'a pas quitté mes pensées. Si bien, qu'elle me coupe du monde entier. Actuellement, je viens de me garer devant mon immeuble et j'apporte ma sucette à ma bouche.
Je fronce les sourcils en réalisant derrière quelle voiture je me suis arrêtée. Angel sort du bâtiment au même instant puis fait le tour de sa Porsche afin de regagner la portière conductrice.
Je résiste à l'impulsion débile qui m'ordonne de me cacher. À la place, je fais quelque chose d'encore plus stupide. Je jure, sors de ma voiture et me plante devant la vitre côté passager.
Encore à moitié en transe, je vois ma main toquer sur cette dernière. Ce qui me fait prendre conscience de mes actions, ce sont les yeux bruns de mon colocataire au moment où il baisse la vitre.
— Qu'est-ce que tu veux, Henson ? demande-t-il de son ton dépourvu d'émotions.
J'avoue, qu'est-ce que je veux ? Qu'est-ce que je fous même ? Cet enfoiré s'est montré horrible avec moi hier soir. J'aurais dû être ravie de le voir se barrer. Je dirais même que j'aurais dû profiter de son absence pour saccager sa putain de chambre rangée au centimètre carré près.
— Où est-ce que tu vas ? je m'entends murmurer cette question.
Il fronce les sourcils en même temps que je me gifle mentalement. Depuis quand est-ce que ça m'intéresse ? Il a l'habitude de se barrer et j'ai l'habitude de m'en foutre royalement.
Angel scrute mon visage en silence durant de longues secondes. Je recule d'un pas, déstabilisée par mon attitude étrange et par son regard impassible.
Un miracle se produit lorsque j'entends la voiture se déverrouiller. Je reste abasourdie tandis qu'il se penche pour ouvrir la portière.
Sans un mot, je m'installe sur le siège passager de sa voiture, referme la porte d'une main tremblante puis attache ma ceinture.
QU'EST-CE QUE TU FICHES, SATIVA HENSON ?
Mon cœur bat dans mes tempes. Angel démarre sans un mot, s'engageant sur la route à une vitesse hallucinante.
Les trois cents premiers mètres se font en silence. Je finis ma sucette et joue avec le bâton. Du coin de l'œil, je l'observe conduire avec une attention qui me dégoûte. Les bagues qui ornent ses mains ainsi que les tatouages décorant ses bras me donnent envie de gerber.
Au moment où mon regard s'attarde sur les traits harmonieux de son visage, sur les mèches qui lui tombent dans les yeux et sur ses lèvres que j'ai apprises à connaître, Angel s'esclaffe.
— Pourquoi est-ce que tu es venue ? il m'interroge sans vergogne.
Je puise dans mes forces intérieures pour ne pas l'envoyer chier, ou pire, pour ne pas que ma voix tremble.
— Pourquoi est-ce que tu m'as invitée à venir ? contré-je.
Je crois halluciner quand je vois un rictus contrit fendre son expression vide.
— Tu es la fille la plus agaçante que j'ai rencontrée dans ma vie, lâche-t-il ensuite sans prévenir.
Prise de court, je croise les bras sur ma poitrine, offusquée.
— Ça tombe bien ! craché-je à mon tour. Parce que tu es le mec le plus insensible, méchant et désagréable que j'ai rencontré dans ma vie !
Angel ne répond rien. À la place, il passe la sixième et accélère un peu plus. Ce n'est que maintenant que je réalise à quel point il roule vite. Je me tourne vers lui, soudainement très angoissée.
— Je sais que tu es un sociopathe mais tu ne serais quand même pas capable de tous les deux nous tuer, n'est-ce pas ? je demande, à moitié paniquée.
Monter dans la voiture d'un type qui ne me supporte pas n'était sûrement pas une idée de génie. Surtout lorsque le type en question n'estime rien, pas même sa propre vie.
Il prend mille ans à me répondre alors que le compteur continue de grimper.
— Elle peut faire du 275km/h sur circuit, finit par débiter mon colocataire. Personnellement, je ne l'ai jamais poussée plus loin que 230km/h.
Je grimace puis fixe mon attention sur le tableau de bord.
180km/h.
Ok, donc je vais vraiment mourir comme une idiote.
Il fait nuit et heureusement, la route est large et plus ou moins dégagée. Angel se retrouve quand même à slalomer entre une ou deux voitures. Je m'accroche à la poignée de maintien, partagée entre la terreur et une adrénaline insoupçonnée.
