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Je suis obligée de reconnaître que mes dernières réticences sont balayées lorsque je constate que chacune des deux chambres possède sa propre salle de bain. Diego se rapproche de moi tandis que l'agent immobilier déblatère sur les rénovations, les fondations, ou je-ne-sais quel truc finissant par -tion.

— On dirait que ton problème de toilettes et de constipation est réglé, me glisse-t-il avec un sourire taquin.

Je lui frappe le bras.

— Je n'ai jamais parlé de constipation ! chuchoté-je à mon tour.

Il a vu les choses en grand. Je pensais que son pote Timothy se contenterait de nous montrer l'appartement par lui-même, mais non, le costard et la cravate impeccable de l'agent immobilier me prouvent le sérieux de la situation.

Ou peut-être est-ce la procédure habituelle ? Est-ce que les colocations fonctionnent aussi comme les appartements à louer en totalité ?

Je suis totalement débile et mon père a raison. Je n'y connais vraiment rien à la vie d'adulte. Je ne sais pas comment j'ai réussi à survivre pendant deux ans en vivant toute seule. C'est sûrement parce que ma résidence était peuplée de gens aussi cinglés que moi.

— Est-ce que vous prévoyez de vous installer tous les deux ici en tant que couple ? demande l'agent immobilier. Le bail est conçu pour deux personnes mais je peux toujours en parler au propriétaire.

Couple ?

Je m'écarte vivement de Diego puis me mets à bafouiller. Si bien qu'il finit par répondre au monsieur, non sans pouvoir contenir son rire.

— Nous ne sommes pas ensemble, il baisse la voix, comme pour lui confier un secret. Elle m'a rejeté. Beaucoup, beaucoup de fois au fil des ans.

L'agent immobilier acquiesce et s'excuse, quelque peu gêné. De mon côté, je foudroie cet idiot du regard. Le fait qu'il sous-entende que nous n'ayons jamais tenté quelque chose de sérieux -même en plaisantant- par ma faute m'hérisse le poil. Il sait très bien ce qu'il a fait. Parfois, son caractère insolent m'atteint toujours.

— Si vous voulez bien me suivre dans le salon. Afin de discuter du loyer et de toute la paperasse.

L'agent immobilier nous laisse passer devant. Nous nous asseyons tous les trois autour de la table en bois. Encore un avantage, ce magnifique appartement est déjà meublé. J'ai cru comprendre que Timothy avait emporté la majorité de ses affaires chez sa copine, c'est pourquoi sa chambre -celle qui m'appartiendra peut-être dans un futur proche- est plus ou moins vide.

Nous n'avons vu l'autre que très brièvement, pourtant, elle semblait tout aussi bien rangée. La personne qui y séjourne est ordonnée à souhait et rien ne m'a permis de déduire s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme.

Cohabiter avec un homme, putain quelle angoisse. J'espère au moins que si c'est le cas, il est gay. Ou moche. Ou qu'il finira sous un camion.

En me perdant de la sorte dans mes pensées chaotiques, j'en ai oublié de suivre la conversation qui se déroule devant moi. L'agent immobilier a dû le comprendre, ou remarquer que je suis dans la lune -ou complètement stupide, au choix- car il ne s'adresse qu'à Diego. Ce dernier hoche plusieurs fois la tête, les sourcils froncés.

J'ai beau le traiter d'imbécile à tout bout de champ, il sait très bien ce qu'il fait. Il excelle dans pas mal de domaines et explose les compteurs dans son école d'ingénieurs depuis qu'il y est entré. Il a bien plus de jugeote que moi quand il est question de vie d'adulte. Espérons qu'il me fera un résumé de toutes les informations sur le trajet du retour.

J'essaie de me concentrer, en vain. Je suis distraite par les oiseaux posés sur la rambarde du balcon. La vue est plutôt pas mal. Et il y a une librairie à quelques pas. Mon regard se perd ensuite vers mon meilleur ami. Il ne le remarque pas, trop occupé à dire du charabia -de mon point de vue de personne retardée- à l'agent immobilier.

