chapitre 29

JEANNE

12 mai 2024

J'étais dans un état second. Je ne savais pas par quel miracle j'étais sortie du lit ce matin. Si, il y avait deux raisons. La première était de l'ordre des responsabilités puisque je devais emmener les filles à la gare. La seconde était de l'ordre de l'espoir, ou du désespoir, à l'idée de dire au revoir à Amélia.

Nous n'avions pas passé notre dernière nuit ensemble et ce n'était peut-être pas plus mal comme ça même si mon corps entier se resserait sur lui même à cette idée comme un torchon qu'on tord dans tout les sens pour le vider de son eau usée. J'étais sèche. Et toute l'eau que je pourrais boire ne servirait pas à m'hydrater.

─ Ça va aller ? s'inquiéta doucement Madeleine.

─ J'ai survécu la première fois.

─ Je suis désolée pour toi.

Je secouai la tête.

─ Je ne veux pas passer pour la gentille d'entre nous deux, je ne le suis pas. Je n'ai pas toujours su la comprendre. Et je n'ai pas cherché à le faire en pensant que ça viendrait quand ça viendrait mais ça ne vient pas.

Elle m'écoutait depuis le siège passager.

─ Vous devriez parler.

─ Quand ?

─ Je ne sais pas ! Maintenant, peut-être, vous avez assez attendu non ?

Tout à coup l'idée d'une explication précipitée qui irait droit au but sur un quai de gare devenait une possibilité envisageable.

Je me garais enfin devant le Sapphic Archives pour attendre Amélia et Hortense, incapable de peser le pour et le contre.

Hortense tirait sa valise derrière elle, beaucoup trop lourde, mais tout ce que je constatais c'était l'absence d'Amélia. Et c'est là où je compris, sans savoir comment, qu'on ne se dirait par au revoir. Et j'eus envie de verser toutes les larmes de mon corps, de m'effondrer, de ne plus jamais me lever.

─ Elle n'est pas encore prête ? demandais-je sans conviction lorsqu'Hortense ouvrit la portière.

─ Elle a prit un taxi tôt ce matin, son train était à 9h35. Je suis désolée.



AMÉLIA



J'étais enfin rentrée chez moi. Il était tôt mais j'étais déjà dans mon lit. Évidemment je réfléchissais à toutes les façons dont cette journée aurait pu se dérouler si Jeanne et moi avions su trouver les mots la veille. La vérité c'était que je n'avais pas assez de recul sur la situation pour me dire que si nous recommencions ça se passerait autrement. Quand je me retrouvais face à mon ordinateur avant d'écrire, il y avait de longs instants dans lesquels j'essayais de trouver une position adéquate pour lui faire de la place, faire de la place à mes mots, à mes jambes, mon dos, à ce que j'ai dans le cœur et dans la tête, entre mes cuisses, sur ma peau, à ses lèvres et à son corps entier aussi. Je devais faire de la place à ce qu'il venait de se passer. Encore fallait-il démêler le vrai du faux. Quelque chose que je ne pouvais pas nier, c'était que je me trouvais moche à l'instant. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. Si je manquais de nuances j'aurais pu trouver une réponse toute faite, j'aurais pu me dire que Jeanne avait fait ressortir l'ancienne version de moi que je n'aimais pas. Mais ce n'était pas vrai. Je ne m'étais pas sentie moche à ses côtés. Je pouvais aussi me dire, de façon plus romantique, que je ne supportais pas son absence et que sans elle j'étais moins belle. C'était bon à savoir puisque j'avais justement peur de l'inverse avant de la retrouver. Enfin, de façon plus pragmatique je savais que j'allais pas tarder à être réglée. C'était une évidence que j'oubliais trop souvent et pourtant à chaque fois c'était la même histoire : je n'arrivais plus à me trouver belle ni à trouver du sens à ma vie. Une sorte de détresse qui me prenait par surprise, que je ne parvenais pas à anticiper alors que je passais le reste de mes jours à essayer de l'éviter.

Face à ma page vierge, l'évidence vint s'inscrire, celle que je recherchais depuis le début. Ça n'avait rien à voir avec Jeanne. Ça n'avait jamais rien eu à voir avec elle. Je prendrais le temps qui nous séparait pour me préparer à la retrouver.

La première semaine j'avais ignoré ses intentions. La deuxième semaine elle n'avait pas été réceptive à mes avances. C'était à mon tour de donner alors que je n'avais pas encore eu l'occasion de recevoir.

Il y avait quelque chose qui sonnait faux. Mais ça ne pouvait pas être nous. Ça me semblait toujours juste quand on était ensemble.

