chapitre 5
JEANNE
1 er mai 2018
J'allais sur notre groupe « les daronnes » pour proposer aux filles de passer la journée et la soirée à la maison puisque j'étais seule jusqu'à demain. Mes parents étaient en déplacement et ma sœur dormait chez ma grand-mère.
Il ne leur fallut pas longtemps pour accepter l'invitation. Je devais donc me préparer avant qu'elles ne débarquent. J'optai pour une mini-jupe et un top qui s'accorderaient bien avec mes bottines. Puis je passai au maquillage. Un petit trait de liner et du mascara suffiraient pour aujourd'hui. Sans oublier le blush.
Voilà qu'on sonnait à la porte. C'était Madeleine. Elle entrait et me suivait jusqu'à ma chambre le temps de replier quelques habits que j'avais délaissé au profit de la tenue que j'avais choisie.
─ Waw, j'adore ! s'enthousiasma mon amie.
Je fis un tour sur moi-même avec un sourire comblé. Elle me donnait toujours confiance.
─ Je suis certaine qu'Amélia va adorer.
Je restai perplexe une seconde, ne sachant pas comment prendre cette remarque. Pourquoi est-ce qu'elle me disait ça ? Pour rentrer dans notre jeu ? Pour rire ? Ça sonnait plutôt comme un reproche. Elle ne souriait pas, n'avait pas l'air heureuse de le penser.
Est-ce qu'elle trouvait notre accord dangereux ?
─ Qu'est-ce qu'il y a ? demandais-je.
─ Rien, pourquoi ?
Elle s'assit sur le bord de mon lit.
─ Pourquoi tu me parles d'Amélia ?
─ Parce que c'est ta petite-amie.
─ Pour de faux.
Je ne comprenais pas la tournure de notre conversation.
─ Je sais.
─ Bah alors ?
Bah alors rien. J'ai dit ça comme ça.
Elle levait les mains face à moi comme pour repousser mon flot d'insécurités.
Je n'avais rien à répliquer même si j'avais des choses à dire. Je ne savais pas comment les formuler. Je voulais connaître le fond de sa pensée, mais je ne savais pas comment le lui demander. Alors on laissait tomber.
Hortense arrivait à temps pour nous sauver d'un malaise.
─ Qu'est-ce que vous faites ?
─ Je finis de ranger ma chambre, on attend Amélia, et ensuite on verra ! j'expliquai.
─ Tu sais que toutes les terminales parlent de vous ? Hier j'étais à une soirée avec une pote d'une autre classe et le sujet a dévié plusieurs fois sur Amélia et toi. C'est assez bizarre, racontais Hortense.
Je haussai les épaules pour feindre l'indifférence mais en réalité j'avais peur de demander ce qu'ils pouvaient dire sur nous.
─ En fait, poursuivit-elle, personne ne s'attendait à vous deux. Parce que personne n'avait vraiment remarqué Amélia. Tu as l'habitude de ce genre de bruits de couloirs Jeanne, mais pas elle. J'espère qu'elle le vivra bien.
Si tu crois que je n'y ai pas pensé...
─ J'avoue que les garçons étaient un peu sans voix. Ils écoutaient les filles parler de votre couple, mais eux, ils ne savaient vraiment pas quoi dire. Mais tu les connais, avec leurs réflexions à la con. T'aurais dû voir comment ils essayaient de se dépatouiller. Ça leur a mis un sacré coup à l'égo en fait. Surtout que tout le monde sait qu'ils voulaient sortir avec toi pour le bal. Oh oui, d'ailleurs Tristan lançait à tout va et à qui voulait l'entendre que tu lui avais dit non parce que tu étais lesbienne. « Tout s'explique » tu vois ce que je veux dire !
Je hochai la tête. Au moins il me laisserait tranquille. Madeleine était interloquée à chaque nouvelle phrase d'Hortense, celle-ci n'avait pas fini :
─ Et un de ses potes, dont j'ai oublié le nom, n'arrêtait pas de le charrier. Il disait « Arrête mec, elle ne voulait juste pas de toi. Cette fille est trop belle pour être lesbienne ». Voilà tu vois le genre.
Encore une fois j'acquiesçai, la mâchoire tendue.
Il n'y en a jamais un pour rattraper l'autre ! trancha Madeleine à qui les mots semblaient manquer pour exprimer la richesse de son ressenti.
Amélia arriva. Et les problèmes semblaient s'atténuer. La présence de ma meilleure amie m'avait toujours apaisée. Mais en ce moment elle me rendait un peu nerveuse, depuis que j'ai réalisé qu'elle m'aimait. C'était effrayant parce qu'elle ouvrait une porte que je n'étais pas prête à franchir. Elle avait rendu possible quelque chose qui trainait dans les tréfonds de mon esprit. Un secret que je ne pensai pas partager. Je croyais en mes rêves mais celui-ci était bien trop gros pour être de ceux qu'on réalise. Celui-là on le gardait, on le faisait vivre dans son esprit, pas dans la réalité. Il était bien trop inavouable.
