5.4 - "Le chêne blanc" - Chp 3

 

Cela n'a que trop duré à mon goût et je lui dis de mon ton le plus mielleux :

— Bien que cette conversation soit tout à fait passionnante, je suis obligée d'y mettre un terme. Vous m'en voyez navrée.

Justine a du mal à cacher un rire moqueur quand soudain, j'aperçois mon frère William fendre la foule pour arriver jusqu'à nous.

Ashley va pour me répondre vertement, tel à son habitude, mais je lui coupe l'herbe sous les pieds en m'exclamant :

— Mon frère m'appelle. Je vous laisse.

Je l'abandonne sans aucun remords, ma meilleure amie sur mes talons toujours en train de rire.

— Lithia, tu es enfin là. Merci Justine de l'avoir retrouvé.

Mon frère la remercie d'un sourire chaleureux et aussitôt les yeux de Justine s'émerveillent et se remplissent d'étoiles avant de bafouiller son prénom. Elle ne sait pas cacher ses sentiments. Un vrai tempérament d'Irlandaise ! Même si elle le renie haut et fort. Malheureusement, elle est transparente pour William. Dans son cœur, il n'existe qu'une seule femme.

— Allons voir père.

Il me prend la main et m'entraîne derrière lui.

Nous traversons la grande salle en contournant les personnes présentes, toutes accaparées à leur discussion pour arriver auprès de mon père. Celui-ci m'accueille avec une joie non dissimulée.

— Lithia, ma chérie ! Viens que je te présente à notre invité.

Le regard braqué sur mon père, je n'ose le détourner.

Un bras autour de mes épaules, il me guide jusqu'à lui.

— Voici le fils d'un ami qui va vivre avec nous pendant quelques temps afin de découvrir notre continent et nos coutumes.

Je me force à poser mon regard sur lui et découvre son visage. Il m'observe sans sourciller et malgré moi, je perds le sourire de façade que je tentais de maintenir.

Est-ce ses traits inexpressifs qui me font perdre tous mes moyens ou simplement le fait qu'au travers de son regard, je le sens puiser en moi tous mes secrets, même les plus inavouables.

Comme dans le bureau de père...

La forme allongée de ses yeux accentue la profondeur et l'intensité qui brille dans le fond de ses iris noirs.

Il créé en moi un sentiment de vulnérabilité et... je déteste ça. Ma fierté mise à mal reprend aussitôt le dessus.

Je redresse la tête et lui montre ouvertement qu'il ne m'impressionne pas.

Mon père se racle la gorge et nous interromps dans notre duel visuel.

— Lithia, Voici Monsieur Yi Jin-Soo.

Il incline sa tête et se redresse aussitôt. Ne voulant pas paraître aussi ridicule que tous ceux qui se sont présentés à lui, je lui répond de la même manière.

— Ma fille : Lithia Maineflower. Mais je crois que vous vous êtes déjà vu, non ? achève-t-il un sourire en coin.

Je lance un regard furieux à ce qui me sert de père qui me remémore cet instant que je veux à tout prix oublier.

Les joues rouges et le regard noir, j'avertis silencieusement mon géniteur de ne pas aller plus loin. Ce qui a le mérite de le faire éclater de rire.

Ai-je le droit de commettre un parricide ?

— Ma chère fille a un tempérament assez singulier. Aussi douce qu'un agneau tout en étant aussi féroce qu'un lion, argumente-t-il devant notre cher invité. Méfiez-vous d'elle, car il y a des jours, elle pourrait presque mordre !

Je manque de m'étouffer sous ses mots.

— Père, je crois que l'on vous cherche, dis-je aussitôt pour cacher mon embarras. Il semblerait que votre ami Owen veuille vous parler.

La diversion fonctionne et il nous abandonne en s'excusant pour se diriger vers son ami.

Un silence gênant s'installe au milieu du vacarme de la salle. Mon frère et Justine se rapprochent afin d'amorcer une conversation avec notre invité, mais quelqu'un m'interpelle :

— Mademoiselle Lithia !

C'est Robert, un des frères Wington qui se présente à moi et, fier de lui, m'annonce qu'il a la réponse à ma charade.

— Un teint d'albâtre... Enfin, le vôtre, termine-t-il de plus en plus gêné.

Je ferme les yeux et soupire. Aucune réflexion !

— Et pourquoi pensez-vous à cela, Robert ?

