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Le fait qu'il ait prononcé mon prénom pour la première fois me fait tourner la tête. Littéralement.

J'essaie de conserver la démarche la plus naturelle possible en le suivant vers la porte en bois. Monsieur Le-Red-Flag-Ambulant la pousse aussi sereinement que s'il faisait ça tous les jours. Je devine donc que ce n'est pas sa première soirée tango ici.

Pourquoi est-ce que Timothy ne m'en a jamais parlé ? Il baisse de plus en plus dans mon estime. Je le relègue dans la case de "simple connaissance" alors qu'il avait atteint celle de "potentiel ami".

La grande salle qui se dévoile à mes yeux me surprend beaucoup. Je pensais qu'il y avait des appartements à cet étage, comme à tous les autres. Pourtant, cet endroit est si grand que j'imagine qu'il occupe une bonne partie du septième. Un petit buffet trône à gauche de l'entrée et j'aperçois les diverses bouteilles à l'instant où nous rentrons.

En constatant qu'Angel m'a surprise en train de baver sur le champagne, je fais comme si de rien n'était et me focalise sur le magnifique parquet en bois clair.

Mi Cielo ! s'exclame une voix féminine à l'accent très prononcé. Oh mais tu nous as ramené ta fameuse colocataire. Elle est toute guapa, tu en as de la chance, dis donc !

Une dame aux cheveux blancs serrés en chignon parfait me prend dans ses bras comme si je la connaissais depuis la nuit des temps. Je resserre maladroitement mon étreinte sur son petit corps, aussi déboussolée que gênée. Vu l'expression vide d'Angel, il ne doit pas être trop d'accord avec le fait "d'avoir de la chance" de partager son appartement avec moi.

L'inconnue finit par me lâcher et contemple mon visage en murmurant des phrases en espagnol. Je souris malgré moi en comprenant qu'elle fait l'éloge de mes cheveux et de mes lèvres "très pulpeuses" selon elle. Lorsqu'elle surprend mon rictus attendri, elle s'écarte puis se tourne vers Angel, émerveillée, comme si j'étais le soleil en personne.

— Elle comprend l'espagnol en plus ! se réjouit-elle.

— Son meilleur ami est mexicain, ironise mon colocataire en me lançant un regard qui aurait pu être taquin si on ne parlait pas du type le moins expressif de la Terre entière.

— C'est merveilleux ! Tu devrais le ramener un de ces jours, poursuit la gentille dame.

Diego, ici ? Beaucoup trop dangereux.

— Bien sûr, je souris à la place.

— Merveilleux ! répète-t-elle. Je suis Madame Herrero, j'habite au cinquième, juste au dessus de votre étage. Mon mari n'a pas pu se libérer ce soir, elle regarde Angel d'un air embêté. Je sais à quel point il avait hâte de te présenter le nouveau tabac qu'il a reçu de Cuba.

Si un jour, par un miracle du ciel, je ramène Diego ici, je suis rassurée de savoir qu'elle est mariée. Cette petite dame est vachement bien conservée pour l'âge qu'elle semble avoir et mon meilleur ami serait parfaitement capable d'essayer de l'emballer.

Mémé ou non.

Je l'ai déjà vu réussir son coup avec la vieille gérante d'un café dans lequel nous nous étions rendus. Elle devait être deux -voire trois- fois plus âgée que nous, pourtant, cet idiot est parvenu à obtenir des gâteaux gratuits. Pour nous deux.

Ce type est terrifiant.

— Ce n'est pas grave Madame Herrero, ce n'est pas perdu, assure le jeune homme debout à côté de moi.

Après quoi, il lui sourit.

Il. Lui. Sourit.

Il n'y a donc qu'à moi qu'il refuse de montrer ses superbes dents blanches. Putain, en fait, heureusement qu'il ne me sourit jamais parce que je commencerais sincèrement à écouter les conseils foireux de Diego.