La seule chose qui me séparait de celle que j'étais avant de celle que je suis maintenant était ma féminité. Mais qu'est-ce qu'elles avaient de plus que moi les hétéros pour avoir le droit de porter tout ça. Des relations avec les hommes, me dis-je.

Je cherchais le prénom d'Hortense accompagné d'une petite étoile, cliquai dessus, et attendit devant le clavier tactile qui venait d'apparaître de pouvoir formuler quelque chose de sensé.

« Tu es toujours dans le train ? »

« Je suis arrivée il y a deux heures. Tu lui a brisé le cœur. »

Sa réponse était dure. Mais quelque part j'étais soulagée qu'elle mette les pieds dans le plat. Tout ça était bien réel. J'avais tout de même le cœur qui battait plus vite en essayant de deviner la situation qui l'avait rendue légitime de m'écrire ça.

Ce qu'elles s'étaient dit ce matin, quand je n'étais déjà plus là.

« Elle t'as dit quelque chose ? »

« Non, mais ça se voyait qu'elle était triste. Tu ne lui a même pas dit au revoir. »

Une pointe de colère s'introduisit dans l'échange.

« Si je ne lui ai pas dit au revoir c'est parce qu'elle m'a crié dessus sans raison a veille. »

Une petite pause.

« C'est pas faux. Désolée. Ce n'est pas non plus pour excuser son comportement mais je crois que tout ça c'est juste parce que vous n'osez pas faire le premier pas. »

C'est faux, on en a fait beaucoup des pas, malgré tout son message m'interpellait

Je vais le faire, en août. Mais je ne savais pas encore comment.

Alors je pensais à la façon de faire des hommes, que je n'ai pas connu. Je pensais aussi aux lesbiennes masculines. Je me sentais tellement dissociée alors que je rêvais d'être pleine.

Je pensais à Madeleine. Elle devait savoir faire.

« Coucou, tu es bien arrivée ? »

« Oui, et toi ça va ? »

Qu'elle s'inquiète ne serait-ce qu'un peu me fit plaisir.

« Ça va... Je me demandais si tu savais comment on fait pour faire le premier pas avec une femme... oui c'est gênant mais rappelles-toi que j'ai accepté de poser nue  »

Avec Madeleine je n'avais pas peur d'être ridicule, c'était confortable.

Peut-être que c'était ça l'amour.

Je pouvais facilement nous imaginer elle et moi dans les tâches quotidiennes, et récemment dans l'intimité ce qui me troublait assez. Entre nous deux, chacune avait sa place.

Mais je voulais Jeanne. Peut-être que je n'étais pas faite pour être avec elle. Comme deux âmes sœurs qui passeraient leur temps à essayer de se retrouver. Peut-être que c'était une histoire passionnelle, pas faite pour vraiment exister, un fantasme. Je ne voulais pas y croire. Pourtant j'avais beau regarder autour de moi, dans les livres, les séries, partout, nous n'étions nulle part. Sauf dans les fantasmes de vieux monsieur. J'avais pu découvrir quelques Pulp fiction écrites par des hommes sur des relations entre deux femmes très féminines. Mais ce n'était pas ça la réalité.

Pourtant Jeanne et moi étions très féminines. Et nous voulions être ensemble.

« Qu'est-ce qui te dis que j'ai la réponse ? :D »

Je me suis retrouvée bête. Parce que j'imagine que c'est toi qui abordes les filles. Ou qu'au moins tu l'as déjà fait. Tu es celle qui a le plus d'expérience. Et parce que t'es masculine.

« Je ne sais pas. J'avais besoin d'un conseil d'amie. Hortense n'a jamais eu à draguer une femme et Jeanne bah c'est Jeanne. »

« Tu veux dire que tu ne peux pas demander à Jeanne parce que c'est elle que tu veux draguer ?;) »

« Oui voilà. »

Je souriais face à mon écran.

« Ou peut-être que tu devrais justement lui demander ce qu'elle veut puisque c'est la première concernée. »

« Oui, une fois que tu m'auras donné ta réponse  »

« Ou peut-être que tu penses que je sais faire parce que je suis une masc »

Cette fois-ci je ne savais pas quoi répondre, comment elle le prenait. Peut-être qu'elle ne le savait pas.

Mais elle poursuivit :

« Je crois que c'est hyper simple et en même temps hyper compliqué. Ça dépend de la personne avec qui tu es. »

« Je crois que je vais demander à un homme finalement »

J'espérais qu'elle l'avait pris comme une blague parce que c'était mon intention. Les émojis morts de rire qui suivirent me le confirmèrent.

J'aimais la façon dont nous nous redécouvrions. Avec moins de préjugés, moins de défense. Plus de bienveillance et de nuances.

« T'as raison, tu écoutes tout ce qu'il te dit et tu fais l'inverse. »

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