22/ solitude volontaire

Ce matin je demande à ma mère de me déposer chez le médecin car je suis un peu fatiguée. Elle a l'habitude de me laisser y aller seule et le médecin me connaît depuis petite.

Docteur : bonjour Sarah ! Tu as une petite mine ?

Sarah : justement je viens à propos de cela. L'année scolaire vient de finir et il y a beaucoup d'événements à assurer avec papa et maman....

Docteur : tu sais que tu as le droit d'avoir des vacances aussi... tes parents peuvent le comprendre...

Sarah : hmm... non je dois être au top de ma forme, ils ont besoin de moi et puis je n'ai rien à faire pendant les vacances...

Docteur : tu prends toujours la pilule que je t'ai prescrite?

Sarah: non. J'ai arrêté il y a trois mois. Je... je n'en ai pas eu besoin ...

Docteur : je suis désolé pour toi si ta relation s'est finie. Ce sont les aléas de l'adolescence. Comment tu te sens depuis ? Une rupture ça peut être douloureux surtout quand on est jeune et qu'on découvre la sexualité.

Sarah : je ... je vais bien.

Docteur : Sarah. Je suis ton médecin, je ne suis pas un parent pour te faire la morale. Tu peux me parler, tout ce que tu me diras resteras entre nous : c'est le secret médical.

Sarah (éclatant en sanglots) : comment voulez-vous que je me sentes ?!? Le garçon à qui j'allais offrir ma virginité m'a plaquée au moment de le faire ?!? Pour seule explication c'est qu'il ne voulait pas me faire souffrir plus qu'il l'avait déjà fait parce que notre relation n'avait aucune chance sur le long terme !!!

Docteur : cela fait combien temps?

Sarah : plus de trois mois... c'est la première fois que j'en parle...

Docteur : comment ça ? Tu n'en as parlé à personne autour de toi...

Sarah (se ressaisissant) : pour quoi faire ? Ça n'aurait rien changé en l'humiliation que j'ai subi. Je me suis concentrée sur les cours puisque je vais au lycée pour étudier. Les relations sociales sont inutiles et éphémères.
D'ailleurs n'ayant plus de devoirs je n'arrive plus à dormir correctement, je ne suis plus assez épuisée intellectuellement... du coup je me réveille et ne me rendors pas...

Docteur : Sarah je vais être franc, je pense que tu fais une sorte de déni et de dépression... tu as le droit d'être triste, de l'exprimer. On dirait que tu veux contrôler tout ce qui t'arrive. Ce n'est pas une faiblesse d'éprouver des sentiments...

Sarah : je n'y peux rien... les parents m'ont élevée ainsi : être stoïque en toutes circonstances...

Docteur : écoute. Pour le moment, je te prescris du magnésium, une cure pendant les vacances te fera du bien. Prends également ce mélange de plantes à la pharmacie cela devrait t'aider sur le sommeil. Reviens me voir, n'hésite pas...

Sarah : merci docteur...

Je suis ensuite allée prendre ce qui m'avait été prescrit et je suis rentrée à la maison.
Mes parents ne m'ont posé aucune question, comme d'habitude. Ils ne savaient rien de moi, par contre moi je devais savoir tout de leurs projets, leurs clients... comme ils le répétaient si bien : « tu n'es pas à l'hôtel ici, on se saigne assez pour avoir ce que l'on a et à ton âge on travaillait déjà » ah oui c'est sûr que je n'étais pas à plaindre. Ma chambre était aussi grande qu'un petit appartement, j'avais ma télé, mon ordinateur, ma chaîne hi-fi... on n'était pas fortuné comme certains de mes camarades mais on avait quand même les moyens de vivre aisément. Ce qui était différent des autres c'est que tout était axé sur l'entreprise. Mes parents devaient être sur le maximum d'événements pour augmenter le chiffre d'affaires. Donc le mot vacances est inexistant dans le vocabulaire de mes parents : les vacances sont synonymes de corvée en moins pour les trajets scolaires et les vacances servent à plancher sur les projets de l'année à venir...

J'étais donc seule, même chez moi. Mais je n'avais pas le droit de me plaindre puisque j'avais un chez moi, mes deux parents, de quoi manger et me vêtir ... tout le reste est futilité et donc inutile.

Pour avoir la paix avec eux, j'applique ce qu'ils m'ont inculquée : ne compter sur personne, ne faire confiance à personne sauf à soi-même... de toute façon ils ne s'intéressaient pas à mes amis ! C'était pratique je n'en avais plus !

Moi qui avais commencé l'année avec une bande d'amis, je me retrouvais au point de départ : seule et toujours seule. Finalement, la vie devait être ainsi...

...