Il est vraiment mignon lorsqu'il déblatère de choses sérieuses. J'aurais peut-être dû lui accordé sa "récompense" lorsqu'il m'a remis mon livre. J'aurais dû rentrer dans son jeu. Cela aurait sûrement engendré quelque chose de mauvais que j'aurais regretté le soir dans mon lit mais au moins, j'aurais pu...

J'aurais pu quoi au juste ? À quoi est-ce que je suis en train de penser ? Sativa, concentre-toi sur la putain de conversation pour l'amour du ciel !

Mais ça fait un moment que je n'ai pas effleuré un autre corps que le mien. Depuis la dernière fois avec lui à vrai dire. Je ne suis pas une séductrice aguerrie et je ne sors pas beaucoup. Les occasions sont rares. Dans tous les cas, j'aurais tout fait foirer.

Pourtant, Diego est là...

Je pourrai engager quelque chose dans la voiture, juste histoire de.., enfin...

Merde alors, je ne suis qu'une femme frustrée par sa sexualité irrégulière. Il faut que je me concentre !

Par ailleurs, je n'y parviens pas jusqu'à ce que je vois Diego se lever afin de serrer la main de l'agent immobilier. J'en fais de même en le remerciant pour tout. Il m'adresse un petit sourire qui me conforte dans l'idée qu'il m'a cernée. Je suis idiote, et mon idiotie dégouline de moi sans que je ne puisse la cacher.

Tandis que nous descendons l'escalier, mon ami n'arrête pas de pianoter sur son téléphone.

— Tu emballes déjà ta prochaine nana ? le taquiné-je.

Diego sourit avant de ranger son portable dans sa poche arrière.

— Non, tu n'as pas à être jalouse, je roule des yeux. Timothy m'a simplement dit qu'il était déjà au café.

— Au café ? je m'enquiers.

— Oui, je lui ai donné rendez-vous là-bas. Ne me dis pas que tu ne veux pas savoir avec qui tu risques d'habiter.

Il déverrouille sa voiture et je prends place sur le siège passager.

— Tu veux dire qu'il va nous présenter son colocataire ? demandé-je au moment où il démarre.

— Non, il paraît qu'il n'est pas disponible aujourd'hui. Mais il va nous en parler un peu. Et puis ça fait un moment que je ne l'ai pas croisé. Depuis qu'il sort avec Layla, on ne le voit plus trop. Quand je dis que les femmes répriment tout amusement !

Je claque ma langue sur mon palais, dépassée par sa misogynie.

— Parce que tu penses que ton mode de vie vaut mieux que cela ?

— Bien sûr ! s'exclame Diego. Je prends le problème à l'envers. Une femme, c'est étouffant. Mais plusieurs ? Putain, c'est le pied absolu !

— Je doute que ta formidable maman soit ravie de tes déclarations.

— Ma "formidable maman" m'a toujours dit de faire ce que j'aimais, il me jette un regard plein de sous-entendus. Et je pense que tu es bien placée pour savoir ce que j'aime, n'est-ce pas Ivy ?

Bordel, qu'il se concentre sur la route au lieu de tenter de m'envoûter.

— Tant que je peux m'enfiler un cocktail, je suis partante, dis-je en haussant les épaules.

Diego secoue la tête en riant.

— Je te reconnais bien là !

Après ces mots, nous roulons un moment en silence. Je finis par lui demander de me récapituler ce qu'a dit l'agent immobilier. Avec des mots simples et accessibles au commun des mortels comme moi. Lorsqu'il se gare près du fameux café, je suis à peu près au courant des points essentiels. Juste de quoi en raconter suffisamment à mes parents pour qu'ils prennent mon projet au sérieux.

Je suis Diego sur la terrasse. Je remarque tout de suite le regard appuyé de la serveuse dans sa direction et même s'il fait mine de ne pas la voir, je sais pertinemment que c'est le cas aussi pour lui.

Nous nous asseyons face à une tête rousse. Je tiens à nouveau à préciser que je n'ai rien contre sa carnation capillaire.

— Diego ! s'exclame joyeusement Timothy. Et Sativa, ma future remplaçante. J'espère que l'appartement t'a plu.

