- Wow... C'était intense ! s'exclame Ellie.
- J'ai l'impression de me réveiller après un cauchemar, grimace Lina.
- C'était L'EN-FER, se plaint Denise en sortant une clope.

À ce geste, Ellie regarde intensément Marco mais il n'a pas du tout l'air troublé : elle l'a clairement sauvé on dirait. Bon, ça ne fait que deux jours qu'il n'y touche plus, mais quand même.
Denise tend son paquet à Lina, mais elle aussi refuse, un peu plus à contrecœur cependant.

- Franchement, c'était grave facile ! lance Alex d'un ton serein.
- J'irai pas jusque là... Mais ça passait, je réponds.

D'un coup, une tornade nous rejoint et saute sur Alex, le renversant presque.

- Tu m'avais manqué toi !
- Salut Jess... lâche t-il, un peu écrasé.
- Salut ? Ça fait une heure qu'on s'est pas vus, et tu me dis salut ?

Alex lève le yeux au ciel, mais Jessica rit pour lui faire comprendre que c'était une blague.
Alors qu'on se dirigeait vers la sortie, elle demande :

- Au fait, tout le monde vient au bal, ce soir ?
- Ah merde j'avais zappé ! s'exclame Marco.
- Eh bah tu viens quand même !
- Mouais... c'est un peu nul nan ?
- Pas grave ! réponds Denise. C'est l'occas de revoir tous les troisièmes avant le lycée !
- Ouais, mais on a encore deux semaines de cours après hein...
- Bah ouais, mais vas y mec, juste pour le fun ! tente Alex.
- Bon, ok... tu viens, Sasha ?
- Ouais ! Tu viens, Ellie ? je demande, l'air de rien.
- Oui, sourit-elle adorablement, je viens.
- Cool ! Bon, on se rejoint direct devant le collège, hein ? demande Jessica.
- Ça marche, répond Lina pour nous tous.

Alors que tout le monde commence à partir, Ellie me tapote l'épaule et me demande :

- Hé, Sasha... ça te dit qu'on y aille ensemble ? 'fin en même temps quoi...

Est ce que ce serait exagéré de dire que c'est le plus bel instant de ma vie ? Peut-être.
Mais à ce moment, ça ne me semble pas si absurde.

Ellie est légèrement rouge, un peu gênée, c'est juste beaucoup trop mignon.

- Bien sûr ! je réponds, un peu trop vite et un peu trop fort. On se rejoint où ?
- Vers la mairie, ça te va ?
- C'est parfait, souris-je bêtement.
- Alors, à tout à l'heure !
- À toute, je lance tandis qu'elle s'éloigne.

Et je reste là, un sourire béat et un regard rêveur scotchés au visage. Ce n'est que quand je réalise que je suis parfaitement ridicule, debout en plein milieu du passage comme un poteau, que je me décide à me bouger.

_

Ça y est, c'est maintenant. Ça fait une heure déjà que j'ai mis ma tenue, coiffé mes cheveux, tout est prêt, mais je stresse comme pas possible.

J'ai pas l'habitude de m'habiller comme ça.

C'est pas... Enfin, pas assez... Nan, trop... Trop... Trop chic, trop serré, trop apprêté, on dirait un déguisement ! C'est pas moi, ça... C'est pas moi...
Mais j'ai beau me répéter que c'est uniquement pour Ellie que je m'habille comme ça, en fait, j'aime bien.

Bizarre, moi ? Mais pas du tout... Incompréhensible, plutôt.

Je me lève, vérifie dans le miroir. Tout va bien.
Je replace une mèche de cheveux, et pars. Chaque pas est une angoisse. Chaque pas est un nouveau stress. À chaque pas, j'appréhende un peu plus.
Pourtant, à chaque pas, mon sourire s'élargit un peu plus.

- Sasha ?

Je me retourne d'un seul coup ; c'est elle. Je n'avais même pas remarqué que j'étais déjà à la mairie.

- Ellie, je lâche du bout des lèvres.

Elle est magnifique. Tout simplement. Elle était déjà tellement parfaite que je ne savais pas que c'était possible de faire mieux !
Eh bien, l'impossible est devant mes yeux : elle est sublime.

Elle a laissé onduler ses cheveux blonds sur ses épaules nues, et sa robe bustier rose vaporeuse lui donne un air angélique. Elle est plus belle que jamais.

