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Je suis allongée sur le dos, la tête dans le vide, observant mon colocataire.

Ce dernier enfile une casquette noire à l'envers, laissant ainsi ses mèches brunes de derrière caresser son cou. Instinctivement, je me mords la lèvre. J'aperçois les muscles de son dos nu à chacun de ses mouvements.

Putain.

Pour distraire mes pensées, je décide de faire ce que je fais le mieux: être stupide.

— Elles étaient comment tes ex ?

Ma question plane d'abord entre nous dans un silence gênant. Angel croise mon regard dans le miroir.

— Qu'est-ce que tu racontes encore ? demande-t-il de son ton plat caractéristique.

— Je t'ai demandé comment étaient tes ex, je roule sur le ventre. Je suis sûre que tu aimes les filles petites. Aux cheveux sombres de préférence, je commence à divaguer. Il paraît que les latino-américaines sont magnifiques.

— Tu en as encore beaucoup des clichés de ce genre ?

Angel se tourne pour me faire face. Il me dévisage de son regard impassible mais je ne suis bonne qu'à m'attarder sur son torse, offert à ma vue.

— On est obligés de descendre tout de suite ? je ne réponds pas à sa question.

— Rosalía nous a dit d'être en bas pour neuf heures et demi. Alors oui. J'ai cru comprendre que tu aimais être à l'heure, il roule des yeux. Que ça faisait partie de tes hobbies.

Je lâche un sifflement admiratif. Monsieur se rappelle de ce que j'ai dit alors que cet épisode commence sérieusement à dater. L'hypothèse qu'il ait un autel dédié à ma vénération dans sa chambre est en train de se consolider.

— Nous avons près de vingt minutes devant nous, répliqué-je. Je pense qu'on peut s'occuper un peu...

Angel fronce les sourcils.

— À quoi est-ce que tu penses ?

Oh, qu'il arrête de jouer son petit numéro du mec innocent. J'ai passé suffisamment de nuits à découvrir qu'il ne l'ait pas le moins du monde. Pourtant, je le tire doucement par le short et l'attire au bord du lit, debout devant moi. Après quoi, je lève les yeux pour croiser les siens.

— Tu sais très bien à quoi je pense, imbécile.

Je ne sais pas ce qu'il m'a fait, ni pourquoi j'ai autant de toupet, mais je ne détourne pas le regard en dépit de l'intensité de ses iris bruns.

— Range tes manières, Henson, souffle mon colocataire. Nous n'avons pas le temps.

Un sourire fugace se peint sur mes lèvres alors que je dépose un court baiser sur le bas de son ventre.

— Vraiment..? susurré-je.

Malgré son expression fermée, je distingue la petite étincelle qui sévit au fond de ses yeux. C'est que je commence à le connaître, De Los Santos. Il reste un homme.

Un homme insupportable, froid comme la glace, mais un homme tout de même.

— Ne commence pas, Henson...

Sa voix traduit autant d'avertissement que de taquinerie. J'ai encore du mal à me faire à la façon dont nous communiquons à présent. On dirait presque qu'on... flirte ?

Beurk.

Je soupire puis finis par le lâcher.

— Tu n'es qu'un rabat-joie ! me lamenté-je en me relevant. Tant pis pour toi.

Angel émet un petit soufflement de mécontentement tandis que je m'attelle à mettre mes chaussures.

Aujourd'hui, Madame Herrero a décidé d'emmener le groupe dans un espèce de parc aquatique. Je ne dis pas non, toutefois, je doute que mes cheveux apprécient cette expérience. C'est pourquoi, je les ai attachés en chignon haut afin de leur éviter tout contact avec l'eau, sans quoi, je peux dire adieu à ma tranquillité capillaire.

Nous quittons la chambre quelques minutes plus tard. Par habitude, Angel et moi marchons à distance raisonnable l'un de l'autre. Il a enfilé un de ses fameux débardeurs blancs et je ne peux m'empêcher de regarder les tatouages qui ornent joliment ses bras.

J'aurais bien aimé en avoir mais me connaissant, je serais incapable de me décider. Ou alors, je pourrais ne plus les apprécier au bout de deux mois.

— Ils t'ont coûté cher ? je demande.

Mon colocataire prend un court instant à comprendre de quoi je parle.

— Je les ai payés avec l'argent du cartel de mon père, lâche Angel.

De surprise, je m'arrête de marcher. Je ne sais jamais lorsqu'il est sérieux. Son visage inexpressif ne m'aide pas du tout à le décrypter.

Angel ricane, conscient de n'être qu'une putain de muraille d'émotions.

— C'est bien ce que je disais, poursuit-il. Tu es remplie de préjugés à propos de mes origines.

