6.1 - Juillet 1869 -


Lithia posa sa plume et se frotta les paupières. La nuit avait pris possession du ciel depuis longtemps et le simple éclairage des bougies lui fatiguait les yeux.

Cela faisait un mois qu'ils avaient débarqué dans ce pays et elle s'estimait chanceuse. Grâce à Charles qui les avait orientés vers une auberge tranquille, ils avaient pu s'installer avec rapidité et sécurité. Le couple en charge était âgé, mais avec une force et une vitalité qui auraient rendu jaloux bon nombre des aïeuls de Lithia qui n'avaient eu de cesse de se plaindre des méfaits de la vieillesse.

Ces braves gens ne s'apitoyaient jamais sur leur sort et s'activaient toute la journée. Bien au contraire, ils priaient et remerciaient les dieux de leur donner autant de vitalité. Ils étaient heureux de les accueillir et les premières conversations se déroulèrent par l'entremise de Charles.

Ils avaient dû trouver leur rythme et souvent, Lithia communiquaient avec eux en se rappelant les quelques mots appris par Jin-Soo ou par de simples signes bien plus explicites. Ces situations avaient le don de déclencher chez Li-on de nombreux fou-rire rien qu'en observant sa mère tenter de se débrouiller.

Elle se laissa aller à un peu de rêveries et son regard se perdit dans cette pièce unique qui leur servait autant de chambre que de salon ou de pièce à vivre. Les meubles étaient rares et organisés afin de prendre peu d'espace. La table basse sur laquelle elle écrivait servait aussi lorsqu'ils prenaient leur repas ou les activités d'écritures de Li-on. Les coffres se suivaient le long du mur, et à l'intérieur, étaient toutes les affaires qu'ils possédaient. Le vieux couple leur avaient fourni un ensemble de couettes qui leur servaient de lit et de couverture, une fois étalées à même le sol.

C'était là qu'ils dormaient tous les trois. Elle posa sa plume et prit la bougie une fois debout. Les jambes engourdies d'être restée si longtemps assise en tailleur, elle fit quelques pas vers ses petits êtres endormis et les couva du regard, le cœur débordant d'amour, puis sortit sans faire de bruit.

La porte refermée, elle resta quelques secondes sur le pas et lança un regard à la ronde.

Tout était tellement différent. Jusqu'à l'air ambiant.

Et pourtant, elle se sentait tellement mieux ici. Elle inspira et relâcha l'air avec une soudaine sérénité face à son avenir. Elle fit deux pas sur la terrasse de bois et s'assit sur le rebord de celle-ci et de la première marche, puis leva les yeux vers la lune et ne put s'empêcher de penser à lui. À toutes les fois où cet astre fut le témoin de leur amour, de ces instants volés à sa propre vie. Très souvent, elle le retrouvait, près du chêne blanc.

Elle ressentit du mouvement dans son dos et se retourna. Elle ne l'avait pas entendu arriver. À chaque fois, elle était surprise par l'agilité silencieuse de ce couple âgé. La femme, qui se prénommait "Yoon", s'installa à côté d'elle et lui tendit une tasse de thé. Lithia lui sourit et la prit chaleureusement dans ses mains.

Depuis leur arrivée, Judd fut celui qui eut le plus de mal à s'intégrer en dehors de l'auberge. Sa couleur de peau questionnait et intriguait. Il préférait, dans l'immédiat et ce, jusqu'à ce que les gens environnants s'habituent à lui, rester ici. Il aidait Yoon et Shin et ceux-ci le vénérait comme un messie. Tous les travaux importants, il les prenait en charge. Cette fatigue physique lui évitait de se poser trop de questions. Il prenait cela pour une bénédiction.

Demain, Li-on commençait l'école. École était un bien grand mot, c'était un homme fort gentil, un érudit, comme on les appelait par ici. Il délivrait son savoir à ces enfants qui n'auraient pas dû en avoir et les parents, en retour, le payaient en riz, poulet ou légumes. Parfois du vin ou des objets de décoration qu'il revendait. Voilà comment il vivait. Il semblait tellement heureux. Lithia l'enviait de jouir avec bonheur de cette simplicité. Elle savait tout cela grâce à Charles qui avait servi d'intermédiaire entre eux deux. So-ri, c'était ainsi qu'il se faisait appeler, avait, par pur élan de gentillesse, prit Lithia et sa famille sous son aile. Demain matin, il viendrait chercher Li-on afin de le présenter à tous ses camarades.

Quant à Lithia, elle regardait le ciel sans nuages et admirait les étoiles.

Où se trouvait-il ?

Ne pas savoir, la torturait. Dans sa tête, elle était passée par toutes les possibilités. Jusqu'à la plus terrible. Celle qui ne laissait pas d'espoir. Mais au fond d'elle, elle le savait. Elle ressentait qu'il était là. C'était mal la connaître de penser qu'elle pourrait se laisser abattre.

Une étoile se mit à luire et des souvenirs fugaces traversèrent la mémoire de Lithia. Elle se retrouva dans les bras de Jin-Soo, appuyés contre le tronc de leur arbre. Il lui décrivait le ciel nocturne et tous les secrets qu'il contenait. Lithia buvait ses paroles. Sa voix avait un timbre hypnotique et ce doux son l'envoutait à chaque fois. C'était presque un souffle dont les vibrations donnaient le ton.

Une main dans son dos, qui tapotait lentement, obligea Lithia à rompre le fil de ses souvenirs et tourna la tête vers Yoon. Celle-ci leva la main et épongea une larme sur sa joue. Lithia ne s'en était même pas aperçu. Dans le même mouvement, elle lui prit la main et la serra fort, la remerciant du regard. Pas besoin de mots.

Yoon se leva et partit rejoindre son mari. Lithia resta seule un moment avant de retrouver à son tour la chaleur de son lit et d'apprécier quelques heures de repos salutaire.


Un cri perçât la douceur du calme matinal :

— Maman ! So-ri est là !

Li-on courrait, tout excité dans la cour de l'auberge. Depuis une bonne demi-heure, il guettait l'entrée avec avidité.

Lithia abandonna le rangement et partit à sa rencontre, grandement aidé par son fils qui tirait avec force sur sa manche.

— Maman, quand je reviendrai ce soir, je saurai parler comme tout le monde ici ! lui annonce-t-il fièrement convaincu de tout apprendre en une journée.

Lithia éclata de rire devant la tendre naïveté de son fils. Elle ne le détourna pas de ses espoirs, la vie, à elle seule, s'en chargerait et attendrait son retour afin de juger de l'évolution de sa réflexion.

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