— C'est ce que tu partais faire ? je crie presque pour me faire entendre. Te tuer sur la route ?
Mon colocataire double à nouveau. Je suis forcée de reconnaître qu'il conduit comme un chef. C'est putain de sexy, bordel.
— Pourquoi est-ce que tu es montée dans cette voiture, Henson ? me demande-t-il encore.
Pourquoi est-ce qu'il est en boucle sur ça ?
Je m'apprête à ouvrir la bouche pour lui ordonner de passer à autre chose -et hypothétiquement de ralentir- mais sa putain de caisse ne fait que prendre davantage de vitesse.
— Tu es en train de me menacer pour que je réponde à ta question ? ma voix part dans les aiguës. Ralentis cette voiture !
Angel ne m'écoute pas. Je vois la vue défiler encore plus vite. Je suis presque plaquée contre mon siège. Vu son visage impénétrable, il ne compte pas m'obéir.
Je serre les yeux.
— Je suis venue parce que je ressens l'ignoble et irrépressible putain d'envie de te comprendre, avoué-je d'un trait.
Un silence suit ma déclaration. Je sens l'habitacle décélérer de plus en plus. Je trouve le courage de rouvrir les yeux. Immédiatement, je me heurte aux iris bruns d'Angel.
— Je pensais que je n'étais qu'un connard insensible, désagréable et méchant, ironise-t-il comme s'il ne venait pas de nous faire frôler le royaume d'Hadès.
— Concentre-toi sur la putain de route, enfoiré ! je m'empresse d'ordonner.
Pourtant, une fois de plus, il m'ignore avec brio et continue de me regarder.
Qu'est-ce qu'il cherche à la fin ?
Maintenant que nous roulons à une vitesse plus raisonnable, je parviens à distinguer le paysage derrière la vitre. Nous avons commencé à longer la mer. Sous la lumière de la Lune, les flots paraissent aussi terrifiants que fascinants.
— Qu'est-ce que tu cherches à comprendre chez moi ?
La nouvelle question de mon colocataire me force à arrêter ma contemplation. À vrai dire, je me retrouve à me concentrer sur son visage majestueux.
— Pourquoi est-ce que ça t'intéresse, Angel ? soufflé-je. Tu l'as très bien dit hier soir. Je suis une lâche. Et j'ignore ce que tu essaies de me soutirer mais tu n'obtiendras rien de moi.
Ça n'en vaudrait pas la peine. Parler avec lui ne nous mènera nulle part. Depuis quand est-ce qu'il se soucie de ce que je peux bien penser de lui ?
Il me déteste. Je le déteste. Point.
Je crois.
— Moi aussi, tu sais.., le fait qu'il continue la discussion me sidère, j'ai du mal à te comprendre. J'ai beau te traiter d'idiote à tout bout de champ, parce que tu l'es, je ne peux m'empêcher de penser que tu restes une fille bien plus complexe.
Frappez ma tête contre le pare-brise, je pense que j'ai mal entendu. Mon colocataire regarde à nouveau la route, cependant, je reste figée sur son profil.
Complexe ?
Est-ce que c'est un compliment ou une manière élaborée de me dire que je suis chiante ?
— Je ne pensais pas que tu perdais ton temps à te questionner sur moi, je tente de rigoler. À vrai dire, je ne comprends toujours pas pourquoi tu t'es retrouvé à coucher avec moi. Les...
Je m'interromps au moment où je réalise ce que je suis en train de déballer. Mais trop tard, Angel fronce les sourcils.
Stupide.
Idiote.
Je n'ai même pas l'excuse de l'alcool. Je suis à deux doigts d'ouvrir la portière et de sauter sur la route, histoire de la boucler pour l'éternité.
Par ailleurs, la voix du jeune homme me coupe dans mon élan suicidaire.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Je devrais lui dire que je ne comprends pas comment nous nous sommes retrouvés à batifoler parce qu'il me dégoûte. Je devrais lui dire que c'est le pire enculé que je connaisse, que je regrette tout ce qui s'est passé au Mexique.
Je ne devrais même pas mentionner à haute voix nos dérapages. C'est répugnant. Je suis en couple. J'adore Logan.
— Les types comme toi ne s'attardent pas sur les filles comme moi, murmuré-je à la place.
Je décide de désigner pour responsable de mes conneries la Lune elle-même. Elle est pleine. Ce sont sûrement mes gènes cachés de loup-garou qui parlent à ma place.
