chapitre 2

Avril 2018


J'étais l'ombre, elle était le soleil

J'aurais aimé être la lune

Pour qu'enfin ma présence l'émerveille

Mais elle était l'astre

Et moi pauvre contraste dans l'impasse d'une ruelle


Jeanne avait semblé ailleurs toute la journée. Ce qui était étrange puisque d'habitude elle vivait le moment présent et rien d'autre. Ce qui lui conférait une présence irrésistible, il fallait bien l'avouer. Mais pas aujourd'hui. Elle semblait effacée et je n'avais pas l'habitude de partager cet espace avec elle. Celui des gens discrets. Réceptacles d'une autre réalité.

Je m'en étais accommodée. On ne me remarquait pas. Et je préservais ma paix comme ça. Jeanne était la plus rayonnante de nous quatre. Moi j'étais invisible dans ce monde. Mais dans le mien, j'avais mille idées. Et ça me convenait très bien de ne pas avoir à les partager. Je vivais dans mes illusions, mes rêveries. J'étais celle qui imagine, pas celle qu'on imagine. La poétesse, pas la Muse. Jeanne, si. Et je l'ai souvent imaginé dans des tas de réalité, sous une lune éhontée, drapée de nuit, voluptée.

J'étais comme tout le monde, finalement. Tous les garçons de cet établissement. Il y avait toujours autour de nous une floppée de prétendants. Mais elle aimait les femmes, elle le disait souvent. Parfois elle s'amusait avec l'un d'eux, juste un instant. Si j'étais courageuse, je l'aurais aimé mieux que tous ces amants. Mais ce serait trop beau pour être vrai. C'était sans doute pour cette raison que j'étais quelqu'un de réservé. Je me préservais pour mes illusions comme d'autres pour leurs futurs maris j'imagine. J'en mourrais de perdre la passion. Mais je souffrais aussi beaucoup de cette double vie. Comme une infidèle qui mentirait à perdre la raison.

Alors que j'étais affalée sur le canapé, je vis mon écran afficher une notification. C'était Jeanne et je trouvais ça étrange qu'elle m'envoie un message qu'à moi au lieu d'envoyer sur le groupe "les daronnes". C'était Madeleine qui avait eu l'idée de ce nom parce qu'elle disait, avec raison, qu'on avait toutes des prénoms de grand-mères. Hortense, Madeleine, Jeanne, et moi. Amélia. Apparemment mon prénom était moins choquant que les leurs. J'avais vu à leurs yeux que c'était un compliment, mais ça m'avait blessé, évidemment je ne l'avais pas dit. Mais j'étais toujours moins. Voilà ce que j'avais ressentis.

Je déverrouillais mon téléphone sans en attendre quelque chose d'intéressant.

"Tu veux être ma cavalière ?

J'ai dû relire la question au moins cinq fois, mot par mot, pour être certaine qu'il ne s'agissait pas d'une illusion.

Je clignais les yeux pour en extraire la fatigue mais le sens du message était intact. Jeanne me demandait d'être sa cavalière. De sortir avec elle. Elle avait dû recevoir tellement de demandes qu'il m'était difficile de comprendre pourquoi elle me demandait à moi. Nous avons toujours eu un lien spécial, nous n'avions pas vraiment besoin de parler pour nous comprendre, comme des meilleures amies. Je n'ai jamais vu d'autres signes. Espérer, oui, mais c'était tout. Mes mains tremblaient. Il lui avait fallu cinq mots pour tout bousculer en moi et je détestais ça. Pourtant j'adorais détester ça. Son attention me donnait l'impression d'exister. Sentiment rare.

Allais-je quitter mon ombrelle ? Était-elle la main tendue que j'avais tant attendue ?

Je sentais poindre l'espoir.

J'avais l'impression que ma vie allait changer du tout au tout selon la réponse que j'allais donner. Je me repassais tous les éléments de ma vie pour avoir une idée de ce à quoi ça pourrait ressembler. J'aimais Jeanne mais nous n'en avons jamais vraiment parlé. Tout le monde aimait Jeanne. Je ne suis jamais sortie avec personne. Je n'ai jamais cherché à plaire. Je n'étais pas la plus belle, et c'était stupide de rentrer dans les codes imposés.

Pour résumer, je n'avais aucune expérience, je n'étais clairement pas la plus belle, et surtout j'étais sa meilleure amie.

Beau tableau.

Je savais que je l'aimais, c'était indéniable. Dans mes rêves nous avons vécues tant de choses, mais je ne pensais pas que ça pouvait devenir réalité.

Je décidais d'arrêter de m'apitoyer sur ce que j'étais. Il était temps d'être une nouvelle personne. Tout devait être parfait. Je ne pouvais pas rater cette occasion sous prétexte que j'avais peur de vivre.

Si j'acceptais, je deviendrais le centre d'attention que je n'avais jamais été. Et je n'en avais pas envie. Mais je voulais être avec elle quitte à me brûler les ailes. Si je renonçai à l'amour par peur je m'en voudrais pour toujours.

Une fois que j'avais pris la décision d'accepter, il fallait que je réfléchisse à une formulation.

Un simple oui serait un peu froid.

Je pourrais rajouter des "i" avec un emoji "bague de fiançailles".

C'était déjà une meilleure idée.

Mais je voulais que ce soit encore mieux.

La vérité c'est que j'avais juste envie de lui répondre "t'es sûre ?" ou "pourquoi moi ?" ou encore "pourquoi tu m'avais jamais dit que tu m'aimais ?".

Et pleins d'autres questions dans la même veine.

Il fallait que je reste concentrée. Elle était sûrement en train d'attendre ma réponse. Envoyer ce message n'avait pas dû être facile non plus bien qu'elle donnait l'impression que tout coulait de source pour elle.

Et si c'était une blague ?

Je faisais taire toutes mes pensées une seconde, le temps de taper quelques mots sans m'arrêter et de les envoyer avant de me dégonfler.

J'avais l'impression d'avoir couru un marathon alors que j'étais juste penchée sur mon écran, assise au milieu de mon canapé, sous le regard désespéré de mon frère aîné qui attendait que je lui donne la télécommande sur laquelle j'étais assise.

"Ouiii *bague de fiançailles* on va boire un verre après les cours juste toutes les deux pour en parler ?"

Elle mit une seconde à répondre "Avec plaisir".

Je finis par me lever pour rejoindre ma chambre sous l'air victorieux de mon frère qui n'avait aucune idée de ce qui était en train de se passer dans mon cœur et dans ma tête.

Les moments que nous passions toutes les deux étaient devenus rares. Nous étions quatre mais il était vrai que les duos s'étaient rapidement formés et Jeanne et moi étions plus proches tout comme Hortense et Madeleine l'étaient. La répartition s'était faite naturellement. Sauf qu'à force de passer tout notre temps avec les filles nous n'en avions plus pour être toutes les deux. J'étais heureuse à l'idée de retrouver cette complicité. Je n'avais pas remarqué qu'elle me manquait autant.

Une fois le choc passé, j'eus un regain d'énergie. Comme si ma nouvelle vie venait de commencer. J'étais bien décidée à en profiter. Je devais faire en sorte que tout soit parfait comme dans un rêve.

Je devais être à la hauteur.

Je prévoyais alors d'aller chercher un bouquet de fleurs après les cours avant de me rendre à notre rendez-vous. 

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