Ellie me regarde, surprise, et lâche du bout des lèvres :

- Tu... Tu es magnifique, Sasha.

Ces mots, déjà plaisants, venant d'elle me font l'effet de planer.
C'est comme prendre de la drogue, mais sans effets néfastes.

- Toi encore plus, je murmure.

Et là, alors que je suis à l'apogée de mon bonheur, une voix sifflante et désagréable me chuchote dans ma tête :

<< C'est ton amie, Sasha. Elle ne ressent que de l'amitié pour toi. >>

Ces mots me font l'effet d'un couteau planté dans le cœur. Car j'ai beau espérer, au fond, tout au fond de moi, je sais que cette voix a raison.

Et bordel, qu'est ce que ça fait mal de l'admettre.

_

Durant le trajet, on a été un peu timides, puis au bout de quelques secondes on a reparlé comme d'habitude. Normal qu'elle ait eu du mal à s'en remettre, elle était étonnée de me voir dans ce genre de tenue... Moi, c'est de me rendre compte à quel point je l'aime qui m'a étonné.

- Ouaaah ! Tellement classe, Sasha ! me lance Marco en me checkant.
- Haha, merci ! Toi aussi t'es bg, je lui lance dans un clin d'oeil. Oh, salut Jess ! Super stylée !
- Merci mais waw ! Toi encore plus ! me répond t-elle, puis elle marque une pause, et reprend. Toi aussi, Ellie !

Ellie lui sourit à pleines dents pour toute réponse. Voir qu'elle ne la déteste plus me fait moi aussi sourire...
C'est alors que Denise, Lina et Alex arrivent, et on se dirige vers le collège. J'entends Jessica murmurer à Alex "je peux savoir pourquoi t'es venu avec deux filles qui ne sont pas moi ?", ce qui fait lever les yeux au ciel à Lina et me fait sourire.

- Waaah... Ils se sont chauffés pour la déco de la salle ! s'émerveille Denise.

On dirait une vraie salle de bal ! J'avoue que pour une fois, ils ont assuré. Je ne savais pas qu'ils avaient autant de budget...

La soirée commence, doucement. Je saisis la moindre occasion pour vider le buffet mais surtout, comme ce sont des élèves qui s'occupent de la musique, il y a vraiment de l'ambiance.
Mais je vois bien que malgré la bonne ambiance, quelque chose dérange Ellie. Elle ne dit rien, et ça se voit qu'elle n'est pas à l'aise. Alors je me penche vers elle, et lui demande :

- Ellie, ça va ?
- Je... Euh... C'est pas contre eux, me chuchote t-elle mais je ne me sens pas trop à l'aise avec tes amis... 'fin je sens que si je reste avec eux deux minutes ça ne les dérange pas mais que plus je deviens un peu pesante quoi. T'inquiète pas, si tu veux rester avec eux y'a pas de soucis ! Je ne vais quand même pas t'obliger à rester avec moi, mais j'espère que ça ne te dérange pas si je m'éloigne...

Alors dans un soudain élan de confiance, je leur lance en coupant leur conversation :

- Hé les gens, ça vous dirait d'aller danser ?

Ils se regardent, s'interrogeant silencieusement, puis Alex répond pour tout le monde :

- Aller !

Et ils se lèvent pour rejoindre la piste. Je souris à Ellie en signe de victoire, et elle me répond par un large sourire sincère.

Au bout d'une dizaine de minutes, une musique de slow passe. On entend Jessica dire à Alex :

- Mon très cher Alexandre, me feriez vous l'honneur d'une danse ?
- Mais avec plaisir très chère Jessica, lui répond t-il sur le même ton.

Je vois Marco proposer de la même façon une danse à Denise et à Lina (il perd pas de temps, lui...) et je me tourne avec un sourire en coin vers Ellie. Celle ci me fait une révérence exagérée et me demande, un peu rougissante :

- Auriez vous l'obligeance de m'accorder cette danse, Sasha ? En toute amitié, bien sûr !
- Mais avec plaisir, dis je en prenant le ton le plus joyeux possible.