Angel prend le temps de rétrograder avant de poursuivre.
— Les types comme moi ? demande-t-il simplement.
Sans prévenir, je me mets une tape sur le front. Il me gratifie d'un court regard interrogateur.
Depuis quand est-il si expressif en ma présence ? Que nous arrive-t-il tous les deux ?
— J'ai toujours pensé que tu étais trop beau pour moi, laissé-je échapper. De plus, tu ne t'attardes sur personne, alors que tu perdes ton temps à coucher avec moi est insensé. Tu as raison. Je suis une idiote, je dis n'importe quoi à longueur de temps et je suis inintéressante. Je t'ai vu rembarrer des filles mille fois mieux que moi.
C'est officiel. Je suis cinglée. Malheureusement, je ne peux plus m'arrêter. La vérité que je tente d'enfouir depuis des lustres coule de ma bouche sans que je ne puisse m'en empêcher. Je continue sur ma pente glissante et m'enfonce un peu plus.
— Je n'ai rien à offrir à un homme. Ni un corps qui en vaut la peine, ni une personnalité incroyable. J'ai passé la moitié du séjour à te forcer à faire des choses que tu détestes presque autant que moi. Tu aurais pu avoir n'importe quelle nana mais tu t'es arrêté sur moi durant plusieurs nuits, je me mords la lèvre inférieure. Je n'ai jamais compris pourquoi.
La voiture s'immobilise à l'instant où je finis de débiter ces âneries. Je remarque qu'il vient de se garer au bord de la plage. Plongée dans le noir, il ne semble y avoir personne si ce n'est nous deux.
Angel éteint le moteur puis se tourne pour me faire face.
Je ne parviens pas à soutenir l'intensité de son regard tandis que ma main cherche la poignée de la portière. Je dois m'enfuir d'ici avant qu'il ne puisse rebondir sur tout ce que je viens de confier.
Pourtant, quand mes doigts tirent enfin sur la poignée, un clic indique qu'il vient de verrouiller la voiture. Je reporte mon attention sur lui, soudainement terrorisée.
Est-ce qu'il va m'assassiner ?
Je suis complètement débile. Idiote. Stupide. Il avait raison sur toute la ligne.
La dernière des idiotes.
— Tu racontes n'importe quoi, Henson, assène Angel.
Mes barrières s'effondrent toutes en même temps. Des larmes me montent aux yeux sans explication rationnelle. J'avais oublié à quel point il réussissait à m'ébranler avec rien de plus que son regard brun indescriptible.
— Je sais ! m'empressé-je de dire. Tu devrais probablement me laisser ici. Pour que je puisse me noyer quelque part là-bas. Monter dans cette caisse avec toi était une très mauvaise idée. Je ne sais pas pourquoi tu...
J'arrête de parler et même de respirer lorsqu'il se penche vers moi. L'air devient lourd dans le petit habitacle. Mes mains se mettent à trembler alors je me triture les doigts pour masquer cette réaction ridicule.
— Tu es loin d'être inintéressante, continue mon colocataire. Idiote et énervante, peut-être oui. Mais certainement pas inintéressante.
J'ai envie de l'embrasser.
Cette pensée résonne jusque dans mes veines. C'est affreux. Insoutenable. Insensé.
À sa manière abrupte et pas très gentille, il vient de me faire un compliment.
Ma bouche s'est asséchée, si bien que je n'arrive pas à lui répondre. L'attirance dégueulasse qui m'a poussée à le percuter à de nombreuses reprises sévit dans mon bas-ventre. J'entrevois le Angel qui m'intrigue plus que je ne le déteste.
Comment pouvons-nous basculer si brusquement ?
La veille encore, je pensais pouvoir le tuer tellement ma haine pour lui grondait avec force. Mais je ne le hais pas. Il me fascine. Et ce sentiment est si déplacé que je préfère le désigner comme étant de l'aversion.
Je me penche à mon tour vers lui.
— Si je ne suis pas inintéressante, que suis-je alors ? je peine à reconnaître ma propre voix.
Ses yeux se baladent sur mon visage. Je n'entends plus rien autour de nous, je ne me soucie plus du monde entier. Les tâches d'or dans ses iris sont mises en valeur par les rayons de l'astre nocturne qui percent à travers le pare-brise.
— Une imbécile.., susurre-t-il après de longues secondes.