Notre voisine du cinquième nous laisse pour aller discuter avec d'autres femmes, debout plus loin, près de l'immense baie vitrée de la pièce. Elle offre une vue assez cool sur la petite ruelle d'en-bas, mais aussi sur les lumières un peu plus lointaines de la ville. Cette pièce est à couper le souffle.

Madame Herrero nous a priés de nous mettre à l'aise alors je prends ses mots au pied de la lettre et fonds vers le petit bar improvisé. Ma coupe de champagne se remplit très vite, pour mon plus grand bonheur, toutefois, je sursaute en remarquant la présence de mon colocataire près de moi.

Il pioche dans les cacahuètes sans quitter la bouteille entre mes mains des yeux. Avant qu'il ne puisse faire un commentaire sur mon alcoolisme chronique, je le devance.

— Je pensais que tu ne fumais pas, dis-je. Pourquoi est-ce que le mari de la voisine veut te présenter son "tabac de Cuba" ?

— Je ne fume pas, effectivement, répond calmement Angel. Mais Monsieur Herrero essaie de me convaincre de goûter aux cigares de leur pays depuis bientôt deux mois. Il paraît que ce sont les meilleurs du monde.

Je hausse les épaules.

— Si tu n'es pas prêt à le faire, je veux bien me porter volontaire à ta place, déclaré-je.

— Ça ne m'étonne pas le moins du monde de la part d'une alcoolique dans ton genre, réplique-t-il.

Il fait vraiment de mon amour de la boisson mon seul trait de caractère ? Je bois une généreuse gorgée, histoire de lui donner raison, puis lui présente mon majeur. Angel ouvre la bouche pour riposter, mais les premières notes de la musique le coupent dans son élan.

La seule occasion que j'ai eu pour écouter du tango, c'était dans le film "Moulin Rouge". J'ai été obsédée par "El Tango de Roxanne" pendant des jours. En particulier après être tombée sur une vidéo de patinage artistique où ils virevoltaient sur cette chanson.

Mon pied se met à battre le rythme d'instinct. Diego a raison. Je suis nulle dans bien des domaines, par ailleurs, la musique coule dans mes veines depuis ma naissance. Je capte ce que mon meilleur ami voulait dire par "mesure à deux ou quatre temps" et par le fait de marquer ceux qui sont forts.

La moyenne d'âge des gens de cet immeuble frôle les soixante-dix ans, enfin si on ne compte pas le type aussi âgé que la Bible qui est endormi sur l'une des chaises au fond de la salle. Ou mort. Je l'ai remarqué en observant les petits vieux qui déambulaient dans la pièce.

Pourtant, au moment où ils se rejoignent sur la piste, j'ai l'impression qu'ils rajeunissent d'au moins une dizaine d'années. Je me sers une deuxième coupe de champagne, promettant à la bouteille de vin de revenir pour elle plus tard, puis m'assois sur un siège plus loin. Les rares mamies qui ne se sont pas ruées pour danser s'agglutinent peu à peu autour de moi.

Je commence à paniquer et avale mon champagne d'un trait. Par ailleurs, toute mon angoisse retombe au moment où je vois l'une d'elles se saisir du fameux vin que j'avais remis à plus tard avant de remplir gracieusement ma coupe.

Nous commençons à discuter mots croisés. Je ne vois pas le temps passer. À vrai dire, mon verre trouve toujours un moyen de rester plein. Elles sont plutôt marrantes en fait ces petites vieilles. Elles me rappellent ma grand-mère de qui j'étais très proche, malgré son caractère légèrement tyrannique.

Je termine mon énième coupe quand une rumeur s'élève dans la pièce. Je plisse les yeux, dans l'espoir de réussir à focaliser mon attention sur la scène qui se déroule devant moi. Madame Herrero tire Angel sur la piste en riant aux éclats. À en juger par ses joues un peu rougies, elle doit être aussi pompette que moi.

