5.2 - "Le chêne blanc" - Chp 3

Soudain, un ensemble de voix de fait entendre dans le fond de la salle. Le chuchotement s'intensifie et un attroupement se forme autour de celui-ci. Père vient d'entrer dans la salle de réception par la porte du fond. Comme d'habitude, je ne peux que l'admirer, enveloppé de son éternel charisme. Josh et William le précèdent. Derrière eux, une silhouette sombre les suit. Je me stoppe net. C'est l'inconnu. L'étranger qui s'est moqué de moi. Bien qu'il dépasse mon père et mon frère, la tête de ceux-ci m'empêche de distinguer son visage.

J'hésite à m'enfuir dans la direction inverse jusqu'au moment où je me souviens de la personne qui se trouve dans le grand hall. Ne voulant pas être confrontée à lui, je décide de faire face à mon père.

Enfin face est un bien grand mot. Je m'approche, mais reste en retrait afin de les observer.

Des groupes d'hommes de familles importantes s'agglutinent autour d'eux voulant les saluer et satisfaire leur curiosité par la même occasion, retardant la mienne d'être comblée.

Avec Justine à mes côtés, nous nous postons dans un endroit stratégique où j'ai tout le loisir de pouvoir détailler le propriétaire de ces fameux "yeux noirs".

Je ne sais pas à quoi je m'attendais lorsqu'il serait enfin accessible à ma vue, car dans mon esprit, je me suis façonné son image à l'aide des petits bouts de sa personne qu'il a bien voulu me laisser entrevoir.

Je m'attendais à tout... sauf à lui.

L'aura qu'il dégage est sombre et mystérieuse. Les traits de son visage n'ont rien à envier à la finesse de la porcelaine. Les lignes épurées de son menton et de son nez sont mises en valeur par sa coiffure. Ses cheveux, qui semblent être aussi longs que les miens, sont réunis dans un chignon tiré à l'extrême et maintenus, sur le haut de son crâne, dans un cercle doré traversé par un pic fait du même métal. Seul l'éclat de son regard semble parler pour lui, car à l'inverse, ses traits restent figés dans une froide position, même lorsqu'il parle et que ses lèvres s'activent. Aucune émotion ne passe. Il reste impassible, quelle que soit la situation. Les personnes qui l'abordent sont aussitôt mal à l'aise face à son attitude.

— Tu penses à respirer ?

La bulle dans laquelle je m'étais enfermée pour le détailler éclate.

— Hein ? je questionne Justine, ahurie.

— Tu me fais peur... Cela fait au moins trois minutes que ta poitrine ne se soulève plus... J'étais prête à crier « à l'aide » ...

J'aurais pu la croire si un sourire démoniaque ne déformait pas ses belles lèvres.

— Aurait-on trouvé quelqu'un qui puisse, le temps d'un instant, émouvoir le cœur de notre Lithia ? lance-t-elle tout en se retournant de trois quarts afin d'admirer l'inconnu.

Je profite de cet instant de répit pour poursuivre mon inspection. Il porte une sorte de tunique longue, croisée sur la poitrine faite dans un tissu aussi fluide que de l'eau et aussi noire que le sont ses yeux. Sa stature, sa tenue, tout est dans la rigueur. Les mains dans son dos, il impose le respect.

Je dois avouer que malgré son allure particulière, il dégage un sentiment d'invulnérabilité.

Il salue les personnes, que mon père lui présente, en inclinant légèrement la tête. Aucun contact. Plusieurs restent hébétés, la main tendue sans réponse de sa part jusqu'à qu'ils comprennent, gênés, que cela ne doit pas être dans ses traditions. Il semble si jeune et si âgé à la fois...

Perdue dans ma contemplation, je m'aperçois trop tard que son regard dévie et qu'il me fixe. Je sursaute en le réalisant et prends une grande inspiration. Son regard, si intense, si magnétique, semble me détailler de l'intérieur et me mettre à nue. Pas une fois, il ne cille. Pas une fois, ses yeux ont bougé. Il m'adresse un léger signe de tête et un coin de ses lèvres s'incurve dans ce qu'il semblerait être une amorce de sourire.

— Tu le connais ? Tu l'as déjà vu, non ? me demande Justine.