Nous comblons la distance entre nous au même moment. J'ai la sensation dérangeante de le connaître mieux que quiconque. A contrario, j'ignore tout de ce qu'il est, si ce n'est un désastre pour ma vie.
Quand mes doigts cherchent à s'évader dans ses cheveux, je m'écarte de ses lèvres.
Les larmes incongrues qui coulent sur mes joues me surprennent. Je les essuie précipitamment.
— Je ne peux pas faire ça, dis-je rapidement. C'est n'importe quoi. Dès que je suis avec toi, je fais n'importe quoi.
Le prenant de court, je déverrouille les portes puis me précipite à l'extérieur. L'air marin me fouette le visage tandis que je marche vers le sable, en transe.
Il faut que je m'éloigne de cet homme. C'est répugnant. Je préfère encore rester ici toute la nuit plutôt qu'affronter la rumeur qui hurle dans le fond de mes tripes.
Pourtant, le bruit d'une portière qui claque me fait sursauter. J'accélère le pas. Bientôt, mes pieds rencontrent les grains de sable.
— Où est-ce que tu vas ?
Entendre sa voix dans mon dos me fait l'effet d'un cataclysme.
— Me noyer quelque part ! je réplique sans réfléchir.
Ce type n'est définitivement pas humain. Il remonte à mon niveau à une vitesse hallucinante. Malheureusement pour nous deux, je suis aussi dérangée -si ce n'est plus- que lui.
Je me déchausse, ignorant ses sourcils froncés, puis le dépasse pour courir vers la mer. Je ne sais même pas ce que je fous. Pour des raisons évidentes, je ne comptais pas aller me noyer mais le fait qu'il veule m'en empêcher me motive à le faire pour de vrai.
Par ailleurs, Angel enroule ses bras autour de ma taille et me soulève du sol avec une facilité assez humiliante, me coupant dans ma course folle.
— Je t'ai déjà dit que la fuite n'était pas la solution, murmure-t-il à mon oreille.
Je ne saurais dire pourquoi mais l'entendre parler si bas envoie un frisson dans tout mon corps. Je ne pense même pas à résister à son emprise. À la place, je me surprends à faire quelque chose d'encore plus stupide que tenter de me noyer.
J'entoure mes bras autour de son cou et niche mon visage dans le creux de sa nuque. Angel ne me repousse pas.
Pourquoi est-ce qu'il ne me repousse pas ?
Il devrait me repousser ! Je suis trop faible pour mettre des barrières entre nous alors il devrait le faire à ma place !
Qu'il me fasse de l'effet est tout à fait logique. N'importe quelle personne attirée par les hommes et dotée d'une libido serait tentée de l'approcher.
Ses mèches brunes rebelles me caressent la joue. C'est une sensation délicate. Je retrouve la voix perfide qui m'ordonne de tout détruire dans les bras de ce type.
— J'ai faim.., annoncé-je sans prévenir.
— Il y a une roulotte pas très loin qui vend des crêpes, m'informe Angel tout aussi doucement. Est-ce que tu veux y aller ?
J'acquiesce pour toute réponse et le laisse me déposer sur mes pieds. Après quoi, je n'ose même pas le regarder.
Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui, bordel ? Est-ce que je suis entrée dans une dimension parallèle où mon meilleur ami est un enfoiré et où mon colocataire est devenu un peu plus supportable ?
Mon esprit déconnecte une fois de plus au moment où nous commandons ces fameuses crêpes. Nous les attendons dix minutes, ou peut-être vingt, je ne sais plus. Je me vois simplement suivre Angel lorsqu'il va s'asseoir sur un petit muret en face de la mer.
Nous mangeons en silence. Il m'a payé la crêpe. Je ne sais comment le remercier alors je me contente d'occuper ma bouche en mâchant pour m'éviter de dire des bêtises et pour me fournir une excuse. Mes yeux s'égarent de son côté.
Son teeshirt noir me permet de voir les tatouages qui décorent ses bras. Tandis qu'il pioche un nouveau morceau de son dîner, mon regard s'arrête sur l'encre noire en forme de cycle carboné.
— Je t'ai déjà interrogé à propos du double bémol, commencé-je après une hésitation. Mais pourquoi la morphine ?
Angel semble prendre un temps avant de réaliser que je suis suffisamment intelligente pour reconnaître la structure moléculaire de cette drogue. Après quoi, ses iris bruns se plantent dans les miens. Comme toujours, je regrette tout de suite de ne pas l'avoir bouclé.