Je claque ma langue sur mon palais avant de me remettre à le suivre.

— Désolée d'envisager la possibilité que ce soit vrai, grogné-je. Tu n'es pas connu pour faire de l'humour.

Pour toute réponse, il secoue la tête d'un air excédé. Lorsque nous atteignons le hall de l'hôtel -à l'heure pile, je tiens à le préciser-, Rosalía nous offre l'un de ses légendaires sourires solaires.

Je vous jure, elle pourrait illuminer tout le Mexique avec ça.

Tous les petits vieux ne sont pas présents, pour cause, je crois que l'activité d'aujourd'hui est un peu plus mouvementée que d'habitude et aucun de nous ne veut avoir un arrêt cardiaque sur la conscience.

Notre étrange groupe marche tranquillement jusqu'à l'arrêt de bus. Je ne peux m'empêcher de jeter des petits coups d'œil en direction de mon colocataire. L'épisode d'hier soir tourne encore en boucle dans mes pensées, et même si nous avons fait comme si de rien n'était ce matin, je n'oublie pas sa douceur passée.

Putain, Henson, reprends-toi ! Déjà que tu l'as baisé à plusieurs reprises, il ne manquerait plus que tu commences à te prendre la tête sur ce qui se passe ou non entre vous !  

Notre bus ne tarde pas à arriver. Je suis refaite à l'instant où je parviens à trouver une place assise à côté d'Angel. Pourtant, deux arrêts plus tard, une mémé -une vraie de vraie, rien à voir avec Madame Herrero- monte difficilement la haute marche du car et scrute les sièges occupés avec des yeux désespérés.

J'ai à peine le temps de penser à me mettre debout pour lui laisser ma place qu'Angel est déjà en train de se lever et de l'aider à s'asseoir à la sienne.

Le sourire doux qu'il lui adresse me fait froncer les sourcils. C'est officiel. Ce type n'est détestable qu'avec moi.

Il m'a vaguement parlé de sa grand-mère qui l'aurait instruit au piano. Il doit avoir l'habitude de s'occuper des personnes âgées.

Quoique, je l'ai interrogé sur ses ex plus tôt et il est resté vague. Peut-être que son style, ce sont en fait les mémés d'un certain âge. Ça expliquerait son attitude si délicate avec Madame Herrero.

WoW, je divague complètement.

Mais en même temps, plus rien ne m'étonnerait de sa part.

Durant tout le reste de la route, je me perds dans mes fabulations, si bien qu'Angel est obligé de me tirer par le poignet lorsque les portes s'ouvrent sur notre arrêt. Je bafouille des insultes, encore un peu égarée dans ma tête.

Par ailleurs, les mots se coincent dans ma gorge quand je réalise que le bus nous a déposés juste devant notre destination.

Et quelle destination !

Rosalía a clairement minimisé en désignant le parc comme "petit". Si vous voulez mon avis, d'ici, il semble pouvoir concurrencer les parcs Disney secondaires.

Ma voisine conduit notre troupe dans la queue et je commence à me triturer les doigts, soucieuse du coût de ce "petit parc aquatique". Angel me jette un regard en biais.

— Tu as quel âge ? me demande-t-il sans raison.

Comme il s'agit de lui et qu'il adore m'insulter pour rien, je me braque et le fusille du regard.

— C'est quoi ton problème ? je contre-attaque, sur la défensive. Qu'est-ce que j'ai fait cette fois-ci ? Respirer trop fort dans ton sillage ?

Le jeune homme inspire un grand coup avant de pointer le panneau accroché à droite du guichet. Je plisse les yeux à cause de mes lunettes médiocres et de ma vue tout aussi terrible. Conscient de mon acuité visuelle réduite, Angel finit par me traduire ce qui est écrit.

— Tarif pour les moins de 25 ans, raille-t-il. Il me semble qu'aucun de nous deux n'a encore atteint le quart de siècle. Ton portefeuille y survivra.

J'ai envie de répliquer quelque chose mais je ne trouve rien à dire.

Comment a-t-il deviné que je m'inquiétais pour ça ?

Bordel, je m'en fous. Ce n'est pas comme s'il m'accordait assez d'attention en dehors des draps pour commencer à me connaître.


Il se trouve qu'Angel avait raison. Mon portefeuille y a survécu. Et ça fait deux heures que je veille à ce que mes cheveux le fassent aussi.

À la longue, vous me connaissez, je suis une fille marrante, prête à faire toutes sortes de conneries. Toutefois, mouiller mes cheveux est ma limite. Et malheureusement, le nombre d'attractions possibles en restant au sec dans un parc aquatique est assez réduit.

De ce fait, je me contente de regarder mon petit groupe de retraités enchaîner les Splash Mountain, les virées sur des grosses bouées rondes et tous les autres trucs qui pourraient potentiellement me transformer en chien mouillé.