Je me fais violence pour abandonner ce duel visuel et reporter mon attention sur mon amie.

— Je l'ai juste croisé une fois... ou deux. Nous ne nous sommes jamais parlé !

Je reste évasive, mais c'est mal connaître ma "tendre" amie qui repart aussitôt à l'attaque :

— Et ?

— Et quoi ! je réponds, énervée.

— Qu'a-t-il de plus que les autres pour attirer ton attention ? continue-t-elle, collante.

— Rien, absolument rien. Il est juste... irritant !

— Sans que vous vous adressiez la parole, tu le trouves irritant ? Pas mal ! Bien, mais encore ? insiste-t-elle à la limite de la décence.

— Énervant !

— C'est certain, toute son attitude le prouve !

Je pose un regard exaspéré sur mon amie.

— Il se mêle de ce qui ne le regarde pas ! Il a troublé mes retrouvailles avec père. Sans une once de remords, il a admiré le spectacle ! Il... Il s'est moqué de moi !

— C'est vrai que c'est détestable...

— Ah ! Tu vois ! dis-je en faisant face à Justine.

Contre toute attente, elle éclate de rire et je me renfrogne devant son attitude.

— Lithia, tu veux bien arrêter deux minutes ? À l'instant, tu le dévorais des yeux. Si c'était une pâtisserie, il ne resterait pas une miette de lui !

Une chaleur instantanée envahit mes joues.

— Justine ! me s'insurge. Une fille de bonne famille ne devrait pas avoir de tels propos !

— Lithia Maineflower ! me gronde Justine. Qu'ai-je dit qui t'a tant choqué ? Je te connais depuis longtemps et s'il y a bien une chose que je sais de toi, c'est que tu n'es ni prude ni timide. Alors, te voir réagir ainsi me fait me poser des questions. Jamais, je ne t'ai vu te perdre dans la contemplation d'un homme. Au contraire, tu détailles ces personnes avec dédain, trouvant leurs points faibles et leurs défauts au premier regard. Alors que là... ton attitude ne correspond pas avec tes mots !

Je déteste le sourire que je vois apparaître sur ses lèvres, car au fond de moi, je sais qu'elle a raison.

— Ta compagnie m'insupporte ! je lâche en dernier recours. Je vais prendre l'air. Seule ! Je te retrouverais lorsque tu auras réfléchi à tes paroles et que tu arrêteras de me mettre mal à l'aise !

Sur ce, je fais demi-tour et m'éloigne de la salle afin de récupérer une contenance appropriée. Je sais pertinemment qu'elle ne m'en voudra pas de l'abandonner ainsi. J'ai besoin d'être seule et de remettre mes pensées au clair. D'ici la fin de soirée, je serais obligée de faire face à cet étranger, et pour cela, je dois être maitre de toutes mes émotions. Avec une Justine déchaînée sur les bras, je risque de passer pour une idiote, une faible d'esprit. Mais surtout, je dois faire comprendre à cet inconnu que l'on n'agit pas avec moi avec autant de désinvolture !

Je franchis le grand hall et me dirige vers les couloirs qui mènent aux dépendances de la maison. J'ouvre la première porte sur laquelle je tombe et entre dans le bureau qui sert à nos études. Déjà fatiguée par ce début de soirée, je pose mes mains sur le dossier du fauteuil et ferme les yeux en tentant de reprendre une respiration plus calme.

Tu peux y faire face ! Tu es Lithia Maineflower !

Le son de la porte qui s'ouvre dans mon dos me fige sur place. Quelqu'un m'a suivi ! Je me redresse sans me retourner et me compose un visage intransigeant.

Je suis prête !

Le bruit feutré de ses pas sur le tapis viennent dans ma direction et il se poste juste dans mon dos.

Mon Dieu, faites que ce ne soit pas lui...

Il se penche vers mon cou et je crispe mes doigts sur le dossier de bois lorsque je l'entends inspirer avec force. Je me paralyse lorsque proche de mon oreille, il me dit :

— Jamais je ne me lasserais de ton odeur. Et la tenue que tu portes aujourd'hui... Si tu savais toutes les images qu'elle génère dans mon esprit...

Une chape de froid m'envahit au simple son de sa voix.

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