— Il y a certaines choses que je ne peux pas te confier maintenant, il ne parle pas très fort. Tout ce que tu as à savoir pour le moment, c'est qu'elle est coincée avec moi, comme j'ai pu être coincé avec elle par le passé.
Je fronce les sourcils et avale un autre morceau de crêpe. Mille et une questions me viennent à l'esprit. Toutefois, je parviens à les contenir. À la place, je me focalise sur la première partie de sa phrase.
— Tu ne peux pas me les confier maintenant ? je lui souris sournoisement. Donc tu le feras plus tard ? As-tu prévu de continuer à me parler de manière courtoise ? Mince, moi qui espérais encore que tu dégages de ma vie.
Mon air faussement embêté lui dérobe un soufflement du nez. Je me surprends moi aussi à étouffer un gloussement.
Je peine à nous reconnaître. Tout est si étrange lorsque nous ne prenons pas la peine de nous enterrer à chaque mot.
— Tu sais que tu ne peux pas tout avoir, n'est-ce pas, Henson ?
Il s'est légèrement penché vers moi. Ma main se met à trembler de ce rapprochement soudain. Je fourre une nouvelle partie de ma crêpe dans ma bouche puis détourne les yeux quelques secondes.
Quand je les ramène à lui, Angel ne s'est toujours pas écarté. Alors, je prends mon courage à deux mains.
— Je sais.., soupiré-je. Et toi, tu sais que tu es très perturbant lorsque tu agis de la sorte ?
Mon colocataire fronce les sourcils. Le vent agite ses mèches brunes. La Lune joue avec ses lèvres. Nous avons fini de manger. Le bruit des vagues sert de fond sonore.
Il est beau.
— Dis-moi donc comment est-ce que j'agis, souffle-t-il.
Je suis surprise de voir mon propre doigt essuyer le reste de sauce qui tâchait le coin gauche de sa bouche.
— Comme un homme conscient de ses charmes, je laisse échapper un petit rire nerveux. Cela ne te ressemble pas. Tu es bien trop désintéressé.., je marque une courte pause. Pourtant, ce rôle te va à ravir.
Je viens de lui avouer qu'il me fait de l'effet.
Idiote.
Stupide.
Ce n'est pas comme si coucher avec lui durant de nombreuses nuits n'était pas assez explicite. Nous avançons à reculons. Nous avons commencé par le plus dur avant de buter sur les étapes les plus anodines.
À quoi est-ce que je joue ? Je suis en couple. Je n'ai pas le droit de soutenir les iris aux constellations dorées de ce type. Je n'ai pas le droit de notifier l'étrange tension qui flotte entre nous.
J'adore Logan. Et Angel n'en vaut pas la peine.
— Désolée ! m'empressé-je d'ajouter avant qu'il ne puisse réagir. C'était stupide, oublie. On ferait mieux de rentrer !
Je saute sur mes pieds et commence à marcher vers la voiture sans attendre sa réponse. Cette fois-ci, aucuns bras ne s'enroulent autour de ma taille, aucune voix ne tente de me retenir.
Tant mieux.
J'arrive devant la portière passagère quelques minutes avant mon colocataire. Nous nous installons dans l'habitacle sans un mot.
Durant le début du trajet, je jette des coups d'œil discrets dans sa direction. En dépit de son air majestueux, je vois sans mal qu'il s'est refermé.
Ce n'est plus le Angel de tout à l'heure. Je me tiens à côté du Angel du début, celui qui m'a méprisée pendant des jours et qui pouvait me cracher les pires atrocités sans broncher.
Tant mieux. Les choses sont plus faciles ainsi.
La radio est un bruissement discret. Je souhaite hausser le son, dans l'espoir de combler ce silence insupportable mais je n'ose pas bouger, de peur qu'il n'explose au moindre mouvement.
Une part de moi ne peut s'empêcher de s'en vouloir d'avoir gâché la soirée. Toutefois, je n'ai pas le droit de me sentir coupable de réprimer l'attraction qui m'attire vers ce crétin fini.
Le même qui me surprend une fois de plus lorsqu'il met son clignotant et s'arrête sur le bas-côté. Nous sommes sur une deux fois deux voies en ligne droite et même s'il ne s'agit pas d'une autoroute, la plupart des voitures en profitent pour passer à toute vitesse.