J'acquiesce pour toute réponse, mal à l'aise. Je ne me suis jamais sentie à l'aise de parler à des gens que je n'ai pas l'habitude de fréquenter. Mis à part Diego et Solveig, je crois que je n'arrive pas à être moi-même avec qui que ce soit d'autre.

Surtout que ce type a dû me voir pour la dernière fois complètement déchirée à une soirée. Il se pourrait même qu'il m'ait aperçue en train de galocher l'insupportable jeune homme assis à côté de moi. J'ai un penchant un peu nocif pour l'alcool, je dois l'avouer.

C'est pourquoi, je choisis un Blue Lagoon quand la serveuse vient prendre nos commandes. Diego détaille la carte des boissons avec beaucoup trop d'intérêt pour qu'il ne soit pas en train de jouer la comédie. Nous savons tous les deux qu'il va prendre un Tequila Sunrise, comme à chaque fois.

Il nous joue juste un énième acte de sa pièce de théâtre intitulée "Je suis irrésistible et j'en suis pleinement conscient".

Le pire, c'est que son manège fonctionne. Il fonctionne toujours. Au moment où il relève les yeux vers la jeune femme, elle rougit légèrement. En repartant vers l'intérieur, elle manque même de trébucher.

Timothy et moi échangeons un regard aussi amusé qu'épuisé tandis que mon meilleur ami allume sa cigarette.

— Je ne sais pas comment tu as réussi à te retenir d'en fumer une durant la visite, ironisé-je.

Diego recrache la fumée puis me sourit avec impertinence.

— À la différence de toi Sativa, je sais me montrer irréprochable lorsque je dois l'être.

Je lève les yeux au ciel pour toute réponse, ce qui provoque le gloussement du roux.

— Vous formez un sacré duo tous les deux, rigole-t-il. Je pensais que vos railleries incessantes étaient dues à l'alcool mais vous êtes simplement comme ça.

Il réussit à m'arracher un rire. Je l'aime bien finalement. Nous discutons de tout et de rien le temps que la serveuse nous ramène nos cocktails. Cette fois-ci, Diego passe à la vitesse supérieure et lui fait un clin d'œil à l'instant où elle pose son Tequila Sunrise devant lui. La pauvre fille en fait presque tomber son plateau et s'empresse de retourner au bar.

— Tu ne devrais pas perturber une vaillante travailleuse dans sa tâche, je raille en sirotant mon Blue Lagoon.

— Tu as raison, s'exclame-t-il. Je suis un intenable petit garçon.

Il fait mine de se gronder avant de se taper le front. Je ne peux retenir mon éclat de rire face à son cirque. Timothy nous observe en silence, un petit sourire aux lèvres.

Oula, je n'aime pas du tout cette expression. C'est celle de quelqu'un qui s'imagine des choses qui n'existent pas.

— Enfin bref, m'écrié-je pour couper court à ses pensées erronées. Parle-moi un peu de la personne qui risque de devoir me supporter, puisque nous sommes ici pour cela après tout.

— Bien sûr.., roucoule le garçon. Il n'est arrivé que depuis deux mois. Il est uruguayen. Angel De Los Santos. Un type assez silencieux.

Un homme, donc. Diego est conscient de l'effet qu'a cette nouvelle sur moi. Il se met à boire son cocktail, probablement pour s'empêcher de me lancer l'une de ses insupportables vannes. Toutefois, son regard malicieux est suffisant pour me traduire tout ce qui lui passe par la tête.

— Son prénom signifie "Ange" et son nom de famille fait référence aux Saints ? me moqué-je. Est-ce que ce type fait partie d'une secte ? Ou alors, il est le pape d'un autre pays ?

Cette fois-ci, Diego ne peut pas se retenir. Il évite tout juste de s'étouffer avec sa gorgée et s'essuie la bouche avec son mouchoir. De son côté, Timothy tente de reprendre son souffle afin de me répondre.

— On dirait qu'on a trouvé quelqu'un pour défier le prénom "Sativa", lance mon meilleur ami. Le propriétaire va halluciner en voyant les papiers. "Angel et Sativa".