Armée du granité à la grenadine que j'ai acheté il y a quelques minutes, j'avoue avoir un peu la loose de ne pas les y accompagner.

Mais les heures de démêlage qui m'attendent si je le fais suffisent à me convaincre de rester au sec.

À ma grande surprise, mon colocataire les suit dans chaque attraction.

Actuellement, ils sortent tout juste d'une nouvelle traversée mouvementée sur le lac artificiel.

Rosalía rit aux éclats face à l'état pitoyable de son mari et de Lucile, bien que ses cheveux lui collent tout autant aux joues.

Angel se plante devant moi afin de récupérer le verre de jus qu'il m'a demandé de lui tenir.

Je me retiens au dernier moment de me foutre de lui en voyant que de tous, il est celui qui a pris le plus cher.

Son débardeur est inondé -je ne vais pas m'en plaindre, si vous voyez ce que je veux dire-, son short semble un peu plus lourd que tout à l'heure-là et même ses chaussures n'ont pas été épargnées par les trombes d'eau.

À l'instant où il retire sa casquette pour arranger ses cheveux dégoulinants, je me détourne, histoire qu'il ne remarque pas le sourire moqueur que je ne parviens plus à contenir.

Voir ce type si sérieux, si coincé, dans un état aussi lamentable est, d'une certaine manière, hilarant.

Que je l'avoue ou non, j'ai toujours trouvé qu'Angel possédait un sacré putain de charisme qui avait tendance à m'intimider, bien que je ne le laisse pas paraître.

Sa gueule actuelle décrédibilise complètement le personnage.

— Tu te marres bien, Henson ? sa voix dans mon dos me fait sursauter.

— Moi ? je feins l'innocence, sans pour autant me tourner vers lui. Pas du tout. Tu débloques, De Los Santos !

Je fourre ma paille dans ma bouche, histoire d'étouffer mes gloussements. Après quoi, je me remets en marche à la suite des autres. Je ne risque aucun regard vers Angel, l'entendant simplement nous suivre.

— Nous entrons bientôt dans la partie où il y a les piscines et les toboggans ! Madame Herrero se tourne vers moi, survoltée. J'espère que vous avez pris vos maillots. Et j'espère aussi que tu vas enfin décider de te joindre à nous !

Oui, j'ai pris mon maillot. Bien sûr que non, je ne vais pas aller dans les putain de toboggans alors que je risque de...

Mon cerveau disjoncte à l'instant où il réalise que mes pieds ne touchent plus le sol. J'intercepte les regards amusés de mes retraités avant de comprendre que je viens d'être balancée sur une épaule.

— Qu'est-ce que tu fais, De Los Santos ? je me débats en reprenant enfin conscience des événements.

— D'habitude, c'est moi le rabat-joie. Ne me dis pas que tu as payé pour ne pas t'amuser, son ton devient presque moqueur. Je suis déçu de toi, Henson.

J'ai envie de m'extraire de ses bras, parce que un, c'est ridicule, et deux, cet imbécile se dirige vers l'endroit où les enfants s'amusent parmi les jets d'eau qui sortent du sol. Jets d'eau que j'ai pris le soin d'éviter depuis qu'on est arrivés à cause mes putain de cheveux.

— Angel De Los Santos, je te jure que si tu.., commencé-je en criant.

Il me secoue un peu, juste de quoi me faire taire de surprise. Son haut est déjà en train de mouiller le mien.

Les jets d'eau se rapprochent dangereusement et je ne réussis toujours pas à m'extirper de sa prise. Mes traîtres de voisins observent la scène avec des sourires espiègles. Je crois même que Lucile est en train de filmer.

C'est quoi ce comportement d'imbécile ? Ça ne lui ressemble pas !

— Angel, je t'en conjure, je décide de changer de tactique en voyant que ma fin est proche. Je ferai tout ce que tu veux.

Mon colocataire s'arrête d'un coup. Je gigote à nouveau, pleine d'espoir.

— Tout ce que je veux ? répète-t-il.

— Oui, absolument tout ! je hoche plusieurs fois la tête. Épargne mes cheveux et je te jure d'arrêter de t'emmerder pendant au moins deux jours !

Il y a un blanc durant lequel je résiste à l'envie de lui mordre l'épaule, histoire qu'il me libère pour de bon. Finalement, je n'ai pas à user de la violence. Angel me dépose au sol.

— Trois jours, tente-t-il ensuite de négocier.

— Ok, ce que tu veux, trois jours ! lâché-je, contente d'avoir échappé au désastre capillaire. Merci beaucoup de...