Pas que j'avoue être pompette mais.., en fait si, je suis pompette. Comme à chaque fois.

Mon colocataire ne repousse pas la voisine. À la place, il pose sa main sur le haut de son dos et la rapproche de lui. Leur position est parfaite, on dirait qu'il a fait ça toute sa putain vie.

Les autres "couples" s'arrêtent pour leur laisser le champ libre. Leurs pas sont précis, grands, majestueux. Madame Herrero est aussi gracieuse qu'une colombe, elle resplendit, comme si elle revivait une seconde jeunesse.

Quant à Angel...

Je sens que j'ai des bouffées de chaleur. Je les mets sur le compte de l'alcool, même si regarder ce type guider une femme avec tant d'assurance me donne envie de tomber dans les pommes. Son regard est rivé sur sa partenaire, il ne la quitte pas des yeux.

À la fin de leur danse, il lui adresse un petit sourire poli, auquel Madame Herrero répond par un clin d'œil.

— Tu n'as définitivement pas perdu la main Mi Cielo, roucoule-t-elle. Mon mari en serait presque jaloux, il a de quoi être inquiet...

Ce "Mi Cielo" qu'elle utilise pour le désigner se traduit littéralement par "paradis". Personnellement, je n'aurais pas choisi ce mot pour le décrire mais chacun son avis. J'imagine qu'elle fait surtout référence au fait qu'il s'appelle Angel.

Les autres petits vieux rentrent à nouveau sur la piste pour danser. On dirait qu'ils ne s'arrêtent jamais. Je fausse compagnie à mes nouvelles amies de la maison de retraite afin d'aller me désaltérer au bar improvisé. La bouteille de vin est terminée et j'avais repéré celle de rhum cachée tout derrière.

Cependant, à l'instant où je m'apprête à l'attraper, un pépé m'invite à danser. J'essaie de refuser aussi gentiment que possible mais il ne m'écoute pas vraiment. Je lui assure que je ne sais pas danser, ce par quoi il répond que ce n'est pas bien difficile.

Bien sûr, j'ai menti.

Il m'a suffi de les observer deux ou trois fois pour capter la technique. Histoire de soutenir mon mensonge, je fais mine de rater quelques pas. Le petit vieux me sourit à chaque fois, m'assurant que ce n'est pas grave. Finalement, sa gentillesse a raison de moi. Je décide d'arrêter ma comédie.

C'est super bien ce truc, en fait !

Je ne sais pas si c'est l'alcool qui parle mais je m'éclate comme une folle. Je change de partenaires trois fois. J'entends quelques gentilles mamies s'extasier sur ma capacité aussi rapide d'apprentissage et souris durant les trois morceaux qui suivent.

Puis je me retrouve face à une chemise blanche qui me fait perdre tous mes moyens. Angel me dévisage plusieurs fois, l'expression neutre.

— Peut-être que finalement, tu n'es pas bonne qu'à boire comme un trou, lâche-t-il.

Le vin et le champagne me donnent beaucoup trop de confiance. Je le sais déjà. Pourtant, ma stupidité une fois bourrée m'étonne tous les jours.

— Tu relèves le défi, je lui tends la main, ou est-ce que tu te dégonfles, ma voix se fait plus basse, Monsieur De Los Santos..?

Mon colocataire fixe mes doigts et finit par les accepter. Au même moment, un nouveau tempo retentit. D'un geste vif, Angel me rapproche de son torse. J'arrête de respirer, puis me rends compte du ridicule de mon acte et pose ma main sur son épaule, l'air aussi assuré que je peux le prétendre.

Il guide la danse, m'imposant des pas longs, complexes pour la plupart. Comme s'il me testait. Non, Monsieur me défie. Très bien, j'ai toujours adoré les défis.

Je glisse ma main sur sa poitrine, le devançant dans son prochain enchaînement. Je souris instinctivement quand il est obligé de se calquer sur ma cadence pour ne pas perdre le rythme. C'est moi qui mène la danse dorénavant.

