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Vers trois heures du matin, nous sortons finalement de la boîte. Je me suis désormais accoutumée à la bouche de Logan et je suis impatiente de découvrir le reste.

Layla nous souhaite une bonne nuit et la prudence sur la route puis s'en va, Timothy accroché à elle. Dire que j'ai pu m'inquiéter de ce qu'il aurait pu penser s'il m'avait un jour vue torchée à une soirée. S'il était dans cet état, il ne devait même plus se rappeler de qui j'étais. À vrai dire, il est tellement bourré qu'il doit s'appuyer sur le minuscule corps de sa copine pour marcher droit et ne pas tomber à la renverse.

Diego, quant à lui, resserre un peu plus son étreinte autour de Solveig qui tremblait à cause du vent frais de la nuit. Je ne les ai pas vus s'embrasser ce soir -sûrement parce que j'étais trop occupée à le faire avec quelqu'un d'autre- mais je devine sans mal qu'ils se sont encore rapprochés. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils s'éloignent tous les deux vers la voiture de mon meilleur ami.

Une fois seule avec Logan, je me tourne vers lui, tout sourire. Il m'a dit qu'il avait passé la journée chez l'un de ses amis qui n'habite pas loin et qu'il était venu à pied. J'agite mes clés de voiture sous son nez.

— Est-ce que tu comptais m'inviter chez toi..? soufflé-je contre ses lèvres. Parce que si tu n'avais pas prévu de le faire, je vais passer pour une sacrée malpolie en m'avançant de la sorte.

Le jeune homme me vole un rapide baiser. Ses iris sombres semblent encore plus profonds qu'avant.

— Ne t'en fais pas, assure Logan. Je pensais justement à le faire mais j'avais peur de passer pour un gros dégueulasse qui n'est là que pour ça.
— Ce n'est pas le cas ? le taquiné-je.

— Ça ne l'a jamais été...
Il attrape mes clés de voiture et s'apprête à m'emmener dans le parking. Pourtant, une voix nous coupe dans notre démarche.

— Non, je la ramène. Elle est trop bourrée pour conduire. Ou pour faire quoique ce soit d'autre.

J'ai dû faire un coma éthylique et mourir. Ou alors, je me suis ouvert le crâne en dansant. Autrement, je ne peux pas expliquer que le Diable en personne s'adresse à moi.

Logan fronce les sourcils puis me jette un regard interrogateur. Je prends une grande inspiration puis me tourne vers la personnification du mal.

— On se connaît ? lâché-je, sans réfléchir.

Angel ne réagit même pas. Il se contente de présenter sa main à mon cavalier de la nuit. Ce dernier hésite puis lui tend les clés.

Hors. De. Question.

Je les saisis avant qu'il ne puisse le faire. Ses yeux bruns rencontrent les miens. Même si je ne parviens pas à déceler d'émotion précise, je devine sans mal qu'il lit toute ma colère à travers les miens.

— Tu n'as pas autre chose à faire ? je reprends. Et je ne suis pas bourrée, je suis un peu pompette !

Pour appuyer mes propos, je fais un pas en avant. Par ailleurs, je n'avais pas prévu que mes talons soient aussi hauts et mes jambes, aussi instables. Les bras de Logan me rattrapent au dernier moment.

Mon colocataire n'a pas bougé. Il me fixe toujours d'un air grave. C'est quoi cette comédie au juste ? Il n'en a strictement rien à foutre si je meurs à cause de mon taux d'alcoolémie ou si j'attrape le sida.

— Les clés, Sativa, ordonne-t-il en me présentant sa main.
— Sûrement pas ! je proteste. Tu n'étais pas en compagnie de quelqu'un ? Je suis certaine qu'elle a bien plus besoin de toi que moi !

— Donne-moi les clés de la voiture, le garçon détache chacun de ses mots. Tout de suite.

Je suis sur le point de refuser à nouveau, pourtant, Logan pose sa main sur mon épaule.

— Il a peut-être raison, je crois halluciner en l'entendant prononcer ces mots. On se voit un autre jour. Après tout, rien ne presse.

Il ne me laisse pas le temps de protester car il se penche pour m'embrasser. Avant de s'écarter pour de bon, il me glisse qu'il a adoré chaque seconde auprès de moi.

Je frissonne en le regardant s'éloigner. Après quoi, je me tourne vers mon colocataire.

— Tu joues à quoi là au juste ? craché-je.
Angel ne répond pas. D'un geste rapide, il réquisitionne les clés dans ma main et m'attrape le poignet.
— Où est-ce que tu es garée ? demande-t-il comme si de rien n'était.

— Va te faire foutre.