Déstabilisé par ma réaction, il perd toute contenance et se met à bafouiller :

— La... la lune et sa couleur, et les étoiles, votre... votre beauté.

Et lui, il est pivoine !

— Je suis désolée, Robert. Mais ce n'est pas ça. Merci à vous d'avoir joué le jeu.

— Un prochaine fois, peut-être, lâche-t-il, dépité.

Comme un enfant qui vient de se faire réprimander, il tourne les talons.

De nouveau, je peux me concentrer sur notre cher invité qui n'a pas perdu une seule miette de l'échange que je viens d'avoir.

Bien, puisqu'il ne veut pas entamer la conversation, je vais le faire pour lui.

— Donc, vous venez de Chine ? Et vous allez rester combien de temps parmi...

— Ma chère Lithia ! claironne une voix aigüe dans mon dos.

Non, mais pas moyen d'être tranquille deux secondes !

Je serre les dents en reconnaissant à qui appartient cette dissonance qui me déchire les tympans.

— Lithia, je vous cherchais ! Je me demandais quand enfin vous alliez me présenter ?

Elle s'approche de lui et lui tend son bras pour un baise-main. Celui-ci reste en l'air quelques secondes avant qu'elle comprenne l'inutilité de son geste.

Pour éviter que cet instant ne devienne plus embarrassant, elle secoue sa main comme si cela n'était pas grave et s'avance vers lui. Sans aucune honte, elle glisse sa main dans le creux de son coude tout en lui disant d'un ton aguichant :

— Je suis Ashley Cleaver, une amie de Lithia. J'habite dans un domaine non loin d'ici. Je vois bien que vous n'êtes pas de la région et si vous avez besoin d'un guide, je me ferais un plaisir de vous faire visiter notre beau pays.

Je lève les yeux au ciel et souffle exaspérée par autant de culot. Sans se démonter, ce fameux Yi je-ne-sais-quoi, dégage son bras sans douceur à son contact.

Cela n'a que trop duré.

— Bien, messieurs, dames. Je vous laisse à vos merveilleuses conversations.

Sans attendre, je fais demi-tour. Je rêve de retourner dans ma chambre, mais je suis sûre que Nanny m'attends devant pour m'obliger à exécuter mes devoirs d'hôtes. Alors autant en profiter autrement.

Justine ne tarde pas à me rejoindre et nous sortons sur la terrasse pour prendre l'air.

Une brise tiède me caresse et j'apprécie l'effet de fraîcheur qui en résulte.

— Elle est incroyable !

Justine se pose à côté de moi et ne peut s'empêcher de commenter l'attitude éhontée d'Ashley.

Elle est interrompue par un autre prétendant qui m'expose une réponse erronée à ma charade. Les yeux remplis de fausse compassion, je le renvoie gentiment de là où il vient.

J'ai besoin de calme, de tranquillité.

— Viens avec moi, Justine ! Allons jusque dans mon jardin ? J'ai besoin de m'éloigner.

Elle opine et me suis au travers des dédales des plantes qui nous entourent jusqu'à une haie d'arbustes. Un passage est taillé dedans et nous le passons en nous courbant un peu. Nous débouchons dans un endroit que j'ai entièrement aménagé. Toute une variété de plantes se mélangent autour des pieds de Jasmins que m'a rapporté père à chacun de ses voyages.

Au centre de cet espace, une serre aux parois amovibles est visible grâce aux rayons de la lune qui se reflètent sur les montants métalliques.

Nous nous installons sur un banc autour duquel j'ai aménagé une tonnelle, habillée de mes fleurs préférées. L'odeur enivrante m'entoure.

Quel bonheur de se retrouver là et d'échapper à cette cohue mondaine.

— Alors, ton impression ? me questionne Justine.

— Quelle impression ?

— Ce fameux invité, Lithia ! Ne fais pas celle qui ne comprends pas ! En tout cas, pas à moi !

Heureusement que la nuit cache mes réactions. Je ne réponds pas tout de suite.

— Je ne sais pas... je lâche finalement. Comment veux-tu que je me fasse une idée, il n'a même pas prononcé un seul mot. Il n'a pas bougé un seul cil. Aucune émotion ne semble le traverser...

Hormis son regard...

— Tu crois qu'il est normal ?

La question de Justine vient rompre le fils de mes pensées, enfin surtout celui de mes souvenirs, lorsque ses yeux ont plongé dans les miens...

— Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu crois qu'il est normal ? répète-t-elle. Il a peut-être un problème là ? tout en me désignant son cerveau du bout de l'index. Il doit être simple d'esprit ? C'est peut-être pour cette raison qu'il a été confié à ton père ? Histoire de ne pas être une charge pour ses parents ?

— Mais où vas-tu trouver tout ça, Justine ? Tu inventes, tu spécules sans le connaître ! Imagine que quelqu'un te croit dur comme fer et que ce n'est pas le cas ! Que se passera-t-il si sa réputation se forge sur des fausses rumeurs ?

— Arrête deux secondes de te prendre pour le Robin des bois des insurgés, Lithia ! En tout cas, c'est la première fois que je peux t'observer aussi déstabiliser par une personne.

— Je ne suis pas déstabilisé par lui ! Simplement, son comportement est bizarre. Et puis, il m'a surpris quand j'ai rejoint père dans son bureau...

— De toute façon, il faudra bien que tu t'y fasses, me coupe-t-elle. Il va être chez vous pendant un certain temps...

Quelqu'un hèle le prénom de Justine derrière la haie. C'est mon frère William.

— J'y vais, me dit-elle en se levant. Ton frère me cherche. Mes parents veulent certainement me présenter quelques jeunes hommes à marier. Tu m'accompagnes où...

— Je vais rester là et profiter encore un peu du calme. Vas-y, ne t'inquiète pas. Je ne risque rien, ici.

Enfin, je crois...

Trop contente de passer quelques instants seule avec mon frère, elle ne se fait pas prier pour détaler et le rejoindre.

Je me lève à mon tour et me rapproche des pieds Jasmins qui se trouvent en bordure de la serre. C'est les plus fragiles, mais c'est ceux que je préfère. Leur odeur est incomparable à tous les autres.

Je glisse dans le creux de ma main une grappe de fleur que je porte à mon nez et m'emplit de leur parfum avant de lever la tête pour admirer les étoiles au milieu de cette nuit de pleine lune.

Mon sixième sens s'alarme quand je sens une présence dans mon dos.

Cooper n'aurait pas osé me suivre jusqu'ici ? Je me crispe et anticipe une nouvelle altercation. Je fouille le sol du regard à la recherche du plus petit outil abandonné qui pourrait me servir afin de me protéger.

Avant que je puisse esquisser le moindre geste, un bras s'étire et une main, les doigts repliés, se positionne devant moi.

Je relâche mon souffle quand je réalise que ce n'est pas Cooper. Je me promets cent fois de ne plus me mettre dans une situation qui peut dégénérer lorsqu'il se trouve dans le domaine.

Celui posté dans mon dos me dépasse largement. J'ai l'impression que son être tout entier m'entoure sans qu'il y ait le moindre contact entre nous. Le vêtement qui recouvre son bras est aussi sombre que le sont ses yeux. Comment m'a-t-il trouvé ?

Un à un, il déplie ses doigts et laisse apparaître une fleur étoilée de mon Jasmin préféré. Aussi blanche que la lune et aussi belle que les étoiles...

Une voix à la sonorité grave me dit tout proche de mon oreille :

— Est-ce la bonne réponse ?

Je lâche un hoquet de surprise. Il a deviné !

— Comment avez-vous su ?

— Votre parfum...

Je vais pour me retourner, mais de son autre main, il attrape une des mienne et la tourne, paume ouverte vers le ciel dans laquelle, il laisse tomber la fleur.

— Je ne vous imposerais pas les danses...

Incapable de prononcer le moindre mot, je hoche simplement la tête, électrisé par le contact de son souffle échoué sur ma peau nue lorsqu'il a parlé.

Ce n'est que lorsqu'il me lâche que je me rends compte à quel point sa peau était chaude et son contact si doux.

Il n'a pas bougé. Sa bouche est toujours près de mon oreille. Presque dans mon cou...

Je ferme les yeux et tente d'occulter les nouvelles images qui viennent danser dans mon esprit.

— Une précision : je suis tout à fait normal...

Frappée de stupeur, j'écarquille grands les yeux et garde en otage l'air dans mes poumons.

Il nous a entendu.

Il était là depuis le début.

Un froid singulier m'envahit et je comprends qu'il s'est détaché de moi. Je me retourne et ne peux qu'observer son dos. Il a déjà fait demi-tour et s'éloigne.

Je grimace devant l'absurdité de la situation.

Bravo Lithia, tu as été splendide sur ce coup-là !

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