J'ai l'impression que ça fait une éternité que nous sommes ici, que plus rien n'existe à part lui, moi et ma volonté de le surpasser sur son propre terrain de jeu. Les derniers accords retentissent. La musique touche à sa fin. J'ai gagné cette manche.

Du moins, je le pensais jusqu'à ce qu'il me fasse tournoyer -rien de bien méchant-, qu'il rapproche mon bassin du sien, qu'il me fasse basculer en arrière et qu'il me ramène contre son torse au moment où les derniers instruments s'éteignent.

Je suis à bout de souffle, abasourdie qu'il ait repris l'ascendant aussi vite et aussi brusquement. Ce n'est qu'après que je remarque la proximité entre nous. Cette fois-ci, aucun doute. Angel sourit. Un petit sourire, à peine perceptible, mais qui renferme plus de malice que je ne le croyais possible chez ce type.

— Tu ne m'auras pas aujourd'hui, Sativa Henson, souffle-t-il en me lâchant.

Je me fais violence pour ne pas frémir à nouveau. C'est la première fois que nos yeux s'accrochent aussi longtemps. Ce bâtard est une bombe sexuelle. Un putain de rêve éveillé. Un fantasme qui prend vie.

Mes nouvelles meilleures mamies viennent me féliciter, m'assurant que je devrais venir avec elles tous les jours. Je me contente de hocher la tête, encore un peu bouleversée par ma danse avec le Diable personnifié. Ce dernier est en train de se servir une première coupe de champagne. Je sais pertinemment qu'il sait que je le fixe, mais comme d'habitude, il ne daigne pas me regarder en retour.

J'attends qu'il dégage de près de mon bar pour aller chercher la fameuse bouteille de rhum qui m'attend depuis bien trop longtemps à présent.

Il a gagné cette bataille mais il ne gagnera pas la guerre. J'en fais mon affaire personnelle.







Lorsque nous redescendons au quatrième, je suis obligée de m'appuyer sur les parois de l'ascenseur pour ne pas tomber à la renverse. Je sens le regard investigateur de cet enfoiré sur moi.

— Ose prononcer un mot et je t'enverrai rencontrer ceux dont tu portes le prénom, grincé-je. Quoique, vu ton tempérament très accueillant, je doute que tu atterrisses chez les anges. Tu dois être aussi aimable que les portes de l'Enfer. 

Angel ricane.

— Je trouverai peut-être ta dignité là-bas.

À notre grande surprise, je pouffe face à cette pique inattendue.

— Monsieur sort les dents à ce que je vois, roucoulé-je. Finalement, je préférais quand tu étais muet.

Comme pour honorer mes paroles, il ne répond rien. Je le prends pour une victoire et ferme les yeux tandis que la cabine se dirige vers notre étage. Le tintement caractéristique de l'ouverture des portes me fait sursauter. Le temps que je sorte de cet ascenseur, Angel est déjà devant l'entrée. Il tourne la clé dans la serrure sans même vérifier que je le suis.

Dans mon état, j'aurais très bien pu me rétamer la gueule et m'ouvrir le crâne. Mais Monsieur De Los Santos n'en a visiblement rien à branler.

Je parie qu'il s'en fout de la faim dans le monde et qu'il pense comme Donald Trump, que le réchauffement climatique est l'invention des chinois. Je parie aussi que s'il était blanc et américain, il aurait été raciste.

Je dérive toujours beaucoup trop avec l'alcool.

Il a déjà déserté le salon quand je me laisse tomber sur le canapé. J'imagine qu'il a atteint son quota journalier de mots.

Connard.

Je me démène avec mes chaussures pendant une éternité. Mine de rien, elles sont vachement serrées à la cheville. Le rhum ne me facilite pas la tâche. C'était le verre de trop, je crois.