Les mois avaient défilé, remplis d'occupations en rapport avec le travail de mes parents. Comme chaque année, Noël avait été un désastre. Les parents trop fatigués et occupés pour organiser un réveillon. Pas de cadeaux, c'est trop futile et inutile. Entre Noël et le nouvel an, l'éternelle dispute de fin d'année ! Elle a duré 3 jours celle-là, puis comme d'habitude tout est redevenu parfait dans le monde merveilleux de ma famille.
Ma mère m'a demandé la veille de la saint sylvestre si je voulais inviter des amis à la soirée organisée sur l'îlot Cygnes. Mais elle n'a pas insisté quand j'ai répondu que personne n'était disponible.
Janvier a été plus calme en événements, mais j'étais occupée au bricolage et réfection peinture du mobilier de mariage pour redonner un coup de neuf ...
Mon père m'a demandé un jour si je n'avais pas de sortie de prévue. La réponse « ils sont tous en voyage » l'a contenté. Tout était donc normal qu'une adolescente de bientôt 17 ans ne sorte pas des vacances...

Après tout, je n'étais plus joignable. J'avais supprimé les applications sociales du téléphone.., personne ne pouvait me joindre sauf par texto ou par appel. Mais comme je l'avais prédit personne n'avait pris contact avec moi. J'avais eu la preuve que je n'existais plus pour personne... cette idée me réconfortait dans la décision que j'avais prise des mois avant !

J'avais revu le médecin également. Mon sommeil était de plus en plus difficile. Il a consenti à me prescrire des sédatifs, légers selon lui, trop légers selon moi ... je ne dormais pas mieux, mais je n'étais pas fatiguée. Au contraire, je redoublais d'énergie et d'efforts dans la réalisation des travaux à effectuer.

....

La rentrée est arrivée. Il a fallu aller chercher les livres et l'emploi du temps avant le début des cours.
Je n'étais pas pressée de découvrir ma classe, les profs... j'arrive au lycée, je suis tête baissée. Comparé à l'an passé, je ne me suis pas bien habillée. en fait, durant les vacances je m'étais habituée à ne plus faire attention à mon apparence car mon père m'avait reproché d'être superficielle alors que je m'extasiais devant un reportage de haute couture. Depuis, pour être en accord avec eux, j'avais rangé toutes mes jolies robes et je ne portais plus que des jeans et teeshirt. Je ne mettais plus mes talons et restais en sandales ou baskets. Ma mère m'avait demandé une fois pourquoi je ne portais plus mes affaires et mon «ce n'est pas confortable » lui a suffit à ne plus me faire la remarque. Je ne lâchais plus mes cheveux non plus.

Je ne faisais attention que lorsqu'il fallait représenter la société pour les événements auxquels je devais participer.

Tout est une question de paraître.

J'arrive donc au lycée, il y a du monde. Comme la rentrée avait été programmée pour 14h, c'est Pablo qui m'a déposée. Quand je suis montée dans la voiture, il a eu l'air surpris de ma tenue.

Pablo : Sarah ? Tu comptes vraiment aller comme ça ?

Sarah : euh oui pourquoi ? Les jeans ne sont pas interdits !

Pablo : d'accord... c'est juste que je n'ai pas l'habitude...

Sarah : je m'habille comme tout le monde, on ne me verra pas comme ça !

Pablo : de qui tu veux te cacher ?

Sarah : de personne ! Puisque je n'intéresse personne...

Pablo : ne commence pas...

Sarah (à la fois sérieuse et rigolant) : mais j'ai raison ! Trois mois sans voir personne te fais prendre conscience qu'être seule ça a du bon. Tu n'es jamais déçue sauf par toi même...

Pablo : je ne suis pas très convaincu par ce que tu dis ... tu n'es pas sortie de toutes les vacances ?!?

Sarah : tu le sais très bien ! Je n'en aurais pas eu le temps avec tout le travail de rénovation des parents ...

Il ne m'a rien répondu. Il n'avait pas l'air satisfait de ma réponse mais je m'en fichais : je devais me concentrer sur un nouvel objectif : réussir cette année !

Je suis donc arrivée dans la cour, je ne cherchais personne en particulier mais inévitablement j'ai reconnu des gens : Marc en premier toujours aussi enjoué et au centre de l'attention de tous les autres. Ils avaient tous changé et grandi !
Ils étaient en pleine conversation et cela m'arrangeait comme ça ils ne me verraient pas. Je m'approche du panneau de répartition des classes. 1ère /
S-B, classe numéro 22, bâtiment 3.