Angel ne me laisse pas la possibilité de lui hurler à quel point il est fou. Au moment précis où j'ouvre la bouche, il sort de la voiture. Sans réfléchir, j'en fais de même, de peur qu'il ne décide de rester ici pour l'éternité.
— Qu'est-ce que tu fais, De Los Santos ? hurlé-je avant même d'y penser à deux fois. Ne me dis pas que tu as vraiment pris la mouche comme un gosse de sept ans là quand même !
Au lieu de me répondre, mon colocataire se contente de me balancer quelque chose au visage. Je m'impressionne moi-même quand je parviens à le réceptionner. J'ai juste le temps de comprendre qu'il s'agit de clés qu'il s'est déjà engouffré sur le siège passager.
Mon cerveau met une plombe à se remettre en marche. Je suis dans un total brouillard, pourtant, je réussis à me retrouver derrière le volant. Après quoi, je reviens enfin à moi et me tourne vers Angel.
— Quel genre de malade mental es-tu ?
Voilà la seule chose qui se fraie un chemin hors de ma gorge. Il ne bronche pas d'un centimètre. À la place, il se tourne lentement dans ma direction, soutient mon regard puis indique la route d'un signe de tête.
— Je parie que celle-ci accélère bien plus que ta minable petite Clio 4, lâche-t-il platement.
Je hausse les sourcils avant de reporter mon attention sur l'immense route qui s'étend devant le magnifique capot de sa voiture.
C'est officiel. Je suis morte d'une rupture d'anévrisme. Ou alors, Valdez m'a étranglée lorsque j'ai tenté de lui confisquer ses clés.
— Tu es en train de me permettre de conduire ta putain de bagnole ? je parle tout bas en articulant chaque mot, de peur que le suivant ne le fasse changer d'avis.
— Démarre la caisse, Henson.
Je sursaute mais ne me fais pas prier. Mes doigts introduisent la clé dans le contact, la tournent puis agrippent le volant. La faible pression que j'exerce sur l'accélérateur suffit à faire démarrer la voiture sur les chapeaux de roues.
Déconcertée pendant une fraction de seconde par la puissance de ce truc, je me reprends vite. Hors de question de me ridiculiser devant ce connard. Et hors de question de fracasser cette Porsche, autrement, mon assurance risque de faire faillite après avoir envoyé un tueur à gages pour en finir avec moi et ma pathétique existence.
Le compteur monte avec une facilité déconcertante. Cela ne fait aucun doute que cette caisse n'a rien à voir avec la mienne. Par ailleurs, je préfère avaler ma langue que l'avouer à l'idiot qui siège à mes côtés.
Ce dernier ne semble pas particulièrement inquiet. Moi qui aurais parié qu'il aurait au moins fait la comédie, histoire de se moquer de moi. Manifestement, j'ai à nouveau surestimé ses qualités d'être humain.
— Je ne savais pas que tu étais aussi timide, Sativa, sa voix monocorde me fait hausser un sourcil.
Je lâche la route des yeux durant un court instant pour le gratifier d'un coup d'œil dédaigneux.
— De quoi est-ce que tu parles ? craché-je.
— 150 ? Angel fait mine de se pencher afin de regarder le tableau de bord. C'est risible. Je t'ai surestimée. Tu es bien trop peureuse finalement...
Je ricane. Une nouvelle fois, cette technique est vieille comme le monde. Mon idiotie l'est encore plus que l'Univers tout entier. C'est pour cette raison que j'enfonce un peu plus mon pied sur l'accélérateur. En réponse à ce geste d'imbécile, le moteur de la voiture gronde tandis qu'elle file d'autant plus rapidement.
170. 175. 180.
Monsieur De Los Santos s'était arrêté là.
Je prends encore le risque de le regarder furtivement. Désormais, ses soufflements de nez moqueurs ne m'échappent plus.
— Regarde-moi t'apprendre à conduire ta propre caisse à la con ! articulé-je avant d'appuyer davantage sur la pédale.
Ok bon, pour le coup, j'agis comme une détraquée. Pour ma défense, je l'ai déjà affirmé plus tôt. Dès que je me tiens près de ce type, je fais n'importe quoi.
Son léger sourire narquois à l'instant où j'atteins les 200km/h me fait l'effet d'un séisme. Je mets mon clignotant gauche, contrôle mon rétroviseur extérieur puis dépasse la voiture que je viens de rattraper.