Mon visage est percuté par un jet avant que je ne puisse achever cette phrase. Par réflexe, je fais un pas en arrière, déboussolée. Mauvais choix, un deuxième jet d'eau surgit juste derrière moi.

En dépit de mes lunettes submergées -je pourrais presque voir la Petite Sirène-, je parviens à trouver mon colocataire du regard.

Même si j'ai envie de lui arracher les couilles, le voir rire aussi ouvertement me fait un effet bizarre dans le ventre.

Toutefois, je me rappelle que ce connard a fait mine de m'épargner alors qu'il m'a déposée au milieu du champ de bataille.

Belle vengeance, je suis aussi trempée que lui à présent.

Je n'ose pas toucher mes cheveux, sachant déjà qu'ils sont foutus pour la journée.

— Toi, asséné-je en pointant Angel du doigt. Tu es un homme mort.

Il me rigole littéralement à la gueule, pourtant, depuis le temps, il devrait savoir qu'il ne faut pas sous-estimer ma folie.

Je l'attrape par le col de son débardeur et le tire juste à temps sur le jet d'eau pour qu'il soit aspergé à son tour.

Lorsque l'eau cesse, Angel ne réagit pas tout de suite. Le fait que sa casquette ne se soit pas envolée est un miracle. Ses mèches brunes lui collent aux tempes tandis qu'il cligne plusieurs fois des yeux, abasourdi.

Et oui, sale sociopathe, tu n'es pas le seul à savoir jouer !

L'instant d'après, ses iris aux taches d'or se posent sur moi. Un sourire carnassier, comme je ne lui en avais jamais vu, se dessine sur ses lèvres.

Il s'élance dans ma direction. Je ne réfléchis pas et m'enfuis en évitant comme je peux les jets d'eau.

Sur le coup, j'ai complètement oublié nos petits vieux qui doivent nous prendre pour des gosses. D'ailleurs, j'oublie aussi les gosses qui s'amusent sur notre champ de bataille.

Je me retrouve à fuir Angel tandis qu'il slalome entre les enfants et les geysers pour m'atteindre. Parfois, les rôles s'inversent. Je le poursuis à mon tour, en hommage à ma coiffure ruinée et au fait que c'est un enfoiré qui, en général dans sa vie, mérite d'être poursuivi.

Les insultes se transforment vite en éclats de rire, et je me surprends à ne plus me soucier de toute l'eau qui m'éclabousse. Mes vêtements me collent à la peau mais je n'en ai que faire.

Au détour d'un énième jet d'eau, Angel finit par m'attraper.

Je glousse tandis qu'il me garde prisonnière de ses bras. Nous nous retrouvons face à face, aussi ridiculement mouillés l'un que l'autre.

Le reste du monde peut bien aller se faire foutre.

— J'aurais une putain de grippe à cause de toi, enfoiré.., soufflé-je tout bas.

— Tu n'auras plus d'excuse pour ne pas vouloir aller à la piscine, répond-t-il sur le même ton.

— Je vais finir par croire que tu veux juste me mater, je me prends à faire de l'humour.

Mon colocataire dégage le cheveux qui me tombait devant les yeux -RIP ma coiffure- puis recule en levant les bras comme un accusé.

— Je ne peux pas confirmer une telle chose, sa voix se fait plus profonde. Cela casserait mon personnage d'enfoiré originel, tu ne penses pas ?

Je hausse simplement les sourcils, perturbée qu'il rentre dans mon jeu. Nous retournons enfin vers le reste de nos compagnons.

Ils ne font pas de commentaires sur l'épisode bizarre de Sativa-et-Angel-qui-retournent-en-enfance-et-jouent-avec-l'eau-comme-des-demeurés (ok, ce titre-là est un peu long, je vous l'accorde). Rosalía se contente de me tendre une serviette avec un sourire.

— Maintenant, à nous la piscine ! s'exclame-t-elle avec engouement.

Sans mon accord, mes yeux décident d'aller à la recherche de ceux de mon colocataire. Ernesto l'a aussi gracié de quoi s'essuyer un minimum.

Son air insouciant, son rire passé, ses cheveux trempés, notre petit jeu puéril de près de quinze minutes, tout ceci m'atteint en pleine poitrine.

Angel intercepte mon regard. Au lieu de se détourner comme il l'aurait fait avant, il pointe mes cheveux d'un air faussement embêté.

Bien que ce connard se foute ouvertement de la souffrance qui m'attend, je me surprends à sourire et à lui adresser un simple doigt d'honneur, bien moins énervée que prévu.

À vrai dire, je suis... heureuse. Je me sens légère.

C'est un beau début de journée.

Une journée où j'ai encore une fois déterré quelque chose qui pourrait m'accrocher à cet homme que j'aimerais tant détester aussi fort que je le prétends.

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