Je soupire profondément alors que les deux garçons repartent de plus belle dans leur fou rire. Je les aurais sûrement rejoints si je n'étais pas en train de me faire à l'idée que je devrais vivre avec une créature de leur espèce.

Je peux encore me rétracter. Rien n'est encore signé. Je peux supporter mon père et son mauvais caractère. Je peux supporter ma mère et ses fausses notes à huit heures du matin.

Non putain, je ne peux pas. Angel De Los Santos et son appellation à la con seront toujours moins terribles que mes géniteurs.

— Comment est-ce qu'il est ? demandé-je, dans l'espoir de les calmer.

— Physiquement ? Timothy fronce les sourcils.

— Non ! m'empressé-je de dire. Non, bien sûr que non. Comment est-il en tant que colocataire ? Bordélique ? Fêtard ? je réfléchis. Non, ça m'étonnerait, vu la propreté immaculée de sa chambre. Ou alors, il cache très bien son jeu.

— Ce que Sativa essaie de savoir, c'est est-ce qu'il est célibataire, chantonne cet idiot de Diego.

Je le frappe durement sur l'épaule mais cela ne parvient qu'à accentuer son rictus enfantin.

— Tu es insupportable, je ne sais pas pourquoi je continue de te trimbaler avec moi ! répliqué-je.

Il se penche vers moi en dodelinant la tête.

— Peut-être parce que tu ne peux pas te passer de moi...

Je le repousse et me mords la lèvre inférieure pour retenir mon gloussement. Il ne peut pas gagner cette manche, il m'insupporte. Même s'il a raison.

— Je vous avoue que j'ai un peu l'impression de déranger, s'esclaffe Timothy, à moitié sérieux.

Diego lève les mains, comme pour s'innocenter, puis se met debout. Il attrape son Tequila Sunrise et rigole.

— Très bien, concède-t-il. Je vous laisse discuter. Je crois que j'ai un coup à jouer avec cette charmante petite serveuse.

Il file en quelques secondes avant de s'accouder au comptoir, là où l'employée est en train de servir un whisky -et oui, après des années de service, j'ai l'œil pour reconnaître ce genre de truc de loin- à un monsieur d'un certain âge. Elle s'essuie immédiatement les mains sur son tablier et lui rend son sourire avec beaucoup moins d'assurance.

— Pauvre femme.., je ricane en buvant une nouvelle gorgée.

— Tu trouves ?

Timothy s'est penché au-dessus de la table pour me chuchoter cette question. Ses yeux bruns brillent de malice. J'avais raison, il est convaincu que j'en pince pour ce gros débile.

— Oui, je riposte. Assez parlé de Diego, il s'en est allé pour que nous puissions justement respirer. Alors, il est comment ce colocataire ?

Le roux picore le muffin au chocolat jusque là abandonné près de sa main gauche. J'aurais peut-être dû en prendre un aussi. Je dois fixer le gâteau un peu trop longtemps car il finit par le pousser vers moi. Je le concerte une dernière fois du regard et accepte son offrande en croisant son sourire gentil.

C'est officiel, j'adore ce type !

— Angel est assez discret, avoue ensuite Timothy. Je ne le croisais que très rarement et nous ne nous parlions que pour le strict minimum. Dans l'ensemble, c'est un type agréable. Enfin, dans la mesure où tu ne cherches pas à nouer un lien amical avec lui.

Je vois. Vivre avec un fantôme quoi.

— Je pense que ça me va.

J'hésite puis jette un coup d'œil vers Diego. Il a disparu. Lui, ainsi que la serveuse. Il n'a quand même pas pu...

— Est-ce qu'il a déjà ramené.., je cherche mes mots. Enfin, est-ce qu'il a une partenaire ? Ou un, je suis très tolérante, bien sûr. Pas que ça m'intéresse dans le sens que Diego le sous-entendait, mais je souhaiterais juste savoir si je devrai m'enfermer ou non dans ma chambre certains jours. J'ai connu un idiot, que je ne nommerai pas, qui m'avait imposé ça comme condition si je venais à habiter avec lui.