Je fonce dans son dos lorsqu'il s'arrête subitement. À cause de la surprise -et sûrement de mes nombreux verres, mais ce n'est qu'un détail-, je ne réussis pas à me rattraper et tombe sur les fesses. Angel me dévisage plusieurs fois puis soupire.

Je suis bien trop sonnée pour refuser la main qu'il me présente. En quelques secondes, je suis de nouveau sur mes pieds. Instinctivement, je me dirige vers ma Clio, encore sous le choc.

Le jeune homme la déverrouille. Mon regard a la mauvaise idée de se poser du côté de la voiture de Diego.

Solveig est perchée sur le capot tandis qu'il est placé entre ses jambes, occupé à lui dévorer les lèvres.

Malgré toutes mes réticences, je préfère encore faire la route avec Angel que supporter cette vision plus longtemps.

Au moment où mon colocataire démarre, je connecte mon téléphone au Bluetooth. Si je dois me coltiner ce connard, autant que je le fasse en musique.

"In For It". Tory Lanez.

Parfait pour une balade nocturne.

— Elle s'appelait comment la fille avec toi ? lancé-je, l'air de rien.
Angel ne détache pas ses yeux de la route.
— Il s'appelait comment le type avec toi ? contre-t-il.

— J'ai demandé en premier ! Et je te rappelle que tu m'as presque kidnappée, alors je mérite au moins une réponse.

Il laisse planer le silence pendant deux minutes. Je peste en comprenant qu'il ne compte pas me répondre.

Vieux clochard.

— Roxanne.

Je décolle ma tête de la vitre, surprise. Après quoi, un sourire mesquin se peint sur mon visage. La musique s'achève à cet instant précis. Je m'empresse de taper sur le clavier.

Les premiers accords retentissent alors que mon rictus s'agrandît.

— Est-ce que tu lui joues ça à la guitare ? roucoulé-je. Ou peut-être que tu chantes ?

Je m'époumone sur le premier « Roxanne » de la chanson de The Police.

Angel ne laisse rien transparaître, cependant, je commence à le connaître. Son agacement dégouline de lui, même s'il se fait violence pour ne pas le montrer.

Franchement, je prends mon pied. J'adore ce morceau mais je ne l'avais jamais écouté avec autant de passion. Quand je mime les dernières notes, mon colocataire prend la parole.

Son self-control est assez impressionnant, je dois l'avouer.

— Tu as fini ? son ton est tranchant.
— Je crois oui, je lui souris avec insolence. Je ne connais pas d'autres musiques appelées « Roxanne ». Mais je peux toujours chercher, si ça te fait plaisir...

Pour seule réponse, il accélère d'un coup. Mon téléphone m'échappe des mains.

— Espèce de sale connard ! grondé-je en me penchant pour le ramasser.
Je l'attrape à l'aveugle et me cogne la tête contre la boîte à gant au moment où je me redresse.

Très bien, si une force supérieure me cherche, elle a gagné. Je me renfrogne dans le siège puis croise les bras. Bien qu'Angel n'ait pas rigolé explicitement, les lumières de la route me permettent de voir son sourire amusé.

Oui, bien sûr, quand c'est pour se foutre de ma gueule, Monsieur sait sourire.

J'abaisse les paupières et pose ma tête contre la vitre. Les kilomètres défilent. Nous ne sommes pas si loin, pourtant, j'ai l'impression que le trajet dure des heures.

Lana Del Rey.
West Coast.

Par réflexe, je rouvre les yeux. Ils se posent sur Angel. Les flashs entrecoupés des lampadaires jouent avec ses traits et ses lèvres. Ses mèches brunes sont en bataille.

Il aurait pu être l'une des muses de Lana. Sa beauté est aussi pure qu'agressive.

Je me tortille sur le siège. J'étais censée m'envoyer en l'air ce soir. Je suis plus que frustrée et sa gueule n'aide en rien.

Au moment où il se gare devant notre immeuble, j'ai la confirmation que ma playlist est diabolique. La mélodie envoûtante de Fetish de Selena Gomez débute quand je détache ma ceinture.

Je n'ai aucune idée de pourquoi il ne coupe pas le contact, toutefois, le portable décampe à nouveau quand je veux éteindre la musique.

Angel se penche avant que je ne puisse le faire. Son bras effleure ma cuisse puis atteint le tapis. L'odeur de ses cheveux chatouille mon nez.

— Évitons que tu te cognes à nouveau, débite-t-il. Tu risques de perdre les deux neurones qu'il te reste.

Au moment où il dépose mon téléphone sur le siège, je referme mes jambes sur son poignet.

Euh, qu'est-ce que je fous au juste ?