Je ne m'éternise pas dans la cour, il y a beaucoup de monde et beaucoup de brouhaha. Je me dirige vers ma salle de classe, elle est vide. Je choisis ma place, au fond à droite avant dernier rang, côté fenêtre. Je m'assois et attends, tête baissée, perdue dans des pensées non construites...

J'entends du bruit venant du couloir, les élèves arrivent et s'installent. Je ne regarde personne, à quoi bon ?!? Quand je sens une présence à côté de moi qui s'installe sur la place d'à côté. Je n'essaye de ne pas réagir mais je suis tirée de mon silence par « bonjour Sarah ! J'espère que ça ne t'embête pas que je m'assoie à côté ? »

Cette voix, je la reconnais, je lève la tête et regarde la personne à côté : Marc. Il me regarde avec ses yeux si chaleureux. Il a l'air si sûr de lui. Il a changé sans changer. Je ne sais pas l'expliquer, il a pris en virilité peut-être... je murmure un « bonjour. » je ne sais pas quoi penser. Mon cœur bat un peu plus vite et j'ai comme un noeud dans l'estomac...

Marc : comment tu vas Sarah ? J'ai vu que tu ne te connectais plus sur Messenger...

Sarah : euh. J'ai tout supprimé...

Marc : à c'est pour ça que tu ne répondais plus ... et tes vacances ? J'imagine avec tes parents à travailler ?!?

Sarah : oui

Marc : moi j'ai accompagné mon père dans un de ses voyages diplomatiques c'était chiant parce qu'il était toujours en réunion alors je n'ai pas fait grand chose...!

Et Marc a continué à parler. Je l'ai écouté, j'ai très peu répondu mais je sentais mon cœur se réchauffer. Il m'avait manqué mais j'avais eu besoin de ce temps de silence pour le comprendre. Être complètement seule n'est pas une si bonne solution. Par contre, les autres ne sont pas venus me voir, ce que je ne savais pas c'est que Marc leur avait dit t'attendre avant de me brusquer.

...

Je suis arrivé de bonne heure au lycée, je voulais la revoir. Elle n'avait lu ni répondu à aucun des messages que je lui avais envoyé. J'en ai déduit qu'elle avait déconnecté ses applications.
Pendant que je discutais avec les autres qui étaient tous aussi inquiets de n'avoir eu aucunes nouvelles depuis le bal des terminales, je l'ai vu. Elle avait changé, elle avait grandi c'est sûr, mais elle ne rayonnait plus comme avant. Elle était habillée comme tous les jeunes, elle voulait disparaître dans la masse... mais elle était toujours aussi belle, si innocente quoique plus triste qu'avant, plus secrète ...
Elle s'est faufilée parmi les élèves, je ne sais pas si elle nous avait vu, elle a regardé le tableau des classes et s'est dirigée vers notre salle de classe.

Il n'est pas question qu'elle s'isole comme la fin de l'année dernière.
Je m'adresse aux autres :

Marc : écoutez, je ne sais pas si Sarah a remarqué qu'on était encore dans la même classe... je refuse qu'elle nous ignore encore plus longtemps !

Julien : et tu comptes t'y prendre comment ? Ça fait presque 6 mois qu'elle ne nous parle plus. Elle n'a répondu à aucune de nos invitations, c'est à se demander si elle ne s'est pas coupée du monde !

Marina : elle avait besoin de temps et je suis d'accord avec Marc ! On doit l'aider, on a été trop frileux !!

Elodie : je vais la voir et la forcer à nous parler !! Je vais la secouer et elle va comprendre qu'on a toujours été là !!

Marc : justement, je veux qu'on y aille doucement. Ne faites rien avant mon accord.

Saphir : parce que tu crois que tu vas réussir ?!?

Marc : je le dois... je .... je l'ai abandonné alors qu'elle avait besoin de moi...

Dylan : tes sentiments n'ont pas changé on dirait...

Et ils ont tous éclaté de rire. Oui bon d'accord, je l'aimais et je ne savais pas comment lui dire. Ce n'était pas la priorité, je devais gagner sa confiance et lui redonner le sourire et sa place parmi nous.

Je laisse le groupe et pars en direction de notre bâtiment. Comme je l'avais pensé, elle était déjà installée, le regard vide... si elle avait eu le pouvoir de disparaître elle l'aurait fait.

J'ai pris mon courage et je me suis installé à côté d'elle. Je me suis naturellement imposé, juste par ma présence et j'ai entamé la conversation. Presque comme si c'était la première fois qu'on se parlait. J'ai profité de la surprise qu'elle a ressenti en m'installant à côté d'elle pour parler.

Elle s'est laissée faire. Je dirai même qu'elle a souri un peu parfois ...

Un pas de fait. J'allais devoir être patient... mais elle ne m'avait pas repoussé.

...

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