<< Tu vois ? C'est ton amie, et rien de plus. Il n'y aura jamais rien de plus. >>

J'essaie d'ignorer cette voix mais cette fois ci, je ne peux pas.
En toute amitié, bien sûr ! Cette voix résonne dans ma tête, comme une sentence, un coup de couteau planté dans le cœur.
En toute amitié, bien sûr ! Je n'arrive pas à oublier cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête...
En toute amitié, bien sûr ! J'essaie de me réconforter en me disant que c'est une fille, rien de plus, ce n'est pas si grave, mais c'est si faux...
En toute amitié, bien sûr ! Bordel ressaisis toi, Sasha ! Je danse avec elle ! Contre elle ! Je devrais exploser de joie !
En toute amitié, bien sûr ! Et pourtant, je le savais. Je l'avais toujours dit, que nous deux, ce serait impossible.

Parce que nous sommes nous. Sasha et Ellie.

_

Au bout d'un moment, peut-être une heure ou dix minutes, qui sait, on décide de s'arrêter de danser, tant la fatigue nous avait gagné. Après le slow, les musiques d'ambiance avaient repris et on n'en pouvait tout simplement plus.
On sort alors sur la terrasse - qui est en fait une plateforme avec un escalier extérieur de secours, mais aménagé en terrasse pour l'occasion avec quelques chaises - et on s'assoit, pour décompresser.
Au bout de quelques instants, je vois Ellie sourire. Je lui demande doucement, espérant ne pas la déranger dans ses pensées :

- Qu'est ce qu'il y a ?

Elle tourne lentement la tête vers moi. La lumière de la lune fait ressortir son fard à paupières rosé, et même si je la préfère au naturel, elle en reste magnifique.

- Je sais pas si t'as vu, mais il va y avoir un feu d'artifice.
- Sérieux ?
- Ouais. Et ce qui est cool, c'est qu'en voulant s'éloigner des autres, on aura la meilleure vue, rit-elle en regardant le ciel.

Et soudain, sans vraiment savoir pourquoi, peut-être parce que je l'avais toujours voulu et que cet instant est magnifique, je lui prends la main, délicatement. Elle paraît un peu surprise, mais ne la retire pas. Alors je plante mon regard dans le sien, j'esquisse un demi sourire et je lui dis :

- Tu sais, Ellie, ça fait pas beaucoup de temps qu'on se connait vraiment, mais je voulais te dire que...

<< En toute amitié, bien sûr ! >>

Immédiatement, cette phrase me parcourt tout le corps sous la forme d'un frisson désagréable.

C'est juste mon amie.
Et rien de plus.

Ce serait tellement égoïste de gâcher une si belle amitié comme ça !

Alors j'essaie de ne rien laisser paraître, et continue :

- ... que t'avoir comme amie, c'est vraiment un bonheur inégalable. Ça peut paraître idiot, dit comme ça, mais tu m'apportes vraiment quelque chose et... Heureusement que tu es là.

Je finis par un sourire que j'espère le plus sincère possible. Elle sourit encore plus largement et ouvre la bouche pour commencer sa phrase, mais est interrompue par un bruit assourdissant.

- Regarde, Sasha ! me crie t-elle en pointant le ciel du doigt. Le feu d'artifice a commencé !

On se lève simultanément, et on s'accoude à la barrière pour mieux voir. C'est magique. Tout est magique. Ce feu, cette soirée, cette fille, tout. J'en profite comme si c'était mes derniers instants.

Et quelque part, ce sont mes derniers instants. Les derniers instants d'une vie, avant de passer à une autre.
Car au bout de quelques dizaines de secondes, peut-être même une minute, Ellie se tourne vers moi.

Elle n'a rien besoin de dire ; ses yeux parlent pour elle. Ils pétillent de joie, et soudain, ses paupières se baissent légèrement et son visage s'avance, doucement.
Alors je rapproche le mien également, et sans m'y attendre, mes lèvres se retrouvent contre les siennes.

Cet instant ne dura qu'une demi seconde, pourtant il fut tellement beau que je ne réalise même pas ce qu'il s'est passé.
À cet instant, la voix essaie de me dire à nouveau quelque chose, mais mon bonheur est trop important pour qu'elle ne puisse l'atténuer. C'est au contraire une voix douce et chaude qui me murmure une phrase si simple mais tellement plus belle que n'importe quelle autre :

<< Elle t'aime. >>

Alors sans hésiter, je glisse ma main sur sa nuque et l'embrasse à nouveau, plus fort, plus longtemps, priant pour que cet instant ne dure éternellement.
Tous mes problèmes, mes questions, mes peurs, tous mes ennuis, tout s'envole lorsque je suis avec elle.

C'est fou, l'amour. Un peu flippant, aussi.