Rien n'y fait, je donne mon âme, mon corps et mon esprit mais elles refusent de sortir. Mes orteils sont pris en otage.

Je m'étends sur le dos, épuisée, résignée à mourir avec ces stupides bottes aux pieds.

— Tu n'es vraiment bonne à rien toi, s'exclame une voix qui me fait soupirer.

Pour seule réponse, je lui grogne la première insulte en espagnol qui me vient à l'esprit.

"Hijo de puta".

Simple mais efficace. Angel ne prend pas la peine d'y répondre. Il s'agenouille devant moi.

Je me frotte les yeux, histoire d'être sûre de ne pas rêver. À coup sûr, il va me sauter au cou avec son agilité de loup-garou avant de me vider de mon sang.

Non, ça c'est les vampires. Putain, j'ai l'esprit en vrac.

Les doigts d'Angel se referment sur ma jambe et la posent sur son genou. Il a retiré sa chemise pour enfiler un débardeur. Ses tatouages me fascinent. Du moins, je préfère me focaliser sur eux pour éviter de comprendre ce qui arrive à l'instant.

Il joue quelques secondes avec la bottine afin qu'elle glisse le long de ma cheville. Sous mon regard aussi ébahi que tétanisé, il parvient à retirer mes deux chaussures en un temps record.

Angel les pose à côté de moi puis se relève, impassible.

Ok, donc je suis vraiment la seule idiote à avoir chaud ou quoi ?

En plus, à cause de mon choix vestimentaire -une jupe patineuse, rappelons-le-, la moitié de mes jambes est nue. J'ai ressenti un frisson remonter jusqu'au creux de mes reins.

Je suis une putain de fille en chaleur et je l'avoue volontiers en constatant que ses cheveux ne sont plus attachés en chignon bas. Ils retombent en désordre sur ses yeux.

Monsieur De Los Santos est silencieux, aussi expressif qu'une tombe, désagréable, suffisant à souhait, mais putain, qu'est-ce qu'il est beau.

Il faut que je le pousse sous un camion, autrement, je crois que je finirai par lui sauter dessus lors d'un énième jour où j'ai trop bu.

— Tu as l'habitude de faire ça ? je demande, pour palier à la chaleur démoniaque qui envahit mon bas-ventre. D'enlever les chaussures des gens ? Ça semblait très naturelle cette technique pour les retirer. Tu as travaillé dans un magasin de sport ?

Pour la deuxième fois de la soirée, il soutient mon regard.

— Un stage de trois semaines chez Foot Locker, m'informe-t-il, pince-sans-rire.
Je fronce les sourcils.
— T'es sérieux ?

— Aussi sérieux que je peux l'être face à une fille qui a presque un gramme d'alcool dans le sang.

— Un gramme, c'est largement abusé ! protesté-je.
— Mets-toi debout pour me prouver le contraire alors.

Je le dévisage un long moment puis lui fais un doigt d'honneur. Je sais pertinemment que je n'arriverai jamais à me lever. Je me défile juste de la façon la plus digne possible.

Les lèvres pleines -oui, parce que je n'ai jamais précisé qu'il avait une bouche magnifique- d'Angel se retroussent dans ce qui ressemble vachement à un sourire.

— C'est bien ce que je pensais, raille mon colocataire. Si tu passes la nuit sur le canapé, tâche de ne pas vomir dessus l'Alcoolique.

Ce surnom me fait bougonner mais il a déjà claqué la porte de sa chambre. Le bruit me fracasse les tympans et je me bouche les oreilles en grimaçant.

C'était une tentative préméditée de meurtre, j'en mettrais ma main à couper !

Je hais ce type. Je le hais de tout mon cœur, même si malheureusement, mon entrejambe commence à vouloir le vénérer tel un Dieu grec.

Et j'ai remarqué que ma raison ne faisait jamais le poids face à ma libido déplacée. Jamais.

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