La sensation est proche de l'invincibilité. Je ne peux m'empêcher de sourire durant tout le reste de la route, m'amusant à pousser les limites de la voiture, ainsi que celles de ma propre peur.
Par un miracle du ciel, nous arrivons sains et saufs devant notre immeuble. Je me gare avec regret, coupe le contact et me tourne finalement vers mon colocataire.
Il me dévisage déjà. Le vent qui perçait à travers sa vitre légèrement baissée a semé la pagaille dans ses mèches brunes. Je décide de m'exprimer la première.
— Je crois que tu es en fait le plus idiot de nous deux, m'écrié-je avec un sourire amusé. J'ai pensé mille fois à nous envoyer dans le décor, histoire de t'entraîner dans ma chute. Tu as de la chance que je doute que mes fidèles clients puissent survivre sans mes fabuleux cocktails, sans quoi, nous serions tous les deux morts à l'heure actuelle !
Mon baratin n'a, comme d'habitude, aucun effet sur Angel. Il récupère les clés que je lui tends, mué dans un silence affligeant. Vexée une fois de plus, je m'apprête à sortir de sa Porsche de merde et à l'enfermer dehors de l'appartement.
Pourtant, il glisse les clés dans sa poche puis m'attire à lui. Son geste est presque violent. Je me rattrape maladroitement sur l'appuie-coude central. Mais toutes pensées rationnelles s'évaporent lorsque ses lèvres se collent aux miennes.
Mes mains ne trouvent plus cela si important de s'accrocher au seul objet qui m'empêche de basculer en avant. Le corps d'Angel me sert de rempart. Mes doigts saisissent machinalement son tee-shirt tandis que nous continuons de nous embrasser comme deux gros salopards.
— C'est bien ce que je disais.., il s'écarte légèrement de ma bouche afin de susurrer contre cette dernière, tu n'as rien d'inintéressante.
Je frémis de partout.
Idiote.
Imbécile.
Sotte.
Bonne à rien.
Il lui suffit de trois petites paroles idiotes pour réveiller toutes les pensées interdîtes que j'entretiens à son égard. À quelques centimètres seulement de son visage, je me perds à contempler ses traits.
Bordel, il est magnifique. Je vais encore tout gâcher. Je m'en fiche. Il m'attire. Je m'en fiche. Il me fascine.
L'instant d'après, j'effectue une gymnastique étrangement réussie et me hisse à califourchon sur lui. S'il est désemparé de cette soudaine décision, il n'en montre rien.
Putain, je ne contrôle plus rien du tout.
— Dis-moi que tu me détestes et qu'on oubliera tout ça à notre réveil.., murmuré-je, le souffle court.
Angel se redresse légèrement. Il observe chaque recoin de mon visage, comme s'il me voyait pour la première fois.
— Je te déteste, affirme-t-il. Et on oubliera tout ça à notre réveil.
Il ne me laisse même pas le temps de lui répondre car il scelle à nouveau nos lèvres. Son corps s'appuie enfin pleinement contre le mien. Je ressens sa chaleur, ses battements de cœur, absolument tout.
Mon bassin se met à onduler machinalement, cherchant à combler le moindre millimètre entre nous.
— J'ai envie de toi, lâché-je, sans réfléchir.
Angel s'immobilise, surpris. Cette fois-ci, pas de doutes. Il sourit. Un sourire si grand que je ne pensais jamais en voir de tel sur son visage fermé. Il se penche pour chuchoter à mon oreille.
— J'ai encore gagné cette manche alors.
Au lieu de chercher à le contredire, je m'attelle à défaire sa ceinture. Il est tard. Il n'y a plus personne dans les rues. Même s'il fait totalement noir dans l'habitacle et que le seul lampadaire se situe bien trop loin pour nous dévoiler à la vue de tous, je suis rassurée que mes péchés puissent être piégés par l'obscurité.
À partir de là, nous ne parlons plus. Ma bouche est la première à me trahir quand je le guide en moi. Angel pose ses mains sur ma taille, envoyant un million de décharges électriques sur ma peau.
Coucher avec lui est toujours aussi bon qu'au Mexique. J'essaie de trouver la culpabilité, l'affection que je porte à mon copain. Mais tout ceci se fendille un peu plus à mesure que je soutiens le regard constellé de mon colocataire.
Une fine pellicule de sueur a recouvert son front. Quelques unes de ses mèches sauvages s'y collent. Pourtant, il continue de me regarder droit dans les yeux alors que j'ondule sur lui.