Mais soudain, alors que tout allait si bien, alors que mon bonheur était complet, soudain, elle se raidit, ouvre grand les yeux, et se dégage de moi en un geste brusque.
Je l'interroge du regard ; que pourrais je faire de plus ? Elle me regarde l'air choqué, comme si je venais de commettre un meurtre, alors qu'elle m'embrassait la seconde précédente.
Cet échange de regard, d'incompréhension, me pèse énormément, jusqu'à ce qu'elle murmure la voix vrillante et les yeux brillants :

- Sasha...

Et d'un coup, elle court. Si vite, que bientôt elle disparaît dans la foule sans que je ne puisse rien faire, mon corps paralysé de stupéfaction.
Et seulement à cet instant, je cours moi aussi.
Je ne me maudis pas, je ne me plains pas, car je ne comprends pas. Une seule question, une torture, tourne en boucle dans ma tête, sans que je ne trouve de réponse : Qu'est ce que j'ai fait ?
Je cours à travers la foule, évitant les gens, zigzaguant entre les chaises, mais je ne la vois plus. Je vis cependant Marco, qui me demande :

- Oh, Sasha ! T'étais passé où ? On se disait avec...
- Déso mec, j'ai vraiment pas le temps,  mais s'teuplait t'aurais pas vu Ellie ?
- Euh... nan, pourquoi ?

Je lui lance un regard désolé et repart immédiatement à l'aveuglette chercher Ellie.
Je cours, slalome entre les gens, mais ne la trouve toujours pas.

- Bah, pourquoi tu cours comme ça ?

Je me retourne : Lina. Sans prendre le temps de lui répondre, je lui lance :

- T'aurais pas vu Ellie ?
- Euh si, elle est passée par là !

J'aurais voulu la bénir sur place mais je n'avais pas le temps, donc je lui dit juste :

- Merciii !

Et je cours, encore et encore, jusqu'à ce qu'au loin, presque à la sortie, je la vois, sa robe volant au rythme de ses pas.

- Ellie ! je crie, à bout de souffle.

Elle se retourne, essoufflée et désespérée ; ses joues sont trempées de larmes salées. Elle veut s'enfuir, mais je l'attrape par le poignet et elle ne cherche pas à se débattre.
Au bord des larmes d'un mélange de joie, de tristesse, de fatigue et d'incompréhension, je lui souffle :

- Pourquoi, Ellie ? Pourquoi ? Qu'est ce que j'ai fait ?
- Ce... c'est pas toi, Sasha, pleure t-elle. C'est... c'est moi... je gâche toujours tout...
- Qu'est ce que tu racontes ? T' as rien gâché, Ellie ! Ça... nous... j'en rêvais autant que toi, et même peut-être plus ! Je... je t'aime, Ellie.

Wow. Ça y est, je l'ai dit.
Elle s'illumine, mais pleure de plus belle juste après.

- Mais tu ne comprends pas ! sanglote t-elle. C'est pas toi... c'est pas moi... c'est nous. Ça marchera jamais, nous deux.
- Mais pourquoi ? je demande, une maudite larme coulant le long de ma joue. On s'aime, Ellie. Ça suffit, non ?
- Non, souffle t-elle. Ça ne suffit pas. Pour moi, ça pourrait, mais toi ? Qu'en pensera ta famille ? Tes amis ? Tes potes, tu penses qu'ils m'accepteraient ?
- Ils t'ont déjà acceptée, Ellie...
- Moi, oui. Mais nous, non.
- Mais... ils pourraient... enfin... je pense, finis je en pleurant à chaudes larmes.
- Je ne suis pas sûre... et tes parents ?
- Mes parents, oui. Ça leur ferait bizarre, mais ils s'y feraient. Et ta mère ?
- Je... ouais. Ma mère... sait déjà que je t'aime, finit-elle en souriant.

Je rougis légèrement, et souris. Mais soudain, son sourire disparait, des larmes coulent à nouveau, et elle tente de repartir.

- Ellie, reste ! je la supplie en l'attrapant, mais elle se débat en pleurant.
- Non, Sasha, on ne peut pas ! C'est tout ! réplique t-elle en bégayant.
- Mais pourquoi, Ellie, pourquoi ?

Elle s'arrête net dans son élan, et plante ses yeux dans les miens. Elle me regarde intensément, et dans un souffle de désespoir, elle me crie cette phrase qui me transperce de douleur :

- Mais parce que tu es une fille, Sasha !