2.2 - "Le chêne blanc" - Chp 1
Je m'éloigne en courant avant qu'elle n'ait eu le temps de me rattraper et l'entends vociférer dans mon dos. Je suis sûre qu'elle croit maintenant qu'elle est vouée aux enfers à cause de ma conduite.
Je longe le couloir et ouvre les portes qui mènent à la salle de repas qui peut accueillir au moins une cinquantaine de personnes à table. Je traverse cette immense pièce qui ne sert que lorsque mon père est présent et déboule dans une entrée prestigieuse qui fait la renommée de notre famille. Tous les portraits de mes ancêtres s'accumulent sur les hauts murs de ce hall et posent leur regard sur le double escalier en granit poli, de couleur crème, qui conduit à l'étage. Je grimpe les marches quatre à quatre sans me soucier une seule seconde de l'allure que je peux avoir et me rends directement vers les doubles portes que j'entrevois au fond du couloir de l'étage.
Le bureau de mon père.
N'attendant pas une seconde de plus, je me précipite et ouvre les deux portes battantes à toute volée, un sourire de ravissement sur les lèvres.
Mon père m'apparaît.
— Père !
Sans chercher à le détailler, je m'élance et lui saute au cou, heureuse de le tenir enfin dans mes bras.
La surprise passée, il me rend mon étreinte tandis que le nez dans son cou, je respire son parfum. J'avais presque oublié son odeur rassurante et la fermeté de son corps malgré son âge. Cette assurance que tout va bien se passer, je ne l'ai que lorsque je suis avec lui.
— Père, vous m'avez tant manqué !
Je me ressaisis et recule à peine afin de pouvoir ainsi l'observer. Il en profite pour m'embrasser sur le front. Un baiser si doux que j'ai l'impression de revenir au stade de petite fille lorsque je suis en présence.
— Vous allez bien ? dis-je en le détaillant avec force.
Son teint hâlé laisse maintenant percevoir les rides dont son visage se garnit avec le temps, mais cela ne lui enlève pas son charme. Ses cheveux sont plus courts qu'à son départ et il a rasé ses favoris. Je trouve que cela lui va mieux. Je déteste ces mochetés !
— Ma petite fille chérie, se laisse-t-il aller avant de se reprendre aussitôt en se raclant la gorge. À son tour, il me détaille et fronce les sourcils en voyant ma tenue.
— Mais que...
— Père, je me suis dépêchée de venir en apprenant votre arrivée, je n'ai pas eu le temps de me changer. Ne m'en veuillez pas pour ça, j'étais trop pressée de vous voir.
— J'espère que pour ce soir, tu auras une tenue plus décente, ajoute-t-il en se retenant de rire. J'organise une fête pour mon retour.
Ma grimace de contrariété le faire sourire.
— Pourquoi, père ? J'ai tellement de questions à vous poser et vous avez tellement d'histoires à me raconter. Je pensais être seule avec...
Il me pose un doigt sur mes lèvres afin de me faire taire.
— Mets ta plus belle robe et sois la reine de la soirée, ma chérie. Pour moi...
Son sourire s'étire encore plus quand je réalise que je ne pourrais pas y échapper. Alors je me renfrogne et dis un ton dégouté :
— Et faire face à cette bande de jeunes cupides, stupides et écervelés qui vont assaillir mon carnet de bal dès qu'ils poseront le pied dans cette maison. Pourquoi me punissez-vous ainsi ?
Un rire grave, mais aussi léger qu'une plume dans la brise retentit dans mon dos puis s'estompe aussitôt. Je me raidis et ouvre grand les yeux en fixant mon père quand je réalise que nous ne sommes pas seuls. Pétrifiée, je n'ose me retourner et me rapprochant de mon père, je lui chuchote :
— Vous auriez pu me dire que vous n'étiez pas seul ! Vous croyez qu'il a tout entendu ? Mon Dieu, je vais partir me cacher !
Mon père se penche vers moi et me répond sur le même ton de confidence :
— À mon avis, il n'a rien loupé. File vite dans ta chambre et prépare-toi pour ce soir.
Je me redresse et lève le menton fièrement. Qui que ce soit derrière moi, je ne lui ferais pas le plaisir de laisser transparaitre la moindre surprise sur mon visage. Reprenant un ton plus sérieux, je m'adresse à mon géniteur :
— Bien père, qu'il en soit ainsi. Je ne voudrais pas vous décevoir.
Je me retourne et fixe la sortie sans chercher une seule seconde à apercevoir la personne qui s'est allégrement moquée de moi. Je compte lui lancer un regard chargé de lourds reproches pour cet affront et s'il se trouve ce soir à la soirée, il va le regretter dix fois !
Feignant l'ignorance, j'avance droit vers la sortie. De ma vision périphérique, je remarque une silhouette quelque peu étrange, près des étagères de la bibliothèque. Arrivée presque à sa hauteur, je dévie mon regard et lui balance toute ma colère et ma contrariété d'avoir troublé mes retrouvailles.
C'est à cet instant que je me suis perdue...
Perdue dans une couleur de jais, dans l'obscure luminescence de l'obsidienne de ses iris.
Comme si le temps venait de se suspendre et que mon souffle, bloqué dans ma gorge, peinait à trouver la sortie.
Mon corps s'est mis en arrêt et le manque d'oxygène se rappelle à moi. Je prends une grande inspiration. Ma poitrine comprimée, se soulève plus qu'il ne le faudrait pour chercher cet air absent.
Dans un sursaut, je réalise enfin que je suis là, depuis quelques secondes, à le fixer alors que j'ai l'impression d'y avoir passé une éternité.
Son regard n'a pas dévié un instant du mien et je me fais violence pour briser ce lien, mais il le rompt en premier en abaissant ses paupières et en inclinant légèrement la tête pour me saluer. Vexée d'avoir ressenti ce trouble m'ayant fait perdre la maîtrise, je redresse le menton. Il ne me reste que quelques pas avant atteindre la sortie, mais j'ai l'impression de marcher à reculons. Je dois partir et me libérer de l'emprise que ces yeux noirs viennent d'avoir sur moi.
Arrivée d'un pas raide aux portes, je tends les bras et attrape les poignées que je tire derrière moi et d'un seul geste, je referme la double porte.
À l'abri de ce regard, les émotions concentrées dans cet instant déferlent en moi et je m'adosse aux panneaux de bois, inspirant et relâchant enfin l'air qui me manquait tant.
Bon sang ! Mais qui est-il ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top