Le jeune homme paraît penser la même chose car pour l'une des premières fois depuis que je le connais, je lis de la surprise sur son visage.

J'ose croire que Selena Gomez et sa voix douce m'ont envoûtée parce que je refuse d'être considérée comme responsable des mots qui suivent.

— Tu m'as empêchée de baiser, commencé-je sans libérer sa main de mon emprise, tu m'as prise en otage dans ma propre voiture et tu m'as traitée d'idiote. Je pense que je mérite que tu te fasses pardonner.

Angel n'a jamais essayé de lutter pour tenter de récupérer son poignet. À présent, il se contente de me dévisager. Son regard brun n'est pas tout à fait scandalisé. À vrai dire, il est de nouveau indescriptible.

— Et comment suis-je censé me faire pardonner, Sativa Henson ? mon colocataire parle tout bas.

De cette manière, mon prénom prend une tournure encore plus déroutante que d'habitude. Je suis parcourue d'un frisson qui ne lui échappe pas. Les battements de mon cœur couvrent presque les bruits environnants de la circulation.

Le monde continue à tourner autour de nous alors que j'ai l'impression que les secondes se sont suspendues dans le seul espace de ma voiture.

Mes cuisses s'écartent d'elles-mêmes, lâchant enfin son poignet. Je suis sur le point de quémander sa chaleur, peut-être même de supplier ses doigts de venir me découvrir, puis je prends conscience du ridicule de la situation.

Angel s'est redressé sur son siège et m'observe. Il paraît presque attendre ma réponse. Pourquoi a-t-il fallu que ce type soit si peu démonstratif en terme d'émotions ? D'habitude, je suis plutôt douée pour cerner les gens mais lui, rien. Je fais face à un mur.

Un mur aux lèvres charnues et aux cheveux fous. Un putain de mur vachement sexy avec ses petits cercles en argent et son regard apathique.

Je me rends compte que son air désintéressé est l'une des choses qui renforce sa beauté naturelle. Ce type n'en a rien à foutre de quoique ce soit, en particulier de moi, et il est juste magnifique en le faisant.

— Je ne perdrai pas encore une nouvelle manche, je déclare en reprenant mes esprits. Parce que toi et moi sommes diamétralement opposés et qu'on ne pourra jamais s'entendre.

Angel acquiesce et coupe enfin le contact.

— Au moins, nous sommes d'accord sur cela, confirme-t-il. Tu m'insupportes.
— C'est réciproque, figure-toi ! j'ouvre la portière. Tu sais comment tu es censé te faire pardonner ? En allant au Diable.

Je claque la porte avant de foncer vers l'intérieur du hall. Il a intérêt à éteindre tout ce qu'il faut et à verrouiller ma caisse, sans quoi, sa Porsche adorée connaîtra bien plus qu'une petite rayure à deux cents balles.

Lorsque je rentre dans l'ascenseur, je suis à bout de souffle. Je m'appuie contre la paroi. Ce n'est pas dû à l'alcool. Pour être honnête, j'ai l'impression que toute trace de liqueur a déserté mon système.

Qu'est-ce que j'ai pensé à faire au juste ? Emballer mon insupportable colocataire ?

J'ai passé une superbe soirée avec Logan, je prévois sérieusement de le revoir, et même si nous n'avons pas pu profiter de la finalité attendue, ce n'est pas une raison pour sauter sur tout ce qui bouge. En particulier sur la personne qui m'a empêché de coucher avec mon « cavalier ».

Enfin, je suis peut-être un peu dure avec moi-même. Je ne l'ai pas vraiment emballé. J'ai juste envisagé pendant une micro-seconde de le laisser me toucher. Je me suis reprise tout de suite.

J'ai mis un joker. Ça ne compte plus. Il ne s'est rien passé.

Je déboule dans l'appartement à l'instant précis où Angel atteint la dernière marche. Nos regards se croisent mais je me détourne la première et referme la porte avec précipitation.

J'ignore si ce sont les shots qui reviennent à la vitesse de l'éclair mais je ne réalise pas à quel moment je m'écroule sur le lit. Le plafond tourne dans tous les sens. Je serre les jambes.

Tant d'émotions contradictoires se bousculent dans ma tête qu'elles m'emportent presque avec elles.

Je crois que je suis en train de mourir.

Bientôt, un bruit se fait entendre du côté du repaire d'Angel. Des accords de guitare. Je concentre le peu de conscience qu'il me reste afin d'apaiser mon pouls.

La musique me berce et m'accompagne finalement dans le sommeil. La dernière chose à laquelle j'arrive à penser est la façon dont ma peau s'est enflammée à la simple idée de l'effleurer.

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