Timothy rit une fois de plus. Il doit me trouver hilarante. Ou bête. Peu importe, les deux sont étroitement liés pour moi.

— Pas à ma connaissance, non, dit-il.

Tant mieux. Sans arrières pensées, bien sûr. Je ne recherche pas de prétendants. De toute manière, je serai incapable de lui plaire. Je ne suis pas le genre de fille à plaire.

Diego resurgit à cet instant précis. Il agite un petit papier avec inscrit dessus un numéro sous mon nez et arrange ses cheveux. Ses lèvres sont gonflées. Je rêve.

— On ne peut vraiment t'emmener nulle part, pesté-je.

— Ce n'est pas de ma faute, il fait faussement la moue. Je ne vais quand même pas refuser un cadeau que Dieu met sur ma route !

— Ne mêle pas Dieu à tes conneries, mec, ricane Timothy. Bon, je crois qu'il est temps pour moi d'y aller. Layla m'attend pour aller à Ikea. On cherche un lit deux places. Ce fut un plaisir.

Nous payons notre note.

Il me fait la bise puis échange une accolade avec mon meilleur ami. Je me lève à mon tour. Mon verre est vide mais j'ai l'impression d'avoir besoin d'encore un peu d'alcool pour affronter la conversation que j'aurai avec mes parents lorsque je rentrerai.

— Tu vois ce que je disais ? affirme Diego, alors que nous marchons vers sa voiture. Une femme, c'est un problème. Tu me vois déambuler dans les rayons Ikea avec une nana pour "chercher un lit deux places" ?

J'ouvre la porte puis le gratifie d'un regard moqueur.

— Je te vois aller acheter une poussette avec un bébé dans les bras. Le karma d'un coup d'un soir.

Diego s'installe derrière le volant.

— Tu es diabolique, Sativa Henson. Si je me retrouve avec un gosse sur le dos, je ferais en sorte que tu sois la marraine et je t'obligerais à supporter ses pleurs avec moi !

Je pouffe, très peu atteinte par ses menaces puériles. Pourtant, je sais qu'il en serait capable. Autant que mettre une fille passagère en cloque par accident.

Avant de démarrer, il prend le temps d'enregistrer le numéro de la serveuse dans son répertoire. Je lis son prénom par dessus son épaule.

— "Morgane".., je pointe l'appareil du doigt. Je suis sûre que ton téléphone n'aura bientôt plus assez de courage pour supporter toutes les nanas que tu y ajoutes chaque semaine.

— Je connais ton numéro par cœur, assure-t-il sans relever les yeux de l'écran. S'il plante, je pourrais toujours te joindre toi.

Je ne réponds rien, bouche bée. Diego verrouille son portable et me fait un clin d'œil.

Je hais lorsque je n'arrive pas à savoir s'il est sérieux ou non. Je connais effectivement son numéro par cœur, par ailleurs, je ne sais pas si lui dit la vérité. Je hais la chaleur qui monte dans mon ventre.

Mes pensées de tout à l'heure me reviennent en mémoire au moment où il s'engage sur la route. Je pourrai retomber. Juste pour apaiser ma libido. Juste le temps d'une étreinte. Serait-ce mal ?

Bien sûr que ce serait mal, Sativa !

J'ai été amoureuse de lui par le passé, et même si je ne le suis plus désormais, je ne devrais pas jouer avec le feu. Je sais très bien que je me brûlerai d'une manière ou d'une autre.

— Ralentis, soufflé-je en voyant que nous approchons d'un paysage connu. Je ne suis pas pressée d'arriver en Enfer.

Diego m'obéit sans faire de commentaires. Pour éviter son regard bleu inquisiteur, j'ouvre la boîte à gants. Je sais qu'il y garde toujours une bouteille de vodka qu'il remplit régulièrement. Et comme prévu, je la trouve puis l'apporte à mes lèvres.

— On dirait que le cocktail ne t'a pas suffi, s'amuse-t-il.

J'avale deux généreuses gorgées.

— Il n'y a jamais assez d'alcool, clamé-je ensuite. C'est ma devise depuis cinq ans ! Tu devrais le savoir.

