chapitre 21

AMÉLIA

Le manoir avait fermé aux visiteurs. Hortense et Madeleine avaient retrouvé leurs chambres. J'attendais Jeanne dehors. Elle s'excusa pour l'attente et nous marchions jusqu'au parking arrière. Elle me dépassa d'un coup ce qui m'interpella puis se posta entre la voiture et moi. J'étais forcée de m'arrêter, attendant qu'elle fasse ce qu'elle avait à faire. Peut-être avait-elle oublié quelque chose d'embarrassant sur le siège passager qu'elle ne voulait pas que je vois. Je replaçais la hanse de ma pochette rose sur mon épaule, regardant vaguement autour de moi pour patienter. Je défroissai le bas de ma robe de la même couleur. Les souvenirs de mon enfance refirent surface.
Je me revoyais dans la cour de récréation, à tout juste six ans, lorsqu'un petit garçon à qui il manquait une dent m'avait demandé ma couleur préférée. J'avais répondu que c'était le bleu. Il avait arqué un sourcil incrédule, presque vigilant.
─ Le bleu c'est pour les garçons, avait-il simplement établi.
─ Non c'est pas vrai.
─ Si c'est vrai ! Toi tu as le droit d'aimer le rose ! Le rose c'est pour les filles.
Il semblait m'expliquer quelque chose d'absolument essentiel qui me mettait pourtant en colère. Les petits poings serrés, je m'écriais :
─ Je déteste le rose !
─ Alors t'es pas une fille !
La voix de Jeanne me ramena au présent :
─ Madame, souffla-t-elle en ouvrant la portière.
Je demeurais incertaine. Elle voulait juste être galante ?
Une vague de chaleur roula sous ma peau.
─ Merci, balbutiais-je en entrant sans la lâcher du regard.
Pourquoi étais-je si formelle et troublée ? Elle faisait ça pour s'amuser de la même façon qu'elles flirtaient amicalement avec Madeleine. Pourtant je ne décelai pas le moindre trait taquin dans son expression.
Je posais ma pochette sur mes genoux pour l'ouvrir. Je trouvais le gloss et abaissait le miroir pour en ajouter une couche sur mes lèvres. Jeanne s'installa derrière le volant, un peu tendue. Je ne lui parlais pas des deux lycéennes quand elle me demandait si la journée s'était bien passée. Je me contentais de regarder par la fenêtre, en essayant d'imaginer qui de nous deux aurait conduit si nous ne nous étions pas quittées.
Nous rentrions à l'appartement. Je me sentais soulagée de retrouver cet endroit qui était rapidement devenu familier grâce à la soirée que nous avions passées toutes les quatre.
Jeanne était déjà en cuisine alors j'en profitais pour utiliser la douche. Après m'être séchée je laissais retomber la serviette et enfilai une nuisette blanche. J'appliquai ma crème, ma brume Victoria Secret Temptation pailletée, et un soupçon de fard à joues pêche. Je me retins d'en rajouter le but étant de ne pas avoir l'air maquillée. J'essayais de deviner le regard que Jeanne poserait sur moi ce qui m'enthousiasma. Elle avait remarqué que j'avais changé et je voulais qu'elle continue d'être surprise. Je voulais voir cette étincelle à chaque fois.
J'étais prête pour la rejoindre.
Je fus surprise par la luminosité tamisée. Elle avait mis les couverts sur la petite table du salon. Nous ne l'avions pas encore utilisée. Après réflexion elle était faite pour deux personnes. C'était peut-être plus pratique ainsi plutôt que s'embarrasser de la grande table de la cuisine.
Ou alors ce qu'elle avait préparé ne prenait pas beaucoup de place. Je me demandais pourquoi j'étais en train de disséquer la situation alors qu'elle alternait probablement juste selon ses envies du moment. Je lui proposais mon aide mais elle déclina en traversant la pièce avec ses plats qu'elle déposa sur la table.
Elle tira une chaise derrière moi. Pour moi.
─ Je m'occupe de tout ma belle.
Ce surnom me prit par surprise, physiquement.
Après ça je ne pouvais que m'assoir et un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres.