Je me demande s'il me ressent comme moi je le ressens.
Il est à couper le souffle. Je pourrais simplement admirer son visage et m'extasier devant lui durant des heures.
Il réussit à me faire finir en premier. J'entoure mes bras autour de son torse solide alors qu'il termine à son tour.
Sur le coup, je ne me soucie pas de notre absence de protection -idiote-. Je me sens même étrangement excitée à l'idée de l'avoir goûté sans aucune barrière.
C'est officiel. Je suis cinglée.
Je me laisse aller contre lui, le visage niché dans le creux de son cou. Angel sème une série de frissons sur ma nuque à l'instant où il se met à la caresser du bout des doigts.
Ce contact est délicat. Il me donne envie de gerber.
Sotte.
Bonne à rien.
Idiote.
— Je vais descendre.., annoncé-je après un long moment de silence.
Du coin de l'œil, j'aperçois mon colocataire hocher lentement la tête. D'une main tremblante, j'ouvre la portière. Il me faut bien plus de force que je ne le pensais pour réussir à m'extraire de la voiture.
Non seulement, elle est plutôt basse mais en plus, j'ai les jambes en coton. Mes premiers pas sont chancelants. Angel ne semble pas déterminé à sortir maintenant car il referme la portière à l'instant où j'atteins la seconde marche.
Je secoue la tête, dans l'espoir de me concentrer sur la porte, puis présente maladroitement le Bip devant le détecteur.
En une fraction de seconde floue, je suis dans l'ascenseur. Je n'ai jamais évité mon reflet avec autant de conviction. Je ne cesse de passer mes mains sur mes cheveux pour plaquer une mèche fictive.
Je crois que je suis en train de paniquer.
Qu'est-ce qui m'a pris encore ?
Je m'appuie contre la paroi, déboussolée.
Mon dieu, qu'est-ce qui m'a pris encore ? Pourquoi je me laisse si facilement attraper dès qu'il s'agit de cet homme ? Qu'a-t-il de spécial ? Pourquoi le sexe est-il aussi intense ?
Mes interrogations se fracassent au sol quand les portes s'ouvrent. Je dois arriver dans ma chambre avant qu'il ne décide de monter. Je ne peux pas l'affronter après cela.
Je suis en couple. Et j'adore mon copain. J'adore Logan. Il me fait me sentir bien. Je...
La première larme qui s'apprêtait à se frayer un chemin sur ma joue disparaît à l'instant où je fronce les sourcils.
Pour cause, je remarque une femme debout devant notre porte. Manifestement, je ne la connais pas et elle ne semble pas avoir la moyenne d'âge des gens de cet immeuble -soit au moins la soixantaine-.
Il est presque vingt-trois heures trente, qui est-ce qui débarque chez les gens à cette heure-ci ?
Arrivée à son niveau, je lui tapote l'épaule, sur mes gardes. Elle doit faire ma taille. Ses yeux mordorés ainsi que ses cheveux ondulés me semblent étrangement familiers.
— Est-ce que je peux vous aider ? lancé-je d'entrée, de plus en plus perturbée.
L'inconnue paraît hésiter, presque surprise de me voir devant elle. Elle finit toutefois par esquisser un mouvement maladroit vers la porte d'entrée.
Ce geste a pour effet de mettre en évidence le creux de son bras droit. Là, gravé en noir, un cycle carboné. Je retrouve son regard.
— Désolée, dit-elle rapidement avec un fort accent. Je pense que je me suis trompée d'adresse. Je cherche.., enfin, la jeune femme se met à frotter son poignet, je cherche mon frère.
Je ne sais pas ce qui me permet de rester de marbre. Avec un calme qui me sidère moi-même, je parviens à formuler une question.
— Est-ce que je peux me permettre de vous demander votre nom ? dis-je, d'une voix blanche. Peut-être que vous êtes dans le bon immeuble mais que vous vous êtes simplement trompée d'appartement.
Mon interlocutrice acquiesce plusieurs fois. Son agitation me met mal à l'aise, pourtant, je fais tout pour ne pas le montrer.
Ses iris sont toujours plantés dans les miens. Ils ont un quelque chose de déstabilisant. Je n'aime pas ce qu'elle renvoie comme énergie. Cette nana est étrange.
— Lia.., souffle-t-elle faiblement. Je m'appelle Lia De Los Santos.
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