7.2 - Le chêne blanc : chapitre 4 -


Je peux enfin expulser l'air que je retenais dans mes poumons. Une lassitude m'envahit quand je réalise que la personne vers qui il s'en va rendre des comptes, n'est autre que mon frère aîné. Je vais encore passer un sale quart d'heure. Heureusement que Père est là pour faire le tampon.

Lorsqu'il disparaît enfin de ma vue, les personnes s'animent à nouveau autour de moi.

Affolées, elles m'observent avec compassion. José qui vient de se relever s'adresse à moi d'un air désolé.

— Mam'zelle Lithia, y fallait pas vous donner tout ce mal pour moi. C'est ma faute. J'aurais dû être plus rapide, marmonne-t-il, la tête baissée.

Je remarque qu'à cet instant, faire des mouvements lui arrache des grimaces de douleur. Je me déplace jusque dans son dos et soulève sa chemise rêche. Certaines parties collent encore sur des plaies non cicatrisées. Dégoutée, je détourne les yeux et lui demande :

— Quand ?

— Il y a trois jours, mam'zelle Lithia. Je suis passée voir Liz avant de mettre le coton en balle. Macoy s'en est rendu compte et il est venu me chercher.

— Il aurait osé te frapper sur des plaies encore à vif ! m'indigné-je. Je vais dire à Nanny de préparer une pommade que tu appliqueras matin et soir. Elle atténuera la douleur et tu cicatriseras plus vite. Passe la prendre dès que tu as un moment.

Il hoche sa tête tristement, puis se détourne pour prendre la route des champs. Toute sa peine s'abat sur mes propres épaules et une colère noire enflamme jusqu'à la totalité de mon être. J'ai besoin de l'évacuer et serre les poings de frustration.

À regret, je m'éloigne en prenant la direction de la maison.

J'ai besoin de chasser tous ces ressentis malsains qui empoisonnent mon corps et mon esprit avant de faire face à mon frère. Mais je n'ai aucun moyen de les évacuer.

Une fois dans ma chambre, je tourne en rond, rageuse des évènements que je ressasse dans mon esprit.

Quels moyens ai-je en ma possession pour y faire face ?

Je dois me calmer et réfléchir à toutes les possibilités. Je dois être sûre de moi lorsque je serais confrontée à mon frère, à ce régisseur, et tout ça : devant mon père !

Je fais le tour de mon lit et pose mes yeux sur ma boîte à trésors.

Dedans, j'ai accumulé quelques objets qui me sont les plus précieux. Lentement, comme une relique sacrée, je la saisis avec délicatesse et m'assois sur le bord de mon lit. Je laisse mes doigts glisser sur le bois foncé et suivre avec la pulpe les dessins gravés.

Je l'ouvre tout en soupirant, sachant à l'avance les souvenirs qui vont en ressortir.

Du regard, je frôle le sachet de soie qui contient la bague que mon père a offert à ma mère en lui déclarant ses sentiments. Elle me l'a donné peu avant de mourir, me faisant promettre de prendre soin de l'enfant à venir. Ce jour-là, je lui ai fait une seconde promesse, plus dure à tenir...

Juste à côté, se trouve la pierre translucide que m'a donnée Justine, un jour où nous nous amusions au bord de la rivière. Persuadée que c'était un diamant, elle a échafaudé des plans sur une vie majestueuse face à la découverte de cette richesse, m'incluant dans ses rêves. Toute la journée, nous avons planifié notre futur jusqu'au moment de la désillusion lorsque mon frère William, avec ses connaissances, nous a expliqué qu'il s'agissait d'une vulgaire silice. Justine me l'a tendu et avec un sourire, me l'a offerte en me disant de ne jamais oublier mes rêves. Ce simple morceau de pierre, fabriqué et poli par la rivière pendant tant d'années, porte à lui seul tellement d'espoirs. L'admirer me permet de tenir le coup lorsque l'adversité s'acharne.

Une fine mèche de cheveux de mon père. Une partie de lui est ainsi toujours présente quand il part dans ses longs déplacements.

Et enfin, mon dernier trésor récemment acquis : une fleur de jasmin.

Pourquoi a-t-elle rejoint ma boîte ?

Je ne saurais l'expliquer.

Est-ce parce qu'elle représente l'inconnu et ce mystère qui l'entoure ou simplement parce que ce regard noir, qui a su me transpercer, ne me quitte pas ?

Sa façon d'être, bien que particulière, tranche avec toutes les personnes qui gravitent autour de moi...

Calée dans le creux de ma paume, je la porte à mon nez pour respirer les arômes qui s'en dégagent tout en avançant lentement vers la fenêtre que j'ouvre en grand afin d'apprécier la vue qui s'étale devant moi.

Non loin de mon chêne blanc, des mouvements captent mon attention.

Je me rapproche un peu plus de l'ouverture, prête à me pencher afin de raccourcir ma vue et tente de décrypter cette vision qui s'impose à moi. Ce cher étranger se tient à l'ombre de mon chêne blanc et s'active ardemment.

Il semble s'entraîner à l'épée sous la direction de son domestique. Je suppose, à ce moment-là, que cette aide ne se cantonne pas à juste le servir ?

Même si de là où je suis, je ne peux cerner les détails, j'apprécie les gestes et les postures qu'il enchaîne les unes après les autres. Majestueux, rien ne semble le déstabiliser.

Simplement habillé d'une tenue noire, ses longs cheveux, en partie retenus en queue de cheval sur le haut de son crâne, suivent les mouvements qu'il s'impose.

Malgré toute la rigueur qui dirige son corps, il semble voler, apprivoisant l'espace, domptant jusqu'à l'air qui l'entoure.

Mes yeux ne peuvent se détacher de cet enivrant spectacle et je me perds lentement dans cette contemplation.

Il saute et effectue un demi-tour sur lui-même avant de retomber sur ses pieds, bien ancrés dans le sol, le bras tendu devant lui, ferme, dont sa lame en termine la prolongation.

Le souffle coupé, je n'ose bouger, incapable de dévier mon regard de son dos.

Après quelques secondes sans bouger, son corps tout entier se détend. Il lance négligemment son arme à son aide avant de se retourner et de regarder dans ma direction.

Surprise et loin de m'imaginer être découverte en train de le détailler, je sursaute, recule et me cache derrière le rideau.

Je maudis mon manque de réflexe et assassine mentalement ma négligence.

Je retourne vers ma boite et y dépose ma fleur avant qu'elle ne pâtisse de mes sursauts d'émotions.

Lorsque je reviens prudemment vers la fenêtre, ils ne sont plus là.

Comment ont-ils fait pour disparaître aussi vite ?

Puis, comme si la brume magique d'un rêve venait de se dissiper, les problèmes que j'avais pendant quelques secondes oubliées, reviennent à la charge.

Je soupire de frustration et m'ordonne de prendre une décision. Je dois aller voir mon père et discuter avec lui. Je dois connaître son opinion afin d'opter pour une stratégie efficace.

Je ne dois compter que sur moi-même !

Forte de mes convictions, je descends avec précaution jusqu'à son bureau.

Face à cette double porte, je rassemble toutes mes forces et m'apprête à toquer quand la voix de mon frère aîné résonne derrière celle-ci. Ma main se stoppe net lorsque je reconnais le prénom de mon petit frère prononcé avec vigueur.

Que manigance-t-il encore ?

Autant apeurée qu'intriguée, je reste immobile et tends l'oreille.

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