Flirter avec des garçons pour s'amuser ou sortir avec des filles pour du sérieux, c'était faisable. Mais avec Amélia c'était différent. Je me sentais paradoxalement trop liée à elle. C'était même pour ça que je me sentais en confiance d'entamer une fausse relation.
─ On peut aller cueillir du muguet, je proposai simplement.
J'adore cette idée, répondit Hortense.
Madeleine et Amélia étaient d'accord. Alors nous nous sommes mises en route pour le petit bois pas loin de chez moi.
AMELIA
Elle était si belle. Le bruit de ses bottines qui claquaient sur le goudron m'entêtait. Je ne pouvais pas faire autrement que de l'écouter. Je me demandai si elle prêtait attention à moi de la même façon. Au fond je savais bien que non. Elle n'avait même pas dû remarquer quelles chaussures je portais. A vrai dire ce n'était pas bien grave, j'avais les mêmes depuis le début de l'année. Des baskets que je n'aimais même pas mais qui étaient discrètes et confortables. Je n'accordais aucune importance à ma garde-robe. Quand le soleil se levait, je voulais juste qu'il se recouche pour que je puisse l'imiter. Mais ça n'arrivait jamais, alors j'étais bien obligée de m'habiller. Il me manquait la conviction. Je m'intéressai à bien d'autres choses, comme la littérature, mais pas les habits. Alors pourquoi ceux de Jeanne me fascinaient autant ? C'était un mystère tant que je n'arriverai pas à décrire ce sentiment.
Sa main se fondit dans la mienne et le contact de sa peau chaude contre ma paume, entre mes doigts, m'électrisa. J'aurai pu tout faire comme ça, n'importe quoi, tant qu'elle avait sa main dans la mienne. Mais en relevant la tête je reconnu la rue dans laquelle habitaient des élèves du lycée. Son geste n'avait rien de spontané. Et j'étais dégoutée de ma propre réaction, si naïve et faible. Pourtant je n'arrivais pas à me défaire du réconfort qu'elle me procurait.
Madeleine s'était tournée vers nous au même moment avant de parler, mais son regard s'est posé dans le mien et j'y ai décelé de la désapprobation. Je ne savais pas dans quel sens l'interpréter mais ça m'avait mise mal à l'aise. Les filles étaient mon moteur au quotidien. Je n'imaginais pas ma vie sans notre amitié. J'étais bien avec elles, et seulement avec elles. Les liens superficiels n'avaient jamais été pour moi. Tous ces faux semblants pour maintenir une sociabilité digne de ce nom m'étaient étrangers. Je n'avais pas reçu ce don. Mais avec elles c'était simple et évident. Je n'avais pas besoin de faire semblant. D'être quelqu'un d'autre. Elles m'acceptaient comme j'étais et elles étaient mes seules amies. Mes seules sorties. Alors ce sentiment désagréable que je ressentais après avoir croisé le regard de Madeleine m'affectait plus qu'il ne le devrait. La rengaine des bottines me revenait en tête. Je suivais son rythme, ses pas bruyants écrasant les miens si silencieux. Je me surpris à me demander ce que ça faisait d'être dans ses bottes, martelant le sol comme pour y planter son drapeau. Qu'est-ce que ça faisait d'être en hauteur ? Qu'est-ce qu'on voit de là-haut ? Nous faisions pratiquement la même taille mais les talons la grandissaient. Est-ce que la vue était belle ? Surement pas à droite, là où je marchais.
On était arrivées dans le bois, couvertes de l'ombre des feuilles et fouillant entre les troncs.
Nous étions plutôt studieuses dans cette tâche. Je m'écartai un peu du groupe, profitant de ce coin de nature pour me retrouver. J'avais encore la brûlure que sa main droite avait procuré à ma main gauche. Je m'accroupissais quand je tombais au hasard sur la tête d'une petite clochette blanche. Jeanne fit de même, je ne pus m'empêcher de la remarquer de là où j'étais, et les herbes chatouillaient l'endroit ou sa jupe cédait la place à ses cuisses.
Encore une fois j'essayais d'imaginer la sensation de la verdure chatouillant mon corps à cet endroit. Je devenais folle, je ne voyais pas d'autre explication à mon état.
Je reportai mon attention sur une autre fleur à quelques centimètres de moi. Et sans nous en rendre compte, le temps filait. Et nous nous retrouvions entre deux arbres, chacune avec nos bouquets, plus ou moins garnis.
Le mien était, je dois l'avouer, le plus gros de nous quatre.
Alors que nous nous dirigions vers la route, un peu fatiguées de cette aventure, je rejoignis Jeanne pour marcher à sa hauteur.
Et sans un mot, je lui tendis mes fleurs.
Elle m'interrogea du regard, déstabilisée. Parce que mon geste n'était pas intéressé. Nous n'avions aucun témoin à convaincre. J'avais juste envie d'offrir des fleurs à cette femme.
Elle les ajouta à son bouquet avant de chercher ma main comme pour nous consoler chacune de ce geste.
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