Après quoi, nous roulons en silence jusqu'à chez moi. Entre temps, j'ai vidé à moitié la petite bouteille. Ma tête tourne un peu. Je serai obligée de filer dans ma chambre et de reporter cette conversation pénible à demain. Assurer que je suis assez responsable pour assumer une colocation tout en étant bourrée n'est clairement pas une bonne idée.

Mon meilleur ami arrête sa voiture près de celle de mon père. La lumière du salon est toujours allumée. Il coupe le moteur avant de se tourner vers moi. D'un geste doux, il retire la vodka de mes mains et rigole lorsque je grogne de mécontentement.

J'affronte finalement son regard.

Putain, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas extasiée sur la beauté de ses traits. Ses mèches noires sont encore un peu en bataille, à cause de la serveuse je présume.

Quelle pouffiasse cette Morgane.

Je surprends ma main à caresser sa joue. L'alcool n'est pas une bonne idée, Sativa, tu sais très bien comment cela a fini la dernière fois.

— Il est quelle heure ? murmuré-je d'une voix qui ne semble pas mienne.

— Vingt heures et quelques, répond Diego sur le même ton.

Il n'est pas torché, lui. Il est tout à fait conscient de ce que je suis en train de faire. Pourquoi est-ce que ce sombre débile me laisse effleurer sa peau de la sorte ?

Parce qu'il aime se savoir désiré, voyons Sativa, tu le connais sur le bout des doigts. Meilleure amie ou pas, je reste une femme pour lui. Il aime les avoir à ses pieds.

Je vaux mieux que cette Morgane pour lui, n'est-ce pas ?

— Tu comptes la rappeler ? je l'interroge.

— Qui ça ? La serveuse ?

Pourquoi est-ce qu'il parle doucement comme ça ? Pourquoi est-ce que ses yeux sont aussi bleus, putain ?

J'acquiesce pour toute réponse.

— Tu veux que je le fasse ? susurre le jeune homme.

Bordel, je m'en fous. Et puis merde !

Je glisse mes doigts sur sa nuque puis amène ses lèvres aux miennes. Cet idiot ne me repousse pas. Pourquoi est-ce que cet idiot ne me repousse pas ? Est-ce qu'il espère à nouveau coucher avec moi pour me laisser sur le côté comme une vieille chaussette et prétendre que rien n'est arrivé ?

Parce que la manière qu'il a de me peloter les seins me laisse à penser ça. Merde, Sativa, écarte-toi ! Cet instinct primaire, cette faim de sexe est bien trop minable. Il s'agit de Diego, ton meilleur ami.

Meilleur ami qui embrasse très bien, cela dit. Meilleur ami qui t'a déjà vue nue et qui ne s'est pas moqué de ta petite poitrine ou de ta peur de te dévoiler à autrui.

Ce serait plus facile de le refaire avec lui que de laisser n'importe quel inconnu découvrir toutes mes imperfections répugnantes. C'était super bien la dernière fois.

Je pourrai...

La porte d'entrée s'ouvre et nous nous décollons d'un coup, à bout de souffle. J'ouvre de grands yeux, choquée de ce qui vient à nouveau de se produire, et de tout ce que j'aurais laissé arriver de plus.

Le temps que je retrouve mes esprits, Diego est déjà dehors à saluer ma mère.

Je balance cette maudite bouteille de vodka dans la boîte à gants, tente de reprendre une certaine contenance puis descends de la voiture. Mon meilleur ami prend une dernière fois ma mère dans ses bras avant de venir me faire la bise.

— Il ne sait rien passé, lui glissé-je à l'oreille au passage.

— Comme à chaque fois, Sativa. Je sais.

Diego s'écarte et me sourit. Je l'observe jusqu'à ce qu'il monte dans le véhicule et sorte de l'allée. Je fais un bref câlin à ma mère puis file dans ma chambre. Je m'étale sur mon lit.

Je me relèverai tout à l'heure pour aller prendre une douche. Je suis encore sous le choc. Ce n'était pas une première, mais à la moindre rechute, je me promets que ça n'arrivera plus.

Plus jamais d'alcool. Au moins pendant deux jours.

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