Encore une fois, il n'y avait rien d'exceptionnel. Toutes les filles l'utilisaient. Il ne m'était pas particulièrement destiné. Comme les spaghettis qu'elle versait dans mon assiette, la lumière tamisée, et le dîner en tête à tête. Ça n'avait rien à voir avec moi. Elle l'aurait fait pour n'importe qui.
Je me contentai de l'appréciation dans son regard lorsqu'elle posait les yeux sur mon corps. Une appréciation que j'avais pu déceler chez des inconnus, des hommes, des femmes, des amis, depuis que j'avais changé. Mais la sienne me tenait tout particulièrement à cœur puisque je ne l'avais jamais ressenti avec une telle intensité. J'étais rassurée.
─ C'est quoi le problème avec ton recueil ? avait-elle demandé.
─ J'ai écrit cette phrase « il n'y avait plus rien de beau, il n'y avait plus que les femmes ».
─ Et alors ?
─ J'ai osé comparer les femmes à la beauté, expliquai-je sans avoir plus d'arguments.
Elle semblait y penser.
─ C'est mal ?
─ Apparemment.
─ Moi je suis assez d'accord. Je veux dire que... par exemple ça pourrait me venir à l'idée de te comparer à la beauté et tu es une femme. C'est juste un ressenti. Ce n'est pas ça la poésie ? Ou peut-être que je suis juste lesbienne. C'est pour ça que j'ai le droit d'apprécier les femmes en en étant une.
Mon cœur battait trop vite.
─ Je crois que tout est une question de nuances quand on est une femme.
Elle acquiesçait, songeuse.
Je l'aidais à débarrasser, puis je me demandais ce qu'on ferait pour passer le reste de la soirée. Que faisaient deux meilleures amies ? Je ne m'en souvenais plus.
Mais c'était plus compliqué que ça.
Que faisaient deux anciennes meilleures amies, ex-copines, venant de se retrouver après six ans sans se voir ?
Sans doute qu'elles se posaient trop de questions. Surtout à l'heure du coucher.
Moi, en tous cas. Parce que Jeanne n'avait pas peur qu'on dorme ensemble et c'était bien la preuve que je ne représentais pas un danger.
Même pas avec cette petite nuisette ?
Je chassais cette pensée absurde.
Elle appréciait ce qu'elle voyait et c'était le plus important. Nous ne pouvions plus être ensemble. Je ne pouvais pas être elle et avec elle en même temps.
Et j'avais choisis d'être elle, je m'étais choisie moi. Ce qui pouvait paraître paradoxale si vous n'étiez pas dans la nuance, mais j'étais poète et il fallait me prendre ainsi.
Pour me comprendre il fallait parler le langage du ressentis.
Nous nous préparions à dormir. Son regard s'attardait sur moi, je m'en délectais. Mais il me brûlait la peau aussi. C'était comme si je restais trop longtemps au bord de l'eau en été sans avoir mis de crème protectrice.
─ T'es trop belle, souffla-t-elle.
Coup de soleil assuré. On m'avait prévenue mais je préférais faire comme si je ne savais pas.
Je déglutis avant de pouvoir la remercier. Il me fallut passer par la salle de bains pour prendre soins de moi. J'observais le blush en clignant des yeux pour gagner du temps : je n'avais pas du tout envie de le retirer. Cette nuisette n'était pas faite pour dormir. Elle était faite pour ne pas dormir. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus confortable mais il n'était pas question que je la retire pour dormir nue et ce serait un échec de la troquer contre quelque chose de moins joli. Elle ferait l'affaire. Je passais un coup de brosse dans mes cheveux. Je n'avais rien d'autre à faire alors je me résolus à passer la porte pour retrouver la chambre de l'autre côté.

Des nœuds dans mes cheveux
A démêler
Des nœuds dans ma tête
Mais j'en rajoute sur mes cheveux
Des jolies barrettes

•••

Note de l'autrice :
J'espère que vous allez bien. Je tenais à vous remercier de suivre cette histoire avec intérêt. J'ai l'impression que vous en saisissez les nuances comme je voulais les retranscrire et ça me fait trop plaisir. Ce n'est pas forcément un livre fait pour Wattpad car c'est un livre de ressentis mais je suis heureuse de le partager avec vous.
Merci pour vos commentaires, je les lis avec plaisir croyez-moi,

Solène🌹

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top