3.1 - Juin 1869 -
L'ambiance était irréelle.
Eux-mêmes ne se reconnaissaient pas. Lithia avait suivi les conseils de Charles Nighton, un ami de son père, marchand de son état qui naviguait entre la Corée et les États-Unis depuis quelques années déjà. Souvent en compagnie de son père, à l'époque. Ce fut naturel pour lui de répondre à sa demande et de s'occuper d'elle ainsi que de ses enfants. Toutefois, afin de survivre dans ce pays fermé à toute évolution, ils devaient suivre des règles précises pour ne pas attirer l'attention.
C'est pour cette raison qu'ils se retrouvaient affublés du vêtement traditionnel. Charles avait tout prévu pour eux. Du tissu au patron, Lithia n'avait eu qu'à les coudre en fonction de leur taille. Elle avait eu la durée du trajet pour cela.
Pour Li-on, Lithia trouvait que l'habit avait été fait pour lui. Il enveloppait son petit corps fin et lui donnait du volume. Un pantalon ample qui se resserrait aux chevilles et une veste qui se croisait sur le devant, le tout dans des dégradés de bleu ciel avec des chaussures typiques de là-bas appelées « Kkotsin ». Elle lui avait attaché ses cheveux en queue de cheval. Là au moins, il ne dépareillait pas. Elle avait dû se battre contre les poux et les lavages difficiles, mais jamais elle ne céderait le moindre centimètre à une lame.
C'était dans les traditions de ce pays de les garder longs, car ils les considéraient comme un don fait par leurs parents. Les couper avait plusieurs significations. Pour un homme marié qui allait mourir, sectionner sa tresse et avoir la possibilité de la rendre à son épouse lui indiquait qu'il lui rendait sa liberté. Raser ses cheveux prouvait soit la pénitence envers une faute commise, soit la vocation pour se rendre dans un temple et servir un Dieu céleste toute sa vie. Couper une mèche de ses cheveux était un sacrilège et le don de cette mèche indiquait une dette de mort ou d'amour.
Les cheveux de Jin-Soo, aussi noirs que ses yeux descendaient jusqu'en bas de son dos. La mèche qu'il avait coupée, il l'avait tressé et maintenu par deux lanières de cuir de part et d'autre avant de lui offrir, le regard amer, le jour des noces de Lithia.
Judd, dont le corps avait grandi avant son âge était déjà massif à l'aube de ses quatorze ans. À la tenue, elle avait rajouté un chapeau de paille tressée en forme de cône aplati. Une cordelette qui passait sous le menton le maintenait en place. Pas besoin d'intriguer les gens à peine le pied posé sur cette nouvelle terre. Il valait mieux rester discret. La couleur miel de sa peau, ses yeux bleu océan et ses cheveux court, à la limite d'être crépus auraient alerté trop de personnes pour une simple balade. Judd l'avait bien compris et, une fois installé, il comptait bien s'intégrer.
Quant à Lithia, elle avait une tenue simple, faite de tissu de couleur neutre. Elle portait aussi un chignon bas dans lequel elle avait glissé un long pic en bois qui se terminait par un dessin en forme de fleurs, signe de son état de femme mariée. Jin-Soo lui avait offert après l'avoir sculpté. Elle-même portait un chapeau autour duquel courait sur sa bordure un voile de soie blanc très léger. Même si l'apparence se voyait derrière ce tissu fin, les traits se distinguaient à peine.
Tous les trois se tenaient immobiles devant la place qui servait de marché, ébahis devant ce changement radical de culture.
Lithia, Li-on et Judd semblaient avoir débarqué sur une autre planète.
Ce n'est que lorsque Li-on tira sur la main de sa mère pour l'interpeller que celle-ci referma sa bouche, surprise de l'avoir gardée ouverte. Entre savoir et voir, la différence est énorme.
— Maman, les gens, y sont bizarres.
Lithia s'accroupit afin d'être à sa hauteur, enveloppa ses petites mains des siennes et lui expliqua tranquillement :
— Mon cœur, ils ne sont pas bizarres. Vois-tu, tous ces gens, lui dit-elle en les désignant du regard. Ils sont comme nous. Ils ont juste une culture différente que tu apprendras à connaître. Elle est en partie dans tes veines, car c'est celle de ton père.
Satisfait de sa réponse, il hocha la tête se mit à fouiller des yeux, la foule.
— Quand est-ce que je vais le voir ?
Malgré l'innocence de ses mots, cette question transperça le cœur de Lithia. Elle réprima, avec l'habitude de la souffrance, cette déferlante de douleur qui l'étreignait à chaque fois qu'on le nommait. Surtout quand c'était son fils qui le réclamait. Le jour où il était parti, égoïstement, elle ne lui avait rien dit de sa grossesse. Par peur, qu'il reste et abandonne ses projets ou qu'il parte, dégoûté de sa trahison, mais en grande partie terrifiée de se retrouver seule en le laissant s'en aller avec de fausses idées. Elle n'aurait pas supporté de ne plus avoir aucun lien avec lui. Au moins, il lui restait Li-on. Il lui ressemblait tellement.
Du haut de ses quatre ans, Li-on était un enfant intelligent, curieux et tout simplement attachant. Partout où il se trouvait, les personnes tombaient devant son charme naturel. Lithia était si fière de lui. Il avait hérité d'une partie du caractère de son père où l'honneur, le respect et la justice composaient sa personnalité. Encore au domaine, Lithia se rappela lorsque Li-on avait défendu bec et ongles la survie d'un chaton qu'il avait trouvé. Il était revenu avec le moribond dans ses petits bras, défiant sa mère de le laisser mourir. Lithia avait, en premier lieu, refusé de s'en occuper, prétextant de laisser faire la nature, mais il avait argumenté avec tant de force qu'elle ne put que le soigner et espérer qu'elle n'eût pas raison. Le chat avait survécu quelques mois.
— Pas encore, mon cœur. Maman a encore beaucoup de choses à faire pour le retrouver. Il va falloir que tu m'aides. Tu es prêt ?
Il hocha de nouveau la tête avec, cette fois-ci, le sérieux d'un adulte.
Une voix retentit dans son dos et Lithia se releva afin de faire face à Charles qui se trouvait derrière elle.
— Faites un tour dans le village le temps que je mette en place les chariots pour l'expédition. Ne vous perdez pas !
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